Alors que Gabriel revenait vers elle, tenant par la bride Gyllir qui se laissa faire volontiers, Evanna sentit la satisfaction l’emplir. Elle était bien heureuse que la jument de Lagertha ne soit pas tombée entre les mains de n’importe qui. Outre l’identité de sa propriétaire, l’équidé noire était une vraie perle, et elle prendrait sans aucun doute plaisir à la chevaucher au moins une fois.
La Pupille tendit une main pour caresser le doux chanfrein de Gyllir qui souffla doucement par les naseaux. Elle l’inspecta rapidement, laissant sa main courir sur le pelage de jais. C’était à la fois pour s’assurer que les Gardes Dorées avaient bien traité l’animal malgré son statut de trophée de guerre, et en même temps pour les curieux qui l’observaient depuis qu’elle avait récupéré son gain des enchères. L’élevage de sa famille lui donnait déjà une très bonne raison d’acquérir la jument sans que personne n’ait de soupçon par rapport à Lagertha, et le fait qu’elle vérifie elle même la jument finirait de contenter les curieux.

Satisfaite de son examen sommaire, elle adressa un sourire à son palefrenier avec un hochement de tête et Gabriel repartit de la Grande Place, prêt à ramener leur dernière acquisition au Domaine. En parlant du Domaine.. Nérée apparu près d’elle pour la saluer, et elles échangèrent quelques mots polis mais chaleureux avant que la Duchesse ne reparte de son côté.

Alors qu’elle s’apprêtait à faire de même, ayant quelques achats à effectuer avant de rentrer, la brunette fut de nouveau approchée. C’était après tout l’un des multiples désavantages de son statut en ville…
L’élégante femme aux courtes boucles brunes qui lui faisait face, n’était autre que celle qui, plus tôt, s’entretenait avec la Capitaine Qilin. Et cette fois-ci, alors que son regard croisait les iris de noisettes de la noble, son nom lui revint. D’Avesne. Brisielle d’Avesne.
Fille de marquis, sa famille avait un élevage de Calis dont Evanna avait beaucoup entendu parlé, et auquel il lui était déjà arrivé de ramener un petit Calis blessé trouvé en balade. Mais la jeune femme travaillait aussi pour elle même et était d’ailleurs reconnue à la Cour pour ses talents d’organisatrice d’évènement. Il n’était pas rare que l’intendant du Prince fasse appel à elle pour certains Bals et Cérémonies, raison pour laquelle son nom et son visage lui étaient vaguement familier. Toutefois, elle ne se rappelait pas avoir déjà eu une discussion avec elle.

Une sourire sur le visage, la pupille inclina la tête, accompagnant son mouvement d’une révérence à l’élégance et la fluidité acquises à la force de l’habitude, saluant ainsi la fille de Marquis ainsi que son frère qui semblait l’accompagner partout depuis le début des enchères. Elle n’arrivait pas à retrouver le prénom du jeune homme, aussi décida-t-elle d’enchainer autrement.

« Miss D’Avesne, Messire d’Avesne. Quel agréable plaisir de vous rencontrer ici sous les doux rayons d’Ignis. Quel curieux spectacle nous a dévoilé ce matin la Capitaine n’est-ce pas ? »

Sa voix était douce, posée et mélodieuse. Son air aimable et avenant, un sourire gentiment posé sur ses lèvres. C’était son visage de pupille princière, celui qu’il lui fallait porter à chaque évènement ou en présence d’autres nobles. Ce n’était pas pour autant qu’elle faisait semblant, mais il n’était pas naturel non plus. C’était… C’était une deuxième elle, en quelque sorte. Une version différente d’elle même. Longuement apprise et construite au fil de son apprentissage, de ces cours d’étiquette et de ses expériences à la Cour…

Une fois les politesses de rigueur échangées, Brisielle enchaina avec une réponse à sa question, tandis qu’Evanna pouvait nettement distinguer le regard du frère se porter avec intérêt vers sa nouvelle acquisition, que Gabriel tenait encore derrière elle à distance.
Les paroles de la jeune noble, lui firent hausser les sourcils de surprise, et elle échappa un léger rire clair à son tour. Cela eut au moins l’interêt d’attirer l’attention du jeune homme dont le sens caché des paroles ne lui avait pas échappé.
Une fois qu’il fut rassuré, la pupille se permis de répondre, une certaine malice dans le regard et le sourire malgré son ton innocent.

« Oh, ce ne serait pas la première fois que l’on remarquerait que je préfère la compagnie des quadrupèdes à celle des bipèdes. »

Elle ne laissa pas le temps à sa réplique très peu appropriée à son rang d’être pleinement entendue, comprise et répondue. Elle en profita plutôt pour se tourner vers le jeune noble dont le prénom ne lui revenait décidément toujours pas mais dont l’intérêt pour Gyllir ne lui avait pas échappé, et s’adressa gentiment à lui, accompagné d’un sourire chaleureux.

« Vous pouvez aller la voir si vous voulez. Quoiqu’on en dise, elle m’a l’air d’une jument très docile. »

Brisielle sembla d’ailleurs suivre le mouvement de la conversation et lui parla justement de l’équidé. Son ton était particulièrement doux et agréable, et la brunette l’observa un court instant, tentant de déceler s’il était sincère ou hypocrite. Lorsqu’un ou une noble se donnait autant de mal en sa présence, c’était soit sincère -très rare, elle n’avait remarqué cela que chez Nérée pour l’instant- soit parce qu’ils attendaient quelque chose d’elle.
Evanna hocha toutefois la tête, un sourire automatique se peignant sur son visage.

« Oh oui, cela ne fait aucun doute. Non seulement elle a l’air d’avoir été très bien dressée, mais en plus de cela, sa stature et sa morphologie en font une jument exceptionnelle. Elle fera une incroyable poulinière, si son caractère est bon. »

Son sourire avait gagné en lumière, et son ton en enthousiasme au fur et à mesure de ses paroles. Elle mit quelques secondes à s’en rendre compte, puis toussota légèrement, sa voix redevenant courtoise.

« Mh. Oui. Dans tous les cas oui, je suis satisfaite de cette acquisition. Il aurait été bien dommage de la laisser filer. »

Désireuse de faire oublier cet enthousiasme quasi-enfantin qui lui avait échappé et qui ne manquerait pas de lui attirer dédain et mépris de la part des nobles par la suite, elle enchaîna à l’encontre de sa consoeur.

« Faites-vous de l’équitation Miss D’Avesnes ? »

Brisielle eut la politesse de ne pas faire de commentaire sur ses précédentes paroles, et se contenta donc de répondre à sa question, d’un ton où pointait, elle en était sûre, un tantinet de déception. Evanna fronça légèrement les sourcils, luttant contre son envie de contredire vivement la noble sur la suite de ses dires. Mais elle s’était déjà assez illustrée sur sa passion débordante pour aujourd’hui, il était donc inutile de se ridiculiser une nouvelle fois.
Pourtant, elle n’eut pas à se mordre la langue très longtemps vu que la jeune d’Avesnes continua sur une autre voie qui lui plaisait déjà plus. Pourtant, malgré sa jeunesse et son enthousiasme, la Pupille était très loin d’être bête, ou même naïve. Les paroles de Brisielle n’étaient pas si innocentes, et elle ne parlait pas là de sa réflexion sur la robustesse des chevaux.

Un léger sourire en coin s’afficha sur son visage alors qu’elle fixait sa consœur aux yeux noisettes avec un amusement non dissimulé. Elle réfléchissait d’ailleurs à sa réponse, histoire de louvoyer entre les différents écueils qu’une telle conversation amenaient lorsqu’un cri non loin d’elles ramena l’environnement actuel à l’attention d’Evanna. Elle secoua doucement la tête revenant à elle et adressa un sourire plus politiquement correct à Brisielle, bien que ses yeux contiennent une étincelle intéressée et bien plus sauvage.

« C’est une réflexion très pertinente, mais je doute que ce soit l’endroit pour en discuter plus longuement, et en détails. »

Elle marqua une courte pause, observant le visage de Brisielle avec une attention accrue. Il était peut être temps qu’elle reprenne l’habitude d’étudier les nobles en vogue -et ceux déchus- de la cours. Et peut être aussi qu’elle ressorte un peu dans les soirées et les thés mondains, chose qu’elle avait soigneusement évité ces derniers mois…
Bien. Autant mettre ses bonnes résolutions à l’oeuvre immédiatement.

« Pourquoi ne planifierions-nous pas une rencontre la semaine prochaine ? Nous pourrions en profiter pour faire plus ample connaissances, et peut être même pourrions nous en profiter pour vous refaire gouter aux joies de l’équitation à l’occasion. »

Evanna sourit à nouveau, avec un peu plus de chaleur. Elle était intriguée par la jeune femme, et désirait effectivement la revoir pour diverses raisons. Elle n’était pas vraiment sûre de comment tout ça allait se terminer, mais après tout… Elle n’avait pas grand chose à perdre.
Et peut être même beaucoup à gagner.

Cette fois-ci, pas de doute possible et Evanna ne s’y trompa pas, à la réponse et au sourire de Brisielle. C’était bien du contentement et pas seulement de la politesse qu’exprima la jeune noble à son encontre. Curieux et intéressant, mais probablement pas si surprenant. Toutefois, il devenait primordial de se renseigner longuement sur elle et sa famille avant leur prochaine rencontre.
Ses yeux ambrés suivirent le regard noisette, et si Brisielle fixait probablement son frère, Evanna, elle, en profita surtout pour admirer à nouveau Gyllir.

La voix douce et posée de la jeune femme attira à nouveau son attention à elle, et ses paroles déclenchèrent un léger sourire à l’amusement bien visible sur le visage de la Pupille. Elle s’était faite assez rare ? Doux euphémisme puisqu’elle avait quasiment disparue de la Cours en dehors de ses obligations de Pupille Princière, qui n’étaient plus si nombreuses aux vues de l’isolement toujours plus long de Reyson.
La mention du prénom du Prince dans son esprit poussa la brunette a se secouer intérieurement et repousser toutes les réflexions qui suivaient généralement cette pensée. Elle entreprit plutôt de répondre à sa consoeur et afficha à nouveau un sourire polit sur son visage. La jeune femme semblait être bien habile de sa langue, et elle ne doutait qu’elle l’était aussi pour louvoyer parmi la cours. S’en faire une alliée lui semblait de plus en plus judicieux.

« Quelle douce idée. »

Elle marqua une pause puis riva son regard à celui de Brisielle pour continuer.

« Mais veillez toutefois à ce que ce comité reste réduit… Et si vous pouviez avoir l’extrême amabilité de m’envoyer à l’avance la liste des présents, cela me serait encore plus agréable. »

Elle accentua légèrement son sourire pour faire passer sa demande qui sonnait bien plus comme l’ordre qu’il était sensé être. Puis elle continua d’un ton plus joyeux.

« J’ai entendu dire beaucoup de bien de vos qualités d’organisatrice d’évènement, alors je vous laisse volontiers les rênes pour trouver l’endroit et le moment qui conviendront à tous. »

Gabriel la héla peu après pour lui signaler qu’il ramenait leur nouvelle jument au domaine, et Merrin les rejoignit quelques instants plus tard, signant avec naturel l’approche de la fin de leur entrevue pour aujourd’hui.

Brisielle répondit par la positive à ses requêtes, sans grande surprise pour la Pupille qui commençait à se dire que la rencontre d’aujourd’hui n’était probablement pas due au hasard, ni même seulement par politesse.
Son visage n’en laissa cependant rien voir et elle rendit une élégante révérence aux deux nobles, adressant un sourire à Brisielle suit à ses salutations.

En réalité, la jeune femme avaient d’autres emplettes à faire au sein de la Capitale, mais ça, ils n’avaient pas besoin de le savoir. Ses yeux ambrés suivirent la fratrie d’Avesnes jusqu’à ce qu’ils disparaissent dans la foule alors qu’elle réfléchissait encore à cette conversation, et la réunion qui s’annonçait.

« Tout va bien ma Dame ? »

La voix de Gabriel attira son attention et elle lui adressa un sourire désabusé. Il ne l’appelait jamais par son prénom en dehors du domaine, et ces mots lui irritaient toujours les oreilles de sa part, bien qu’elle en comprit totalement l’importance.

« Oui ça va, merci. Je réfléchissais. »

Sa main caressa l’encolure de jais d’un geste mécanique, savourant la chaleur du poil sous sa paume.

« Rentre donc au Domaine avant qu’elle ne prenne un coup de chaud. Tu n’as qu’à dire au cocher de revenir me chercher d’ici une petite heure. J’ai à faire. »

Elle lui sourit puis se détourna, prenant le chemin des boutiques qu’elle avait besoin de visiter, son esprit lui, travaillant déjà sur les recherches qu’elle prévoyait d’entreprendre sur Brisielle d’Avesnes et le reste de sa famille…

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HRP: