Aller déposer de l'argent chez un gars dans la ville caillou, ainsi allait le plan et l'insecte l'appliquait sans râler plus que d'habitude étant donné qu'il pouvait continuer de protéger son passeport liberté. Cependant, il y avait cette aura, pas loin derrière... Une aura qu'il avait déjà sentie, ni agressive ni inoffensive, mystérieuse et intrigante, presque inquiétante à ses yeux. Il laissa Saen partir légèrement devant sans cesser sa surveillance divine pour autant, décidant de partir à la rencontre de cet ancien frère dont la présence ne le rassurait pas.
Une fois arrivé à hauteur de la créature aérienne, il s'exprima clairement, n'étant dans un premier temps pas hostile à son égard. Après tout, le demi-dieu à la fourrure bicolore et lui s'étaient tellement ignorés durant leur précédente rencontre qu'il était difficile de penser à de mauvaises intentions lors de celle-ci.

"Toi aussi, tu vas déposer ton argent chez Meun'chaud ? Je sais pas où tu l'as caché mais ça doit gratter, non ?"

Ni amusé, ni moqueur, il semblait juste dire ce qui lui passait par la tête avec un premier degré des plus déconcertants.

"Ce n'était pas mon intention initiale, sauf si tu comptes partager mon désir de détruire les environs en racontant quelques bonnes anecdotes sur la perte de notre réelle fonction divine ou sur les siècles d'enfermement dans ce bon temple."

La réponse avait été si spontanée qu'elle ne laissa pas de pause après les paroles de Ventus. Il était énervé, tout le temps, et ça ne se limitait pas aux humains et aux dieux. Qu'il fasse parti de ceux qui, comme lui, s'étaient engagés dans ce projet bidon, ou de ceux qui n'avaient pas eu la force de l'empêcher, il les détestait pour l'instant tous de façon égale.

"Appelle moi comme tu veux, mon humain ne s'est pas gêné pour en faire autant. De toute façon, celui que j'étais n'existe plus alors autant redéfinir la vermine que je suis devenu avec un nom approprié."

Acerbe, il n'était pourtant ni agressif, ni en position de combat. Il énonçait juste des faits qui l'irritaient, comme quand on raconte qu'on a perdu quelque chose de précieux ou qu'on a passé une très mauvaise semaine. A échelle divine, bien entendu.

Bien que ses yeux restèrent clos, la commissure des paupières semblait plus détendue, presque au point de s'ouvrir pour voir quelle créature était capable de le comprendre au point de vouloir se joindre à sa quête. Sa voix fut fluette, bien plus mielleuse que celle que le renard avait put entendre jusqu'alors, faisant ressortir en un certain sens le côté délicat de l'androgyne.

"Avec plaisir, ancien frère. Désolé de ne plus considérer notre parenté au présent puisque je ne me considère plus comme réellement fils d'Aer. Ils sont morts il y a six cent ans mais je suis ravi de voir une dépouille nourrissant une rage vaguement familière. Après tout, je ne sais pas jusqu'où s'étendent tes pulsions... Moi, je veux tout détruire et disparaître si je ne peux vivre comme le passé le permettait. Bien évidemment, je mets cette dernière idée en veilleuse tant mes espoirs envers le père de l'Air sont maigres. Et toi, donc ?"

Il parlait avec la même aisance qu'avec l'humain qui l'avait libéré car il se sentait ici écouté avec la même neutralité. Cependant, l'ambiance ressemblait davantage à celle qu'on retrouve entre deux joueurs de belote qu'à celle plus froide d'un séjour précoce avec un nouvel ami.

Un soupir était ce qui se rapprochait le plus de la réaction consternée de l'insecte. Non pas envers le renard, bien entendu, mais envers toutes les frustrations évoquées ou non lors de son discours. Être lié à un humain était un affront à leur création même, pire que la simple destruction de leur être. Sa voix semblait plus profonde et rocailleuse qu'auparavant lorsqu'il répondit avec une colère aussi lourde que la rage qu'ils partageaient.

"La fourberie des Quatre est aussi perfide et sale que celle des humains pour lesquels ils nous châtient ! Cloîtrés dans des cellules vouées à nous détruire mentalement, pouvant parfois songer que se soumettre à l'humain pourrait être une bonne idée juste par désespoir total afin de voir autre chose que l'enfer éternel qui nous broie ! TRAÎTRISE ! PERFIDIE ! HONTE SUR LES QUATRE ! Aucun honneur, aucunement magnanimes, ils osent même drainer tout notre mana afin de nous rendre faible avec pour seul échappatoire un esclavage honteux lié à un pacte d'une infamie absolue nous enlevant la seule chose qui nous restait alors : notre liberté de penser. Certains ce plaisent dans cet enfer mais je ne peux que rêver de TOUT DÉTRUIRE !"

Possédé par une rage folle, il avait déployé toutes ses chitines et ses mandibules laissaient à présent voir le gouffre néantique de son corps divin à l'endroit qui lui servait de bouche, décrochant sa mâchoire comme un pantin désarticulé.
Il se mit à casser la roche et à l'engloutir avec une férocité démente.

L'esprit totalement envoûté par la transe meurtrière qu'ils avaient créé, la rage ne pouvait que s'élever comme un appel d'air qui transformait un incendie en véritable colonne de flammes. Ses ailes produisaient des sons presque assourdissants pour des humains, sur des fréquences si basses que leur esprit s'embrouillait, générant là encore de la haine que les insectes payaient de leur vie sans avoir rien demandé.
Dans l'ancien monde, il y aurait eu naturellement bourrasques et éclairs tonitruants autour de l'endroit où ils se situaient ; dans ce monde nul, une feuille venait se poser calmement entre eux deux, les narguant sur leur impuissance. Après tout, s'ils utilisaient leur magie, la pénalité de temps à recouvrer cette énergie pourtant si faible leur paraîtrait cruciale en vue des épreuves que la vie leur imposerait.
C'était trop. Dans un beuglement ni homme, ni femme, ni bête, il abattit sa faux avec toute la puissance de son maigre corps, écrasant la feuille dans le décors qui vola en petits éclats, alimentant la fureur née de sa frustration.
Un cri, interminable, sous une pluie de coups qui l'éloignaient de plus en plus de ce monde tout en renforçant son entrave. La roche ne volait pas assez loin, pas assez fort. Il était faible.
Rien ne pouvait faire obstacle au son qui se propageait dans la vallée, mélangée aux percussions des coups, ne sachant plus si le renard était toujours là où s'il s'était joint à lui. L'avantage de ne pas avoir besoin de respirer, c'est que la voix peut connaître l'éternité, à l'instar de la souffrance qui en était la source.