Ses pas s’aventuraient dans ce voile gris, presque au hasard, d’une lenteur étrangement agréable. Rien ne la pressait, aujourd’hui. Elle n’avait ni d’obligation, ni de rendez-vous important ; elle-même courrait simplement derrière le temps, lentement mais sûrement. Elle y arriverait, elle en était certaine.
Et la peur la prenait peu à peu au ventre.

La jeune noble avait enfin pris la décision de prendre quelques vacances. Loin de la capital et de ses soucis, elle s’était rendue dans ce village portuaire, caressant la mer intérieure, simple humaine qui souhaitait se confondre aux autres. Elle n’était que Nérée, et ne voulait revêtir cette peau de noble qui la collait bien trop en ces temps de conflits bien plus proches qu’on ne pouvait le croire. Shénzi devait déjà l’attendre au point de rendez-vous ; elle l’avait choisi comme compagnon de ce nouveau voyage. Elle en avait besoin. Peut-être avait-elle trop ignoré ce désir d’enfance, qu’elle s’apprêtait à réaliser aujourd’hui grâce à un énième caprice. Un jour elle ne pourrait plus. Nérée songea alors à son entourage qu’elle avait délaissé pour partir seul avec le monstre qui l’accompagnait ; peut-être qu’elle ne voudra plus revenir. Elle soupira faiblement. Au loin se dessinait un grand bateau, calme, d’où on pouvait entendre certains éclats de voix.

Un beau jeune homme semblait s’impatienter sur ce port désert. Même si ses yeux étaient trompés par le brouillard, rendant sa silhouette nuageuse, ce lien qui les unissait ne pouvait tromper son esprit. La jeune femme s’avança alors jusqu’à lui, observant dans les moindres détails cette nouvelle apparence, alors que ce dernier lui intimait déjà qu’il était temps de partir. Il était bien pressé, pour un être dont le temps ne pouvait lui faire défaut.

« Un nom ? »

On avait pu entendre une pointe d'étonnement dans cette question sans sens particulier. Cela fit sourire légèrement Nérée. Simple lubie ou avait-il de réelle raison ? Lui aussi, savait se mouvoir au gré du vent. Au final, il surpassait ses attentes. Elle resta là un instant à le regarder, puis ce même regard se tourna vers le bateau. Il y avait de l’agitation sur le pont, prêt à partir. Elle ne désirait guère à tout prix l’évasion malgré tout.

« Alors embarquons, Lola. »

Sans lui laisser le temps de commenter ce surnom joliment trouvé, la jeune noble s’avança sur la planche de bois qui reliait le bateau à la terre ferme, posa un pied sur celui-ci. Les marins s’afféraient à ranger quelques caisses et préparaient les voiles. Il y avait quelques voyageurs ici et là, attendant les instructions pour passer un paisible voyage. « Z’avez l’argent ? » Interpella le capitaine qui attendait sur le pont pour lever l’ancre. Il s’était rapidement approché d’elle. Nérée sortit alors de sa sacoche une petite bourse, la tendit à ce dernier qui en compta rapidement la somme. Il releva la tête, un mince sourire de circonstance aux lèvres : « Bienv’nus à bord. »
Le bateau quitta enfin le port.

Une douce brise salée caressait sa chevelure. Nérée était accoudé à la barrière entourant le bateau, les yeux perdus dans les vagues. Le capitaine du navire leur avait brièvement expliqué les règles, montré les dortoirs. Que cela soit des nobles, des brigands ou de simples voyageurs, tous étaient égaux ici. On se fichait du passé et du futur, après tout. La jeune femme avait d’ailleurs délaissés ses habits raffinés pour adopter une tenue plus simple, bustier de cuir et tissus blanc, ayant seulement gardé sa cape blanche qu’elle avait accrochée sur le haut de sa poitrine avec une broche. Aussi inconnue que Lola.

Elle passa une main dans ses cheveux, les recoiffant. Un long voyage commençait, dorénavant.

Le bateau tanguait légèrement, et le soleil dorénavant haut dans l’horizon faisait briller la mer de mille feux. Nérée aimait ce calme, alors que la côte disparaissait peu à peu dans le brouillard qui entourait encore la terre. Quelques marins s’afféraient sur le bateau, mais en ce début matinée, il n’y avait guère beaucoup d’agitation. Son demi-dieu l’avait rejoint peu après leur départ, s’installant à ses côtés, ne regardant pas dans la même direction qu’elle. Peut-être était-ce là une image s’approchant de la réalité de leur relation, loin de ses rêves et de ses espérances.

Il était vrai que la jeune femme n’avait encore pris la peine d’informer précisément le fils d’Aer du déroulement de leur voyage. Elle savait où elle allait, ce qu’elle allait y voir. Peut-être se faisait-elle encore trop d’illusions ; son visage ce fit moins joyeux. Elle ne voulait cependant renoncer à cette envie dangereuse.

« Tu n’aimes pas ce monde, n’est-ce pas ? »

Elle avait légèrement tourné le regard pour percevoir le sien. Il était certain que ces yeux ouverts ne reflétaient pas son amour pour ces terres, qu’elle chérissait. Peut-être était-ce de par ce lien qui les unissait qu’elle semblait comprendre, peut-être l’habitude. Au final, cela faisait un moment maintenant qu’ils étaient ensemble, et s’ils ne s’étaient pas complètement ouvert l’un à l’autre, parfois les mots n’étaient utiles à la communication. La jeune femme lui ressemblait, un peu. « Mon village natal se trouve au nord de ce monde. C’est vers cet endroit que nous nous dirigeons. » Un endroit, seulement. Elle savait qu'elle n'y trouverait rien de plus.

Ils avaient quelques jours de voyages, la jeune femme songeant à faire une halte dans le prochain village portuaire. Il fallait acheter des provisions et des vêtements plus adaptés. Elle voulait prendre son temps. Nérée croisa ses bras à la barrière et y posa sa tête, continuant cependant de fixer son invocation. Cette forme humaine était charmante.

Si elle chutait, allait-elle mourir à cette hauteur ? Peut-être se noyait-elle déjà. La jeune femme inspira doucement, fermant un instant ses paupières. Elle n’y voyait pas une image réconfortante chez son invocation, après tout. Il était là, à ses côtés, mais il n’avait seulement pas le choix. Cette situation lui convenait mais elle avait toujours ce goût amer dans le font de sa gorge, depuis qu’elle était enfant.

Peut-être trouverait-elle le temps long, à ses côtés. Allait-elle un jour se lasser, comme avec Nevi ? Elle n’oscilla pas lorsqu’il lui lança cette pique, ses lèvres s’étirèrent simplement. Elles s’étirèrent un peu plus lorsqu’il lui posa cette question. Celle qui la faisait rire et pleurer, celle qui mettait le doigt sur un traumatisme et une douce histoire. Shénzi, faisait-il dorénavant partie de sa famille ? La jeune femme préféra lui répondre avec son silence, comme si cela était une évidence. Peut-être n’avait-elle tout simplement pas de réponse à sa question. Elle pouvait compter sur lui, il allait être à ses côtés jusqu’à son dernier rire. Sous cette forme, il lui semblait bien plus proche encore ; presque il était plus réel que sous son apparence de demi-dieu. Les secondes s’écoulèrent, doucement. Au final, allait voir de la famille, après tout. Elle était idiote, n’est-ce pas ?

Nérée rouvrit les yeux. Elle mit un temps à se remémorer le sujet dont il faisait allusion, ne quittant pas son invocation des yeux. Il était beau, ainsi. Ne s’amusait-il pas à reprendre les formes de ses anciens compagnon, une macabre habitude comme pour se remémorer le temps passé ? Il allait sûrement la laisser, s’étant déjà décalé de la barrière. C’était peut-être mieux ainsi ; il était bien trop tôt pour parler aussi librement qu’elle le voulait. Son invocation, la menaçait-il ? Son sourire s’était envolée depuis un moment, elle se redressa à son tour et se tourna vers son invocation. Il ne pouvait pourtant rien faire ; un simple pantin.  

« Tu n’es pas qu’un simple jouet ; tu es le mien. » Peut-être n’allait-il pas se retourner, et simplement acquiescer ces mots. Elle était sa reine, après tout. « Qilin. »

Si elle était idiote, la jeune femme avait les pieds sur terre, plus que quiconque.

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Pouvait-elle entendre le chant des sirènes, d’ici ? Elle était si attirée par ce vaste océan qu’elle désirait ne plus revoir le continent. Le soleil disparaissait peu à peu à l’horizon, les ombres se faisant plus grande sur le bateau. Il avançait lentement, le vent s’étant calmé lors de la journée. Elle avait discuté avec quelques voyageurs et marins au repos, avait passé la journée à ne rien faire. Après tout, il n’y avait rien à faire sur un bateau. Elle s’était perdue dans ses songes, avait pris le temps de ne rien faire ; cela faisait si longtemps qu’elle n’en avait pas eu l’occasion. Ici, elle ne pouvait recevoir de missive ou être contrainte d’agir en son nom. Elle n’était personne en cet instant.
Elle laissa sa main frôler les murs de bois, alors qu’elle marchait au hasard à travers l’unique couloir du bateau. Il y avait plusieurs portes, elle s’arrêta devant une et l’ouvrit sans attendre. Nérée affichait un sourire malicieux sur son visage, semblant de bonne humeur en ce début de soirée. Elle posa ses yeux sur lui.

« Allons manger, veux-tu ? Cela serait étrange qu’un homme d’une carrure telle que la tienne ne prenne pas le temps de reprendre des forces. » Elle lui sourit de plus belle, attendant qu’il vienne à elle pour qu’elle daigne le quitter du regard.

Sans attendre, la jeune noble se dirigea vers la salle principale de la soute, aménagé en salle à manger pour le dîner. Le repas n’allait pas être des plus fabuleux, mais l’alcool allait couler à flot. C’était peut-être le genre de soirée dont elle avait besoin, en cet instant.

L’ambiance de cette pièce était agréable, elle était bien loin du calme de la mer sur laquelle ils se trouvaient. Une odeur particulière s’en dégageait, il faisait chaud. Certains riaient, d’autres hurlaient. La jeune femme contempla un instant les lieux avant d’y prendre à son tour part, entrant dans ce tableau, s’installant à la grande tablée aux côtés de son compagnon de voyage. Ce dernier n’avait pas l’air enchanté de prendre part au diner. L’homme à sa gauche semblait plutôt heureux de sa compagnie, ce sourire jusqu’à l’oreille lui intimant que sa beauté ne le laissait pas indifférent. Il semblait âgé, son visage laissait imaginer un combattant aguerri qui avait l’habitude des voyages. La jeune demoiselle n’avait pas encore eu l’occasion de lui adresser la parole au dernier repas, bien plus calme, auquel son demi-dieu n’avait participé. Il semblait n’avoir que peu l’habitude d’être en si bonne compagnie ; certains avaient des regards emplis d’une certaine jalousie. Après tout, il n’y avait que peu de femme sur ce bateau, et il n’y avait qu’elle qui avait une telle corpulence ; une poupée si fragile.  

La jeune femme se servit de la soupe qui était mise à disposition ; le repas était compris dans le prix, après tout. La nourriture de mauvaise qualité étaient appétissantes, elle en donna aussi à Qilin, qui ne semblait pas être dans l’ambiance des festivités. Il fallait se contenter de peu, ici. Lorsqu’elle se rassit, son verre était plein. Elle tourna la tête vers l’inconnu qui se trouvait à sa gauche, un petit sourire aux lèvres. Déjà il tombait.

« C’est rare de voir une aussi jolie fille en voyage ! Vous allez rejoindre votre amoureux ? Ou alors c’est lui ? Il n’est pas très bavard en tout cas, ahahah ! »

Il semblait avoir l’esprit déjà embrumé par le doux liquide qui coulait à flot. Il sentait si fort, sa barbe était légèrement humide près de ses lèvres. Si attirant, si répugnant. La jeune ria doucement, portant à son tour son verre plein, le remerciant d’un mouvement de tête. Elle posa son regard vairon sur son invocation, son sourit n’ayant quitté son visage. « C’est effectivement lui. Nous vivons l’amour parfait, n’est-ce pas ? »

Un sourire qui en disait long. Elle n’attendit pas son approbation et retourna vivement la tête vers l’inconnu, lui souriant de plus belle. Elle semblait heureuse, ainsi, n’est-ce-pas ? « Quel veinard ! De toute façon, toutes les jolies filles sont déjà prises, tss ! » L’homme eut un rire gras et il leva sa choppe. « A votre santé, les amoureux ! » Il la descendit d’une traite, soufflant de bien-être à la fin. D’autres le suivirent et n’attendirent pas pour se resservir.

Peut-être se laissait-elle un peu trop porter au jeu. Elle entama son repas qui n’avait que peu de goût, mais qui avait le mérite de rassasier rapidement. Ils allaient sûrement manger la même chose le lendemain.

« Ne sois pas trop rude avec moi ce soir... joue-donc le jeu. » Lui souffla-t-elle doucement à l’oreille, l’effleurant presque avec ses lèvres. C’était amusant, parfois, de se lâcher ainsi. Peut-être n'avait-elle pas besoin de cet ordre, mais cela aurait quelque peut gâché sa soirée sans ce participant de qualité. Ici, personne n’était là pour lui rappeler sa noblesse. « … Mon amour. » Reprit-elle un peu plus fort, sous quelques sifflements. Nérée ne le quitta pas du regard et pris une nouvelle gorgé de son breuvage alcoolisé. Il allait être son jouet, rien qu’à elle.

Peut-être allait-elle un peu loin. Peut-être allait-elle dépasser sa limite, continuant d’avaler ce doux breuvage destiné normalement pour les hommes. Elle sentait déjà une certaine chaleur s’emparer de son être, la rendant légèrement plus joyeuse et ouverte à la discussion qu’à son habitude ; elle ne tenait pas l’alcool. Il était vrai que la jeune femme n’avait pas envie d’être sérieuse, aujourd’hui. Son compagnon ne semblait être du même avis qu’elle, mais il ne comptait pas. Elle détourna son regard de lui ; elle lui avait après tout demander de ne pas la contredire, il était libre de faire ce qu’il voulait. L’homme barbu continua de lui faire la discussion, semblant heureux de parler à une aussi belle demoiselle.

« Bon alors, vous faites quoi sur c’rafiot ? »

C’était une question assez simple. La jeune noble fit mine de réfléchir un instant, se demandant quelle histoire pouvait-elle inventer. Après tout, il y avait des hommes de tous horizons dans cette pièce, et malgré l’ambiance elle se devait de garder en tête qu’une telle beauté pouvait attirer les convoitises ; et bien plus encore si on apprenait qu’elle était la troisième fortune de l’ile. Ceux qui les écoutaient n’avaient pas envie de se voir rappeler leurs misérables conditions.

« C’est une histoire assez banale. Mon père m’avait promise à un homme, mais mon cœur allait pour un autre. » Elle tourna le regard vers Qilin, comme pour appuyer ses propos. Elle parlait avec une certaine désinvolture qui la rendait crédible. Elle reprit : « Nous fuyons donc la capital pour vivre notre amour librement. »

C’était si beau que la jeune femme avait presque envie d’en rire. Certains commentaient en disant qu’ils avaient eu raison de partir, d’autre profitait de ce beau discours pour le fêter en trinquant une nouvelle fois. Après tout, il n’y avait que ça à faire. Mais les critiques amusantes fusaient aussi. « Avec une brindille comme lui ? » Disait l’un. « Tu mérites mieux pourtant, ahah ! » Cela amusait la jeune femme qui ne prenait pas la peine de répondre ; après tout ils n’avaient pas tort. Elle avala une énième gorgé, reposant son verre par la suite dans un mouvement qu’elle n’arrivait plus à contrôler à la perfection. Etait-elle tombée si bas ?
Elle éclata de rire, un rire doux et si féminin, sans réelle raison.

« Tu ne vas quand même pas les laisser dire ça, hein, chéri ? »

A force de trop jouer, elle allait se laisser prendre par son propre jeu. Après tout, cette chose qu’elle faisait prétendre pour son amant était belle, attirante, comme une lumière pour le papillon qu’elle était. Peut-être serait-elle tombée amoureuse si elle ne connaissait pas sa vraie nature. Il n’était qu’un monstre.
Il fallait avouer que la jeune femme s’amusait. Elle aimait cette ambiance enfantine et vulgaire, aimait ce bruit continue et ces remarques et propositions incessantes. Peut-être cela ne changeait pas de son quotidien, à Lüh. Son invocation semblait avoir été piquée à vif ; elle savait son égo surdimensionné, sa prétendue supériorité. Au final, il n’avait pas le choix, du fait de ses précédentes paroles.

Elle le regarda, sourire aux lèvres se lever promptement, répondant aux provocations d’un homme trapu et imposant, en face d’eux. Ce dernier se leva à son tour, ce qui donna une toute autre ambiance à la pièce. On faisait des paris, on encourageait à en perdre la voix l’un ou l’autre combattant. Nérée se demandait simplement en combien de coup son montre allait mettre à terre l’homme saoul. Peut-être allait-il perdre, et se retrouver dans les bras du vainqueur. Cette possibilité était réellement plaisante. Cependant ses espoirs furent vite balayés par l’étonnante force de son demi-dieu, qui en quelques coups mit à terre le pauvre homme. Avait-il toujours été aussi puissant ? Lorsqu’il tomba à terre, la jeune noble ne put retenir un doux rire.

Il s’approcha de nouveau d’elle, ne semblant pas toutefois être enclin à d’autres festivités. Peut-être avait-elle réellement dépassé sa limite. Sa joue était légèrement rouge, à cause du premier échange qu’il n’avait réussi à éviter. Puis il s’en alla aussi vite ; effectivement il n’avait pas l’air heureux de la tournure des évènements. Un homme lui demanda ce qu’il avait, alors qu’il venait de gagner glorieusement un combat ; il devrait en être fier, en temps normal. Un homme réagirait ainsi.

« Il est assez… susceptible. » sourit-elle doucement. Elle allait profiter encore un peu de la présence de ces hommes avant de retourner voir son compagnon. Il pouvait bien rester un peu seul.

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Quelques heures passèrent avant que la jeune femme ne daigne quitter la table à son tour. Elle avait peut-être un peu trop bu, peut-être un peu trop discuté. Elle se dirigea tant bien que mal vers sa cabine, passa doucement la porte. Au fond d’elle, elle était heureuse d’y trouver son invocation.

« N'était-ce pas amusant ? »

Elle referma doucement la porte derrière elle, se tenant contre ; elle n’arrivait plus à tenir du tout, de toute façon. Elle posa son regard sur son demi-dieu, espérant que celui-ci allait une fois de plus pardonner son caprice. Il n’en avait pas le choix. La jeune femme sentait ses forces s’en aller en même temps que son esprit ; c’était un sentiment si agréable.

Elle passa une main dans ses cheveux. Il était temps que sa journée se termine, qu’elle ferme les yeux pour oublier le temps d’un souffle tout ce qui se trouvait autour d’elle. Peut-être n’allait-elle jamais se réveiller ; parfois elle en rêvait.

Son invocation ne l’avait guère regardé entrer dans la pièce, ni même lui avait adressé une attention particulière lorsqu’il lui répondit. Il était simplement là, étendu sur le lit, comme s’il ressentait le besoin de dormir. La jeune femme le fixa quelques instants de plus et s’en approcha doucement, laissant sa main filer sur le mur comme pour s’y tenir. Durant son retour jusqu’à la cabine, il était vrai qu’elle n’avait réellement marché droit et que sa tête lui indiquait que le bateau tanguait bien plus qu’en réalité. Elle finit par s’asseoir sur le rebord du lit, enlevant ses bottines. Elle défit sa coiffure, détacha ses dagues et son petit sac en les laissant tomber à terre. Elle se déshabilla tant bien que mal et sans aucune gêne, se contentant de garder sa simple chemise blanche. Puis elle grimpa sur son demi-dieu.

Elle pouvait sentir les mouvements de son corps au rythme de sa respiration. Ses cheveux berçaient les côtés de son visage, tombant ainsi comme pour les enfermer dans une bulle. La jeune femme avait perdu ce sourire qui l’avait accompagnée tout la soirée ; il n’y avait ici que le silence pour rire d’elle. Peut-être daignerait-il la regarder, ainsi.

« Si je ne peux te faire aimer ce monde, je trouverai un moyen de t'en faire disparaître. »

Ses mots avaient dépassés sa pensée, cela n’était cependant guère important. Ils n’avaient pas de sens et pourtant la jeune noble les avaient prononcé avec tant de douceur et de conviction qu’on aurait cru entendre la voix de son cœur ; c’était idiot. Elle leva la main jusqu’au visage de Qilin, lui caressant doucement la peau de sa joue encore rougie du coup qu’il s’était pris. Au final, il s’était battue pour elle ; comme à Rorn. Elle rapprocha son visage du sien, un peu plus.
C’était son amoureux après tout ; elle en avait le droit, n’est-ce pas ?

Elle s’endormit.

La jeune demoiselle ouvrit difficilement un œil. Son corps ne voulait bouger ; peut-être était-ce simplement les rayons du soleil caressant sa peau à travers la fenêtre qui lui intimaient de ne pas bouger. Il n’y avait personne à ses côtés. Elle n’aimait pas lorsqu’il n’y avait personne. Elle avait besoin de quelqu’un et ne savait pourquoi elle ressentait ce désir.
Elle referma les yeux un instant, profitant encore un peu de cet état de parasite. La jeune femme était prête à rester la journée ici, comme seule occupation ses rêveries. Après tout, elle n’avait jamais abandonné cette habitude.

Doucement elle se redressa. A en jugé de la luminosité au dehors, elle avait dû récupérer de son amusante soirée durant une bonne partie de la matinée. Cela n’était pas dérangeant ; après tout il n’y avait rien à faire d’autre que d’attendre. Ils avaient encore de longues heures devant eux avant d’enfin apercevoir une quelconque terre, et quand bien même ils allaient longer la côte, la ville la plus proche était encore à deux jours de voyage. Doucement, elle passa ses doigts sur ses lèvres. Elle se souvenait de ses dernières paroles, ce qui lui fit sourire une fois de plus. Elle remonta sa main et passa ses doigts dans sa chevelure légèrement emmêlée, puis se leva enfin.

Il n’y avait que peu de monde debout, même en cette heure ; après tout la nuit avait dû être de courte durée pour un grand nombre des voyageurs à bord du bateau. Elle salua ceux qui croisèrent sa route, comme s’ils connaissaient depuis longtemps. Elle finit par rejoindre l’extérieur. Le vent balaya ses cheveux, ses yeux semblant redécouvrir le bateau qu’elle avait déjà parcouru la veille. Ses yeux se posèrent rapidement sur celui qu’elle cherchait et elle se dirigea vers sa direction, sans plus attendre.

Elle était à sa hauteur et avait cherché à attirer son regard. La jeune femme aimait bien lorsque son invocation la regardait.

« Si je trouve le temps long, c'est au final agréable. Ne trouves-tu pas cela agréable ? »

Et le temps fut long, avant que la terre de fisse de nouveau son apparition, à l'horizon. C'était le matin du quatrième jour, le voyage ayant duré plus longtemps que prévu à cause du mauvais temps. La jeune demoiselle avait presque été tenté de faire fuir ces nuages avec un petit ordre. Elle rassembla ses affaires trainant encore dans sa cabine, regagnant le pont par la suite. La ville était là, ils allaient accoster.
Ce n'était que le début.