Attaquants à tribord !

Un survivant. Un seul. Dans la précipitation, le pied de l’homme percuta une planche un peu bancale sur le pont de la Reine. Déséquilibré, le matelot se retrouvera le cul par terre face à une gueule entrouverte et des crocs rougis par le sang des précédentes victimes du loup divin. Lorsque l’on contemplait la scène - à une certaine distance de sécurité - on pourrait croire que Nagah prenait son temps pour s’amuser avec sa proie avant de l’achever, un peu comme un chat jouerait avec une souris. Mais il n’en était rien. Cet humain avait de la chance d’être le dernier rescapé du carnage qui avait eu lieu car ça signifiait qu’il allait vivre. En effet, depuis un petit moment, Nagah avait pris l’habitude de laisser un survivant par navire qu’ils pillaient. Pourquoi ? Eh bien, afin que ce dernier puisse conter la terrible mésaventure dont il avait été victime.

- J’espère que tu sais nager. Cette remarque fut la dernière prononcée par le loup géant avant qu’il ne balance le pauvre matelot par dessus bord et qu’un bon gros « plouf » ne se fasse entendre. De temps à autre, il arrivait qu’un autre son lui parvienne aux oreilles. Et bien qu’il adorait entendre des os craquer sous la pression de sa mâchoire lors des carnages menés avec l’équipage, il en appréciait beaucoup moins la tonalité quand le but était de relâcher un humain vivant afin qu’il répande la rumeur où qu’il aille.  

Durant un bref instant, le regard du fils d’Aqua se perdit dans les remous de l’océan qui emportaient au loin la carcasse du bateau qu’ils venaient de piller ainsi que le survivant qui s’accrochait péniblement à une planche en bois qui flottait encore. Mourrait-il noyé ou dévoré ? A moins que celui-ci ne fasse partie des rares à survivre ? Le sang qui s’écoulait des diverses blessures de ses pairs décédés risquait bien d’attirer les prédateurs avant qu’il n’ait l’occasion d’atteindre la moindre parcelle de terre. Quelle fin tragique. Enfin soit, ce n’était qu’un humain après tout.

Après cette réflexion quelque peu morbide, le Demi-dieu décida de se retransformer pour rejoindre la cabine d’Ezelya puisque cette dernière avait émit le souhait de vouloir lui parler en privé un peu plus tôt dans la journée. Il fut d’ailleurs le premier à s’y rendre et s’autorisa donc un instant de détente en attendant son invocatrice, ayant repéré un sabre dans la cabine qui lui plaisait bien. Le prenant en main, il le testa avec un intérêt non dissimulé. La dernière fois qu’il s’était rendu en ville, il avait emprunté un sabre à l’un des matelots de la Reine pendant son sommeil. Le pauvre n’avait pas dû apprécier de découvrir la disparition de son arme, bien que le fils d’Aqua ait fini par la lui rendre aussi discrètement qu’il la lui avait subtilisé. Lorsque la jeune femme entra, le loup divin était en train d’examiner la lame parfaitement aiguisée. Il acheva la contemplation du sabre avant de le remettre à sa place et de concentrer son attention vers la propriétaire de la cabine. Ses félicitations lui décrochèrent tout naturellement un sourire satisfait alors qu’il allait s’asseoir, prenant - comme à son habitude - ses aises.

« Dis-moi, tu t’amuses à tuer tout pleins d’humains mais tu les torturais dans ta cellule. Tu ne voudrais pas un esclave avec lequel t’amuser ? »

Bien que l’idée était intéressante sur le papier, l’exécution de celle-ci s’avèrerait inutilement risquée car l’esclave découvrirait à coup sûr l’identité secrète d’Ezelya et - si il parvenait à s’enfuir - il pourrait la révéler aux autorités, ce qui serait assurément très problématique pour la suite de leurs aventures. Avant de rencontrer Ezelya, le loup géant n’aurait sans doute pas réfléchi longtemps avant d’accepter ce genre de proposition. Mais maintenant, il préférait peser le pour et le contre avant de prendre la moindre décision. En effet, Nagah se montrait bien plus sage qu’auparavant, sans doute était-ce dû à son nouveau rôle de conseiller divin.

- Sur le principe, je t’aurais dit oui. Mais après réflexion, je pense que ce n’est pas une bonne idée. Si l’esclave en question parvient à s’enfuir et qu’il dévoile ton identité aux autorités, ça signerait la fin de ta liberté... Et de la mienne. Je me contenterais donc de ceux que je peux tuer au cours de nos pillages. Après tout, cette situation me satisfait déjà pleinement. Lui fit-il remarquer en se grattant légèrement la joue du bout de l’ongle. Finalement, il n’était pas si difficile à contenter.

La remarque suivante lui tira un sourire amusé. Il doutait que les membres de l’équipage soient stupides au point de vouloir se retourner contre leur capitaine qui disposait d’un loup géant sanguinaire de plus de deux mètres de haut en guise de protecteur. Autant sauter par dessus bord directement... Ou se planter une lame dans le cœur pour ceux qui ne voulaient se laisser aucune chance de survie. Le sifflotement de son invocatrice ne le dérangeait pas outre mesure, pas plus que la bonne humeur qui émanait de la jeune femme car après tout, lui aussi était dans un état d’esprit relativement bon après le pillage du navire qui s’était déroulé sans encombre.

Alors que son regard vagabondait sans but dans la pièce, s’attardant sur certains objets qui ornaient la cabine, il le ramena finalement vers son invocatrice lorsqu’il l’entendit fouiller dans un coffre. Il ne s’attendait, en revanche, pas du tout à recevoir un cadeau et la surprise se lut aisément sur son visage quand la jeune femme lui tendit le sac. Jamais il n’aurait cru un jour recevoir un présent de la part d’un être humain. Rapidement, un sourire véritable s’esquissa sur son visage. Oui, il était sincèrement heureux. A partir de cet instant, il serait bien incapable de considérer Ezelya comme un vulgaire objet, même si elle avait déjà pris une place considérable dans sa vie et qu’elle ne représentait plus une « simple » humaine à ses yeux, surtout depuis les aveux qu’elle avait formulé devant lui avant de renvoyer Pru’ha. Bien malgré lui, il avait noué un lien plus que solide avec son invocatrice, même s’il n’était pas prêt de l’avouer à qui que ce soit. Enfin, les choses étant ce qu’elles étaient, tout pouvait encore changer.

- Je... Non, en effet, il ne savait pas quoi dire. C’est une excellente idée... Merci, Ezelya. Je tâcherais d’en faire bon usage. Pas d’étalage de joie mais le trouble qui secouait le fils d’Aqua se lisait aisément dans son regard. Il aurait aimé pouvoir remercier son invocatrice comme il se devait mais un frein l’en empêchait. Sans doute était-ce celui de cette foutue fierté mal placée ? Dans l’Ancien Monde, certains humains avaient vénéré les Demi-dieux et leur avaient même parfois fait de généreuses offrandes. Oui, c’était quelque chose de naturel et ça aurait dû le rester. Mais ici, il avait conscience d’avoir mérité ces cadeaux et cette constatation ne faisait que l’emplir d’une plus grande satisfaction.

Aussi, il s’empressa de passer le lien autour de son cou après l’avoir détaché de la anse du sac. Oui, c’était bien la même pierre que celle qu’il avait prise à Valion, le jour de sa sortie du temple. Et maintenant, il avait la sienne. Il allait pouvoir se vanter d’en posséder une lui aussi. D’un geste, il referma sa main sur la pierre bleutée puis releva les yeux vers Ezelya, s’apprêtant à tester les pouvoirs de son nouveau cadeau avant qu’il ne perçoive des cris provenant de l’équipage de la Reine. Qu’est-ce qui se passait là dehors ? Immédiatement, il abandonna son expérience pour suivre son invocatrice et découvrir la raison de cette soudaine agitation sur le pont, mais une pluie de flèches les arrêtèrent net et quelques projectiles vinrent se loger dans la porte de la cabine. Un grognement sourd échappa au fils d’Aqua qui - dès que la porte s’ouvrit à nouveau - s’élança dehors en se retransformant d’une impulsion, prêt à combattre malgré les quelques blessures qu’il avait subi lors de leur précédent assaut.

La crinière hérissée, il protégea volontairement quelques membres de l’équipage de la pluie de flèches qui les assaillait et - lorsque les deux bateaux furent suffisamment proches l’un de l’autre - il prit son élan et bondit sur le navire adverse, écrasant probablement l’un ou l’autre humain en se réceptionnant mais ça n’avait pas la moindre importance. Comme à son habitude, Nagah fonçait dans le tas et se contentait de tuer, de massacrer tout ce qui passait à sa portée. Hommes, femmes ou enfants, il ne faisait aucune différence. Boosté par l’adrénaline du combat, il poussa un grognement sonore, prêt à exterminer tous ceux qui avaient osé briser l’un des rares moments privilégié qu’il pouvait avoir avec son invocatrice.

Codage par Libella sur Graphiorum