« Curieusement, tu es bien moins têtue que ta maitresse toi ! »

Le renaclement qui lui répondit la fit éclater de rire. La jument noire sous sa selle avait un sacré caractère, mais rien de comparable à celui de celle qui la possédait habituellement. Ceci dit, heureusement, sinon elles n’auraient pas pu aller bien loin ensembles.
Evanna relâcha les rênes et laissa Gyllir parcourir le reste du chemin tranquillement. Elle connaissait déjà pas mal le domaine dont elle venait d’entreprendre de faire le tour dans une balade agréable afin de renforcer le tout nouveau lien qu’elle tentait de tisser avec sa nouvelle acquisition.

C’est à ce moment qu’un Garde doré s’approcha d’elle à pied, reprenant son souffle pendant qu’il s’inclinait devant elle.

« Il y a quelqu’un pour vous à la porte Lady Rochefort. Une certaine Lanna, qui dit que vous l’avez invité à découvrir votre nouvelle acquisition. »

Il fit un geste vague en direction de la jument qu’elle montait, et enchaina le front ridé de réflexion.

Elle a ajouté que vous lui auriez dit qu’elle en avait une pareille avant. »

Les sourcils de la Pupille s’envolèrent et elle demanda au Garde de décrire cette Lanna, un nom qu’elle ne connaissait pas, et encore moins à qui elle avait envoyé une invitation. Lorsque ce dernier lui décrivit une jeune femme chatain, aux yeux gris et au gabarit féminin, elle fut sûre de ne pas la connaitre.
Toutefois… Il y avait bien quelqu’un qui pourrait vouloir se déguiser et passer pour une inconnue pour venir voir une jument aussi semblable que celle qu’elle avait avant…

Prise d’un doute, Evanna accorda un sourire au Garde et hocha la tête.

« Je vais aller voir ça et accueillir cette invitée moi même. Comme ça, elle aura même l’occasion de voir la jument sans entrer. »

Cette dernière partie sembla rassurer le Garde qui s'était raidit au début de sa phrase. Il repartit, et la jeune femme lança sa monture au petit trot en direction de l’entrée du Domaine. Une idée germa rapidement dans sa tête pour vérifier l’identité de cette personne. Lagertha aurait-elle pris le risque de revenir dans Lüh pour s’enquérir de sa jument ? Elle le croyait, mais elle ne pouvait pas se permettre de faire rentrer une inconnue chez elle sans en être sûre.. Et de plus, comment aurait-elle fait pour changer d'identité physique à ce point ..?

Arrivée aux portes, elle adressa un signe de tête aux Gardes qui la saluaient en s’inclinant puis porta son attention sur la nouvelle venue, confirmant de ses yeux qu’elle ne la connaissait pas. Pourtant, à l'extérieur, son acte fut parfait et on pouvait aisément voir la joie s’inscrire sur son visage, comme si elle retrouvait une vieille amie.

« Oh, ma chère Lanna, quel plaisir de vous voir répondre à mon invitation ! »

Elle flatta l’encolure de la jument de jais et plongea ses yeux dans les prunelles grises de l’autre femme avec un sourire léger.

« Voilà donc celle pour qui vous êtes venue. N’est-elle pas magnifique ? Vous rappelez vous du nom qu’elle porte ? Je vous l’avais mentionné dans ma lettre, en référence à celle qui fût la votre ! »

Evidemment, à part Gabriel et Olivia, et peut être un garde ou deux, personne ne savait quel prénom elle avait donné à cette jument, et encore moins une inconnue qui aurait voulu s’incruster chez elle. Par contre, si cette personne inconnue était bien Lagertha, elle connaitrait le nom de sa jument, et cela lui permettrait de vérifier son hypothèse.

Entre l’air hypnotisé qui s’était emparé du joli visage fin, les larmes qui semblaient en emplir ses yeux gris et le souffle court qui s’échappait des lèvres fines, Evanna n’avait déjà plus vraiment de doute.
Aussi, lorsque le nom de Gyllir fut doucement soufflé, et que la jument y réagit, la Pupille ne fut pas surprise. Elle crut même reconnaitre, elle aussi, la voix de Lagertha, bien que son ouïe soit perturbée par sa vue. La brunette retint juste un peu la jument, afin qu’elle ne trahisse pas sa maitresse, même si elle doutait qu’un de ses gardes soit assez observateur pour remarquer quoique ce soit venant du cheval. De plus, peu de personne savait à qui appartenait réellement la jument quand elle avait été mise aux enchères, et encore moins savait qu’elle était pertinemment au courant lors de son achat.

Elle laissa le temps à la jeune femme de retoucher terre, et lui adressa un doux sourire.

« Il n’y a aucun problème. Comme vous le voyez, je ne vous avais pas menti.»

Comme elle avait prétendu que c’était elle qui avait lancé l’invitation en disant que sa jument ressemblait à l’ancienne de Lag… Lanna donc ? Autant continuer de jouer le jeu.
Elle fusilla toutefois ses Gardes du regard lorsqu’ils exigèrent des salutations plus formelles. Ce n’était pas leur rôle. En claquant de la langue, elle leur fit signe d’ouvrir le portail pendant qu’elle mettait pied à terre.

« Laissez donc entrer notre invitée voulez-vous. »

Elle détourna ensuite son attention d’eux pour se concentrer sur la jeune femme, à laquelle elle tendit la bride de Gyllir.

« Et si vous la rameniez à l’écurie avec moi ? Je suis sûre que cela raviverait de nombreux souvenirs. »

Sans même se préoccuper du reste de sa Garde qui resterait de toute façon à la porte, elle fit demi-tour et s’engagea sur l’allée qui menait donc au Domaine, et aux écuries. Coincée à l’intérieur, elle n’était pas vraiment effrayée que Lagertha s’enfuit tout à coup sur le dos de sa jument. De plus, elle avait bien l’intention de lui rendre Gyllir d’une manière ou d’une autre, ça n’aurait donc pas été un si grand problème.

Evanna ne prononça pas un mot durant tout le temps qu’il leur fallut pour atteindre les écuries. Une bonne dizaine de minutes qu’elle laissa à la jeune femme et sa monture le temps de se retrouver et de renouer. Une fois à l’écurie, elle fit signe à Gabriel de les laisser, montra le box de Gyllir à Lagertha, ramena des brosses, et entreprit de desseller la jument.
D’un ton badin, presque nonchalant, elle reprit enfin la parole.

« Est-ce permanent ? Si non, combien de temps avons-nous avant de devoir rentrer rapidement à la maison sous peine de rester coincées dans les écuries ? »

La principale question qui la taraudait était plutôt « comment », mais ce n’était pas la plus importante à cet instant. Il y avait aussi « tu vas bien ?! » et « comment est-ce arrivé ?! » et « comment vas-tu repartir ?! ». Mais à nouveau, le temps n’était venu pour aucune d’entre elles.

Les yeux nouvellement gris de son interlocutrice se posèrent -enfin ! Elle en aurait presque finie par être vexée- sur elle pour lui répondre. Et si ses prunelles étaient d’une couleur différente, le regard, lui, était définitivement celui de Lagertha. Ou tout du moins, celui qu’elle lui connaissait.
Elle lui confirma d’ailleurs ce qu’elle avait deviné, et que cette forme ne durerait pas éternellement. Elle se détourna à nouveau, comme magnétiquement attirée par sa jument, qu’elle ne cessait de toucher, de légères caresses, comme si elle n’arrivait pas à croire à sa présence.

Evanna ne la brusqua pas, et ses yeux captèrent des émotions qu’elle avait peu, voir jamais, vu sur le visage de la lionne blonde. Bon, ceci dit, ce n’était toujours pas sur le visage de Lagertha qu’elle voyait la gêne, la mélancolie et la tristesse qui s’affichaient actuellement sur les traits de l’inconnue. Elle n’eut pas le temps d’en demander la cause qu’elle s’adressait de nouveau à elle.

« Mais je vous ai déjà fait prendre trop de risques rien qu'en venant ici, il est pas question que ça continu. Maintenant que je sais que Gyllir est en sécurité, avec vous, je ferais mieux de partir rapidement. »

Sa voix changea sur la fin de sa dernière phrase, comme si l’émotion était si forte qu’elle débordait physiquement. Ce qui était d’ailleurs probablement le cas, mais plutôt étonnant venant de Lagertha.
La pupille secoua la tête et continua de brosser la jument qui semblait apprécier le moment, d’autant plus qu’elle semblait avoir enfin reconnu sa maitresse. Evanna l’observa poser doucement sa tête contre la poitrine de sa compagne retrouvée, soufflant doucement par les naseaux un soupir de bien être.

« Vous lui avez manqué. »

Elle esquissa un doux sourire, donna encore quelques coups de brosses, puis enchaîna :

« Vous devriez rester. Il serait encore plus risqué de partir maintenant alors que vous ne savez pas combien de temps il vous reste. Risqué pour vous, comme pour moi.
Hors, Nérée n’est pas là pour les jours à venir, et il n’y a qu’Olivia et Gabriel dans les parages.»

Laissant les deux amies à leur câlin, elle rangea les brosses et l’équipement de Gyllir avant de revenir s’accouder à la porte du box.

« Restez un jour ou deux. Vous pourrez profiter de Gyllir, vous reposer, et nous n’aurons aucun mal à vous faire sortir, cachée dans une calèche, pour vous déposer en dehors des murailles de Lüh dans la journée. Si je suis accompagnée de Garde Dorés à chaque sortie, ce n’est pas le cas de ma suivante, ni de mon palefrenier. »

Elle lui accorda un autre sourire, et lui tendit le seau remplit avec la ration de la jument noire.

« Tenez. Ensuite nous rentrerons afin que vous puissiez vous délasser, manger un morceau, et que je puisse vous assaillir de question. On discutera aussi de Gyllir, et de comment nous pourrions nous organiser pour que vous la récupériez.»

Evanna sourit à nouveau et la laissa aux écuries pour se diriger vers ses appartements, où elle prévint Olivia de la présence de leur curieuse et secrète invitée, avant de s’installer dans le salon pour y attendre le thé, et ladite invitée. Elle n’avait pas trop de doute quant à la décision de Lagertha. Elle ne resterait par parce qu’elle le lui avait demandé, ni même par confort ou pour elle. Mais bien parce qu’elle pourrait pas résister à la possibilité de passer quelques heures de plus avec sa jument, après l’avoir perdue si longtemps.

La porte s’ouvrit brusquement, et avant même qu’Evanna n’ait le temps de prononcer un mot, ou même d’apercevoir plus que la silhouette de le nouvelle venue, cette dernière se jeta sur la baie vitrée pour en tirer les voilages avec force, au point que la brunette ne craignit qu’elle les arrache.
Un sourcil haussé, elle regarda Lagertha -car c’était bien elle, dans son corps originel- tirer tous les rideaux du salon avant de rester debout, l’air hagard et essoufflée. La scène avait été si rapide, et même comique, que la pupille fut un instant tentée d’en rire avant de croiser le regard de la lionne blonde, ce qu’il l’en dissuada rapidement.

Elle lui offrit un doux sourire.

« Vous ne craignez rien ici. Les deux seules personnes qui ont accès à cette partie du domaine sont Olivia et Gabriel, qui savent tous deux qui vous êtes. »

La brunette accentua son sourire et se releva, lui fait signe de la suivre.

« Mais si ça peut vous rassurer, allons nous installer à l’étage, là où les fenêtres n’offrent aucun vis à vis. De plus, je dois me laver et me changer pour une entrevue de négociation commerciale plus tard dans la journée. »

Elle se retourna vers Lagertha alors qu’elle montait les escaliers.

« Oh, d’ailleurs, peut être pourriez-vous me servir de garde du corps pour cette entrevue ? Je ne tiens pas à faire entrer de gardes dans ma demeure, et même si je n’ai probablement rien à craindre de ce Comte, je serais bien rassurée de vous savoir cachée quelque part, prête à intervenir… »

Elle lui sourit à nouveau, et entra dans un boudoirs aux couleurs sobres et douces, camaïeu de beige, brun et cuivré.  
Elle montra la première porte en bois sombre d’une main, puis la seconde.

« Celle-ci donne sur ma chambre, et celle là sur la salle de bain. Mettez-vous à l’aise, d’ici, nous pourrons discuter peut importe la pièce dans laquelle je me trouverais. »

Evanna s’avança d’ailleurs vers sa chambre afin de se débarrasser de sa tenue d’équitation avant de s’arrêter dans l’encadrement de la porte, le regard rivé sur la blonde guerrière.

« Avez-vous faim ? Souhaitez vous que je fasse monter un déjeuner pour vous aussi ? »

Ses multiples paroles récoltèrent surtout grognements et regard tendus. Plus elle passait de temps en compagnie de la jeune femme blonde, et plus sa métaphore de lionne lui seyait. Elle grondait et montrait les crocs avant d’utiliser une autre forme de communication. Sait-on jamais, la première pourrait suffire à faire fuir son interlocuteur avant de lui demander des efforts !
Mais comme d’habitude, cela n’affectait pas la pupille. Depuis leur dernière rencontre, l’alcool, le bal de Terra, et tout ce qui s’en était suivi, elle n’arrivait pas à avoir peur de Lagertha, ou même à être intimidée. Voilà qui devait bien embêter la guerrière… !

Evanna fut d’ailleurs surprise de la voir détourner les yeux alors qu’elle avait enlevé quelques vêtements. Elle faillit lui rappeler qu’elles s’étaient déjà toutes les deux vues dans le plus simple appareil, ou presque, mais elle n’était pas sûre de la quantité de souvenirs que l’alcool avait laissé à la jeune femme de cette soirée et nuit. Non, mieux valait ne pas rappeler ce détail tout de suite.

La brunette acquiesça, passa la tête par la porte pour confirmer les deux repas à Olivia et repartit vers l’intérieur, avec la salle de bain comme but quand la voix de sa blonde lionne retentit de nouveau, la poussant à s’arrêter pour lui prêter attention. Affalée dans un fauteuil, elle paraissait fatiguée, un peu lasse, et clairement décontenancée. La situation ne devait pas être facile, ni même habituelle, elle s’en doutait bien.
Elle adressa un sourire en coin à Lagertha avant de s’appuyer d’une épaule contre la chambranle de la porte, les bras croisés dans une allure peu princière.


« Vous savez que s’il décide de s’en prendre à une Pupille Princière, personne ne s’étonnera de sa mort hein ? Essayez juste de le tuer avec un poignard, si cela arrive. Que je puisse prétendre m’être défendue seule ! »

Elle pointa du menton l’élégant poignard qui trônait sur l’un de ses meubles, encore dans son fourreau de cuir souple, lequel était attachée à une lanière qui entourait habituellement sa cuisse, son mollet, ou tout autre endroit atteignable en fonction de sa tenue.
Evanna sourit à nouveau et s’apprêtait à faire volte face pour rentrer dans son bain avant que ce dernier ne refroidisse lorsque Lagertha parla de nouveau, le regard dans le vide. Sa voix était si ténue qu’elle faillit ne pas l’entendre, mais heureusement, elle lui faisait encore face, sans mouvement.

La réplique de la guerrière lui arracha un petit rire de gorge, et elle se retourna pour entrer dans la salle bain, laissant la porte ouverte afin de continuer la discussion. Elle finit de se déshabiller, et entra dans l’eau chaude avec un soupir d’aise.
Une fois installée, elle pencha a tête en arrière, les yeux fermés, et se décida à répondre d’une voix amusée, aux accents clairement taquins.

« Que voulez-vous ! Il faut croire que je me suis attachée à vous. »

Un temps de pause, puis ses yeux s’ouvrirent à nouveau alors qu’elle ajoutait d’un ton mutin :

« Il faut dire que vous êtes bien plus agréable une fois alcoolisée. »

Un grand sourire aux lèvres, la pupille referma les yeux et compta lentement à rebours dans sa tête, s’attendant à voir la grande blonde débarquer dans la salle de bain.

Elle marmonna bien quelque chose en réponse, mais ne débarqua pas dans la salle de bain. Sa nudité la mettrait-elle mal à l’aise ? Peut être, ou alors, plus probable, elle ne souhaitait pas s’aventurer dans cette conversation qui aurait pourtant bien amusée la pupille princière.
Cette dernière continua de se prélasser un moment dans l’eau chaude, écoutant les bruissements que faisaient les vêtements de la guerrière qui bougeait dans la pièce d’à côté.

Elle finit par lui poser une question qui attira un sourire à la brunette. Elle rouvrit les yeux et entreprit de commencer à se laver, répondant en même temps à Lagertha.

« Oh non. Au contraire. On s’est inquiété de moi, de savoir si vous m’aviez fait du mal, essayer de profiter de moi.. On m’a prise en pitié de savoir que vous m’aviez trompée et manipulée pour vous attirer ma sympathie, moi pauvre biche innocente et naïve. »

Sa voix était partie dans l’aiguë sur la fin, mimant une minauderie d’une femme de noblesse. Une partie d’elle était toujours vexée de la façon dont elle était vue par une grande partie des aristocrates de Lüh. L’autre, se délectait souvent d’être ainsi sous-estimée. Qu’ils la pensent tous naïve et victime lui laissait champ libre pour de nombreuses choses, sans jamais qu’on la soupçonne ou ne l’accuse. Pratique, en politique.

Une fois sa peau et ses cheveux propres et rincés, Evanna entreprit se sortir et de s’enrouler dans une longue serviette, s’asseyant face au miroir de sa coiffeuse.

« Lagertha ? »

Elle attendit d’avoir l’attention de la blonde guerrière avant de continuer.

« Pourriez-vous venir m’aider avec mes cheveux s’il vous plait ? »

Il lui fallait les essorer et les démêler avant de pouvoir s’habiller. Ils étaient toutefois très longs, et elle le faisait rarement seule d’habitude. Elle avait dans l’idée que son invitée n’aimerait pas qu’Olivia traine dans les parages, aussi ne restait-elle plus qu’elle. De toute façon, le repas ne tarderait pas à arriver, et son supplice ne devrait donc pas durer de trop.
Et puis, il serait toujours plus agréable de continuer la discussion dans la même pièce. Pièce dont pourrait se servir la guerrière par la suite si elle en avait l’envie en attendant l’heure de son rendez-vous avec le Comte.

Sa demande surprit son invitée au point de la faire bafouiller, ce qu’il lui semblait être un première dans la bouche de la guerrière blonde. Elle omettait volontairement le soir où l’alcool avait grandement influé sur les capacités de conversation de Lagertha.
Laquelle venait justement d’arriver derrière elle, l’air si concentré qu’Evanna se demanda un instant si elle ne réfléchissait pas à totalement autre chose. Après tout, sa demande n’était pas si compliquée !

Le regard bleu rencontra l’ambre du sien dans le reflet du miroir, et son air incertain attira un doux sourire à la pupille qui secoua doucement la tête.


« Je ne vous oblige à rien, évidemment. J’aurais juste besoin d’aide pour les démêler et les sécher. Olivia s’occupera de me coiffer avant mon entrevue avec le Comte une fois que je serai changée. »

Elle lui sourit à nouveau à travers le miroir, lâchant le drap de bain d’une main pour enlever une mèche mouillée de son visage. Ses cheveux sombres lui tombaient jusqu’au creux des reins, les rendant particulièrement compliqués à s’en occuper seule. Il fallait aussi avouer que depuis son enfance, les fois où elle avait du faire tout cela seule, se comptait sur les doigts d’une seule main. Si jamais cela devait se produire plus souvent, elle sacrifierait volontiers plusieurs dizaines de centimètres pour être tranquille.

Le contact de la brosse à l’arrière de son crâne la sortit de ses pensées, et elle ferma doucement les yeux pour apprécier le moment. Elle avait toujours aimé qu’on s’occupe de ses cheveux, probablement la raison pour laquelle elle les avait laissé pousser à la base d’ailleurs …
Elle rouvrit les yeux pour les fixer sur Lagertha, profitant qu’elle soit concentrée sur autre chose pour l’observer. Un petit moment se passa ainsi dans le silence pendant qu’elle la détaillait intensément avant qu’elle ne prenne la parole.

« Quelle est ton histoire Lagertha ? »

Elle n’était pas vraiment sûre de la façon dont serait perçue sa question, aussi enchaina-t-elle rapidement avec un air contrit.



« Tu n’es pas obligée de me répondre, je suis juste curieuse. »

Et comme pour appuyer ses derniers mots, elle ferma à nouveau les yeux, se contentant de savourer le brossage en silence.

Sa question sembla renfrogner à nouveau le visage de la guerrière blonde qui s’était pourtant détendu sous la concentration absente des mouvements répétitifs du brossage de ses cheveux. Toutefois, elle commençait à se dire que peut importe les paroles qui sortaient de sa bouche, elle semblait donner envie à la nordienne de s’enfuir en courant, ou de lui donner assez de réflexions désagréables pour lui filer la migraine. Elle n’était pas vraiment sûre de pourquoi, mais cette tendance avait toujours été là, depuis la première fois où elle l’avait rencontrée.

Elle lui laissa le temps de réfléchir, ou plutôt, d’après le pli furieux entre ses sourcils, le temps de se torturer l’esprit. La blonde finit toutefois par prendre la parole, et sa première phrase eut le don de lui faire rouvrir les yeux. Fixant le visage de Lagertha à travers le miroir, elle arqua un sourcil surpris. Allons bon, voilà que la franche guerrière aux réponses brutales faisait dans l’énigmatique philosophie.
La pupille eut toutefois le bon goût de ne faire aucun commentaire à voix haute, et referma les yeux en même temps que son invitée reprenait la parole. Elle écouta son court récit en absorbant les informations, sans s’offenser du manque de détail.
« Elle ». Ce n’était pas la première fois que Lagertha mentionnait une personne par ce surnom, auquel sa voix donnait une telle emphase qu’on pouvait entendre les majuscules dans sa voix. La première fois qu’elle l’avait mentionné à voix haute, c’était en la fixant elle, alors qu’elle venait voir qui débarquait chez elle juste avant son départ pour le Bal de Terra.

Cette fois, ce fut au tour d’Evanna de réfléchir et de peser le pour et le contre alors qu’elle se demandait si questionner la jeune femme sur ce « Elle » et le lien avec elle-même dépassait les bornes du peu de latitude qu’était prête à lui donner la guerrière.
Heureusement pour elles deux, on toqua à la porte avant qu’elle ne puisse arriver à une décision. Posant une main rassurante sur l’un des poignets de Lagertha, la pupille lança un « Entrez » depuis la salle de bain. On entendit quelqu’un entrer, quelques bruits de vaisselles sur du bois dans le boudoir de l’autre coté, puis la porte de se referma.

« Le déjeuner est là. »

Un coup d’oeil dans le miroir lui permis de voir que son invitée avait eu le temps de démêler toute sa chevelure. Elle se redressa donc, lui adressa un doux sourire et inclina la tête.

« Merci. »

Pour ses cheveux et pour le récit. Mais elle ne le précisa pas.

« Et je suis désolée que les relations soient aussi difficile entre le Nord et la Principauté… »

Elle ne pouvait rien y faire pour l’instant, mais un jour peut être…
Evanna se secoua, adressa un nouveau sourire, plus léger, à Lagertha et fit un signe de la main vers le boudoir.

« Commence donc à manger ! J’enfile autre chose et j’arrive. »

Oui parce que manger tout en maintenant une serviette autour d’elle, n’était pas vraiment dans ses plans immédiats.
Elle en profita donc pour enfiler une large et longue tunique en lin qui lui arrivait aux genoux, et qu’elle ferma d’une ceinture. Cela suffirait le temps qu’elle prenne son repas, et qu’elle passe ensuite à une séance d’habillage accompagnée d’Olivia.
Elle rejoignit Lagertha près de la petite table en bois, et s’assit face à sa propre assiette, faisant face à la grande blonde.
Prenant sur elle pour réfréner sa curiosité, elle ne posa aucune question, laissant la nordienne profiter tranquillement de son repas sans imposer de torture inutile à son esprit. Elle n’était contre une conversation, mais elle préférait ne pas l’engager cette fois-ci.

La tension qui emplit le corps de la guerrière alors qu’Olivia rentrait installer le repas était telle qu’elle emplissait toute la pièce de sa présence. Dans le miroir, la pupille pouvait voir les poings de la guerrière, serrés à s’en blanchir les jointures, tout autant que sa mâchoire. Son contact avait sembler la décontenancé, bien que ça n’ait pas été le but. Evanna avait régulièrement l’impression d’être en présence d’un animal sauvage, qu’il fallait entourer de douceur pour éviter qu’il se sente attaquer et n’attaque en retour.

La brune secoua doucement la tête sous ses pensées, et nota la gêne de Lagertha à son remerciement, lequel l’avait même poussé à détourner le regard. Encore un peu, et la pupille allait arriver à bout de ses possibilités d’actions ou de paroles qui ne suscitaient pas chez la guerrière des réactions négatives.
Et elle n’était pas au bout de ses peines car sa prochaine réplique tomba, cinglante dans le silence entre elles qui s’étira. La jeune femme grimaça, ressentant pleinement la piqure de cette réponse. Alors que les yeux chocolat écarquillés rencontrèrent à nouveau les siens, un sourire amer lui répondit.

« Tu as raison. »

Evanna haussa les épaules, repassant sur le déjeuner pour changer de sujet. Que pouvait-elle ajouter ?
Elles mangeaient en silence depuis un moment quand il fut brusquement rompu par Lagertha, dont les paroles semblaient plutôt adressées à elle même qu’à elle. Evanna cligna doucement des yeux, pas très sûre de ce qu’elle devait répondre, ou même si elle devait répondre tout court. Craignant de couper les réflexions de la guerrière ou de dire ce qu’il ne fallait pas, elle se contenta d’hocher légèrement la tête, tout en continuant de manger.
La blonde continua d’ailleurs son monologue aux accents de discussion, ses mouvements trahissant une certaine tension dans sa réflexion. Décidément, même sans parler, elle arrivait à la mettre mal à l’aise. Elle avait un don c’était sûr…

A nouveau incertaine de la conduite à adopter, Evanna hocha à nouveau la tête. Calme était un bien grand mot, et elle eut un instant envie de répondre que perdre des proches arrivait partout, pas seulement dans le Nord. Seule la façon de les perdre changeait. Toutefois, elle n’était pas vraiment sûre qu’il soit utile de se lancer dans un tel débat, et elle n’était toujours pas très sûre d’où Lagertha voulait en venir.
Elle l’observa alors qu’elle parcourait les alentours du regard, avant qu’elle ne s’agite à nouveau, tendue comme si quelque chose l’avait piqué. Elle enchaîna, et cette fois-ci, la pupille échappa un petit rire.

Première parce qu’elle n’en avait jamais douté, et ensuite parce qu’elle, elle aurait bien aimé pouvoir en sortir de temps en temps. Mais encore une fois, était-il vraiment utile de se lancer dans de telles discussions ? Leurs vies étaient radicalement différentes, leurs problèmes n’étaient pas les mêmes, et les perceptions de la guerrière très arrêtées. Avait-elle vraiment envie de s’employer à la faire changer d’avis ? Avait-elle vraiment tort dans le fond ?
Perdue dans ses pensées, elle ne vit pas la guerrière se retourner vers elle franchement, et ne releva les yeux qu’au son de sa voix, leurs yeux se rencontrant vivement.

Il fallu un instant à Evanna pour revenir à la discussion, et un autre encore pour comprendre ce que Lagertha entendait par « la ». Et un de plus pour réfléchir à la réponse.

« Bien sûr. C’est une très bonne jument, et même si je l’avais achetée pour te la rendre, je ne savais pas quand je te reverrai, donc j’avais prévu de la garder le temps qu’il faudrait. »



Elle haussa doucement les épaules.

« Il te suffira de venir la récupérer quand tu le voudras. »

Elle lui adressa un petit sourire, pas vraiment sûre de ce qu’elle pouvait ajouter qui ne mettrait pas la blonde dans un état de tension, encore. Elle était toutefois flattée de la confiance qu’elle lui accordait, mais peinait un peu à accorder tout ça avec le comportement que la guerrière montrait en sa présence.