Lian Long était une jeune femme gracieuse et élégante quelles que soient les circonstances. Même lorsque ses parents décédèrent dans un incendie, lorsqu'elle était adolescente, elle fit preuve de dignité et de retenue. Guo Lù, figure montante de la Garde Dorée, rencontra cette femme charismatique quelques années plus tard, et l'épousa. Dévoué à sa carrière, il laissa la gestion des domaines à sa femme, qui s'en sortit avec intelligence malgré les critiques et continue aujourd'hui à faire prospérer le nom des Lù, famille loyale ayant soutenu l'ascension des Lüh au pouvoir.

Les précepteurs ayant foulé le sol du manoir Lù étaient soigneusement sélectionnés par la maîtresse de maison. Si Lian prenait en charge tout ce qui était relatif à la vie quotidienne et la société, elle supervisait directement tous les autres enseignements. Ses cinq enfants eurent droit à cet encadrement spécifique. Qilin naquit plusieurs années après ses sœurs, et plusieurs avant ses frères. Sa mère se montra plus stricte avec elle mais également plus impliquée, peut-être parce qu'elle en avait davantage le temps, comparé à l'éducation des jumelles. Si elle affichait ses aînées dans toutes les manifestations sociales de la capitale, elle gardait Qilin près d'elle dès que ses affaires l'entraînaient en ville ou dans leurs exploitations extérieures.

Là où ses sœurs apprirent la musique et le chant, excellant au point d'être convoitées dans les soirées mondaines, la jeune Qilin passait des heures à lire dans le jardin, appréciant très tôt les ouvrages de rhétorique et de politique, autant que les poèmes. D'abord réticente, sa mère se laissa convaincre lorsqu'elle manifesta l'envie d'apprendre le maniement de l'épée. Guo s'impliqua alors pour la première fois et, à l'image de sa femme, choisit de s'occuper personnellement de l'entraînement aux armes de sa fille, lorsque son agenda militaire lui permettait.

Ainsi se déroula son enfance et son adolescence, dans la rigueur et l'exigence proche de la perfection. Elle ne se lia guère aux autres, mais développa un certain confort en la présence de Kersès, l'une des trois invocations de son père, assigné comme gardien de la famille.

Un jour, alors qu'elle révisait les différents mariages et affiliations de l'aristocratie actuelle, la jeune Qilin releva la tête vers sa mère, en train de se faire coiffer non loin.
« Mère, étiez-vous amoureuse de Père lorsque vous l'avez épousé ? »
Lian laissa échapper un petit rire. Ses paupières se plissèrent et elle sourit tendrement.
« Bien sûr, Qilin. »

Lorsqu'elle quitta le manoir en compagnie de Mei et Qian, Qilin se retira dans sa chambre. Elle se tint droite et se rapprocha du grand miroir qui y trônait. Son visage d'ordinaire impassible se fendit d'un grand et doux sourire. Son regard sombre se teinta d'un éclat lumineux. Ses petites pommettes ainsi apparentes la rendaient si mignonne. Elle posa une main sur le verre lisse et murmura d'un ton chaleureux :
« Bien sûr, Qilin. »

L'examen d'entrée de la Garde Dorée s'inscrivit dans la continuité de l'entraînement dispensé par son paternel. Qilin le passa haut la main, perçant grâce à ses prouesses militaires et sa discipline. Si ses sœurs charmaient le cœur des nobles, elle s'imposait dans l'esprit de ses homologues militaires sans se mettre en avant. Son ascension était toute tracée, elle ne le niait pas, mais elle redoublait d'acharnement pour obtenir le mérite de ses propres actions. Devenant rapidement une figure de sévérité et d'exigence, elle gravit les échelons jusqu'au rang de Capitaine.

Son style de combat incisif et implacable, ainsi que son efficacité sur le terrain, portés par son aura noble, lui valent le surnom de "Sanza royal" chez la Garde. Peu à peu, Qilin s'est entourée d'une petite équipe loyale composée de soldats d'élites. Elle cultive aujourd'hui sa réputation en traquant les criminels les plus notoires, et en effectuant des frappes éclairs dans le Nord. Du mauvais côté de la loi, elle a écopé d'une désignation bien moins glorieuse : "la chienne du prince".

Son père lui proposa l'hiver dernier de le rejoindre à la Plaine Glacée en tant que Lieutenant-Colonel. Qilin déclina, décidant de profiter de son grade encore un peu avant d'accueillir un surplus de bureaucratie dans son quotidien. Elle préfère rester basée à la capitale, et mobile sur les zones de conflit. Mais elle garde cette promotion dans le viseur, surtout en sachant que son géniteur prendrait sa retraite dans une dizaine d'années. Elle doit se préparer à reprendre les rênes. La rumeur voudrait qu'il accède au titre de Duc en se retirant de la vie militaire.

Comme son père avant lui, Guo Lù a délivré trois demi-dieux. L'un est assigné à la protection de sa famille, il garde le second près de lui, et le troisième ne sortira jamais de sa cellule. À l'entrée de Qilin dans la Garde, il a chargé le gardien des Lù, Kersès, de l'accompagner. Elle n'a donc jamais eu à se soucier de risquer sa vie dans un temple tout en bénéficiant de la force d'une divinité.

Maintenant fière de sa propre réputation, Qilin aspire à une indépendance grandissante. Avant d'atteindre un rang difficilement remplaçable, elle souhaite s'entourer de ses propres invocations, et vient justement d'obtenir sa permission. Ses sœurs désormais mariées ont laissé une place vacante dans la sphère sociale des Lù, qu'elle se charge de remplir sur son maigre temps libre.

Soldate inaccessible, noble affable, elle est une petite curiosité, suffisamment pour attirer l'attention, pas assez pour être surveillée de trop près. Un milieu parfait pour tisser et sélectionner progressivement ses relations. Son apparence est lumineuse, mais son influence demeure discrète, grossissant dans l'ombre des soirées. Un jour, elle se tiendra derrière le trône, à l'abri des regards, mais au summum du pouvoir.