L'air joue autour de moi, vents et vagues et nuages qui se mélangent dans un délice destructeur. Je salue les enfants d'Aqua sous mes pattes, qui amènent l'eau à se soulever sur mon passage. D'un mouvement d'ailes, je descends vers eux, et les effleure de mes plumes. Un rire me secoue quand l'un d'eux m'envoie un jet d'eau au visage, une eau claire et salée, et je remonte vers les cieux. Les éléments se déchaînent autour de moi, et je me prélâsse dans le chant de violence de l'eau et de l'air. Le rouge de mes plumes dénote, dans ce décor sombre de bleu, de blanc et de gris, et je me fais un plaisir de laisser mes runes briller avec un peu plus d'éclat. Derrière moi, je sens les vents suivre mon mouvement et se diriger avec moi vers les terres, où les enfants de Terra préparent les sols à la destruction pour y construire à nouveau. Je tourbillone, virevolte, disparais derrière des nuages particulièrement épais, et mes yeux se ferment pour profiter de la sensation grisante de liberté et de pouvoir que nous confère ce monde.

Les Dieux ont laissé derrière eux un trésor, et en prendre soin est ma tâche première. Une tâche que j'accomplis avec délice, me laissant porter par les vents familiers, et semant derrière moi la destruction qui permettra au sol de devenir plus fort. Dans une dernière ronde, je sors de la tempête et tourne autour, forçant les vents rebelles à revenir à l'ordre dans ce tourbillon qui approche toujours plus vite des côtes. Mon travail pourrait être plus dur, si les éléments naturels de ce monde ne travaillaient pas déjà en ma faveur. La température, la pression, ces données externes aident à guider les éléments de manière à ce que ma tâche soit accomplie à la perfection.

Disparaîssant de nouveau derrière un nuage particulièrement épais, je n'aperçois pas l'éclat foncé qui se fait un chemin à travers la tempête, et ne peut malheureusement pas ralentir ma course quand ce même éclat fonce sur moi à pleine vitesse. Perdant le contrôle de mes ailes un bref instant, je me mets à chuter, étonnée par ce poids qui vient perturber mon oeuvre. Mon sang froid m'échappe presque, mais alors que les vents nous happent pour nous projeter avec violence au loin, j'en regagne le contrôle grâce à la magie, stabilisant mon vol et celui de... De la déité en face de moi.

« Tout va bien? Vous n'êtes pas blessé? »

Ma voix androgyne s'élève avec une certaine force pour couvrir le brouhaha de la tempête. La pluie s'est mêlée à la fête, et alourdit nos vols. Je détaille un instant ce qui me fait face, essayant d'analyser au passage si les intempéries lui nuisent, et ainsi savoir si je dois la reconduire en lieux sûrs ou simplement l'amener dans l'oeil de la tempête, pour que parler nous soit plus aisé. Une créature reptilienne, dont les formes ressemblent vaguement aux miennes, légèrement plus petite cependant. Son corps est couvert d'écailles aussi sombre que les profondeurs abyssales que j'ai visité quelques fois, et ses ailes sont membraneuses, encore une fois semblables à mes propres membres. Mais son regard, à l'ambre captivant, me porte une sensation de sagesse, de maturité, et une touche de féminité indéniable. C'est en quoi elle se dissocie de moi, comme beaucoup de demi-dieux. Son genre se perçoit dans sa façon de se porter, dans la force de son regard et dans la grâce de ses membres, tandis que ma propre personne varie entre les deux.

« Je ne vous ai jamais vu autour de mes oeuvres. Serait-ce présomptueux de ma part de demander votre nom? »

Mon corps se mouvoie autour du sien, curieux, et s'assurant que son équilibre a été retrouvé. J'essaie d'être sûre qu'elle n'a pas été mise mal en point par notre impact violent, et je tente d'empêcher les vents de la récupérer. Pour ceux qui n'ont pas l'habitude des tempêtes, y trouver son équilibre peut s'avérer compliqué. Je sais que sa magie peut lui porter secours dans le pire des cas, mais je ne peux m'empêcher d'essayer de l'aider. La visite d'un pair est plutôt rare dans le vide des cieux.

L'oeil? Ah! Bonne idée!

Mon corps cesse de serpenter autour de mon invitée et mes ailes puissantes me propulsent vers le centre de mon oeuvre de destruction. Toujours alerte, je m'assure que le vol de la fille d'Aer reste stable, mais elle ne semble pas avoir besoin de mon aide. Ses écailles noires reçoivent la pluie sans s'en alourdir et ses grandes ailes chassent les bourrasques en mouvements experts. Là où son vol est ordonné et précis, avec une direction qui s'aligne du bout de sa queue à son regard, le mien est à l'image de la tempête autour de nous. Mon corps décrit virages et tourbillons plumés, jouant sur chaque courant d'air. Je me laisse emporter pour mieux me diriger à travers les imprévus de la tempête.

Au final, nous atteignons l'oeil de la tempête et nous installons sur un bout de terre émergé. Mon invitée s'y pose en premier et je la rejoins après quelques dernières cabrioles. Je suis fière de mon oeuvre et de son ampleur. La côte sera complètement ravagée après un tel passage et la nature pourra revenir à la vie, plus forte et plus résistante. Un cycle que je respecte religieusement. Mon attention revient d'un coup à ma visiteuse impromptue quand sa voix me surprend. Remplie d'énergie et de force de caractère, elle me prend par surprise. Je me redresse, soudain plus droit et attentif.

Maîtresse du Savoir? La curiosité vient éclairer mon regard une fois de plus. Ma tête se penche sur le côté pendant sa présentation. Pru'ha. Un joli nom. Quand elle désigne les vents chaotiques autour de nous, une partie de ma rigidité disparaît, remplacée par la fierté.

« C'est bel et bien mon oeuvre! Une de mes plus belles à ce jour! »

Je prend un moment pour apprécier la mélodie que nous entendons encore autour de nous, puis mes yeux dérivent sur ma visiteuse. Éloignée de pluies battantes et de vents incertains, sa beauté resplendit sous le soleil dans une majesté presque paresseuse tant elle semble sans effort. Ses écailles noires attirent la lumière, qui semble se perdre dans la noirceur profonde de chaque éclat d'ébène. Un instant, je ne sais plus où me mettre. Avec mes plumes ébouriffées et les inscriptions écarlate qui s'étalent sur mon pelage dans un éclat toujours plus insistant, je me dis que je n'arrive pas à la cheville de la fille d'Aer qui me fait face. Je me sais construit dans une souplesse charmante, renforcée par ma carrure imposante. Dans un autre contexte, je me serais su loin d'être en reste... Mais en ce moment, je suis trop impressionné par la femelle en face de moi. Éventuellement, je reviens à moi et me secoue la tête, mimant de remettre de l'ordre dans mes plumes vermeilles.

« Je suis Qualri! Bien que je n'ai pas de titre aussi impressionnant que le votre, on pourrait me dire créateur de chaos! »

J'arbore le nom avec fierté. Sous ma commande, les éléments se plient pour créer les plus belles dédicaces au chaos qu'on puisse trouver dans ce monde. Je ne me lasserai jamais de la fureur des vents et de la puissance dévastatrice des eaux soulevées par la rage de mes créations.

« Vous étudiez les tempêtes? Est-ce que je peux vous aider? »

Malgré ma dédication à chacune de mes "merveilles" -elle a appelé ça une merveille!!-, je ne suis pas contre la distraction. Un peu de nouveauté ne fait jamais de mal, n'est-ce pas? Et puis, si elle les étudie, je pourrais probablement lui être utile! Je sais chaque étape de la création d'une tempête, chaque paramètre à prendre en compte, et quelles conditions sont les meilleures pour amener le maximum de destruction! Je pourrais même lui présenter quelques autres demi-dieux qui travaillent à mes côtés. Certains fils d'Aqua se feraient un plaisir de lui expliquer comment les courants marins viennent aider à la former de ces petits bijoux.

Sa tâche m'impressionne, mais pas autant que le petit appareil qu'elle sort du harnais sur son dos. Quelque chose qui calcule avec exactitude la force des vents? Mon regard se remplit d'étoiles et je détaille l'objet, absolument minuscule dans la paume de la fille d'Aer, mais qui contient un savoir inestimable. Je suis tellement impressionné que je ne dis rien pendant un temps, la laissant s'ébahir devant les merveilles qu'elle a pu observé grâce à ces deux petits bijoux.

Je fronce les sourcils à un moment, déçu que mon ouragan, dans toute sa grandeur, n'ait pas les vents les plus puissants qu'elle ait vu. Un étrange sentiment de jalousie gonfle en moi et je me promets de mettre encore plus d'attention à la puissance de mes courants d'air lors de ma prochaine oeuvre. Elle verra bien que ma destruction peut être la plus impressionnante du monde entier. Peu de demi-dieux vénèrent le chaos à ma manière, et ne pas être le meilleur dans ce domaine me rend grognon.

Un grognon chassé bien vite par le compliment de Pru'ha. Bon, au moins ça reste l'ouragan le plus puissant qu'elle ait pu voir, et ça me rassure. Je ne laisse pas cela diminuer mon ambition, et je sais qu'à partir de ce jour je ferai toujours attention à dépasser quelques attentes de ces petits engins. Ce serait pratique que je puisse m'en fournir un.

Sans essayer de déchiffrer ce qu'elle écrit, je note tout de même son intérêt pour chaque aspect de la déferlante de chaos qui nous entoure. C'est flatteur.

À sa remarque, je répond par un simple hochement de tête. Il y aurait eu d'autres trajectoires possibles, mais d'expérience, celle-là amplifie le chaos de mes oeuvres beaucoup plus que n'importe quel chemin. Pour tout dire, je suis étonné qu'elle ait conclu cela du premier coup.

« C'est le meilleur chemin. Est-ce que vos calculs vous l'ont dit? »

Comme beaucoup, j'ai commencé ma tâche avec un vague instinct guidant mes gestes. Cependant, les années m'ont poussé à comprendre, à optimiser. J'ai appris les différents paramètres influant mes oeuvres sans jamais pouvoir les calculer exactement. J'ai plutôt bâti un savoir basé sur l'expérience, sur un sentiment qui parcoure mon système nerveux quand je sais les conditions être optimales. Si elle m'apprenait à les calculer, alors peut-être mes oeuvres pourront-elles devenir encore plus dévastatrices.

Bien sûr, mon intérêt n'est pas aussi noble que le sien -le savoir pour le savoir!- mais je me rapproche tout de même des instruments pour les détailler.

« Qu'est-ce que vos calculs vous disent exactement? »

Mon regard remonte vers le sien et mon air prend un sérieux tout nouveau, quelque chose en parfaite opposition à mon amour du chaos.

« Pourriez-vous m'apprendre? »

Je sais que la question est subite, et floue... Seulement elle est pour moi d'une importance capitale. Je veux apprendre. Apprendre à calculer la force du vent pour savoir à quel point je peux l'augmenter, apprendre à déterminer le meilleur chemin, apprendre à mesurer les différents paramètres physiques pour la création de la meilleure tempête. Je veux tout apprendre.