Combien de temps attendait-elle dans cette prison ? Elle ne le savait plus, elle avait arrêté de compter. Elle qui avait pleinement accepté la décision des dieux, ne pensant jamais trouver cette punition aussi difficile . Elle gardait un souvenir amer des êtres humains, et pourtant, rêvait d’en voir un franchir les portes de sa cellule. Néanmoins, jamais cela ne s’était produit. Était-ce parce qu’elle était dans une tour ? Les humains s’étaient-ils encore laissés envahir par la paresse ? Pourtant, elle méritait bien que ces derniers prennent la peine de parcourir quelques marches ! Ou alors, ces derniers ne partageaient plus son amour pour la flore ? L’invocation secoua la tête, cela était impossible, inacceptable même! Jamais elle n’accepterait pareil affront… et pourtant.
Elle était seule, enfermée avec ses pensées. Des pensées qui parfois étaient bien sombres. Pour remédier à cela, elle rêvait. Elle rêvait de retourner à l’ancien temps, de réparer ses fautes avant qu’elles ne voient le jour. Mais cela étant impossible, elle se mettait alors à souhaiter voir un bel humain venir la délivrer. Oui, comme ces histoires fascinantes que la première génération avait l’habitude d’écrire et de lui compter. Un prince venant sauver sa princesse, n’est-ce pas romantique ? Enfin, soyons clair, peu importe l’humain, elle voulait sortir… mais si ce dernier était agréable à regarder alors… cela serait fort apprécié.
De ce qu’elle pouvait apercevoir de sa fenêtre (ou était-ce un trou ?) la végétation semblait avoir repris sa place sur cette planète. Flora avait hâte de découvrir ce Nouveau Monde. Il ne pouvait de toute manière pas être pire que sa cage. On n’y trouvait rien, que de la roche qui l’emprisonnait et ce trou entre deux pierres qui lui permettait d’avoir un avant-goût de ce qui l’attendait à l’extérieur. Bien sûr, les murs de sa prison étaient rayés par des crises de folie passagère due à la solitude. Qui ne deviendrait pas fou à force, mh ? Personne, même pas la divine Flora. D’ailleurs, au moins Terra ne lui avait pas fait l’affront de l’enfermer dans une boîte miniature. Elle n’était pas grande, soit, mais avait besoin d’espace. Ou était-ce plutôt pour permettre à plusieurs humains d’entrer... ?
Celle-ci jeta un regard vers la porte qui la séparait de son futur invocateur. Elle était faite de bois, ornée de plusieurs lierres fleuris. De l’autre côté, une plaquette annonçait l’âme détenue : F///, la gardienne des fleurs. Il était devenu impossible de décrypter son nom à cause de la végétation. Cela ne devrait cependant pas empêcher tout curieux de venir à elle, du moins elle espérait.
Elle pouvait sentir son cœur d’artichaut s’emballer lorsqu’elle entendit un humain s’approcher et s’arrêter à sa porte. Serait-ce enfin le moment qu’elle attendait tant ? Allait-il ouvrir cette porte qui la séparait du monde extérieur ? Ou allait-il continuer sa route et ignorer ainsi son existence ? Toujours positionnée à sa « fenêtre », l’invocation se tenait droite et tendue, son regard figé jusqu’à ce qu’elle entende le doux et désagréable grincement résonner dans sa cellule.
Il faisait trop sombre pour qu’un humain puisse y vagabonder sans inquiétude. Et, pour une fois, cela arrangea la petite fleur qui n’avait su contenir sa joie. Un immense sourire aux lèvres, elle dut néanmoins se reprendre, car il restait des choses à faire. Elle reprit un souffle avant d’accueillir son invité.
« Bienvenue, Humain. »
Sa voix était semblable à celui d’une jeune femme et en aucun cas ne laissait un quelconque indice sur sa taille. Les échos rendaient sa localisation également impossible et ses déplacements ne faisaient pas le moindre bruit. C’est pourquoi elle s’avança lentement vers l’homme qui avait choisi de pousser la porte.
« Cela fait bien longtemps que personne n’ait daigné me rendre visite. »
Fit-elle avant que des torches ne s’allument subitement dans la pièce. Flora était désormais face à son visiteur, ou devrais-je dire au pied de ce dernier ? Ses petits yeux noirs observèrent longuement l’humain. Ces derniers ne semblaient guère avoir évolué, changé... tant mieux !
« Hurm. »
Un petit raclement de la gorge afin de se faire remarquer. Il fallait bien que ce dernier daigne baisser son regard pour la voir. Et il avait intérêt à ne pas mettre trop de temps ou alors elle se débrouillerait pour le forcer à la regarder.
« Mon nom est Flora, gardienne des Fleurs. Es-tu prêt à te montrer à la hauteur ? Ou préfères-tu rebrousser chemin pour ouvrir une nouvelle porte ? »
La réaction et les gestes de l’humain qui se trouvaient devant elle étaient surprenants. Que trop peu de ces créatures s’étaient ainsi inclinées devant elle. Certains s’étaient même permis à lui manquer de respect et en avaient payé le prix. Pour le coup, elle pouvait sentir ses joues rosir légèrement face à cette parade. Cependant, elle n’était pas dupe. Les humains n’avaient plus aucune raison de la vénérer à présent. Elle n’avait d’ailleurs pas manqué de remarquer la précision de ses paroles : aujourd’hui.
« Je doute que tes ambitions s’arrêtent là, Seïd. Si tu as parcouru tout ce chemin, ce n’est pas pour me servir. Parle librement, quelles sont tes ambitions ? Le pouvoir ? La reconnaissance ? L’influence ? Que recherches-tu ? »
A peine eut-elle fini sa phrase qu’elle tourna les talons et reprit alors ses distances. En réalité la réponse ne l’intéressait pas. Les êtres humains n’étaient pas réputés pour leur honnêteté après tout. Une fois que l’homme finit de lui répondre par on ne sait quelles inventions, elle se retourna à nouveau vers lui.
« Très sensible près de la peau, Mais ne manquant jamais de pot. En faire une est une faveur, Fine, elle désigne les meilleurs. Qui est-elle ? »
Ses yeux le fixèrent silencieusement. Patiemment, et sans aucun indice, l’invocation se mit à attendre. Allait-il trouver la réponse qu’elle attendait ? S’il avait un peu d’esprit, cela ne devrait pas lui prendre beaucoup de temps, normalement.
Comme elle s’y attendait, l’homme ne prit guère beaucoup de temps pour trouver sa réponse. Et elle pouvait déceler, chez cet humain, une certaine assurance. Elle n’était donc pas face à une créature faible d’esprit. Bien, très bien. Un sourire apparut également sur son visage.
« La fleur, très exactement. »
Elle releva alors subitement ses petits bras pour claquer à deux reprises ses mains. Là, soudainement, la pièce s’illumina d’une lumière plus éclatante. Des centaines, des milliers de fleurs de toute espèce éclosent dans la pièce, que cela soit au sol, sur les murs et même au-dessus de leur tête. Il y avait également de petits sentiers qui permettaient à l’homme de se déplacer en faisant le moins de dégât possible.
« Offre-moi celle(s) que tu voudras. Si tu parviens à me satisfaire, je te suivrais au-delà de cette porte. »
Sans doute que son épreuve pouvait paraître bien simple : aucun combat ne semblait avoir lieu. Après tout, Flora n’a que faire des talents physiques. Elle recherche une tout autre compétence et pour tout avouer, elle était impatiente de voir si ce dernier allait réussir ou échouer. Cependant, elle reprit bien vite un regard sérieux et une voix plus froide.
«N’oublie pas que même la plus belle des roses possède ses épines. »
Elle le regarda longuement avant de lui faire signe de commencer. Il avait intérêt à bien choisir, car il n’aurait pas une seconde chance. Finalement, Flora disparut dans la végétation pour mieux suivre ses mouvements en toute discrétion.
Les paroles de l’humain résonnaient autant dans la pièce que dans l’esprit de la demi-déesse. Elle réapparut alors entre les flores et observa longuement l’homme qui venait de lui donner une réponse inattendue. Elle s’était longuement préparée à ce jour, elle en avait eu le temps. Tellement le temps, qu’elle avait déjà réfléchi aux réponses associées à chacune des fleurs et des combinaisons que l’humain pourrait lui offrir. Elle avait pensé à tout et s’était entraînée durant des années. Malgré tout, elle n’avait jamais pensé à ce dénouement.
« Dois-je comprendre qu’à vos yeux, ma présence ne vaut aucune de ces fleurs ? »
Demanda-t-elle presque dans un murmure, encore sous le choc. Elle gardait sa tête baissée, pensive. L’humain avait choisi de lui en offrir toute et aucune à la fois. N’était-ce pas contradictoire ? En arracher une serait un trop lourd sacrifice pour lui en faire cadeau… malgré ce que cela pourrait représenter. Flora ressentait une certaine colère montée en elle et pourtant…
Son regard se porta sur la flore qui les entourait tous les deux. Cela faisait bien longtemps qu’elle n’avait pas été si bien entourée… et pourtant.
« Cette épreuve avait pour but de tester vos connaissances, votre sincérité et votre originalité. Offrez-moi une rose et je ne verrai qu’un charmeur, offrez-moi une fleur empoisonnée et je ne verrai qu’un idiot… »
Fit-elle avant de retourner son attention sur l’humain. En réalité, ce n’était pas la ou les fleurs que l’humain choisissait qui étaient importantes, mais le désir et l’explication qui se cachait derrière. Une invocation telle que Flora ne pouvait satisfaire un combattant. Néanmoins, elle pouvait rendre la vie plus facile à une personne partageant son amour pour la flore.
« Je vous ai observé. Votre passion vous a fait m’oublier… plus encore, elle vous pousse à refuser mon épreuve et pourtant… »
Flora prit une plus grande inspiration avant de poser ses yeux dans les siens.
« Vous avez réussi. »
L’invocation s’avança lentement vers l’homme qui avait réduit à néant des années de préparations pour finalement lui tendre sa petite et délicate main. Il n’avait pas pu démontrer ses connaissances, mais avait su prouver son amour. Et cela était le plus important, plus important que sa fierté.
Ses paroles eurent le mérite de lui décrocher un sourire discret. Elle était presque soulagée de le voir réagir ainsi. Il n’aurait après tout pas été étonnant que ce dernier change de comportement dès son objectif atteint. Apparemment, ce n’était pas le cas, du moins pas tout de suite. Plus surprenant encore, l’humain semblait avoir compris ce qu’elle souhaitait : à savoir monter sur lui. Il faut dire qu’il n’était pas pratique de se déplacer à côté des humains sous sa forme. Heureusement pour lui, elle avait déjà eu l’occasion de monter des humains. Et veillez à ne pas déformer ces propos !
Bref, Flora alla donc s’installer sur les larges épaules de l’homme qui venait la délivrer. Elle pouvait sentir son cœur battre la chamade… enfin si elle en avait réellement un. Non seulement, cela faisait des lustres qu’elle n’avait pas chevauché pareille bestiole, mais surtout… elle allait quitter sa prison, découvrir ce Nouveau Monde.
« Att…attendez ! STOP ! Je.. Mon cœur a besoin de préparation. »
Déclara-t-elle soudainement alors qu’elle amena une de ses mains à sa poitrine. Elle allait exploser s’il ne se calmait pas immédiatement. D’ailleurs, la magie de son épreuve s’était rompue et on pouvait de nouveau constater la triste noirceur des lieux.
« Hurm, c’est bon. Nous pouvons y aller. »
Droite, elle tentait tant bien que mal de contenir ses émotions et de maintenir les apparences. Malgré tout, ses yeux s’écarquillèrent à la vue de la lumière. Rien que les couloirs étroits du temple l’illuminaient de bonheur.
« Seïd, n’est-ce pas ? Nos destins étant liés à présent, je souhaiterai que vous me parliez un peu de vous… »
Fit-elle en remarquant les gardes qui semblaient attendre leur retour.
Les regards indiscrets des hommes sur sa personne, elle en avait l’habitude. Sa taille n’impressionnait guère, sa colère en revanche… Néanmoins, Flora se retint de tout commentaire à cet instant. Elle pouvait sentir ses forces amoindries, elle n’était plus ce qu’elle était par le passé. Elle ne pouvait donc pas se permettre de faire n’importe quoi.
Elle resta un moment silencieuse, admirant le paysage pendant que son invocateur lui dise un peu plus sur lui-même. Malheureusement, la saison n’était pas celle qu’elle privilégiait, au contraire. Elle ne pouvait donc pas observer toute la beauté de la Flore de ce monde, pas encore.
« Un noble marchant qui a fait de son métier sa passion. »
Résuma-t-elle sans quitter l’horizon. Il avait bien raison sur une chose, ils avaient tout leur temps, enfin presque. Flora garde en mémoire la vie fragile de ces êtres. Elle allait devoir veiller à ce que la vie de ce dernier ne se termine pas trop tôt.
« L’heure n’est pas à la découverte. J’ai besoin de repos, et je suis convaincue que cela sera également votre cas une fois que nous atteindrons votre domaine. »
Et puis ces hommes de compagnie autour d’eux devaient être là pour une raison bien précise. Il était alors tout simplement hors de question que la petite Flora s’éloigne d’eux. Il ne manquerait plus que ces derniers ne faillent à leur devoir et que Seïd s’en retrouve blesser ou pire encore. Ainsi, l’invocation fraîchement délivrée profita du voyage en silence, tout en se questionnant sur leur destination.