Quelque part dans le lointain, on entendait les hurlements du tonnerre. Revna se tenait sur la poupe de l'embarcation qu'elle avait emprunté depuis Lüh, profitant d'une rare éclaircie. Toute accalmie était bonne à prendre sur cette mer mouvementée. La brise insufflait un mouvement cadencé à sa chevelure d'obsidienne, lui conférant l'apparence éthérée d'un spectre venu hanter les flots. Le goût du sel lui emplissait les narines, faisant éclore des souvenirs qu'elle croyait enfouis. Viggo l'avait emmenée en mer, une fois. C'était d'ailleurs là qu'ils... La jeune femme secoua la tête. Elle ne pouvait perdre du temps à ressasser les souvenirs d'un mort, sous peine de le rejoindre promptement.

Ses Tsuris commençaient en effet à s’essouffler, mais elle ne se risquerait pas à reprendre ses activités à Lüh pour le moment. Il lui faudrait pour cela disposer d'une arme autrement plus dissuasive que le maigre poignard attaché à sa cuisse. Malheureusement, ses dernières tentatives pour sceller un pacte s'étaient soldées par un échec cuisant. Persuadée qu'un enfant des Dieux saurait voir à travers ses mensonges, elle ne s'était risquée à dissimuler aucune vérité et cela n'avait pas eu l'air de plaire aux émanations divines. La jeune femme était dorénavant déterminée à adopter une autre technique : ne pas mentir tout ne révélant que la portion de vérité étant à son avantage. Elle avait en effet compris que l'orgueil de ces bestioles ne souffrait pas d'être ouvertement assimilé à un outil. Les personnes triomphant de l'épreuve devaient faire preuve de plus de flagorneries pour parvenir à leurs fins.

Pourtant, les humains posant un pied dans ce temple ne pouvaient être guidés par autre chose que la recherche de la force ou du pouvoir. Pourquoi diable s'embarquer sinon dans une aventure aussi risquée ? La recherche de la compagnie d'un monstre pour occuper ses soirées pluvieuses ? Revna en avait tiré la conclusion qu'il était possible de mentir aux invocations, dans une certaine mesure tout du moins.

Elle laissa planer un regard songeur sur les contours ombreux du temple d'Aqua, qui grandissait à mesure que l'ondée poussait le vaisseau vers sa destination. Ce spectacle était sans conteste grandiose, mais elle y trouvait néanmoins quelque-chose de désagréable. Peut être était-ce parce que l'emplacement du sanctuaire, perdu au milieu de l'eau, donnait encore plus à ce lieu des traits de prison. Elle avait détesté sa propre mère, mais au moins celle-ci ne l'avait jamais privée de ses mouvements. Elle en aurait presque éprouvé de la sympathie pour les enfants des Dieux, si ces derniers n'étaient pas aussi hautains. Le bruit de la houle s'écrasant sur des massifs rocheux s'amplifiait, signe que le voyage touchait à sa fin.

Lorsqu'ils accostèrent, Revna se laissa un instant submerger par la grandeur des lieux. Il emanait de l'îlot une atmosphère irréelle, figée, comme lors des dernières secondes avant que le ciel ne se brise. Elle savait mieux que quiconque que les apparences ne signifiaient rien mais ne pouvait pourtant s'empêcher d'éprouver une certaine fascination pour la geôle divine. Ses hautes tours d'un bleu translucide s'élevaient fièrement vers le ciel brumeux, jouxtant les lourds nuage d'orage. Leur fragilité n'était qu'apparente, car la pluie continue de ces contrées ne les avaient pas érodées. Des bribes de lumière se réverbéraient sur la structure centrale du temple, un large édifice taillé à même la pierre et surplombé d'un dôme délicatement ouvragé. Aucun humain n'aurait su produire une telle oeuvre, dut-il y passer sa vie. Sur son flanc coulait une cascade, s'évanouissant comme par enchantement dans la terre.

Reprenant rapidement le sens des affaires, la jeune femme paya plus que de besoin le capitaine du navire afin qu'ils attendent son retour sans broncher - lui promettant l'autre moitié si elle ressortait vivante.

Elle monta les marches de marbre blanc avec une sérénité feinte. Un demi sourire naquit aux commissures de ses lèvres alors qu'elle franchit la large porte du temple ornée de lapis lazuli et de coquillages - un joyeux foutoir. Elle se sentit immédiatement plus à son aise qu'au Temple du feu, le seul qu'elle avait jusqu'à présent visité. Sans doute car la glace était un des nombreux bruits de l'eau. La jeune femme cessa de sourire lorsque son regard se posa sur les nombreuses portes à sa disposition. Passer une nouvelle épreuve ne l’enchantait guère. Cela était aux antipodes de ses pratiques habituelles, à savoir asséner des coups de couteau dans le dos. La mort ne l'effrayait pas le moins du monde, mais elle aurait souhaité un trépas autrement plus significatif que celui de devenir un encas pour un Demi-Dieu mal léché.

Elle avança a pas furtifs dans le hall sombre, si vaste que cinq-cent hommes auraient pu y festoyer aisément. Le silence n'était rompu que par l'écho de ses pas sur les dalles. Qui devait-elle choisir ? Elle ferma les yeux et, décidant d'offrir son destin au hasard, laissa son doigt s'arrêter sur l'une des portes. Revna n'hésita qu'un instant et poussa la lourde porte de bois, scellant son destin par le même mouvement. Elle laissa ses yeux s'accoutumer à l'obscurité en passant son regard adamantin sur les pourtours de la cellule. Une fresque macabre. De l'eau, toujours de l'eau. Et au beau milieu, une étrange petite créature ne payant pas de mine.

*Flûte, je suis tombée sur une demi-portion* songea la jeune femme avec agacement, rattrapant le fil de ses pensées de peur que la déception ne se lise sur son visage. Petite ou non, la créature pouvait lui broyer la nuque en quelques secondes. Voyant que le Demi-Dieu ne bougeait pas d'un orteil et que le silence devenait pesant, Revna pris les devants en se présentant d'une voix douce et tranquille :

"Bonjour. Tu peux m'appeler Ostara. Je suis venue ici pour te proposer un contrat."

Elle avait hésité à faire une courbette puis s'était avisée qu'il ne s'agissait pas là d'un comportement digne de la fonction qu'elle envisageait auprès de l'invocation. Aussi avait-elle seulement courbé légèrement l'échine, dans un maladroit compromis.