En traversant la citadelle, je me suis rendu compte de la grandeur et la splendeur de l'endroit. Mon village natal ne fait pas le poids à côté d'une telle immensité ! La nuit est tombée, mais les rues n'en sont pas moins restées animées. Quelques bonnes âmes ont bien voulu m'indiquer le chemin à suivre pour rejoindre la maison de Léode, homme dont je ne sais que le nom. Sa bâtisse n'est pas vraiment imposante, plutôt modeste je dois dire... Espérons que le propriétaire soit du même acabit.

Je frappe à la porte de bois aux veinures pourpres. Un râle se fait entendre de l'intérieur puis, plus rien. Mon regard se porte sur Ephylix, qui semble toute aussi désappointée que moi. Je retente le coup, avec insistance cette fois-ci. Un soupir m'échappe tandis qu'on daigne enfin entrouvrir la porte. Un homme aux cheveux blonds et sales apparaît dans l'embrasure de cette dernière, nous scrutant de ses prunelles acier. Son visage ne m'est étrangement pas inconnu...

Son expression se durcit et il grogne, après hésitation :

Il s'apprête à refermer la porte, mais j'y cale mon pied pour l'en empêcher. Je fixe mon regard dans le sien, lui faisant bien comprendre que je ne partirai pas.

Il a subitement changé de ton à l'évocation de mon nom...ou peut être à la vue d'Ephy', allez savoir. Mais impossible de me rappeler où je l'ai déjà vu, où j'ai déjà entendu cette voix ! Si ma mère m'a envoyé vers lui, c'est qu'il était peut être un ami proche ? Et ce cas, il est possible qu'il soit venu nous rendre visite, d'où l'impression de la connaître. J'avoue ne pas trop me poser de questions et lui faire confiance peut être un peu vite, mais il le faut ! Sans quoi il ne nous laissera jamais entrer. Néanmoins...l'emploi de ce « était » dans sa question me laisse perplexe. Comment peut-il avoir eu vent du départ de maman ?

Je me tourne vers elle, cachant mon amusement à la vue de Léode ; se rend-il compte qu'elle peut le remette à sa place en deux secondes ?!

L'attitude d'Ephylix m'amuse beaucoup, mais je n'en laisse rien paraître, de peur de mettre définitivement en colère notre nouvel hôte. En entrant, nous découvrons une grande pièce à vivre que le mobilier de rotin clair rend chaleureuse, paradoxalement avec l'accueil glacial que nous venons d'avoir. Mur et sol sont de bois, et le plafond constitué de poutres apparentes, le tout avec des tons plus foncés. Mais effectivement, la taille du félin s'avère problématique.

Sourire qui s'efface à l'appellation que me donne si gentiment Léode.

Malgré l'irritation et l'impatience qu'on perçoit dans sa voix, il semble déjà avoir la réponse à la question... Pourquoi, mais pourquoi, ai-je l'impression de le connaître ?!

Il soupire longuement avant de siffler :

Les sobriquets dont il m'affuble m'exaspèrent au plus haut point, mais je me contente de hocher la tête. Bien sûr que je suis prêt à l'entendre ! Pourquoi suis-je venu si ce n'est que pour la connaître ?!... Encore un soupir de l'interlocuteur qui m'invite à m'asseoir autour d'une table, non sans avoir jeté un regard mauvais à Ephylix, chose qui me met encore plus sur les nerfs.

Puis, sans autre forme de procès, il disparaît vivement par l'une des ouvertures du couloir. Je regarde Ephy', qui paraît tout aussi stupéfaite que moi.

Le lit est tellement grand qu'il permet à Ephylix de dormir à côté de moi. Une bonne chose. Et ce n'est qu'une fois allongé que je me rends compte que fermer les yeux ne me mettra pas si facilement dans les bras de Morphée. Ardere... Cet homme est donc...de la famille ? Il aurait pu être mon oncle si Gerenn avait été mon paternel. Pourquoi n'est-il donc jamais venu nous rendre visite à l'auberge ? En scrutant un peu la pièce, je remarque des armoiries fixées au mur. Un étrange blason composé d'un masque aux allures de crâne humain. Je me frappe le front du plat de la main ; impossible de me souvenir où je l'avais déjà vu !! Bon sang ! Mais quelle sorte de passoire ai-je donc en guise de cerveau ?! Je soupir, exaspéré. C'est sûr, à présent je ne vais pas dormir ! Trop de questions, si peu de réponses... -mais la faute à qui ?! -.-'.

On me secoue par l'épaule et je m'éveille dans ma chambre ; Jayla, à mon côté, semble paniquée. « Viens, viens vite ! Il veut parler ! », chuchote-t-elle. Il y a comme une impression de déjà vu ou c'est moi ? Ayant le sentiment étrange d'avoir déjà vécu cette scène, je reste perplexe. Faisant fît de mon état plus que brumeux, elle me tire hors du lit en pestant et m'entraîne avec elle à travers un long couloir. Arrivés au bout, ma sœur ouvre un panneau de bois et me force à entrer.

Je me retrouve dans une salle totalement noire, qui dégage la même odeur de terre et d'argile sèche que...la cellule d'Epyh' !! Sans me poser plus de question j'avance de quelques enjambées, mais suis stoppé net par une voix qui tonne au-dessus de moi :

Hein ? Mais qui parle ?...et de quoi ?

J'ai reconnu la seconde voix : celle de la féline qui m'accompagne depuis quelques jours. Elle veut vraiment...? Elle aussi...? Une ancienne crainte, enfouie jusqu'à présent, refait subitement surface. Pas celle de mourir, non ! : celle de devoir détester quelqu'un que l'on apprécie. Je fais quelques pas mais tape dans un caillou qui, en roulant, résonne dans toute la salle.

C'est en courant que je tente de m'échapper mais tombe au sol, écrasé par une force dont la provenance reste inconnue. Je suis retourné violemment sur le dos et peux ainsi voir un immense pieux suspendu au-dessus de moi. Léode (car c'est lui la première voix) s'accroupit à mon côté et susurre : « Pourquoi nous quitter de si bonne heure ?...Écoutez, je suis pressé mais je repasserai. J'aurai mon dû un jour où l'autre, soyez-en sûr ! », avant de faire claquer sa cape sous mon nez. La barre de bois accrochée au plafond oscille au-dessus de moi. Mon dernier réflexe -non maîtrisé- est de lancer un coup d'œil vers la cape Léode, laquelle arbore un semblant de crâne humain. Je réalise plusieurs choses en voyant le fils d'Ignis qui l'accompagne, quand le pieux se détache et se fiche avec violence dans ma poitrine.

Je sursaute et me réveille, cette fois pour de bon. A peine remis de cet affreux cauchemar, je bondis hors du lit en tendant la voix d'Ephylix derrière l'une des portes du couloir. J'entre en trombe et découvre le félin, criant à moitié sur Léode qui est assis à son bureau. Mon irruption les interrompt.

Ephy' semble me regarder avec attention ; je me rends compte que je suis hors d'haleine. Je me laisse aller contre le mur, reprenant lentement mon souffle.

L'intéressé s'immobilise et se tourne gravement vers moi. Puis il éclate de rire : « Mon pauvre garçon ! Retournez donc vous reposer, vous avez l'air d'un cadavre !
Mes poings, serrés à en faire blanchir mes articulations, se mettent à trembler. Et je dois faire un effort surhumain pour ne pas sortir ma lame et sauter à la gorge de notre hôte. Nos regards restent ancrés l'un dans l'autre. Il semble très amusé, je suis tendu comme un arc.

J'explique rapidement à Ephylix que nous nous tenons devant l'homme qui a osé me laisser vivre, l'homme qui a incinéré le corps de ma mère sans autorisation, l'homme enfin, qui a eu le culot de demander un présent en échange de m'avoir sauvé la vie !* J'ai presque craché ces mots en évitant de croiser le regard d'acier de Léode. Mes yeux se portent plutôt sur Ephylix, et je lâche, soudain épuisé :

Je disparais dans le couloir et pars rassembler mes affaires.