Et le mot était faible. Comme beaucoup d’humains je m’étais déjà laissé à rêver voler dans le ciel. La sensation du vent sur la peau, le frisson de l’excitation, la folle danse des sens plongés dans un univers inconnu. Cette vue, immense, grandiose, de notre monde vu d’en haut. La compagnie des oiseaux dont on ne pourrait jamais être si proche. Mais ça, évidemment, ce n’est que le fruit d’une imagination bien trop fertile...
De mon expérience je retiendrais surtout le vertige, cette peur qui nous sert les entrailles tandis que le sol continue de s’éloigner de nos pieds. Le corps humain n’est pas un habitué des airs. Il n’a pas été conçu pour voler. Par nature, il reste hermétiquement attaché à la terre. Variable inchangée, solide et sécurisante. Par ailleurs, j’ai pu découvrir que nous étions des êtres bien trop rigides et trop peu articulés pour supporter la force des vents. Et pour cause, j’en venais d’en faire les frais. Peur plus rigidité. Un combo bien loin d’être gagnant.
Le résultat ne s’était pas fait attendre. Mes bras et mes jambes avaient serré si fort le cou et le poitrail de Tahimo qu’ils étaient maintenant transis de douleurs. Et tandis que j’amorçais tant bien que mal la descente vers la bien aimée terre ferme mes jambes se dérobèrent violemment de sous mes pieds. Peu importe, je me sentais tellement soulagée de retrouver la chaleur et la solidité de la terre que j’en profitais pour m’allonger de tout mon long en essayant de retrouver une respiration à peu près calme. Le voyage avait été court. Quelques battements d’ailes seulement nous avaient emportés Tahimo et moi aux portes de Heilan. Si ce n’est pas le moyen de transport le plus confortable, il avait tout de moins le mérite d’être le plus rapide. Mais mon corps était à bout de souffle. Il avait beau être entraîné et endurant à force d’entraînements et d’expéditions en tout genre, il avait besoin de repos. Je m’étirais avec paresse tandis que l’image d’un bon lit chaud et confortable s’imposait dans mon esprit. Heilan était un petit village de pêcheur, pas très grand, mais très accueillant. Comme il était situé près d’un temple, les habitants étaient habitués aux voyageurs et il avaient décidés d’en prendre leur parti. Ainsi, le village n’était qu’échoppes de toutes sortes, boutiques diverses, tavernes et auberges pour attirer les voyageurs. Et surtout, leur faire dépenser leur argent. Bien sûr, on n’y trouvait pas les mêmes choix et le même confort que dans les grandes villes, mais Heilan compensait par son accueil généreux et ses spécialités culinaires. Dont mes petites sucreries préférés. Un sourire se dessina dans les coins de mes lèvres. Rien que l’idée de pouvoir m’en approvisionner à nouveau compensait la douleur dans mes jambes. Peu de choses avaient le pouvoir me procurer un tel sentiment de plénitude. La sensation d’un travail bien fait, la découverte d’un nouveau mystère, la satisfaction d’une bonne répartie, ou la chaleur d’un bon bain chaud. Mais cette douceur sucrée qui emplissait le palais tandis qu’on déposait cette délicate boule brune dans le creux de la langue n’avait pas d’égale. C’était une des choses qui ne me ferait jamais regretter ma tribu. Après tout, toute privation avait des limites.
Mais avant tout, un bon repas et un lit. Les sucreries pourraient attendre le lendemain. D’autant plus que je n’étais plus seule maintenant et qu’il nous restais du chemin à parcourir. Je me redressais avec lenteur et pris le temps d’épousseter mes vêtements. Fort heureusement je connaissais une auberge plutôt confortable et abordable. Je regardais Tahimo d’un air circonspect. Il était évident qu’il ne pourrait m’accompagner. Il ne rentrerait même pas dans les granges les plus spacieuses. Ne parlons même pas des rues. Je souris en m’imaginant la scène. Tahimo et ses grandes pattes essayant de se frayer un chemin parmi les échoppes sans faire le moindre dégât. C’était comme imaginer un éléphant dans un magasin de porcelaine.
Il était déjà acté entre nous qu’il devrait rester à l’extérieur. Mais je ne pouvais m’empêcher de ressentir une gêne à l’idée de l’abandonner alors qu’il venait tout juste d’être libéré de sa cellule. Après tout, ne lui avais-je pas certifié que nous travaillerons ensemble à se faire confiance ? Et me voilà déjà à le laisser seul. Mais peut être préférerait-il rester seul pour profiter de sa liberté ? Cela restait à espérer. Je me promis de ne pas le laisser trop longtemps, et si c’était possible, de lui rendre quelques visites à l’extérieur de la ville pour m’assurer que tout allait bien. Peut être pourrais je même lui faire goûter mes fameuses sucreries ? Je me tournais vers lui et lui dit :
« Merci pour le voyage. Même s’il me semble évident qu’il va me falloir un peu de temps pour m’habituer. Je vais rester ici quelques jours pour me reposer et faire le plein. Je vais aussi m’employer à glaner des informations sur cette fameuse Pru’ha de Sirk. En m’attendant tu es libre de profiter de ta liberté comme tu le souhaites. Après autant de temps passé dans une cellule tu auras peut être envie de déployer tes ailes et de profiter de l’immensité du ciel. On a qu’à se donner rendez-vous à un jour et une heure précise qu’en penses-tu ? »
Euelle délicieuse sensation que traverser un nuage par un jour chaud d'été, en ressortir délicieusement trempé et sentir la fourrure sécher rapidement au vent. Les airs sont à mes yeux synonymes de joie et de sécurité, je peu grimper si haute que même les nuages ne peuvent me rejoindre. Mais les humains ne sont pas fait pour voler : quand ils n'ont pas le vertige, ils commencent à suffoquer au delà d'une certaine altitude, pauvre Jamy. Quand cet instant fut pour moi une véritable friandise de plaisir, ce fut pour elle de toute évidence difficile à vivre.
Je ne perdis pas de temps en émotion lorsque j'atteignis les portes du temple : je l'ai quitté assez souvent pour que cet endroit me soit familier. Aussi dès notre sortie du bâtiment, je me couchais et Jamy grimpa tant bien que mal sur mon dos. Je su aussitôt que ça allait être difficile pour elle : elle s'agrippa fort à moi lorsque je me relevais.
Dans les airs tous les repères changent : finis les frontières, finis les barrières naturelles, finis les détours... Même les distances semblent raccourcis. Il me suffisait d'atteindre quelques kilomètres de hauteur pour réaliser à quel point l'île d'Arcane est minuscule comparé à l'immensité de l'ancien monde. Mais je restais soigneusement à une hauteur raisonnable m'élevant de plusieurs centaines de mètres seulement. J'ignore totalement le temps qu'il faudrait pour rejoindre Heilan à cheval ou à pied, je ne sais pas mesure les distances en kilomètres, quoi qu'il en soit la distance qui nous séparait de la ville est courte en la mesurant en vol de dragon.
Mon atterrissage fut impossible à manquer : je me fichais complètement de passer inaperçu ou non. Je me posais juste devant les portes de la ville soulevant dans mon sillage un brusque courant d'air qui sonna pour les gardes comme un avertissement de ma puissance physique : les portes de la ville et leur petites armes ne feraient que me freiner quelques instants. Pourtant je me posais avec grâce et douceur, comme une feuille caressant la surface d'un bassin. Je me couchais pour laisser Jamy descendre.
Celle ci était visiblement éprouvée par le vol. Je restais silencieux, elle allait devoir s'habituer. Après quelques instants, elle me proposa de profiter de ma liberté retrouvée. Ma réponse fut immédiate, comme si elle était l'évidence même, mes paroles furent douces et calmes mais pleines d'assurance :
« Je vie pour te protéger. Je ne m'éloignerai pas de toi et me fabriquerai un chemin pour te rejoindre si tu es en danger. Je t'attendrai ici même et resterai à l’affût du moindre appel. »
Je surpris les deux gardes échanger un regard, le message était clair : si Jamy était en danger, je ravagerai la ville sans aucune hésitation pour la rejoindre et la protéger. Je balayerai tout sur mon chemin : maisons, étal de marchand, humains... Je me dirigeais vers les miliciens et m'adressais à eux :
« Bonjour messieurs. Je vais vous aider à monter la garde. Je suis Tahimo. ... ... Enchanté Dan, enchanté Hervé. »
Ils se raidirent tous les deux, surtout le plus jeune lorsque, les yeux pétillants d'amusement. Ils se présentèrent et je me couchais confortablement à un mètre seulement de Dan. Désormais sentinelle, ce fut comme si j'avais été engagé par la ville pour surveiller les portes...
L'écho scintillant des cristaux solaires voguait au rythme de eaux calme du village portuaire. Le ciel déclinait des teintes bleutées que d'innocents et rares nuages venaient parsemer ici et là... L'après-midi pointait à peine le bout de son nez, alors que celui de Saen s'emplissait des embruns salés depuis le toit plat d'une bicoque sur pilotis. Accroupis, son large chapeau couvrant sa nuque comme son front des ardents rayons qui le surplombaient, le brun-orangé de son regard s'était égaré sur la houle légère en contre-bas. L'eau calme mais pourtant indécise reflétait avec rigueur les traits de son visage halé. Était-il perdu lui aussi? Incertain? Un état d'être et de corps qui aurait pu plaire à sa psyché en d'autres circonstances. Néanmoins, le vide gangrenait dangereusement les bords de sa conscience.
Depuis combien de temps ses pas l'avaient ramené parmi les humains? Deux jours, trois, ...? Tout se mêlait dans un brouillard persistant. L'éclat du soleil réchauffait pourtant son âme, à travers quelques interstices en éveil. Il se redressa en douceur, s'étira longuement et bailla avec nonchalance avant d'afficher un fin sourire sur ses lèvres sèches qu'il parcouru de la pointe de sa langue. La soif se faisait sentir, la faim derrière aussi, pourquoi ne pas se faire plaisir et oublier le reste un instant? Avec agilité et souplesse, il sauta sur les baraquements environnants et pris la direction du marché, tel un chat discret à l'affût d'un bon gros poisson.
Bon, il n'avait rien de discret, vu sa taille, son chapeau et sa prise de hauteur, mais peu de gens levaient le nez en l'air, et beaucoup ne se souciaient plus de la silhouette de Saen en train de faire le mariole. Il avait vécu ici un bon moment, après tout. Arrivé près des marchands, il se demanda une seconde s'il allait descendre ou continuer son périple sur les toits avoisinants le marché, ce qui était nettement moins aisé et d'autant plus excitant comme défi. Finalement, il arriva non loin d'une échoppe dont l'étal voisin parfumait gaiement les alentours, perçant d'une touche fruitée et sucrée les arômes plus amers de ses concurrents.
Trop loin de sa position pour faire le singe, malheureusement! Avec souplesse et agilité, il descendit du toit dans un saut périlleux calculé, afin d’atterrir sans heurter personne. Ce qui n'empêcha guère la foule de l'éclabousser de grognements virils ou d'exclamations stridentes. Saen n'en avait cure, il se penchait déjà vers l'avant pour remercier un public invisible avec un sourire en coin. Son attention toute portée à de plus importantes réalités qu'autrui, il approcha le marchand qui l'avisait d'un œil circonspect. "Comme si t'avais besoin de ça pour te faire remarquer!" Le ton sérieux avait subtilement glissé vers un timbre bourru et amical. L'homme savait que l'individu au chapeau n'essayait guère de se faire remarquer. Il était ainsi, point. Sans préoccupation des choses humaines qui échappaient à sa simplicité d'être et surtout, dépourvu de la moindre parcelle d'égocentrisme.
Perdant un peu de la morosité qui traînait à ses basques, Saen lui offrit un sourire franc et s'approcha calmement des marchandises qui venaient d'attiser ses sens."Je dégage moins de stimuli que l'étalage de ton échoppe, est-ce ma faute si les gens ne savent tourner leur attention sur l'essentiel?" A ces mots, il se pencha pour embrasser du regard et de l'odorat les produits sous ses yeux en se demandant s'il allait savoir faire un choix.
« Je vis pour te protéger. Je ne m'éloignerai pas de toi et me fabriquerai un chemin pour te rejoindre si tu es en danger. Je t'attendrai ici même et resterai à l’affût du moindre appel. »
Avec un léger hochement de tête comme réponse je pris la route vers Heilan en laissant derrière moi mon désormais compagnon Tahimo.
Mes premiers pas furent accompagnés d’un sentiment étrange. Jusqu’ici je n’avais jamais eu de compagnon. En avoir un à mes côtés était déjà suffisamment déconcertant, mais devoir le laisser seulement après à peine quelques heures de notre rencontre rajoutaient à mon malaise. Et tandis que je franchissais les larges portes de Heilan je jeta un dernier regard derrière moi. Non, il fallait se rendre à l’évidence, il était décidément bien trop gros pour envisager de l’amener avec moi.
À peine avais-je franchi la grande porte qu’une piquante odeur iodée envahi mes narines. Instinctivement, un sourire se forma sur mon visage. Qu’il était bon de sentir à nouveau la fraîcheur de l’air marin. J’aimais cette sensation, ce vent franc qui vous cinglais le visage, cette odeur, intense et perçante qui vous envahissais les narines et la bouche, et ce petit grain de sel qui vous collais à la peau à la fin de la journée. Ici, pas d’ambages, de faux semblant. Tout y était brut et farouche. À mesure que j’avançais dans le village je sentais mes muscles se relâcher. Qu’il était agréable de se perdre dans le brouhaha des villageois parmi lesquels je pouvais librement retrouver mon précieux anonymat. Enfouie dans le creux des multiples étals qui emplissaient Heilan, je pouvais aller et venir à ma guise et je pouvais apprécier à loisir le rythme des conversations, guettant ici et là une information utile.
Je sentais toute la tension des dernières s’envoler lentement à mesure que je m’enfonçais au coeur du village. À la lueur de l’eau calme mais frémissante du port, ses dernières heures passées au temple me semblèrent subitement n’être que le fruit d’un rêve. Machinalement, tous mes souvenirs repassèrent dans mon esprit à une vitesse folle. Tous les détails passèrent au crible. Maintenant que les épreuves étaient passées, il me fallait comprendre à qui j’avais à faire, et surtout évaluer quelles pourraient être les conséquences directes et indirectes de nos échanges. Je pris également note dans un coin de mon esprit de m’accorder un peu de temps pour examiner mes propres réactions et établir une hypothèse sur ma propre évolution émotionnelle. Mais avant toute chose, il me faudrait délimiter un mode relationnel adapté avec Tahimo. Accompagnée de mes pensées je pris le temps de faire le tour du port et de fureter dans mes endroits favoris dans le but de m’assurer de ce qui avait changé ou non depuis ma dernière visite. Les conversations allaient bon train et marchands et visiteurs marchandaient de bon coeur. C’était le bruit de fond idéal pour accompagner mes pensées. Tout à coup, le grondement sourd de mon estomac mis un terme définitif à toutes pensées. Depuis quand n’avais-je pas mangé ? Bien sûr, je pouvais facilement tenir plusieurs jours sans manger, mais les odeurs tantôt fruitées et amers des nombreux étals menaient la vie dure à mon estomac. Je décidais de céder de bon gré à la tentation et me dirigeais avec habitude en direction de mon étal préféré.
Très vite, je me retrouvais devant toutes mes pâtisseries favorites. À leur simple vue ma faim bondit d’un coup dans mon estomac. Elles étaient là, rondes, scintillant de toutes les couleurs, leur douce odeur sucrée emplissant mes narines. Et alors que j’allais interpeller le marchand, un concert de grognements et d’exclamations détournèrent son attention de ma question qui resta en suspens au bout de mes lèvres. Agacée de ne plus avoir son attention je jetais un œil irrité derrière moi. "Comme si t'avais besoin de ça pour te faire remarquer!"
Cette remarque, lancée d’un ton amusé par le marchand semblait en tout vraisemblance être à destination de l’homme qui se tenait devant moi. Plus grand d’une bonne trentaine de centimètres je dû lever la tête afin de distinguer l’homme qui avait créé ce tapage. Et tandis qu’il s’approchait une ombre s’abattit soudain sur toute la surface de l’étal, sa haute stature faisant barrage aux lueurs du soleil pourtant à son apogée. Je n’aperçus pas son visage, dissimulé sous un large chapeau de paille légèrement conique. Je notais toutefois une haute et large stature, refermant sans nul doute un corps athlétique et entraîné. Je me désintéressa vite de l’étranger, dardant mon regard sur celui du marchand qui semblait m’avoir oublié.
"Je dégage moins de stimuli que l'étalage de ton échoppe, est-ce ma faute si les gens ne savent tourner leur attention sur l'essentiel?"
La voix semblait sortir du grand chapeau de paille. Je ne pouvais être plus d’accord. Les gens pouvaient être si facilement distraits que ça en était pénible. La preuve en était. « Et donc, l’essentielle ici présente aimerait bien finaliser sa commande si ces messieurs le veulent bien.»
Dis-je avec une pointe d'humour, les bras en appuis sur l'étal, le regard nonchalamment pointé sur le marchand.
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Rang : Le Vagabond Crédit Avatar : Djamila Knopf Date d'inscription : 29/05/2018 Messages : 383Double Compte : Amko'Unn סּ Rymaïn סּ Braith סּ Eira Liens vers la fiche : . סּSaen Ninn ~ Drôle d'oiseau סּTribulations Envolées Métier : Explorateur & Vagabond Invocation(s) : Ashraï ♪ Tusàra ♪ Inventaire : סּCollier avec l'écaille
de Pru'ha סּLarge chapeau tressé
solidement ꔹꔹꔹꔹꔹꔹꔹꔹꔹꔹꔹꔹꔹꔹꔹꔹꔹꔹꔹꔹꔹꔹꔹ ▼ Sac sans fond ▼ 1155 Ŧ.
La voix qui retenti à ses côtés le tira aussitôt de son questionnement existentiel, tandis qu'il tâchait d'y mettre du sens tout en obliquant le fief vers la droite et... Quelques bons centimètres plus bas. Une jeune femme, dont il ne percevait guère plus que la chevelure ébène, venait de prendre appui sur l'étal afin de s'adresser au marchand. De toute évidence, il venait d'interrompre ses affaires avec le vendeur. Bien que ce dernier ait pris le temps de s'adresser à Saen entre les deux, ah! Mais pourquoi l'embrouiller? L'homme au chapeau s'adressa à la cliente qui le précédait. S'il avait formulé une excuse sincère dans son esprit, c'est cependant sa curiosité et sa naïveté qui la devancèrent lorsqu'il questionna avec entrain.
"Oh! C'est vôtre nom? Vous avez aussi un qualificatif? J'ai rencontré un enfant divin qui portait également un nom de la sorte autrefois. Un très beau loup bleu qui mangeait la lune!" Il sourit intérieurement au souvenir de la rencontre avec Slavko, sans vraiment se préoccuper de l'impact de ses propos. Il n'avait pas saisit l'humour, mais pris au pied de la lettre ce que la jeune femme disait. Bref... Saen.
Revenant soudain à sa formulation initiale, comme s'il sautait du dulcius à l'oboro, il s'écarta pour s'incliner brièvement en avant dans un geste souple. "Pardon! Je n'ai pas réalisé que vous aviez la priorité. Je peux vous offrir quelque-chose pour m'excuser?" Acheva-t-il en se relevant et en parcourant à nouveau l'étal des yeux avant de les poser sur le marchand, une étincelle dans le regard. "En fait, je vais payer sa commande et prendre la même chose, cela me fera quelques surprises!" Il retira une petite bourse de cuir du sac sans fond qu'il portait et donna au marchand le montant demandé une fois qu'il les eut servi tous les deux non sans lever les yeux au ciel. Son regard brun orangé se posa à nouveau sur la jeune femme, accompagné d'un sourire. Elle n'était pas originaire du village, sinon il la connaîtrait, ne serait-ce que de vue. Il ouvrit la bouche, prêt à lui proposer de l'accompagner pour déguster leur récentes acquisitions, puis la referma en réalisant qu'elle n'avait probablement pas que ça à faire.
Puis, il la rouvrit tout de même -non pas qu'il devait probablement avoir l'air bête, mais ce ne serait guère la première fois, et cela l'importait peu- par ailleurs, il devait faire des efforts. Que son retour à la vie normale s'entame par une nouvelle découverte relationnelle ne pouvait guère lui faire de tort, n'est-ce pas? Un peu perdu dans ses pensées il dit avec un temps de retard et un air étrangement détaché.
"Vous n'êtes pas d'ici, vous voyagez? On pourrait manger ensemble si ça vous dit?"
Que penser de ce grand homme qui se tenait devant moi ? Ma première impression fut celle d’un homme détaché et dénué d’inhibition. Au contraire de ce que le vendeur croyait, il s’était présenté face à l’étal sans un regard pour l’effet que cela pourrait causer alentours et avait poursuivit sur le même ton face à mon intervention :
"Oh! C'est vôtre nom? Vous avez aussi un qualificatif? J'ai rencontré un enfant divin qui portait également un nom de la sorte autrefois. Un très beau loup bleu qui mangeait la lune!"
Pardon! Je n'ai pas réalisé que vous aviez la priorité. Je peux vous offrir quelque-chose pour m'excuser?"
"En fait, je vais payer sa commande et prendre la même chose, cela me fera quelques surprises!"
"Vous n'êtes pas d'ici, vous voyagez? On pourrait manger ensemble si ça vous dit?"
Ma seconde impression fut qu’il était décidément bien bavard. Il avait débité toutes ses questions d’une traite, bien que parcellement interrompues par quelques mimiques faciales amusantes.
Tout en gardant le silence je tendis le bras pour accepter le petit sac pleins de sucreries qu’il me tendait. J’observais quelques instants ce grand homme en face de moi. Qui pouvait-il bien être ? Et que pouvais bien signifier cet accueil amical ? Mon corps était toujours fourbu de douleur et ne tarissais pas de m’exhorter au repos. Mais mon esprit s’était éveillé. Ce personnage m’intriguais. Quelque chose d’étrange et d’insaisissable émanait de lui. Il ne m’en fallait guère plus. Il faut dire que j’avais la fâcheuse manie de vouloir observer et sonder l’âme humaine quand elle me semblait intéressante. Et pour sûr, des personnes tel que celui qui se présentait devant moi, je n’en avais pas rencontré foule.
Et puis, après ces dures heures passées au temple, j’avais bien mérité un peu de repos, et peut être qu’un peu d’exercice d’amicalité me ferait du bien. Il fallait bien reconnaître que ce n’était pas mon fort. Je savais être cordiale, mais amicale était une autre paire de manche. D’ailleurs peut être ce grand homme regretterais très vite sa proposition. Mais je me défia de faire de mon mieux.
Ainsi, après avoir jeté un œil circonspect à l’homme qui se tenait devant moi et avoir pris quelques précieuses secondes pour l’observer d’un peu plus près. Je lui répondit sur le même ton amical :
« On respire. Et on reprend depuis le début. »
Je me tourna face à lui, une main toujours sur la hanche et ma deuxième main n’ayant pas quitté le comptoir de l’étal. Mes sourcils légèrement froncés et mon visage barré par un léger sourire dans une moue amusée.
Non ce n’est pas mon nom. Toutefois l’idée de s’attribuer un qualificatif me semble amusant. Je ne saurais dire si essentiel serait le qualificatif le plus juste mais sentez vous libre de m’appeler de la façon qui vous sied le mieux. Je vous remercie pour la commande, je suis votre obligée. Comptez sur moi pour vous rendre l’appareil à l’occasion. Effectivement, je ne suis pas d’ici, je suis de voyage pour une courte durée. J’accepte votre invitation, j’espère que ces sucreries seront à votre goût. Cela répond-il à vos questions Monsieur du chapeau ? »
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Après l'avoir observé un instant, la jeune femme pris la parole. Sa première phrase l'interloqua. Pourquoi respirer? Cela ne se faisait pas sur commande mais naturellement! Et s'ils s'étaient abstenu, depuis le temps, ils ne seraient plus là pour bavarder ainsi. Empêtré dans une réflexion aussi profondément superficielle, Saen se raccrocha à la seconde partie de son cerveau qui suivait le fil des propos de la jeune personne s'étant tournée complètement dans sa direction. D'abord hésitant, il s'abstint de l'interrompre, constatant qu'elle n'avait pas terminé, puis son esprit compartimenta l'ensemble des données reçues et y répondit dans l'ordre le plus important à ses yeux.
"Non, ne voyez là aucune obligeance. C'est un cadeau!" Le dernier mot tomba simplement comme une évidence, sans aucun commentaire à la suite. Un mot qui, à ses yeux, se suffisait à lui même, un acte purement désintéressé. Même si la plupart des actes posés par Saen l'étaient, du moins d'un point de vue conscient. En soi, le simple fait de désirer faire plaisir à autrui, procure nécessairement une réponse à ce désir -qui est sien- lorsqu'on le fait, et donc revête un côté personnel. Mais le jeune homme était bien trop loin de telles pensées qu'on pouvait presque le croire détaché de lui même dans sa générosité. Enfin, soit... L'heure n'était pas à la philosophie.
"Elles le seront, assurément!" Affirma-t-il dans un sourire, revenant aux friandises qui attendaient patiemment dans sa main. Rares étaient les choses déplaisantes à son goût et grande s'avérait la joie de découvrir de nouvelles sensations gustatives. Souvent, il s'y abandonnait, comme pour beaucoup d'autres choses. Saisir avec patience, toute les nuances d'une saveur qui glissait sur sa langue et envahissait ses papilles, au point de se couper du monde alentours, tant le plaisir éprouvé l'imprégnait avec force.
L'appellation était une toute autre histoire, mais l'allusion à son chapeau lui tira un autre sourire alors qu'il portait une main au bord de ce dernier. Être qualifié par cet objet lui procura une satisfaction particulière. Car il ne s'agissait pas que de son chapeau, mais celui de maître Libaung. C'était un souvenir extrêmement précieux, y être associé de façon aussi directe le rendait... Heureux. Oui. Et cela faisait du bien. Mais comment allait-il nommer cette jeune femme au grand regard sombre, qui pourtant sembler briller d'un éclat certain? Sa maladresse pouvait faire beaucoup de dégâts et la question lui paraissait un peu trop épineuse. Pourtant, ne lui avait-elle pas dit de se sentir libre à cet égard? Il hocha la tête, le regard amusé et pétillant.
"Et bien, tout cela répond parfaitement à mes questions, Mademoiselle sucreries." Elle semblait aimer cela, après tout, peut-être n'y trouverait elle aucun désagrément? Il obliqua et entreprit de se diriger doucement vers les rues qui sinuaient dans le village, au dessus de la houle légère berçant les flots. S'assurant au passage qu'elle le suivait. "Je connais un endroit agréable pour s'installer confortablement!" Dit-il avec entrain, l'emmenant près d'un petit pont entre deux îlots de bâtiments. Il leva le doigt en l'air avec un air mystérieux, puis accrocha son sachet de sucreries à sa ceinture, avant de poser le pied sur un le haut d'un pieu fiché dans la mer quelques bons mètres plus bas. Une grosse caisse derrière une petit baraque fut sa prochaine destination et, de là, il tendit une main à la demoiselle qui l'accompagnait pour l'aider à grimper.
Quelques secondes suffirent pour qu'ils se retrouvent sur les rondins d'un toit plat, donnant sur l'horizon bleuté et infini de la mer. Saen s'assit en tailleur et fit glisser son chapeau dans sa nuque, tout en décrochant son sachet. Il ouvrit ce dernier, libérant parmi les embruns salés une touche sucrée et autrement enivrante. Il inspira pleinement en fermant les yeux. Il aurait pu rester là indéfiniment, dans le silence propre au paysage, jouissant du simple plaisir de partager une vue apaisante et des sucreries appétissantes. Seulement, son peu d'instinct social l'incitait à parler, de peur de paraître étrange en demeurant silencieux."D'où viens-tu, dis-moi?"
"Non, ne voyez là aucune obligeance. C'est un cadeau!" Répondit l’homme au grand chapeau. Puis il ajouta : "Elles le seront, assurément!"
Tandis qu’il prononçait ses mots, j’en profitais pour l’observer plus en détail. À vue de nez il devait bien mesurer dans les 1m80. Cela pouvait paraître étrange mais quand on le découvrait on se surprendrais presque à l’imaginer bien plus grand. Il l’était déjà bien assez vous allez me dire. Mais de part sa silhouette fine et élancé il donnait l’impression de pouvoir dominer jusqu’aux nuages. Sous les larges tissus aux teintes beiges et brunes qu’il arborait on pouvait distinguer une masse musculaire bien entretenue. Il ne fallait pas s’y laisser prendre. Manifestement, derrière son apparente nonchalance il se cachait une personne bien entraînée. Étrangement, cette découverte rajoutais à ma curiosité. Enfin, bien dissimulé derrière son chapeau on pouvait distinguer un léger éclat orangé dans lesquels on pouvait apercevoir une légère pointe de malice lorsqu’il souriait. Visiblement, le petit sobriquet dont je m’étais hasardé à lui attribuer avait fait mouche pour une quelconque raison. En somme, un être au comportement curieux mais d’apparence discrète dans laquelle, si on n’y prenait pas garde, on pouvait aisément se laisser tromper. Toute à mes observations je le laissais poursuivre. "Et bien, tout cela répond parfaitement à mes questions, Mademoiselle sucreries."
Un prêté pour un rendu. Pensais-je en souriant intérieurement.
"Je connais un endroit agréable pour s'installer confortablement!"
D’humeur docile, je me laissais guider à travers les rues pavés d’Heilan. Je connaissais particulièrement bien le village, pour m’y arrêter régulièrement, j’étais curieuse de voir quel endroit cet étrange individu allait choisir. Près du port ? Dans un jardin ? Ou bien encore chez lui ? Je pouvait tout imaginer. Non pas que cela me préoccupais particulièrement en vérité, je connaissais suffisamment bien le village pour avancer sans risque. En plus, j’étais maintenant affublée d’un immense dragon qui n’hésiterais pas une seule seconde à raser le village s’il le fallait. Ça ne serait bien évidemment d’aucune utilité, je savais depuis longtemps me défendre. Et puis, je tenais beaucoup trop à mes précieuses sucreries pour avoir recours à une telle extrémité. Mais il était étrangement amusant de prendre conscience que j’avais maintenant un tel gardien à mes côtés.
Finalement, il m’amena entre deux bâtiments, situés prés d’un petit pont lui-même entre deux îlots de bâtiments. Il prit soudainement un air mystérieux et m’indiqua les hauteurs avec son index. Je le suivis des yeux puis je le vis accrocher le petit sachet de sucreries à sa ceinture pour ensuite poser le pied sur le haut d’un pieu fiché dans la mer. Il prit ensuite appui sur une grosse caisse et eût l’initiative de me tendre la main. J’avisais quelques instants cette main, sceptique. Devais-je la prendre ? La politesse l’exigeait, c’était ce qui était communément attendu, notamment lorsque l’on était une femme. Mais je n’aimais pas ça. Dans ma tribu, cette coutume n’existait pas. Et autant j’avais pu abandonner certains réflexes bien volontiers que celle-ci me menait la vie dure. Il était rare que j’accepte de l’aide de quiconque si cela n’était pas nécessaire. Si j’en avais la capacité et l’opportunité, j’aimais faire les choses par moi-même. Aussi, je déclina l’offre poliment d’un léger geste de la tête tout en lui offrant un sourire de circonstance pour lui montrer que j’appréciais l’attention. Puis j’entamais moi-même l’escalade. Il ne nous suffirent que de quelques secondes pour arriver sur les rondins d’un toit plat. À cette hauteur, on pouvait apercevoir l’horizon de la mer qui nous renvoyais ses reflets bleutés. Le monsieur au chapeau s’assit en premier et tira une première sucrerie du sachet. Je resta un moment a admirer la vue, m’imprégnant des embruns salés qui remontaient joyeusement de l’eau. J’aimais cette vue. Je le remercia intérieurement pour ce choix. Je l’entendis inspirer profondément et observer quelques instants de silence. Je souris. Ce ne devait pas être un de ces insupportables bavards qui ne pouvaient tolérer le silence. Peut être même pourrait-il être de ceux, comme moi, qui aimaient prendre le temps pour chaque chose. Interrompant mes pensées le monsieur au chapeau pris soudainement la parole :
"D'où viens-tu, dis-moi?"
Je ne répondis pas tout de suite. J’avais l’habitude de cette question, c’était celle que l’on destinait généralement aux étrangers. Et j’étais régulièrement de ces étrangers qui visitaient villes après villes, villages après villages, contrées après contrées. Bien évidemment, j’avais déjà une de ses réponses toutes faites qui ne trahirait pas le secret de ma tribu. Mais à chaque fois je ne pouvais m’empêcher de marquer une hésitation et d’offrir une pensée à ceux qui avaient été jadis ma famille. Il me semblait alors contempler la vie de quelqu’un d’autre tant tout était différent aujourd’hui. Mais cette fois, je marqua un silence différent. Ma journée avait été tellement étrange, tellement inhabituelle que j’eus soudainement l’envie de quelque chose de nouveau. D’une petite blague peut être ? Je maniais difficilement l’humour, aussi, il s’agissait d’un pari risqué. Mais pourquoi pas. Après tout, rien qu’en quelques heures j’avais déjà dérogé à mes plus anciennes habitudes, je n’en étais pas à une près. Aussi, après m’être étiré des muscles beaucoup trop endoloris pour être en forme, je tourna mon regard vers lui, et, avec un sourire aussi gauche que sincère je répondis :
« Du ventre de ma mère, et toi ? »
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La question fut suivie d'un léger silence et Saen se demanda un instant s'il n'avait pas déjà trop parlé, en parlant si peu. Se taire c'était pas mal dans son cas tout de même, il aurait du y réfléchir. Puis, un sourire accompagna une réponse simple, aussi simple qu'évidente en vérité. Saen débita avec un étrange aplomb. "Ah ! Oui, c'est évident." Bien que ce n'était guère ce qui avait porté sa curiosité, cela n'en demeurait pas moins exact. Pourquoi n'y avait-il pas songé lui même, d'ailleurs ? Son regard se reporta sur l'horizon alors qu'il répondait d'une voix mal mesurée. "Et bien oui, moi aussi. Je suppose, ahah." Une réalité peut-être physique et biologique indéniable, mais qui manquait cruellement de consistance mentale pour lui... Après tout... Sa main se porta à la boucle qui ornait son oreille mutilée, pour jouer avec, comme s'il tâchait de focaliser son attention en d'autres lieux. Ou en d'autres temps, peut-être? Peut-être pas...
"Je ne connais pas mes parents." La phrase tomba si brusquement qu'il ne réalisait pas vraiment l'avoir prononcée, ni ne savait pourquoi. Avait-il jamais fait écho à cette béance dans sa vie à qui que ce soit ? Une béance... La simple réflexion donna corps à ce réel dont il prenait à l'instant conscience. Le regard éperdu il revint sur la petite friandise entre ses doigts avant de la lancer négligemment en l'air pour venir l'attraper avec sa bouche. La saveur qui se répandait sur sa langue le fit reprendre le fil de pensées plus immédiates et particulièrement agréables. Il se tourna vers la jeune femme en souriant et en savourant le petit aliment qui fondait sur ses papilles. "C'est délicieux ! Celle-ci me fait penser aux Rayons de Miel..." Il sembla réfléchir l'espace d'une seconde avant d'ajouter. "...Avec une pointe un rien acide, du Raphanos sans doute!"
L'orangé de ses prunelles détailla la jeune femme assise près de lui, maintenant qu'elle se trouvait plus proche et que l'atmosphère environnante s'avérait moins étouffante qu'au creux de la foule du village. Sa peau semblait imprégnée par le soleil, tout comme la sienne, ce qui offrait un mélange particulier, un léger contraste avec les traits parfois plutôt jeunes qui transparaissent sur son visage. Saen retrouvait l'écho de son propre sourire dans son regard éveillé, bien que le sien brillait un peu moins ces derniers temps. Son esprit se détacha aussitôt de telles pensées pour s'offrir à l'instant et l'automne de ses iris vint se plonger dans l'infini de l'océan. "Qu'est-ce qu'il y a au delà des mers, à ton avis? J'aimerais tellement quitter l'île pour le découvrir parfois..."
Une seconde friandises traversa ses lèvres avides et il la dégusta avec le même ravissement que la précédente. Ses mains détachèrent ensuite le lien de son chapeau qu'il posa à ses côtés, puis il extirpa de son sac sans fond une couverture. Roulée en boule, elle finit sur le toit derrière lui et il s'allongea en croisant les mains dans sa nuque, appuyant sa tête sur le tissu afin de toujours percevoir le calme bleuté devant eux. Sans attendre de retour particulier, il laissa ses sens et ses envies s'exprimer avec le calme et la sérénité qui le caractérisait si souvent.
"L'éternité manque aux humains pour explorer l'infini du monde... Mais je suis heureux de pouvoir goûter pleinement à la richesse contenue dans l'ici et le maintenant." Il se sentait particulièrement à l'aise en cet instant. Non pas qu'il avait l'habitude d'être gêné en temps normal, car il suivait le cours de sa vie sans être affecté par les comportements qu'autrui avait à son égard. Mais depuis son retour d'un isolation volontaire récente, il craignait tout de même que la présence des autres devienne un poids dont il n'avait jamais eut à se soucier auparavant. Jamy ne lui inspirait pas ce sentiment, et l'instinct de Saen percevait, avec un certain plaisir, un degré élevé d'empathie ou de compréhension émanant d'elle.
Je laissa tomber la fin de ma phrase avec aplomb. Puis, tout de suite après, la gêne. Que me restait-il à faire à présent ? Pendant quelques secondes, je me sentis gauche, mal à l’aise. Je laissa mes bras retomber. Puis je me gratta la tête. Et enfin, je les mis derrière le dos en fixant la mer, l’oreille attentive.
"Ah ! Oui, c'est évident."
Déclara le Monsieur au chapeau. Mon corps se détendi. "Et bien oui, moi aussi. Je suppose, ahah."
Silence. Mon corps frémi. À force d’observation j’avais appris à interpréter les silences.. Et celui-là ne me disait rien qui vaille. "Je ne connais pas mes parents."
Un frisson parcouru mon corps. C’était un fait avéré. Je n’étais décidément pas très habile en blague. La voix du Monsieur au chapeau me paru soudainement lointaine. Perdue dans mes pensées il ne me sembla entendre plus que quelques bribes de conversation :
"... délicieux ! … me fait …. Rayons de Miel..." "...Avec ... un rien acide, …. sans doute!"
C’était évident. Comment j’avais fait pour ne pas y penser, cela faisait partie des sujets qui pouvaient être sensibles chez mes semblables. En fait, beaucoup de sujets l’étaient… J’eus brusquement envie de pousser un profond soupir. Comment mes congénères faisaient pour manier « la plaisanterie » ? Heureusement que cela ne faisait pas partie des aptitudes évaluées dans ma tribu. On y plaisantait rarement. Le temps était réservé aux entraînements, à la réflexion, au bon fonctionnement de la vie en communauté, et surtout, à la pénitence. Et tout comme ici, il y était difficile de tenter quelques plaisanteries, même si la bas la raison était que cela était perçu comme de l’étroitesse d’esprit.
"Qu'est-ce… au delà des mers … ? J'aimerais … quitter l'île ... parfois…"
L’homme au chapeau avait dit ne pas connaître ses parents. Et à son intonation, on pouvait sentir que cela n’était pas une information à prendre à la légère. Sa voix était devenue rauque et avait pris une teinte plus profonde encore. Comment pouvais-je rebondir maintenant ? Est ce que je devais m’excuser ? Ou ne rien dire ? Je me mis à l’observer. Il venait de porter une friandise à ses lèvres. Ses yeux se mirent à briller. Au moins, mes sucreries semblaient à son goût. Au contraire de mon humour. Avec calme, il avait sorti une couverture de son sac et s’était allongé, les mains croisées sur dans sa nuque.
"L'éternité manque aux humains pour explorer l'infini du monde... Mais je suis heureux de pouvoir goûter pleinement à la richesse contenue dans l'ici et le maintenant."
Que… quoi ? Je resta impassible, mais mon cerveau s’était mis à bouillonner. j’avais du rester un long moment dans mes pensées car je ne compris pas tout de suite comment on avait pu passer de « je ne connais pas mes parents », à cette tirade teintée de philosophie. Au prix d’un effort je réussi à reconstituer partiellement ce que venait de me délivrer l’homme au chapeau. Il m’arrivait souvent de me perdre dans mes pensées lors d’une discussion, et cela m’avait apporté des ennuis à plus d’un titre. Je me rappela donc à l’ordre pour la millième fois. Ça suffit les discours intérieur ! Heureusement que j’avais mon livre, je pourrais reconstituer l’échange plus tard. Et il était certain que je le ferais.
De toute évidence, même si ma blague n’avait pas été à proprement parlé « appropriée », il ne m’en avait pas tenu rigueur pour autant. Toutefois, il me sembla juste d’y revenir. En partie parce qu’à cause de ça, je n’avais pas pu être aussi attentive que je l’aurais souhaité. « Veuillez m’excuser. Pour ma part je n’ai pas non plus connu mes parents, mais le fait que je n’en souffre pas particulièrement, et ma méconnaissance en habilités sociales m’amènent souvent à oublier que ce n’est pas forcément le cas pour tout ceux que cette perte a touché. »
« Je suis ravie que ses sucreries vous plaisent. Pour tout vous avouer, ce sont mes péchés mignon. »
Lors d’un de mes voyages j’avais appris que pour alléger l’atmosphère, il était bon de faire des confidences. Bon, d’accord, il ne s’agissait pas ici d’un gros secret, mais mon pour ma part c’était déjà bien. Reste à voir si cela allait suffire pour m’excuser de mon impair…
Avant de reprendre, je pris quelques instants pour méditer sur les derniers propos du monsieur au chapeau. Je me mis à imaginer l’éternité. Une éternité pendant laquelle je pourrais explorer à loisir. Ou je ne serais ni limité par le temps ni par l’espace. Oui, l’instant présent était plein de richesses….
« Mais qu’il serait bon de jouir de l’éternité pour explorer un monde si imprégné de mystère. »
Dis-je à voix haute s’en m’en rendre compte.
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Le regard un peu perdu sur les vagues et des élans aventureux plein la tête, Saen eut un temps de retard dans la compréhension des excuses qui lui étaient adressé. Les mots se faufilèrent sous son crâne pour y prendre sens alors qu'il obliquait du fief vers la demoiselle aux sucreries. Une barre de perplexité vint se dessiner sur son front, se transforma en étonnement, puis il arbora un sourire bienveillant. "Oh, ne t'excuses pas ainsi. Je ne souffre guère de la chose, ne les ayant pas connu, je ne les ai pas vraiment perdu non plus, en toute logique." Simplement, il n'y avait jamais songé. Et c'est suite aux propos de la jeune femme que sa pensée modelait maintenant des interrogations et des réflexions s'articulant autour de la chose.
Cependant, le flou persistait. À part ce réel énoncé plus tôt car seulement conscientisé à l'instant : il n'en souffrait pas. Sa curiosité naturelle aurait pu venir taquiner cet aspect de son histoire, mais étrangement, elle ne le faisait pas. Une sorte de barrage psychique dont Saen ignorait l'existence entourait ce fait. Si bien que ce dernier replongea aussitôt dans les limbes de son subconscient. Revenant à des détails plus actuels, l'orange de ses prunelles revint côtoyer le bleu de l'océan.
Un ton amusé se glissa dans sa voix. "Je doute que mes habiletés sociales soient des plus efficaces, haha. Alors, surtout, ne te préoccupes de rien. Je saisi le monde tel qu'il se présente... Et chaque être vivant qui le compose également. Je ne suis dans l'esprit de personne et inversement. Ma pensée n'interprète aucunement, elle reçoit tout avec ce degré d'incertitude et de compréhension à l'égard de l'inconnu qui me semble nécessaire et bienveillant." Et en général on ne le comprenait pas vraiment voire pas du tout dans ses attitudes. Pourtant, entre la perplexité et la réticence, il lui arrivait de déceler chez autrui l'apaisement ou le soulagement face à son comportement. Décidément, l'humain demeurait fascinant à bien des égards.
Son vis-à-vis ne faisait clairement pas exception. Surpris, les iris de Saen se posèrent sur le petit sachet de bonbons, puis sur le visage aux grand yeux foncés de la jeune femme avec curiosité. "Cest quoi, un pêché mignon ?" demanda-t-il bêtement mais avec intérêt. Avant de songer dans un autre coin de son esprit à l'écho qu'elle lui avait offert plus tôt au sujet de l'éternité et des mystères du monde.
Oui, cela serait agréable. D'autant qu'une telle perspective lui permettrait d'offrir à ses compagnons divins une liberté éternelle... Le temps de découvrir, de s'ouvrir, de transformer la rancune et la colère accumulées parfois depuis des siècles. Pru'ha serait également plus que ravie de bénéficier d'une telle marge de liberté pour ses recherches et son appétit intellectuel. Il se redressa et posa ses bras sur ses genoux, les jambes un rien repliées.
"Arcane est une île emplie de mystères comme de dangers. Voudrais-tu la parcourir avec moi ?" Quelle étrange demande. Il se fit lui même la réflexion à peine était-elle sortie de sa bouche et se gratta le menton avec un air dubitatif.
Comme cela avait été le cas dès les premiers instants de leur rencontre, les réponses de ce mystérieux homme au chapeau me surprirent à nouveau. Quelle étrange personnage j’avais sous les yeux. Peut être aussi étrange que je l’étais moi-même. Même si de mon côté je m’employais avec un succès tout relatif à le dissimuler. Le côté positif des choses c’est qu’il n’y avait eu finalement pas lieu de s’inquiéter pour mon impair. Il ne semblait guère s’en soucier. Mais tout de même, me dis-je à moi-même, c’est une leçon que je retiendrais à l’avenir. D’autres en auraient peut être été affectés. Il valait mieux ne plus se risquer à de telles plaisanteries. Une pointe de lassitude m’envahit à nouveau. À chaque nouvelle personne rencontrée exigeait une nouvelle gymnastique mentale… une nouvelle culture, de nouveaux sens, un nouveau langage… tant de choses à prendre en compte…
Au prix d’un effort je me concentrais à nouveau sur mon interlocuteur.
"Je doute que mes habiletés sociales soient des plus efficaces, haha. Alors, surtout, ne te préoccupes de rien. Je saisi le monde tel qu'il se présente... Et chaque être vivant qui le compose également. Je ne suis dans l'esprit de personne et inversement. Ma pensée n'interprète aucunement, elle reçoit tout avec ce degré d'incertitude et de compréhension à l'égard de l'inconnu qui me semble nécessaire et bienveillant."
A cet énoncé je me surpris à sourire. Décidément, on ne pouvait être plus différent. S’il était de ce qui composait le monde on aurait pu le penser semblable à l’air. Insouciant, léger, insaisissable, imperméable au monde. Pour ma part j’aurais d’avantage été semblable à l’eau. Complexe, tourbillonnant, dans une recherche perpétuelle. C’était comme si mon esprit s’agitait tout autant que le sien restait calme. Moi je voulais m’insinuer dans le monde, en imprégner chaque détails, chaque mystère, comme l’eau qui s’infiltre dans la terre, dans chaque fissure. Lui, était comme un courant d’air, ne faisant que frôler le monde et ses habitants, jamais entravé dans sa liberté. Je fermais les yeux quelques secondes. Comment cela serait d’être pareil à la brise ? Le mystérieux homme au chapeau poursuivit : "C’est quoi, un pêché mignon ?" Un silence. "Arcane est une île emplie de mystères comme de dangers. Voudrais-tu la parcourir avec moi ?"
Toujours les yeux clos, je souris à nouveau. Finalement, il devait en tournoyer des choses dans son esprit. Si on se fiait uniquement aux mots, on aurait pu le croire complètement hors sujet. Et même s’en agacer. Mais si on se laissait flotter au grès du vent, aux grès de ses idées, ça en devenait amusant. On perdait le sens commun, le sens des choses. Le ton pouvait être tour à tour sérieux, questionnant, ingénu, philosophique, curieux. En somme : imprévisible. J’ouvris les yeux. Une étincelle y apparu subrepticement. Intéressant.
« Nous avons au moins cela en commun. Pour le reste... Enfin, on verra bien.»
Écoutant mes muscles endoloris je m’assis à quelques pas de l’homme au chapeau. Ni trop en face, ni trop sur le côté, gardant un œil sur l’horizon.
« Un pêché mignon c’est une expression qui vient du mot « pêché » qui symbolise en acte volontaire allant à l’encontre de la loi divine. Quant on l’associe au mot « mignon » cela veut dire qu’il s’agit d’un acte sans gravité, léger, qui peut même être parfois amusant ou touchant. Comme ici la gourmandise. Dans ce cas précis, cela signifie que je ne peux résister à ces petites friandises sans que cela soit raisonné ou logique avec un quelconque intérêt nutritif. »
Je pris quelques instants pour réfléchir à ma prochaine réponse. Parcourir arcane avec cet homme ? J’avais déjà cassé grandement mes habitudes en prenant Tahimo à mes côtés… Je sentis mes muscles se tendre d’anxiété. Être accompagné d’une invocation était une chose, mais d’un humain en était une autre. Je réfléchi à toute vitesse. Il y avait beaucoup de critères à prendre en compte. 1. pouvais je lui faire confiance 2. quelles étaient ses aspirations 3. quel type de voyageur était-il 4. avait il lui même une invocation 5. pensait il à long ou court terme 6. serait il en accord avec ma propre destination 7. me ralentirait-il 8. comment le vivrait Tahimo 9. en avais je envie …. et mille et unes autre question. Non. Ce n’était certainement pas une question à prendre à la légère. Il me fallait davantage d’informations avant de me prononcer. Très bien. Allons le tester.
« Pour quelle raison souhaites-tu m’accompagner ? »
Je ne souriais plus. L’air sérieux, l’oreille attentive, j’attendis sa réponse.
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Si une part de sa concentration était tournée vers cette réponse en devenir, d'autres bribes s’égayaient à décortiquer une phrase restée en suspens dans son esprit. 'Nous avons au moins cela en commun' ... Quelle étrange formulation. Pourquoi, "au moins"? Même s'il n'y avait rien de commun, serait-ce un problème, de quelle façon? Son front se plissa à cette interrogation, tandis que son oreille se tendait à l'écoute d'une explication portée à sa demande. Quelle particulière expression, il existe donc des lois divines? Ont-elles un rapport quelconque avec la magie qui circule sur Arcane et les Quatre, ou leurs enfants? Mmm... Mignon reste un autre terme qui lui échappe un rien. Il ne l'utilise guère souvent. Cela dit, les liens tracés par l'explication posée et décortiquée de la jeune femme lui permettent de saisir l'idée globale. Ces derniers mots le font rire de bon coeur.
"Hahaha. Dans ce cas, je dois avoir beaucoup de pêchés mignons! En tout cas... Merci pour cet éclaircissement détaillé." Là dessus, il se servit allègrement dans son petit sachet et dégusta un bonbon à la robe turquoise, strié de mauve, avec un plaisir perceptible. Le silence était revenu, mais les traits de sa compagne de pêchés laissaient presque imperceptiblement deviner une réflexion. Puis la question tomba et Saen s'interrompit après avoir pioché une autre friandise, qu'il s’apprêtait à enfourner. L'air un peu bêta, avec sa main en l'air et sa bouche ouverte, il fixa momentanément l'objet coincé entre ses doigts, avant de baisser le coude et plonger ses prunelles orangées dans le brun de celles de son vis à vis.
"Je ne sais pas. Cela m'a traversé simplement l'esprit. Par envie, je présume?" Il faisait rarement quoi que ce soit si ce n'était motivé par le désir pur et simple. Un désir innocent et porté par son instinct, bien souvent. Par conséquent, une explication s'avérait soudain compliquée. Son cerveau embraya sur un tas d'autres choses, concernant sa situation actuelle et ses potentielles envies ou encore possibles objectifs... Où en était-il? Que souhaitait-il? Le vide qu'il avait laissé derrière lui l'espace d'un moment agréable s'insinua avec malice dans chaque fibre de sa chair pour y retrouver sa place et son faciès s'assombrit légèrement.
"Ce n'est peut-être pas une proposition très judicieuse, pardonnes-moi. J'ignore un peu où j'en suis et je jette des idées en l'air sans trop réfléchir... Et puis, ce peut être dangereux de voyager avec quelqu'un que nôtre instinct apprécie. Parfois, cela crée des liens, au fond, je ne suis pas certain d'en avoir envie." Comme à son accoutumée, l'abrupte de ses propos lui échappait, et il n'avait conscience de ce que pouvaient transporter de tels mots, alors qu'il tâchait de préserver l'un comme l'autre avec sa rationalité toute personnelle et son tact tout aussi particulier... Absent, donc!
Son esprit se ferma alors brutalement à cette possibilité, pour ouvrir une brèche sur une alternative. Le timbre redevenu enjoué, il enchaîna simplement. "Plus tard... Cela me plairait tout de même. Lorsque je ne serais plus bousculé par mes propres pensées! Et puis, d'ici là, nous aurons l'occasion d'apprendre à nous connaître d'avantage! Cela te conviendrait-il? Ou te rassurerait?" Un sourire sincère était revenu habiller son visage, il y tenait, mine de rien. Mais il réalisait aussi qu'il n'était pas en mesure de gérer tout cela maintenant.
"Hahaha. Dans ce cas, je dois avoir beaucoup de pêchés mignons! En tout cas... Merci pour cet éclaircissement détaillé."
Avait rétorqué l’homme au chapeau lorsque j’avais tenté une vague définition du « pêché mignon ». En réponse, il apprécia une nouvelles friandise avec une gourmandise non dissimulée. Puis, ma question tomba. Presque comme une pierre qui viendrait troubler le calme de la surface de l’eau. L’oeil attentif, je le vis suspendre son prochain mouvement vers le paquet de friandise qui semblait par ailleurs s’être drastiquement allégé depuis que nous nous étions perché ici. La bouche ouverte, la main obstinément penché en l’air, il semblait fixer le bonbon qu’il tenait entre ses doigts avec une attention minutieuse. Une attention telle, que moi aussi je me surpris un instant à le regarder à mon tour m’attendant presque à quelque apparition. Puis, il baissa son bras. Et plongea ses prunelles orangées dans les miennes.
Je n’ai jamais guerre apprécié que l’on me regarda dans les yeux. Cela venait susciter en moi un malaise incertain que je n’avais jamais sû identifier. Instinctivement, je détourna les yeux.
Sa voix résonna dans le calme environnant : "Je ne sais pas. Cela m'a traversé simplement l'esprit. Par envie, je présume?"
Cela lui ressemblait bien. Je ressentis un vague soulagement.
"Ce n'est peut-être pas une proposition très judicieuse, pardonnes-moi. J'ignore un peu où j'en suis et je jette des idées en l'air sans trop réfléchir... Et puis, ce peut être dangereux de voyager avec quelqu'un que nôtre instinct apprécie. Parfois, cela crée des liens, au fond, je ne suis pas certain d'en avoir envie."
Un léger silence suivit ses propos. Je ferma les yeux et laissa mes idées divaguer. La demande avait surgis, spontanément, librement. Mais visiblement ma question avait remué quelque chose en lui. Ce qui avait changé la mesure de ses propos. Je laissa ses mots s’insinuer dans mon esprit doucement. Un mot retint mon attention, mon esprit s’y arrêta. « Apprécier ». Bien sur, je le connaissais bien. Mais il était d’une valeur qu’il m’avait été toujours été difficile à évaluer. Quand est ce que l’on savait que l’on « appréciait » quelqu’un ? Il m’était déjà arrivé de voir des personnes se retrouver blessés par des liens de ce type, mais pour ma part je ne m’étais jamais assez rapproché de quelqu’un pour ressentir un quelconque danger ou menace. Cet étrange monsieur au chapeau quant à lui, semblait visiblement en avoir fait l’expérience. Mon esprit d’analyse et ma curiosité naturelle voulu l’interroger à ce sujet. Mais j’en avais suffisamment appris sur la nature et la sensibilité humaine pour m’en abstenir. "Plus tard... Cela me plairait tout de même. Lorsque je ne serais plus bousculé par mes propres pensées! Et puis, d'ici là, nous aurons l'occasion d'apprendre à nous connaître d'avantage! Cela te conviendrait-il? Ou te rassurerait?"
Rajouta-t-il sur un ton plus enjoué. J’ouvris les yeux. Un sourire égayait maintenant son visage comme si le trouble qui était apparu dans notre échange n’avait jamais existé. Je baissa les yeux et pris le temps de la réflexion.
De toute évidence, il n’avait pas l’esprit tranquille. Le bon sens me disait de mettre des distances avec ce mystérieux homme au chapeau. Après tout, il y a quelques minutes encore nous n’étions que deux inconnus foulant les mêmes pavés de Heilan. Aucun de nous ne connaissais l’histoire de l’autre. Et manifestement, il n’était pas sans histoire. Ses propos trahissaient un vécu qui avait laissé des marques. J’avais appris à me méfier des personnes qui portaient en eux de trop grandes blessures, cela faisait d’eux des compagnons particulièrement instables. Et il n’en était résulté que des expériences mitigées voir négatives dans lesquels je n’avais été que l’instrument au service de l’expression de leurs souffrances ou de leur frustration. Ce qui mettait à mal mes objectifs. Il suffisait d’un mot. Un mot et nous redeviendrons un inconnu l’un pour l’autre et nous reprendrions notre route chacun de notre côté.
J’eû un un instant d’hésitation. Ma bouche restait obstinément scellée. Des mots que je n’avais jamais eu de mal à prononcer auparavant avaient ici du mal à franchir le seuil de mes lèvres. Cet homme m’intriguait. c’était une évidence. Mais m’intriguait-il assez pour que je prenne le risque de prolonger notre rencontre ? Malgré des blessures manifestes, je devais bien reconnaître que l’attitude nonchalante et spontané de cet homme faisait qu’il n’éveillait en moi aucune once de méfiance. Après tout, instable, il l’était déjà. Et à la lumière de notre échange cela ne semblait pas me déranger outre mesure. Je pouvais même me risquer à dire que cela m'avait amusé. Par ailleurs, la différence qui nous opposais m’intéressait. Il était rare qu’une personne m’intrigue autant.
Prudemment, je décidais de lui laisser une occasion. Une occasion de recroiser ma route un jour, sans obligation. Cela dépendrait de notre volonté à chacun de nous retrouver à nouveau :
« Je compte rester un peu à Heilan, le temps de récupérer un peu. Je prendrais ensuite la route vers Sirk. Je dois y rencontrer quelqu’un. Une invocation au nom de Pru’ha. Je ne connais pas grand-chose à son sujet, mais ma prochaine destination dépendra certainement de ce qu’il résultera de notre rencontre. »
Je me tourna vers lui, l’oeil aussi engageant que j’en fusse capable :
« Je parcours le monde à la recherche de mystères à découvrir. Si un jour il te prend l’envie de me rencontrer à nouveau, il te suffira de chercher des questions restées sans réponses. »
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Rang : Le Vagabond Crédit Avatar : Djamila Knopf Date d'inscription : 29/05/2018 Messages : 383Double Compte : Amko'Unn סּ Rymaïn סּ Braith סּ Eira Liens vers la fiche : . סּSaen Ninn ~ Drôle d'oiseau סּTribulations Envolées Métier : Explorateur & Vagabond Invocation(s) : Ashraï ♪ Tusàra ♪ Inventaire : סּCollier avec l'écaille
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solidement ꔹꔹꔹꔹꔹꔹꔹꔹꔹꔹꔹꔹꔹꔹꔹꔹꔹꔹꔹꔹꔹꔹꔹ ▼ Sac sans fond ▼ 1155 Ŧ.
Malgré le poids pesant de ses précédents propos -bien que lui même n'en avait aucunement conscience- l'atmosphère demeurait empreinte d'une compréhension légère et fluide. Sans doute était-ce là un point qu'il affectionnait chez cette jeune inconnue au grand regard brun. Un regard fuyant, comme il pu le constater à un moment. Il ne s'en souciait guère, les échanges revêtaient de multiples modes et l'important fut qu'ils conviennent à chacun.
Un fin sourire demeura sur ses traits, elle l'écoutait avec patience. Sans commentaire, dénuée de jugement. C'était apaisant. Quant à la suite... Et bien, elle ne semblait pas fermée aux possibles qui s'ouvraient toujours à eux. L'informant de sa destination, il interrompit un instant le fil de ses pensée pour agencer les éléments d'une telle information. Saen se devait de demeurer discret à cet égard, pour le bien-être de l'enfant céleste. Cela dit, connaître ainsi son identité et la rechercher lui octroyait déjà l'accès à une part de connaissances rassurantes. Serein et ravi d'aider il s'exclama après un infime temps de latence.
"Oh ! Je la connais ! Mais elle n'est plus à Sirk depuis quelques temps. Tu la trouveras sûrement à Lüh." Soucieux des détails reçus récemment, il ajouta avec sérieux. "Cependant, elle est connue sous le nom de Prune, en tant qu'humaine, et tient à conserver son anonymat, mais je ne crains rien si c'est toi qui la cherche." Finit-il en souriant et en plissant les yeux. Sa surprise le quitta rapidement pour le plaisir de cette connaissance commune. Puis il jugea bon d'ajouter, un peu perplexe en se se grattant le menton. "J'ignore où elle vit, cependant, il y a une énorme bibliothèque à la capitale, tu pourrais commencer par là."
Son regard se porta sur l'horizon, l'esprit bercé par les derniers mots de son interlocutrice. Comme poussé par la houle qui mène en des lieux inconnus, l'imprévisibilité et la curiosité grisant ses sens. Il pencha le fief sur la gauche un instant, puis rangea son sac de friandises dans une poche avant de se redresser. Il lui adressa un sourire énigmatique, le regard pétillant. "J'aime suivre les empreintes qui recèlent du mystère. J'espère sincèrement que nos routes se croiseront à nouveau." Il remit son large chapeau et vint saisir avec deux doigts le bord de son couvre-chef en inclinant la tête simultanément.
"Merci pour cette bouffée d'oxygène, Mademoiselle sucreries. Je l'emporte pour le reste de la journée." La seconde suivante il s'était éclipsé en passant par les toits environnants, rapidement hors de vue, le coeur étrangement léger, l'esprit tendrement intrigué.
Après un léger silence, l’homme au chapeau s’exclama :
"Oh ! Je la connais ! Mais elle n'est plus à Sirk depuis quelques temps. Tu la trouveras sûrement à Lüh."
Mon corps frémit instantanément à cette nouvelle. Quel étrange hasard. Je souris intérieurement. Moi qui aimait par dessus tout comprendre les phénomènes qui pouvaient interagir dans ce monde, j’avais à nombreuses reprises été l’heureuse témoin de ce genre de phénomène. Et ils avaient, je devais bien l’admettre, grandement participé à la bonne entreprises de mes escapades. Tout plan merveilleusement échafaudé ou fin stratège qu’il soit, c’était bien souvent au creux de hasards et de coïncidences qu’une quête prenait un tournant tout aussi inattendu que décisif. Et cela faisait bien longtemps que je m’étais décidé à les suivre volontiers.
"Cependant, elle est connue sous le nom de Prune, en tant qu'humaine, et tient à conserver son anonymat, mais je ne crains rien si c'est toi qui la cherche."
Je nota intérieurement les propos de l’homme au chapeau. Prune. Humaine. Anonymat. Crains. Je fronçais les sourcils.
"J'ignore où elle vit, cependant, il y a une énorme bibliothèque à la capitale, tu pourrais commencer par là."
L’homme au chapeau marqua un temps de silence et se mit à contempler l’horizon qui s’étendait devant nous. Pensive, je suivi son regard. Mon corps se détendit imperceptiblement, et mon souffle se fit plus distrait. A l’instar de mes pensées qui se rassemblaient à vive allure dans mon esprit. Je fermais les yeux quelques secondes et me plongeais au cœur de mon espace mental pour y ranger soigneusement tout ce que je venais d’entendre. Je décidais d’y revenir lorsque le moment serait plus approprié et mes capacités cognitives plus à propos.
Comme pour me donner raison je senti l’homme bouger derrière mon dos. J’ouvris les yeux et les tournais paresseusement vers l’homme au chapeau qui rangeais ses sucreries et qui se redressait de toute sa hauteur. Il me gratifia d’un étrange sourire, les yeux pétillants, et ajouta :
"J'aime suivre les empreintes qui recèlent du mystère. J'espère sincèrement que nos routes se croiseront à nouveau."
Je me tournais vers lui tandis qu’il remettait son large chapeau. Il en saisit les bords dans un léger mouvement de tête clôturant notre rencontre fortuite.
"Merci pour cette bouffée d'oxygène, Mademoiselle sucreries. Je l'emporte pour le reste de la journée."
Je lui répondis poliment par un même signe de tête et il quitta les rondins du toit sur lequel nous nous étions perchés.
« A bientôt Monsieur au chapeau. »
Murmurais-je dans un souffle, le cœur plus léger et impatient que je n’aurais voulu l’admettre.
Le hasard allait-il de nouveau nous faire rencontrer ?
La vie est une longue suite d'attente. Quand, aujourd'hui, je fais le bilan de ma vie je m’aperçois que j'ai passé un nombre affolant d'heures à simplement attendre quelque chose. Quelle ironie ! Le temps est précieux et ne devrait pas être gâcher pourtant nous le perdons bien trop souvent en ne faisant tout simplement rien, attendant que quelque chose se produise, que la bonne heure arrive. N'est-il pourtant pas possible de meubler cette attente ? Certains s'attaquent à une autre tâche comme la réflexion ou un bricolage d'une importance secondaire à faire, d'autres en profites pour se reposer.
Jamy n'est pas la première à m'avoir libéré : je sais ce qu'est la vie d'un demi-dieu dans ce nouveau monde : obeissance et patience. Même si je possède du temps de manière infinie, il n'est pas toujours facile d'attendre en ne faisant rien, surtout quand celui ou celle qui a le pouvoir de m'être fin à ce moment est un tiers. C'est pourtant la vie qui est la mienne aujourd'hui : accompagner, protéger et attendre là ou on me le demande jusqu'à ce que l'on mette fin à mon attente.
Cette fois ci je l'avais combler de plusieurs façons. Quand Jamy franchira les portes du village, c'est ma voix qu'elle entendra sur sa gauche :
« Ah ! Il semblerait que votre punition touche à sa fin messieurs. »
Jamy me trouvera installé confortablement couché à gauche des portes, tout prêt des gardes, comme elle m'avait quitté... La différence étaient les trois hommes assis sur mes pattes. Ils semblaient extrêmement mal à l'aise, l'un d'eux était même carrément effrayé mais aucun n'osait s'en aller. Les deux gardes étaient plus détendus mais restaient tout de même attentifs. L'un deux semblait même amusé.
« Dan, Hervé mes amis je pense qu'il va être temps de libérer ces trois Hopopop ! »
Au terme « libérér », l'homme qui était visiblement mon prisonnier se leva vivement et fit quelques pas précipités mais ma queue lui barra brusquement le chemin et je le rattrapais d'une patte, le soulevais du sol et le laissais tomber tout près de moi.
« Que ceci vous serve de leçon messieurs. Vous avez eu le temps de réfléchir, j'espère que vous avez employé ce temps correctement. Estimez vous chanceux : si j'étais l'invocation de Dan ou Hervé j'aurais été en droit de vous dévorer. Ne tourmentez plus cet endroit et tout ira bien. Avec vous comprit ? »
Je me penchais à quelques centimètres des trois hommes et insistait jusqu'à obtenir trois acquiescements.
« Bien. Je pense que vous comprenez que je ne vous souhaite pas l'au revoir mais une bonne fin de journée. Vous êtes libre messieurs. »
Celui qui était effrayé se précipita en courant le plus vite possible loin du village. Les deux autres s'éloignèrent en direction des champs.
« J'espère que tu as passée un bon moment Jamy. Nous reprenons la route je suppose ? »
Il était inutile que je me lève : il était préférable que je reste dans cette position si Jamy voulait emprunter la voie des airs...
Cela devait déjà faire plusieurs minutes que le Monsieur au chapeau était parti que je contemplais toujours le fil de l’horizon. Je suivis le soleil jusqu’à ce que ses derniers rayons disparaissent derrière les nuages, laissant place au crépuscule. A ce moment-là seulement je me décidais à amorcer la descente. De retour sur les pavés de Heilan je me mis nonchalamment à avancer vers mon auberge favorite. Pas trop cher, mais confortable.
Je connaissais cette ville par cœur. Au prochain carrefour je tournerais à droite. Dans l'angle, je rencontrerais la façade sombre d'une échoppe tenu par un homme peu scrupuleux et à l'hygiène douteuse. Un peu plus loin, il y aurait la grand place, avec ses habituels occupants. Des voyageurs, des habitants, des aventuriers, s'échangeant ou négociant divers ragots, denrées, et faveurs. Puis je rencontrerai une étroite allée bordée d'habitations. Toutes pourvues de petits balcons auxquels pendaient plantes, linges, et parfois même quelques hommes, espérant peut être échapper à l'agitation du foyer. Je traversais toutes ces rues, l'air absent. Guidée par la familiarité de ce lieu.
Mes pensées s'étaient tues. Ou peut être le semblaient être. Tout comme le blanc semblait dépourvu de couleur alors qu'elle en était la somme, mes pensées me donnaient cette impression de vide, alors qu'elles étaient là, bien vivantes, agitées, frénétiques. Mais trop nombreuses pour qu'on puisse les distinguer. Elles semblaient presque disparaître par l'effet du nombre. J'étais maintenant familière de cette impression. Ainsi, je les laissais défiler sans y prêter attention et décidais d'aller simplement me sustenter et me reposer.
Cette journée prenait finalement fin.
Tahimo. Je me réveillais à cette pensée. Un sentiment d'inconfort m'envahit. Comme lorsque l'on portait subitement un vêtement auquel on n’était pas habitué. On pouvait ainsi se contorsionner dans tous les sens, tirer sur les manches, rajuster le col, remonter le bas, qu'on aurait toujours cette sensation d'étrangeté. Cela n'étais simplement pas nous. Je me relevais à demi et regardais par la fenêtre restée ouverte. Il ne s'agissait pas d'un vêtement. J'aurais beau m'agiter dans tous les sens que cela n'y changerai rien. Je soupirais. Je n'étais plus seule. Quelqu'un m'attendais. À la porte de la ville. De son grand corps bien trop grand pour ces murs. Avec son caractère bien trempé et ses réparties mordantes. Qu'allais-je bien faire d'un compagnon maintenant ? Je le sentais presque dans mon corps. La sensation de ne plus être seul. De ne plus s'appartenir qu'à soi. À partir d'aujourd'hui toutes mes décisions, les directions que j'allais prendre, mes actions, auraient un impact sur un autre que moi. Un autre dont je ne saurais jamais assez distinguer les pensées.
Dans un soucis de respecter mes habitudes je décidais de m'atteler à mes tâches quotidiennes. Entraînement et méditation. Je profitais de ce laps de temps, et de la libération que cela pouvait apporter à mes muscles et mes nerfs en tension, pour poursuivre ma réflexion. J'avais depuis longtemps observé les duo que pouvaient former un humain et son invocation. Elles étaient pour la plupart étranges et complexes. Teintées de solitude, de défiance, et d'incompréhension. Nous ne faisions pas partie du même monde. Nous, humain, n'étions qu'un infime grain de sable perdu dans l'immensité du temps pour ses êtres immortels. Cela rendait difficile une compréhension et un respect mutuel. Trop de douleurs et de trahisons s'étaient écoulées pour que les relations puissent être simplement libres et apaisées. Toutefois, il arrivait qu'une relation de respect mutuel et de complicité puisse naître. Comment cela était possible, cela restait souvent un mystère. Des caractères qui s'accordent, des objectifs en commun, des émotions qui résonnent. Rien ne pouvait être prédéfini. Cela dépendait des efforts que chacun saurait faire pour l'autre. Qu'en serait-il pour moi et Tahimo ? C'était moi qui l'avait libéré. Je devais en prendre la responsabilité. Ce qu'il deviendrait, ce qu'il ressentirait, dépendrait de mes actions. En le libérant j'avais le devoir de respecter les engagements que je lui avais tenu et de ne jamais faire preuve de cruauté. Si cela venait à se produire je m’étais engagée à le renvoyer dans la quiétude de son temple et de ses souvenirs.
Mes ablutions terminées je descendis à l'auberge me sustenter et quérir quelques informations. Cela étant fait, je me dirigeais vers quelques échoppes de ma connaissance afin de me réapprovisionner en vivres, produits de premières nécessité, et de quoi assurer les premiers secours. Puis je me dirigeais à nouveau vers la boutique de sucreries où j'avais rencontré la veille le mystérieux homme au chapeau. Je souris en me rappelant son souvenir et achetais une nouvelle pochette de sucreries.
Toujours engoncée dans ce « vêtement » encore inconnu, je me dirigeais vers la sortie de Heilan. Bien décidée à travailler à le rendre plus confortable.
« Ah ! Il semblerait que votre punition touche à sa fin messieurs ! »
Retenti une voix familière. Je tournais la tête. Je vis Tahimo, confortablement installé, proche de l'endroit où je l'avais quitté. Trois hommes étaient assis sur ses pattes, visiblement pas à leur aise.
« Dan, Hervé mes amis je pense qu'il va être temps de libérer ces trois hopopop ! »
A peine sa phrase terminée qu'un homme s'était précipité hors de ses pattes. Sa course fut vite interrompue par la longue et robuste queue de Tahimo qui lui avait barré la route. Comme un chat s'amusant avec sa proie, il l'avait rattrapé avec sa patte et l'avait fait tomber près de lui :
« Que ceci vous serve de leçon messieurs. Vous avez eu le temps de réfléchir j'espère que vous avez employé ce temps correctement. Estimez vous chanceux : si j'étais l'invocation de Dan ou Hervé j'aurais été en droit de vous dévorer. Ne tourmentez plus cet endroit et tout ira bien. Avez-vous compris ? »
Après avoir obtenu trois acquiescements timides et effrayés, Tahimo poursuivi, l'ai satisfait d'un chat repus :
« Bien. Je pense que vous comprenez que je ne vous souhaite pas l'au revoir mais une bonne fin de journée. Vous êtes libres messieurs. »
Tandis que les hommes se séparaient précipitamment Tahimo se tourna vers moi :
« J'espère que tu as passée un bon moment Jamy. Nous reprenons la route je suppose ? »
J’avais contemplé ce spectacle, d’abord interdite, puis amusée. Ainsi donc Tahimo ne semblait pas s’être ennuyé pendant mon absence. En outre, il m’apparaissait maintenant avec davantage de malice que lors de notre rencontre. Je souris en retour et croisa les bras sur ma poitrine, l’air taquin :
« Je vois que l’on a travaillé son sens de la camaraderie pendant mon absence. »
Je me dirigeais nonchalamment vers lui en faisant un signe de tête aux gardes. Leur confirmant ainsi qu’ils pouvaient reprendre leurs fonctions comme à leur habitude.
« La prochaine fois, essaie d’y aller plus doucement. Je parie qu’ils ont failli se faire dessus de terreur. Et l’odeur de l’urine est difficile à enlever. D’autant plus sur des écailles. Enfin… j’imagine. »
J’attendis que les gardes prennent leur distance et poursuivit, d’un ton plus sérieux :
« Je te remercie de m’avoir attendu. Notre arrêt n’aura pas été vain, j’ai appris ici que Pru’ha ne se trouvait déjà plus à Sirk mais à Lüh. Elle se prénommerait Prune et aurait emprunté une forme humaine pendant son séjour. Je ne sais pas où elle se trouve exactement mais on m’a parlé d’une grand bibliothèque qui aurait pu retenir son attention. Nous pourrions commencer par là. »
Je réfléchis quelques instants.
« Toi qui la connaît mieux que moi, qu’en penses-tu ? »
J'aurais pu simplement me coucher à l'écart et attendre Jamy. J'aurais pu ne rien faire sinon somnoler paisiblement. Je ne craignais pas l'ennui : j'ai appris à le dompter depuis bien longtemps. En revanche je venais tout juste de sortir du temple après au minimum quelques années d'enfermement : ce monde était pour moi à la fois le même et différent. J'ai ainsi profité de l'absence de Jamy pour discuter avec les gardes, écouter les ragots et tester les humains : rien n'avait réellement changé semble t-il mais il était encore trop tôt pour le dire.
Je pouffais de rire quand me libératrice déposa le fait que les humains que j'avais puni auraient pu s'uriner dessus. Comment réagirait-elle si elle savait que c'était le cas ? Le plus effrayé des trois hommes fut si impressionné par mon autorité qu'il en perdit le contrôle de sa vessie, surtout quand il réalisa que les gardes ne chercheraient pas à lui venir en aide. Heureusement, il ne fit que mouiller ses vêtements...
Jamy me confirma que nous allions repartir : elle avait apprit que Pru'ha se trouvait à Luh. Voilà qui ne m'étonnais pas le moins du monde : elle aimait se tenir non loin des puissants et des lieux de savoir. Je répondis tranquillement :
« Une bibliothèque est un foyer pour ma sœur, je pari que tu la trouveras sous métamorphose humaine à une table de travail avec une montagne de livres et que le maître des lieux sera complètement dépassé. Je peux te conduire à Luh facilement, nous y serons rapidement, cette île est petite pour moi. En revanche... »
Je me redressais pour lui offrir une piqûre de rappel quant à ma masse, restant malgré tout couché :
« Je crains de ne pas pouvoir t'accompagner au delà des portes sans ravager la ville... »
Je me demande si les bâtiments portent encore les traces de mes griffes quand j'ai brisé les murs qui m'empêchaient de rejoindre mon ancien invocateur qui était en danger... Quoi qu'il en soit, dès que Jamy grimpa sur mon dos je pris mon envol direction la capitale humaine...
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