L’arrivée de Qilin est comme un coup de fouet contre mon esprit. Je me redresse, mes antennes fusent vers le haut, les plumes autour de ma tête gonflent… Je suis l’image d’un caliss qui accueille son cher maître. Toute mon impatience disparaît. Comment lui en vouloir, lorsqu’elle se présente à moi avec la même démarche délicieuse que lorsqu’elle tenait le pommeau de ma dague entre ses doigts? Je suis captivée. Le macaque disparaît de ma pensée; notre discussion est remise à plus tard.

Ma queue s’enroule instinctivement autour du corps si frêle qui arrive près de moi, sans la toucher, et j’étend une aile au-dessus de ta tête. Il ne neige plus, pourtant je me sens fière de protéger ma maîtresse, aussi futile cela soit-il. Et puis, le rouge de mes ailes ne complimente-t-il pas la noblesse de sa silhouette? Je suis le meilleur des demi-dieux sur lequel elle aurait pu mettre la main, après tout.

Sa réponse à mon interrogation, dirigée vers mon cousin d’Ignis, me fait sourire. Comme le singe m’en faisait part, leur lien est personnel. Imprégné de leurs expériences partagées et des secrets qui en découlent. Je me sens exclue, le temps d’une seconde, et en viendrait presque à frapper du pied par terre. Le regard de ma maîtresse me revient assez vite pour que je me retrouve à sourire de toutes dents à la place.

« L’attente est passée. C’est tout ce qui compte. »

Oui, oui. Elle me l’a bien dit. Je suis fixée sur le passé, ou quelque chose comme ça. Avec elle, je n’ai qu’à porter mon regard sur le présent. Et en ce moment, elle m’offre si gracieusement de m’envoler, de réclamer à nouveau mon contrôle sur les cieux. Et dire qu’elle arrive alors que le ciel s’éclaircit! Je n’ai jamais cru en la vénération du divin, mais pour elle je serais presque tentée.

Avec un élan de délicatesse, je m’étend au sol et tend le cou pour permettre à Qilin de monter. Je fais même un signe de tête au macaque pour qu’il grimpe à son tour. Je l’aurais bien porté entre mes pattes, seulement je suis d’humeur généreuse. Il mérite sa place auprès de notre maîtresse. La nôtre.

Lorsque je les sais bien installés, cramponés à ma fourrure, je me prépare. J’inspire, expire, et étend mes ailes de chaque côté. Même avec leur poids sur mon dos, la force de mes ailes me permet un décollage tout en puissance. Nous nous élevons contre le ciel immaculé du Nord et l’extase du vol submerge mes sens. Je laisse échapper ce qui ressemble à un jappement de joie avant de piquer du nez et de remonter en vitesse. Je me retiens de tourner dans tous les sens, mais ce n’est pas l’envie qui en manque. La fatigue ne m’étreins plus, l’ennui est chassé derrière les monts de la vallée. Je suis libre.

Sous les directions de ma chère maîtresse, les montagnes sous mes pattes se défilent pour laisser place aux plaines. Je survole l’Ivre juqu’aux monts ardents, effleure les sommets et me joue des formations rocheuses. Dans un rire, je descend jusqu’à la Téthys et caresse la surface de l’eau du bout de l’aile. Je profite de ces sensations qui n’étaient que souvenirs. Aucun mur ne restreint mes membres. Je puis continuer à perte de vue, et jamais rien ne viendra se mettre sur mon chemin. Ce n’est pas l’envie qui me prend, seulement la simple possibilité m’emplis de joie.

Le désert ambré se découvre en teintes dorées et en dunes de sable chaud. J’aimerais m’y prélasser, imiter les reptiles qui se prélassent sous l’astre d’Ignis. À la place, je rejoins ce qui me semble à une route qui s’enfonce dans le désert et me dépose au sol. Ma maîtresse et son ami ont été silencieux au long de ce trajet, et bien que j’ai trouvé leur silence délectable, je commence à m’impatienter. Je salue Amko’Unn alors que nous le délaissons à l’entrée de cette plaine infernale. Un fils d’Ignis en son propre territoire. J’en grimacerais presque.

Je l’observe s’éloigner, pensif lorsque ses traces dans le sable sont effacées en un coup de vent. Comme quoi même ici, rien ne reste. La vision me laisse un goût amer en bouche. Je me dépêche de me retourner.

« Je suis familière avec l’île, alors nomme-moi notre destination et je saurais t’y amener. »

Je déclare la chose dans un élan de vantardise, me pavanant dans ma connaissance étendue de la géographie d’Arcane. Tous les demi-dieux ne sont pas sortis aussi fréquemment que moi. Tous les demi-dieux n’ont pas choisi de visiter tous les recoins de cet endroit à la fois maudit et béni.