L'ANTRE DE MAÎTRE RENARD

Soka & Brisielle

J'entends encore les paroles d'Ardèn à notre retour du grand nord. " Tu n'es qu'une idiote Brisielle " et cette fois là, je dois admettre qu'il n'avait pas eu totalement tord. Assez rare pour le souligner, trop pour lui laisser le plaisir de l'entendre de ma bouche. Cela n'est qu'une infime partie des raisons qui me mènent jusqu'à ce temple. Un pied de nez à son égard, à lui qui est l'enfant du feu et pour moi qui suit celle de l'air. L'autre raison, bien plus détestable à me remémorer, est inévitablement ce fameux séjour en terre gelée. Les hommes n'avaient pu m'en protéger et c'est contre un homme en particulier que j'avais le viscéral besoin de me défendre. Lui qui n'est que le reflet des autres. Mais du Nord, Ignis était son Dieu contraire et par ce simple fait, tout m'appelait vers le désert.

Un caprice oui. Comme cette fois-là avec Tahimo. Et pourtant, je songe à notre épopée durant la traversée du désert en ingérant un tubernacle noir et de grandes rasades d'eau. J'avais l'impression d'avoir changé depuis lors. Pas foncièrement. Mes motivations étaient pourtant toutes autres. Si seule ma ferveur précautionniste m'avait menée jusqu'au temple d'Aer, à celle-ci s'ajoute aujourd'hui ce fameux besoin égoïste. Consciente de cela, je ne suis évidemment pas très sûre de mériter la délivrance d'un enfant divin. Pourtant, tout me pousse à au moins essayer.

La chaleur du désert est accablante. Sans doute moins dans ma calèche que pour les gardes qui l'entourent. Merrin ne m'accompagne pas, je ne souhaitais pas sa présence et il avait autre chose à faire que me suivre jusque là. Pourtant, je suis certaine qu'il aurait aimé voguer avec moi jusqu'à Layane. Et ce même malgré la houle d'Aer balayant la mer. C'est sous ses conseils que j'ai choisi mes affaires. Même si je n'aurais à subir les rayons d'Ignis qu'un court instant, il était préférable de transpirer plutôt que de rôtir. C'est donc drapée sous un tissu épais que je gravis les marches du temple après avoir posé un pied au sable. Même à travers mes bottes de cuir, je peux aisément sentir la température mordiller mes orteils.

Laissant le convoi, je m'accorde un moment de contemplation face à la bâtisse divine. Imposante par nature. Le souffle chaud manquant de balayer le tissu qui enveloppe ma tête me rappelle à l'ordre des choses. Mieux vaut ne pas trop traîner pour épargner aux gardes d'avoir à m'attendre trop longtemps. J'entre donc et m'engouffre dans le grand couloir. L'air y est plus supportable, les rayons absents. Je profite donc de cette accalmie pour abaisser ma capuche et attraper ma gourde bien remplie. Mes bottes claquent sur le sol et j'avale quelques gorgées, attachant le sac de cuir non loin d'Alizée. Je ne sais si j'en aurais besoin, mais mieux vaut être prudente.

Le temps défile et les portes aussi. Aucun choix ne s'impose malgré le temps que j'accorde à chacune. Par dévotion, par curiosité. Elles m'attirent toutes et aucune à la fois. Je n'y suis pas à l'aise. La chaleur sans doute. Mais surtout l'endroit. J'essuie d'un revers de main un goutte de sueur sur mon front et les raisons de ma venue me reviennent. Mes veines s'emplissent d'une combativité retrouvée et c'est vers cette porte de bois vernie que je m'aventure. Mon regard noisette la contemple, l'observe silencieusement. Puis un murmure lit ce qui suit.

« Soka... Okara... Kanira... »

Mélodieux et agréable. Un léger sourire se dépeint sur mes lèvres alors que je poursuis mon observation de la sculpture de bois. Un canidé au milieu des flammes y est présenté et de nouveau, une esquisse de satisfaction. Oui, c'est le bon. Bien décidée, j'attrape la poignée, frappe à la porte par habitude et m'engouffre dans la cellule. Elle n'a pas l'air d'en être une. Je sais qu'il s'agit là de l'épreuve et pourtant, mon regard vagabonde un instant. Il s'agit d'un espace aux allures familières, loin de me décontenancer. Face à moi se présentent quatre portes, des escaliers et une pancarte au milieu de la pièce qui capte mon attention.

Un léger rire ponctue ma lecture. En effet, se présenter sans offrande n'est pas très poli. Et pourtant, me voilà sans. Énumérant mes possessions actuelles en pensée, mes yeux jaugent les portes qui ne sont sans doute pas là que pour le décor. Je ne saurais quoi réaliser en cuisine. La bibliothèque, en revanche, me semble être un choix pertinent. La lecture étant un des rares passe-temps que je m'accorde, je saurais sans doute trouver quelque chose à lui offrir. Sans réellement me préoccuper davantage des autres portes, je m'invite dans la grande bibliothèque qui me semble être plus immense encore que celle de la capitale. Moi qui voulais éviter de tarder, la tâche ma paraît soudainement beaucoup plus ardue que prévue. Pourtant je me lance et arpente les allées à la recherche d'une idée.

C'est en tombant sur la pancarte indiquant les contes qu'un souvenir me traverse l'esprit. Une histoire pour enfant qui évoque un Bicéphale dont on a soutiré le fromage. Un Fulmina en est le coupable. Monstre dont l'allure ressemble à la fresque de bois au dessus de la porte de la cellule. Je ne sais pas si il s'agit du meilleur choix compte tenu du bas âge des lecteurs de ce conte, mais si je devais lui lire, c'est à n'en pas douter une bonne option.

Après une recherche scrupuleuse, la reliure convoitée s'impose à mon regard. Enjouée à sa découverte, je l'attrape et rejoins le hall d'un pas pressé. Bifurquant pour entamer la montée des marches, à leur sommet se trouve un canidé aux teintes orangées. Éclatant en apparence, beaucoup moins par l'allure. Il me paraît évident qu'il s'agit d'un prisonnier de ses murs, dont la fresque dépeints les traits. Ses oreilles me semblent basses. Je presse le livre contre moi et une sincère inquiétude tiraille mes traits, davantage lorsque sa voix porte. Mes yeux se posent sur lui, plongent dans les siens et naturellement, ma réponse vient. Délicate et bienveillante.

« Non. »

Instinctive, sincère et véritable. Face aux enfants divins, je l'étais bien plus facilement. Et pour cause, ils méritent de savoir à qui ils ont à faire. Je m'avance lentement en songeant à ses mots lourds de sens. Évidemment, leur condition impose des abandons perpétuels et malgré ma réponse, la vie m'arrachera à tout être divin qui m'accorderait sa confiance. Quand mon pied s'apprête à se poser sur la première marche, une force me retient. N'essayant pas davantage, me pliant à ce que la magie de sa cellule m'impose, je me ravise et retrouve une stature classique. Ma voix s'élève alors, aussi délicate que précédemment.

« Soka'Okara'Kanira... Je puis vous assurer que rien d'autre que ma mort ne saurait vous offenser de la sorte. »

J'y croyais, fermement. Aussi sûre que cette promesse pouvait paraître extravagante. Et pourtant, les Dieux savent ce dont je suis capable. Si il fallait astreindre tous les descendants d'Avesnes à le libérer après moi, je le ferais.

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Soka & Brisielle

Sincèrement étonnée par sa réaction et très incertaine quant à son origine, mon corps s'étire et se tends d'incompréhension. De surprise aussi. Avais-je dis quoi que ce soit de risible ou de déplaisant, au point de s'en moquer ? Loin de moi l'idée d'en être offusquée. L'idée de l'avoir désobligé était bien plus assaillante. L'instant d'après, l'enfant d'Ignis me délivre de mes incertitudes. Ainsi donc, je comprends que c'est son nom complet qu'il trouve ridicule. Ou que je l'ai dis. Une légère moue crispe mon visage, une seconde à peine.

Pourtant, son récit fait sens. Et à mesure que ses mots s'égrainent, mes traits se délient jusqu'à emprunter celui d'un timide sourire. Même si son choix faisait inévitablement écho à mes récentes déconvenues, il avait raison sur un point. Prononcer complètement son nom risquerait de me faire perdre un temps précieux en temps de crise. Au delà de cela, sa manière de présenter la chose était réellement amusante. Un fin rire prisonnier de mes lèvres s'en fait l'écho.

Tout comme la suite d'ailleurs. Il m'était assez étranger de rencontrer un être divin si léger. C'était à la fois déstabilisant et rafraîchissant. Un délicat sourire, non feint, étire mes lèvres alors que je le contemple avec beaucoup de bienveillance.

« Je trouve votre... Ton nom complet agréable à l'oreille. Mais tu as raison, Soka sera plus confortable. »

Aussi difficile soit de ne pas le vouvoyer. Mon éducation était ainsi faite, les Dieux et leurs Enfants doivent recueillir le plus grand respect possible. Et me demander, si vite, de le tutoyer était très incommodant. Mais si c'était là son désir, je m'y plierais et lui accorderais tous les efforts qu'il mérite. Pourtant, face à sa jovialité et à l'intérêt que je lui dois, quelque chose me tracasse. Une sorte de dissonance entre son langage verbal et corporel.

A nouveau, un élan vers lui m'invite à gravir la première marche. Étonnée de ne pas être freinée, mes yeux tombent à mes pieds pour m'en assurer. Bien. Je monte alors et pendant mon ascension, je me présente à sa demande.

« Je m'appelle Brisielle. »

Arrivant à son niveau, je m'arrête légèrement en contre bas, ne lui faisant pas totalement face mais suffisamment pour que nos regards se rejoignent sans mal. Il n'est pas imposant, mais par nature tellement plus grand. Sa place est au dessus de la mienne et même physiquement, je me dois de m'y soumettre.

« Je suis profondément enchantée de vous... Te rencontrer, Soka. Pardonnes moi, j'y arriverais avec le temps. »

Un sourire s'accorde à mes mots, puis une révérence épurée. Moins pompeuse que pour les humains, mais plus véritable aussi. Je m'accorde une seconde ou deux de contemplation silencieuse avant de me souvenir du présent que je tiens contre ma poitrine. Un léger sursaut et je lui tends.

« Voilà mon offrande. Souhaites-tu que je te fasse la lecture ? »

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Soka & Brisielle

Mes arcades se soulèvent à sa réponse pragmatique. Lui faire la lecture dans les escaliers ? Quelle idée ? Ce serait tout bonnement grotesque. Bien que des souvenirs d'enfance me ramènent a quelques instants sur les marches du couloir à balayer les pages d'un livre. Le faire en compagnie serait tout autrement plus compliqué, surtout quand celle-ci est divine. Un léger rire s'en fait l'écho, contenu derrière mes lèvres avant que je ne m'interroge.

Les traits tirés, j'aurais apprécié quelques explications à propos de cette pause dont j'aurais besoin, selon ses dires. Je pouvais bien essayé d'y réfléchir, je ne trouverais pas de réponse. Après tout, j'étais ici pour me confronter à une épreuve et je le ferais du mieux que je le peux. Maintes histoires racontent les difficultés des obstacles se dressant face aux humains en quête du pouvoir des Quatre. Certaines sordides, d'autres violentes. Même avec toute la ferveur d'Arcane, je ne pourrais en réchapper. Bien décidée à m'y confronter, je sers avec plus d'aplomb le livre contre moi alors que Soka se dirige ailleurs.

Bien élevée, j'attends avec respect qu'il me dépasse avant de le suivre. Il semble alors chercher quelque chose grâce à son odorat et le voyant se tourner vers moi, je m'immobilise pour le laisser investiguer à loisir. Selon ses mots, il doit sans doute avoir recueillit les effluves d'Aeris qui est resté aussi longtemps au chaud que moi. Elle sort moins qu'avant, mais entre nos murs, nous passons notre temps ensemble comme à notre habitude.

Un sourire étire mes lèvres avant qu'il ne se perde en surprise. Je réponds au sursaut de Soka de la même manière. Il a l'air embêté par ce qu'il vient de faire et se confond en excuse. Loin d'avoir été importunée, je m'approche d'un pas vers lui et agite délicatement ma main en signe de négation.

« Nul besoin d'excuse. Ça ne m'a pas gêné, je t'assure. »

Espérant qu'il lève les yeux vers moi, je lui offre un sourire bienveillant. Évidemment, ses traits canidés m'invitent fortement à le rassurer de caresses. Mais je ne devais pas oublier sa nature divine et ne saurais me permettre un tel affront. Une fois la tension retombée, je lui apporte les réponses à ses questions muettes.

« Tu dois avoir senti Aeris. Il s'agit de mon calis, un canidé ailé dont ma famille fait l'élevage. Elle ne me quitte, d'ordinaire, presque jamais. Ce qui explique que ma présence soit si imprégnée de son odeur. »

Une sourire plus froid que les précédents étire mes lèvres à présent. De politesse plus que de circonstance. L'amertume tapisse mon palais aux souvenirs de mes mésaventures récentes. Depuis, je me refusais à quitter la protection de la Capitale avec Aeris. Si il lui arrivait malheur, je ne saurais me le pardonner.

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Soka & Brisielle

A nouveau, mes lèvres se serrent et contiennent un rire discret. J'étais sincèrement amusée par le tempérament de Soka, sans doute grâce à sa nature divine. En réalité, si un humain devant moi s'exprimait de la sorte, je n'étais pas certaine d'apprécier comme à l'instant. Peut-être était-ce moi la source de cette disparité. La vie m'avait apprise à ne pas être moi-même. Si les épreuves avaient été moindres, ou différentes, il est probable que j'eus été plus libre de mes émotions. En tout les cas, je recevais sa curiosité, à l'égard de mes Calis, avec beaucoup de satisfaction.

Acquiesçant d'un bref hochement de tête, je le suis jusque dans les jardins. J'eus la présence d'esprit de déposer le livre sur une table, avant de traverser l'encadrement de la porte et faire face au sympathique paysage. De beaux jardins bien entretenus. L'air y était agréable, je relevais sensiblement le visage pour profiter de la brise et des rayons sur ma peau. J'en oubliais presque instantanément la température à l'extérieur du temple.

Sans mot dire, je suis Soka à une distance raisonnable, jusqu'à rejoindre des enfants enjoués qui semblent ravis de voir le Demi-Dieu. Faisant face à des humains, même de jeune âge, mes instincts reprennent les rênes. Je les salue d'une brève révérence et d'un sourire bienveillant quand Soka nous présente.

« Ravie de vous rencontrer, jeunes gens. »

Bien droite, les mains jointes, je me fais à nouveau discrète en écoutant avec attention les instructions de Soka. Je devais me rappeler que ces enfants n'étaient qu'illusion et que je pouvais me permettre d'assouplir légèrement mes habitudes sans en pâtir. Du haut de la colline, mes yeux parcourent l'horizon en suivant les paroles prononcées.

Pourtant, dès lors que Soka me surnomme, mon échine se tends. Une sorte de sursaut me saisi, que je tente de contenir et qui, je l'espère, passera inaperçu. Il s'agissait là d'une démonstration de familiarité déstabilisante. Avec laquelle je n'étais pas du tout à l'aise. Mais par respect, je ne l'importunais pas de mes états d'âmes sans doute insignifiants.

Je me reprends donc, me secouant intérieurement et à mesure que les mots s'écoulent, je comprends qu'il nous faudra élaborer un plan. Mais pour l'instant, trop peu d'éléments me sont connus. Me plongeant en réflexion, je croise les bras et penche la tête. Le regard dans le vide, y cherchant probablement une réponse. Le plus efficace serait de mettre le feu quelque part, mais c'était une solution peut-être un peu rude à proposer à de jeunes oreilles. Après tout, peut-être que mes manières allaient être éprouvées. Finalement, mon attention se porte vers mon auditoire, apparemment prêt à suivre mes instructions.

« Est-ce que vous savez où les Crouzy cachent la gemme exactement ? Et qui d'entre vous sait être le plus discret ? »

Au vue des descriptions de la jeune fille, je pencherais plutôt pour elle. En tout cas, il y avait probablement moins de risque à lui octroyer cette mission, plutôt qu'aux autres, le temps d'une diversion. Diversion qui devra être efficace et rapide. Si il y avait un chien dans les parages, il sera vite alerté par une intrusion.

« Et ce chien, est-il plutôt jeune ou vieux ? »

J'espérais que ce soit la deuxième réponse, ses réflexes et sens en seront amoindris et étireras le temps impartis. Ensuite, il me fallait une autre information qui pourrait grandement faciliter les choses.

« Les portails des enclos sont-ils verrouillés ? »

A chaque question, je passe d'un individu à l'autre, m’arrêtant sur celui qui me répond. L'air sérieux, je cueille chaque réponse avec intérêt.

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Soka & Brisielle

Avec attention, je glane les informations que les enfants m’offrent. Ainsi, Gibus est le meilleur cambrioleur. La perspicacité d’Anna est agréable à percevoir et un fin sourire satisfait illumine mon visage. En revanche, ils ne savent pas où se situe la gemme, ce qui pose un problème. Si elle est dans la maison alors que la femme Crouzy s’y trouve… il faudra la tenir occupée, voir éloignée le temps de chercher.

Si les animaux se promènent comme bon leur semble, l’effet de masse que j’espérais sera bien moindre que prévu. C’est bien dommage, mais je m’en contenterais. Attention donc au bouc. Celui-là, je ferais mon possible pour l’éviter. Attirer le chien ailleurs pourrait être une bonne solution aussi, pour s’éviter l’alerte de ses sens. En pleine réflexion quant à l’élaboration du plan, mon attention quitte discrètement la conversation, conservant un sourire de circonstance pour ne vexer personne, en écoutant d’une oreille malgré tout. Je me raccroche ensuite à la question de Soka, qui semble impatient de se mettre en œuvre. Le sourire aux lèvres, j’énonce ma stratégie.

« Si la gemme se trouve dans la maison, il faudra tenir la femme Crouzy occupée le temps que Gibus nous la trouve. »

Je me tourne vers l’intéressé et lui adresse un sourire encourageant. Mon intention était simple. J’allais moi-même prendre la responsabilité d’éloigner la femme pour laisser le champ libre à Gibus. En revanche, sans la suite du plan, je ne pourrais faire grand-chose.

« J’irais à sa rencontre. Dès que je parviens à la faire sortir, profites en immédiatement. »

Je me tourne ensuite vers Anna et Kerry, à qui j’allais leur accorder une tâche collective. Si le garçon était du genre à prendre des initiatives qui posent problème, mieux valait lui attribuer un chaperon pour s’assurer de la bonne exécution du stratagème. Je leur adresse un sourire et leur indique le manoir, d’où Soka et moi provenions.

« Je vais aller chercher de quoi appâter le chien. Vous deux, vous serez en charge de l’attirer le plus loin possible. Et pour finir. » Je m’arme d’un plus large sourire et me tourne vers Soka. « Tu devras faire le plus de grabuge possible. Mais attention, pas avant que Kerry et Anna ne t’ai donné le départ. » Je me tourne vers eux. « L’un de vous deux sait-t-il siffler ? »

Dans la cuisine, je trouverais sans doute une belle pièce de viande et dans l’entrepôt, de quoi diriger son odeur plus efficacement. Un éventail fera sans doute suffisamment l’affaire. J’espère que ma stratégie convenait à tout le monde. Je l’estime bonne, mais si mes collaborateurs n’y adhérent pas, je prends le risque de voir apparaître de nombreux contre temps.

« Est-ce que cela vous convient ? »

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Soka & Brisielle

Les consignes semblent convenir à mes collaborateurs. Du moins, leur enthousiasme le laissait penser et cela serait sans doute suffisant pour que tout se déroule avec le moins de heurt possible. Je retourne donc dans le manoir et rejoins la cuisine. J'y cherche et trouve une belle pièce de viande grasse, dont j'en découpe une tranche épaisse. Cela fait, je l'enveloppe dans un papier avant de me diriger vers l'entrepôt, avec hâte. Ici, je tarde davantage mais trouve finalement ce que je cherche. Un éventail. Une longue ficelle traîne à ses côtés et je l'attrape elle aussi.

Bien équipé, je rejoins les enfants et Soka qui trépignent d'impatience. Je distribue mes trouvailles à Anna et Kerry qui s'envolent la seconde suivante. Croisant le regard de Soka, je hoche la tête d'un air convaincu et souriant. Quant à Gibus, je lui tends la main pour qu'il m'accompagne jusqu'en bas. Au moment opportun, nos chemins se séparent. Lui irait se cacher non loin pendant que j'irais frapper à la porte de la femme Crouzy. Faisant face à la bâtisse de moyenne facture, mais à l'allure solide, je frappe trois fois sur le bois. Une petite pièce de théâtre s'enclenche, dont le jeu serait sans fausse note, grâce à mes facultés de faux semblant.

L'enjeu est ici de la faire sortir et pour cela, un scénario s'imbrique dans mon esprit. Une illumination éclate. Pour parfaire le tout, je m'empresse de déchirer mon habit, de ci de là. J'attrape un peu de terre que je frotte contre mes tempes et ma joue et ébouriffe mes cheveux. Cependant, pour l'instant, aucune réponse. Malgré tout, j'entends distinctement qu'on s'affaire de l'autre côté de la porte, alors je frappe encore.

« Excusez-moi, j'ai besoin d'aide. »
« Oui oui, ça va ! J'arrive roh lala. »

Je grimace légèrement pour moi-même. Elle ne semblait pas très engageante, ou même ravie d'être dérangée. Mais peu importe, cela n'allait pas m'empêcher de jouer mon rôle. Quelques secondes plus tard, la femme Crouzy m'ouvre la porte. Elle semble mâcher quelque chose et de son air bourru, m'analyse de bas en haut.

« Bonj... »
« Hé bah, vous arrive quoi et voulez quoi ? »
« Bonjour Madame. Excusez-moi de vous dérangez, je voyage dans les environs et j'ai eu une accident avec ma carriole. Est-ce que par hasard vous pourriez m'aider ? »
« Ah ça non ! J'ai aut'chose à fiche. »

Les choses semblent plus difficiles à mettre en place que prévue. Malgré ma frustration, mon visage s'arme d'un air désolé et je m'incline légèrement.

« Je comprends pardonnez-moi. Est-ce que vous pourriez malgré tout me guider ? Mon sens de l'orientation est affreux et je ne sais même plus d'où je viens. Pouvez-vous m'indiquez le chemin jusqu'à la rivière ? »

Il y en avait certainement une quelque part, loin ou non. Elle ronchonne mais quitte finalement son porche pour s'avancer de quelques pas et m'indiquer une direction, avec quelques vagues explications. Afin d'offrir le plus de temps possible à Gibus qui devait déjà être entré par la porte arrière, je joue avec brio air un peu stupide. Faisant mine de ne pas comprendre et lui demandant plusieurs fois de se répéter.

Au bout de quelques instants, j'entends le sifflement de Kerry au loin, qui attire le regard de la femme, comme le mien. S'en suit un bruyant fracas et une ribambelle d'animaux courant en tous sens. L'air faussement étonné, je félicite intérieurement Soka pour l'accomplissement d'un tel spectacle. Tout part à vau-l'eau, on entends crier l'homme au loin. La femme s'affole et ma satisfaction perce, malgré moi, d'un très fin sourire qu'elle capte en se retournant dans ma direction.

Mince. Je me suis laissé aller. Elle gronde et s'approche d'un air colérique, me forçant à reculer de quelques pas avant qu'elle n'attrape mon col pour me secouer. Je tends mes paumes en signe de soumission, mais cela n'a pas l'air de suffire.

« Z'êtes avec lui hein !? »

Prête à m'en défendre, c'est finalement une pierre habilement lancée contre sa tempe qui me délivre de son emprise. Je me tourne rapidement vers le lanceur qui n'est autre que Gibus, tenant fièrement dans sa main l'objet de notre convoitise. Il s'élance pour s'enfuir et je prends sa suite sans me faire prier. Traversant le domaine, nous assistons au chaos général, forcé d'éviter parfois quelques poules sur le chemin.

Voilà longtemps que je n'avais eu à fuir de si grandes enjambées, mais mon endurance me garde d'en souffrir. J'arrive enfin en haut de la colline, les poumons enflammés, essayant de reprendre mon souffle. L'évidence me saute pourtant rapidement aux yeux. Les enfants sont là, mais pas Soka. Mes sourcils se froncent et je me redresse, le souffle court.

« Quelqu'un a vu Soka ? »

Je me tourne ensuite en direction du chaos en contre bas, le cherchant du regard.