S’il y avait bien une chose qu’avait démontré son voyage au Temple du Feu, c’est qu’il n’était pas prêt. Son aigreur en partie atténuée grâce au festival de Terra et aux bons moments qu’il y avait passés, Valion avait regagné un peu de sa détermination. Il n’était pas certain de savoir précisément quoi faire pour « être prêt », mais il était bien décidé à ne pas rester assis dans un coin à broyer du noir.

Sachant pertinemment que son équipement actuel n’était pas suffisant, il était en chemin pour le quartier commerçant. Si les objets magiques étaient hors de sa portée, tant dans l’usage que le savoir, il y avait bien un lieu familier dont il saurait tirer satisfaction : l’armurerie. Elle était tenue par Ariez Aliz, qu’il côtoya un temps lors de la gestion des transactions entre sa boutique et la forge de son père. Toutefois, on ne la voyait guère dernièrement, aussi il n’était pas sûr de tomber sur elle mais peut-être sur sa sœur, également une bonne connaissance.

À l’idée de savoir quelles nouvelles merveilles il pourrait admirer, l’ancien soldat soupesa machinalement sa bourse. Allégée par son récent voyage à Layane, elle n’aurait pas souffert d’un supplément de tsuris… Mais les services qu’il rendait et les offres auxquelles il répondait étaient tout sauf une rentrée d’argent régulière ! Il devait impérativement se mettre en selle, et rapidement. Même la générosité de son oncle avait des limites, et il était hors de question qu’il en abuse. Ainsi il se refusait à piocher dans la réserve financière laissée à sa mère, même si la plupart des frais étaient réglés par Brynn.

Perdu dans ces questions pécuniaires, il ne vit que tardivement le sourire familier qui l’accueillit une fois la porte de l’armurerie poussée. Son visage s’éclaira immédiatement et il chassa ces réflexions ennuyantes de son esprit. Un léger sourire se dessina sur ses lèvres en voyant la sœur de Ariez largement appuyée sur le comptoir.

Ils échangèrent une poignée de main chaleureuse avant de plonger dans un résumé de leur vie respective. Ils entendirent la porte s’ouvrir quelques minutes plus tard mais, après un bref coup d’œil pour évaluer l’arrivante, repartirent dans leur discussion animée. Les boutiques de Lüh attiraient pas mal de curieux qui venaient uniquement admirer les plus belles créations des artisans de la cité. Quelques étrangers ou nobles à la bourse bien remplie s’arrêtaient pour en dépenser le contenu allègrement, sans guère de considération. Mais la potentielle cliente semblait davantage appartenir à la première catégorie. Lorsque la demoiselle vint les aborder, la sœur de Ariez haussa un sourcil.

« Tu veux bien t’en occuper s’il te plaît ? J’ai une livraison à récupérer et installer. »

Valion acquiesça, sachant qu'elle était assez débordée. Avec un clin d’œil signifiant sa dette envers lui, elle disparut dans l’arrière-boutique. Tout aussi capable de répondre, et devant bien avouer que parfois la forge lui manquait, il se tourna vers la jeune inconnue avec bienveillance.

« Bonjour. »

À la voir de plus près, elle était loin d’être aussi frêle qu’il se l’était imaginé. Et il y avait quelque chose d’élégant et de gracieux dans sa silhouette, ce qui démontrait une agilité certaine. Il réfléchit volontairement à voix haute.

« Par rapport à votre carrure, une épée courte ferait l’affaire. Mais si vous souhaitez vraiment prendre l’avantage en cas de problème, il faut jouer sur la surprise ou la rapidité. Vous m’avez l’air d’être quelqu’un de capable. Une dague serait sans doute le plus adapté. Suivez-moi je vous prie. »

Valion l’emmena vers l’étal où de nombreuses dagues étaient exposées. Il lui demanda d’en prendre une en lui laissant entièrement le choix. Il devait voir vers quoi elle se tournait naturellement, si elle était à l’aise, et étudier ses réactions pour la conseiller au mieux.

« Vous vous êtes qualifiée de novice, vous n’avez jamais tenu d’armes ou n’avez juste suivi aucun entraînement ? »

Avec son degré de tact discutable,  Valion n’était clairement pas un vendeur né. Exceptées les rares armes qui ne partaient pas dans les boutiques de Lüh, car fondées sur du trop mauvais minerai, les marchandises qu’il avait eu à la forge relevaient surtout de l’entretien et d’accessoires. Son père prenait des commandes artisanales mais essentiellement, il se limitait à l’approvisionnement des échoppes. Les habitués de l’extérieur et certains miliciens venaient en revanche souvent déposer leurs armes pour qu’on les bichonne rapidement et à petit prix. Et la passion du jeune homme avait toujours suffit à gérer ce genre d’affaires hors protocole.

Heureusement, la demoiselle ne semblait pas trop s’être offusquée de ce manque relationnel. Lui, concentré sur sa mission de conseiller, avait à peine tiqué sur sa gêne. Et le fait qu’elle ne prit aucune arme pour répondre à sa demande lui confirma pleinement son statut de novice. Il ne put s’empêcher de répondre à sa dernière question avec un sourire en coin, plus amusé que railleur.

« Non pas que je vous sous-estime, mais seule contre un monstre, là-dehors, sans entraînement, aucune arme ne ferait l’affaire. »

Pour appuyer ses dires, il se dirigea d’un pas leste vers le mur d’en face où siégeait plusieurs lances. Il en saisit une qui le dépassait et l’amena à ses côtés pour pointer la différence. Puis, en exécutant quelques mouvements rotatifs mesurés, afin de rien heurter dans la boutique, il annonça :

« Je suis plutôt habitué à ce genre d’armes mais voyez, moi qui souhaite chasser ces mêmes monstres, sans compagnie et sans équipement magique, je ne suis pas de taille. »

Ayant reposé l’objet, il revint calmement auprès de la jeune femme, non sans un regard en arrière. Loin d’impressionner la galerie malgré les apparences, Valion pouvait tout bonnement passer des heures à s’entraîner au combat en silence. Pour satisfaire au mieux les attentes de la cliente, son esprit se remit en marche. Sa réflexion achevée, il déclara, poings sur les hanches :

« Un arc à la rigueur serait envisageable. Plus mortel, plus efficace. Mais, vous avez dit vouloir bientôt quitter Lüh ? Même en vous découvrant un don naturel pour le tir à l’arc, sans assez de pratique, ça ne me semble pas viable. Une dague, c’est pas encombrant, facile à manier et discret. Ça peut vous sortir de plusieurs situations. Après, si vous cherchez à vous dégager des griffes d’une meute d’Oboros, mieux vaut engager une escorte, et une bonne. »

Réalisant soudainement qu’il était peut-être un peu tranchant malgré son professionnalisme, il croisa les bras nerveusement. Son regard tomba sur ses bottes en cuir et il rajouta, un poil embarrassé.

« Mais bien sûr, cela reste votre décision... »

Valion se détendit. Il était rassuré que son exposé, même si le contenu ne lui plaisait guère, avait fait mouche. Après tout, personne n'aimait voir ses plans remis en question à cause d'un danger qu'on ne pouvait soi-même gérer. Mais, si c'était bien son cas, elle n'en montra rien et continuait d'afficher cette nonchalance vraisemblablement inhérente.

Intrigué par sa démarche féline, Valion l'observa en silence circuler dans la boutique, attendant tranquillement la moindre question ou remarque, sans se douter un seul instant qu'il était peut-être celui devant se défendre. Il lâcha un éclat de rire nerveux face au compliment et à la demande qu'elle lui fit. Sentant que la phrase n'était pas finie et attiré malgré lui par le fil de ses mouvements, il n'eut pas le temps de répondre qu'elle se rapprocha soudainement.

La chaleur qui rougit aussitôt son visage fut bien moins discrète que ce qu'il aurait souhaité. La jeune femme se recula aussi vite qu'elle était venue, le laissant se dépêtrer tant bien que mal de son embarras.

« Je- je... Je- oui ! Je veux dire, oui, ça a à peu près cette forme... Ça dépend des modèles... »

Puis il se racla la gorge pour reprendre contenance. Il ferait mieux de lui répondre un peu mieux que ça s'il ne voulait pas se ridiculiser définitivement !

« Mais, veuillez m'excuser, je me suis un peu emballé concernant ce type d'armes. Si vous souhaitez en effet une dague, il faudra passer commande. En revanche, je peux peut-être vous présenter les épées courtes ? »

Il se dirigea rapidement vers le centre de son nouvel intérêt, tentant de regagner la maîtrise de cette conversation qui lui avait complètement échappé. En bon garçon, il ne put toutefois ignorer sa demande précédente, et encore moins refuser son aide, presque malgré lui.

« Et, concernant votre première question, je dois quitter Lüh cet après-midi. Si vous avez le temps d'ici-là, je pourrais en effet vous enseigner quelques bases. »

Il évita toutefois de la regarder trop longtemps dans les yeux. L'ancien soldat ne comprenait toujours pas comment, d'une seule joute verbale, il s'était fait voler toute son assurance. La jolie demoiselle le mettait toujours mal à l'aise, mais il parvint à fournir un meilleur effort pour le dissimuler...

S'il n'était pas non plus sur le point de se faire empaler, ses réflexes sauvèrent toutefois l'intégrité de sa chemise. Mine de rien, à être aussi gêné et attentif aux gestes de la jeune femme, il avait pu se décaler pour éviter son mouvement un peu trop zélé. Il dut toutefois décaler ses pieds en voyant l'arme foncer vers le sol.

Se passant une main dans les cheveux tandis qu'elle l'examinait, Valion leva enfin les yeux vers son interlocutrice lorsqu'elle se recula. Son expression désolée le toucha en plein cœur et il se sentit bien obligé de dédramatiser la situation pour la rassurer. Enfin d'essayer, tout du moins.

« Ce n'est pas bien grave. Personne n'est mort après tout... Votre maîtrise de l'épée courte dépasse tellement le commun des mortels qu'elle ne peut même pas les toucher... »

Il osa un sourire timide. L'humour n'était pas son fort mais bon, il y avait encore de la marge pour rendre la situation encore plus gênante qu'elle ne l'était déjà. Ceci dit, ils étaient à présent à égalité !

« Je crois qu'il vaut mieux, en effet. »

Il glissa son affirmation non pour se moquer mais pour encourager la demoiselle à être très prudente. Il la laissa également replacer l'objet parmi ses homologues, en restant paré à toute éventuelle maladresse. Après cette démonstration hasardeuse, une pointe d'inquiétude le saisit quand elle indiqua n'avoir pas même le temps pour les bases.

« Et bien, si vous comptez voyager en compagnie de personnes sachant se battre, je ne peux que vous conseiller de les inciter à vous apprendre à vous défendre. En attendant... »

S'il pouvait être timide, dès lors qu'on parlait d'armes, Valion pouvait en oublier jusqu'aux convenances, surtout s'il se mettait dans le rôle d'instructeur. Et il ne pouvait décemment pas la laisser se débrouiller sans expérience aucune. Il prit d'une main l'épée que la jeune femme venait de reposer et tendit l'autre.

« Puis-je ? »

Sans vraiment attendre sa réponse, il saisit délicatement sa main et y déposa l'objet meurtrier. Sans la lâcher, il lui fit refermer sa poigne sur le manche en cuir et annonça sa première leçon :

« Toujours tenir votre arme avec fermeté. Ça vous permet d'être plus précise lors de vos attaques, et plus résistante dans votre défense. Si on vous porte ou que vous portez un coup, ainsi, vous ne perdrez pas votre arme. »

Il la relâcha et s'éloigna légèrement pour la laisser s'habituer au poids du métal. D'un signe de tête, les bras croisés, il l'encouragea à produire quelques mouvements. Cette vision n'était pas sans lui rappeler l'entraînement des troupes. Heureusement, il n'était plus milicien et n'avait pas besoin de se mettre la pression dans cette situation.

« Qu'est-ce qui vous amène en dehors de la capitale, si je puis me permettre ? »

Le jeune homme leva un sourcil surpris. La réponse de la demoiselle était des plus nébuleuses. Il n'était pas assez adroit pour se rendre compte que son envie d'entamer la conversation s'était faite reboutée, mais suffisamment pour ne pas insister. Il se tint donc immobile et silencieux pendant qu'elle exécutait son exercice. On aurait dit qu'elle essayait de piquer une ruche d'Apis.

Heureusement qu'il était patient, car sa disciple y mettait si peu de volonté qu'elle lui rappelait sa propre sœur, Danae. À s'irriter du manque de progrès ou à tout vouloir tout de suite au risque de se désintéresser. Il ne prit pas ses remarques impertinentes de façon personnelle, car il savait ne pas être face à une milicienne disciplinée mais une inconnue au caractère visiblement bien trempé. Elle n'en restait pas moins une jeune femme qui avait besoin d'aide, même s'il n'était finalement pas certain qu'elle la veuille...

L'ex brigadier-chef lui répondit une fois qu'elle eût déversé sa frustration, sa tête penchée comme sollicitant enfin un mouvement de sa part. Quelle terrible élève. Il décroisa les bras et se rapprocha très calmement.

« L'image est plutôt bien trouvée. Vous êtes comme un poisson, hors de son élément, et ceci n'est pas naturel pour vous. Mais il ne faut pas pour autant forcer le mouvement, vous allez vous épuiser pour rien. »

Il lui prit l'arme des mains, toujours avec lenteur et délicatesse, sentant que son agacement allait difficilement digérer ses propos. Valion s'écarta pour effectuer de légers mouvements rotatifs.

« Voyez ? C'est avec vos poignets qu'il faut maîtriser le mouvement. Le bras doit suivre, et pas l'inverse. »

D'un lancer souple, il fit basculer la petite épée pour la rattraper par la lame et lui tendre la poignée. Deuxième leçon.

« Réessayez. Doucement. Et prenez la poignée avec vos deux mains pour commencer. N'oubliez pas d'utiliser vos jambes et votre bassin, c'est tout votre corps qui doit se mouvoir pour accompagner votre geste. »

L'instructeur se recula à nouveau. Il avait repéré ses mouvements fluides plus tôt, lorsqu'elle s'était promenée dans la boutique. Elle était bien plus agile que la moyenne, ce qui le poussait à s'interroger sur son métier. Cependant il n'en fit rien puisqu'elle n'avait démontré aucune envie de partager. Si elle puisait de la force dans l'ensemble de ses membres, elle s'apercevrait que l'épée était déjà plus maniable.

Finalement, la demoiselle se pliait à l'exercice. Le résultat de cette bonne volonté n'en fut que plus marqué. Bon... il y avait toujours un peu de maladresse ! Mais considérant sa jeune expérience, c'était tout à fait normal. C'est quelque chose qui viendrait par habitude. Elle prendrait peu à peu conscience de son arme dans l'espace et ajusterait ses mouvements en conséquence. Du moins, si elle continuait à s'entraîner.

Acquiesçant devant ses manœuvres, Valion répondit à sa question peu assurée avec sincérité et encouragement.

« C'est un bon début. Vous vous en sortez déjà beaucoup mieux. »

Son sourire bienveillant s'effaça au gré de la surprise quand elle se rapprocha brusquement. Décidément, elle était née pour le faire sursauter ! Moins gêné qu'auparavant, il prit un air attendri. Son excitation lui rappelait Silam, sa petite cousine, qui affichait le même enthousiasme dès qu'il lui enseignait le langage des armes ou les légendes d'autrefois.

Se reculant sensiblement pour rétablir une distance raisonnable, le forgeron passa une main dans ses cheveux, quelque peu désolé. Ils avaient tous deux des impératifs. Et ils allaient finir par casser quelque chose s'ils s'évertuaient à prendre la boutique pour un terrain d'entraînement...

« Je crois que nous avons pris assez de risques comme ça... » Son visage s'éclaira soudainement. « Ah ! Juste une dernière chose, qui vous sera utile si vous souhaitez acheter une arme plus tard. »

Il prit l'épée des mains de la jeune femme. D'une main, il la tenait horizontalement devant son élève. De l'autre, il fit quelques mouvements descriptifs pour accompagner ses propos. Troisième et dernière leçon.

« Cette partie, c'est la lame. Au milieu, sur le plat, le trait que vous voyez c'est l'arrête centrale. Sur certains modèles, il y a une longue partie creuse que l'on nomme gouttière. Le côté de la lame, c'est le tranchant, ou le fil. Au bout, la pointe. Plus on se rapproche de la poignée, plus on dit que la lame est forte. »

Il leva les yeux vers son visage juvénile pour s'assurer qu'elle suive.

« Maintenant, le trait que vous voyez là, c'est la garde. Elle sert à la défense mais permet surtout de ne pas se couper. Ce qu'on peut considérer comme un manche s'appelle en réalité la fusée, sur des armes aussi petites. Enfin, vous avez le pommeau, tout au bout, qui maintient l'ensemble. »

Il la laissa contempler l'objet en silence, sans savoir si elle réussirait à tout retenir. Il était bien malgré lui dans l'incapacité de dispenser un cours à sa mesure.

« Voilà. C'est malheureusement tout ce que je peux faire pour vous en l'instant, car je suis attendu. Je vous conseille toutefois, si vous avez le temps, de rester discuter avec la vendeuse pour obtenir une dague. »

La sœur d'Ariez venait tout juste de refaire apparition derrière le comptoir. Elle acquiesça en entendant les propos du fils Lameblanche. Celui-ci réfléchit intensément à ce qu'il pouvait faire de plus pour l'aider avant de se retirer.

« Et si vous le souhaitez, je peux même vous recommander un instructeur. »

Au vu des propos de la demoiselle, il était fort possible qu'ils ne se recroisent pas, du moins certainement pas à Lüh. Il était attristé de devoir laisser partir son élève d'une heure sans l'avoir suffisamment préparée pour l'extérieur. Surtout quand elle risquait de ne retenir que la moitié de ses enseignements...

Mais quand elle prit l'initiative de ranger l'épée, il sourit intérieurement. Ce pouvait être la preuve d'une bonne éducation, mais la façon dont elle la tenait montrait déjà une meilleure aisance. Si elle était bien entourée, elle s'en sortirait probablement. Il ne fallait pas qu'il se fasse du souci, ni qu'il prenne la responsabilité de son voyage un tantinet risqué.

Valion masqua sa surprise, la considérant tout à coup d'un œil nouveau. Elle était la sœur d'Ethan !? Soldat très prometteur et ambitieux, qui avait non seulement rapidement monté en grade, mais avait aussi décroché une dérogation pour obtenir une invocation. Et contrairement à lui, le jeune milicien avait réussi. Il connaissait bien Ethan et s'était même pris d'affection pour cet homme valeureux, en qui il se revoyait, à ses premières années. Mais ils n'avaient pas suivi le même chemin. Là où tout semblait briller pour le sous-officier Light, le brigadier-chef Lameblanche avait succombé à la morosité de l'emploi.

Il était toujours amusant de rencontrer quelqu'un dont on avait tant entendu parler. Ethan n'avait pas menti, sa sœur avait un sacré caractère. Elle pouvait passer du comportement d'une enfant capricieuse à celui d'une femme joueuse en un clin d’œil, mais toujours avec cette forme de douce chaleur. Le forgeron tira un léger sourire complice.

« Je lui dirais. »

Certainement pas, vu comment son frère s'évertuait à la couver, visiblement malgré elle. Mais ça lui ferait plaisir de la revoir, de retirer cette étiquette de jeune insouciante que lui collait son aîné pour tenter de la protéger. Il comprenait ce sentiment, mais ne pouvait rester de marbre devant l'esprit libre et le besoin d'indépendance de la danseuse. Métier qui, au passage, expliquait enfin son agilité naturelle.

Ses yeux s'arrondirent soudainement. Il s'élança vers la porte qu'il ouvrit brusquement pour atterrir sur les pavés de la rue commerçante, un air agité sur le visage. Sa taille assez grande lui offrait une belle vue sur les passants, mais il eut beau chercher du regard et se retourner en tout sens, il n'y avait nulle trace de la jeune femme.

« Mince... »

Absorbé par son rôle d'instructeur militaire, il avait complètement oublié de se présenter. Bon, au moins, il avait son prénom à elle !