« Non, j'ai plus de fausses flaques de vomi en bois, plus assez de brillance pour en faire. Donc j'ai gardé le bois pour autre chose. Mais j'ai mieux qu'une fausse flaque. Beaucoup mieux. »
Ça, c'est Aliénor. Vendeuse de farces et attrapes. En face, Gregor, un jeune fils à papa plein aux as qui a décidé qu'embêter les gens, c'était bien, mais que les embêter avec les bons accessoires, c'était mieux. Ça aurait bien pu se passer entre eux, si la jeune marchande qui avait quelques années de plus et seulement quelques centimètres de plus n'avait pas décidé de prendre le gamin en grippe et de lui refuser un article qu'elle trouvait pour le moins parfaitement classique et totalement pas amusant.
« Non, moi je veux cette flaque. J'ai de l'argent, ma famille est très riche, vous savez. »
Il faut dire que cet enfant présentait à Aliénor l'ensemble des symptômes d'un syndrome bien connu qui touchait plus d'une catégorie de gens. Le syndrome de "plus y'en a dans les bourses, moins y'en a dans la tête". S'applique à toutes les définitions. Et en l'occurrence, comme l'avait si bien précisé le jeune homme, il était très riche.
« Tout l'or du monde me fera pas trouver une flaque si elle n'existe pas, gamin ! Ça fait trois heures que tu me bassines avec ça donc soit tu m'achètes un truc qui existe, soit tu te casses et tu laisses la place aux autres clients ! » aurait-elle dit si sa tante ne lui avait pas appris à calmer ses ardeurs en commerce.
« Donnez-moi un moyen de vous joindre, et je vous ferai parvenir l'article demandé lorsqu'il sera prêt. » dit-elle à la place, non sans penser un "bouffon" de ponctuation finale.
Après un moment d'hésitation, le richou acquiesça, griffonna une adresse vite fait sur un morceau de papier, puis partit. Quand il fut assez loin, la colporteuse poussa un soupire mêlant soulagement et exaspération. Au moins ne lui avait-il pas demandé de servir de paillasson pour n'avoir pas l'article demandé.
« Oui madame, cette souris en bois peut se déplacer toute seule. Faites juste attention à ne pas trop serrer le ressort et tout ira bien. Vous en prenez deux ? Fort bien, ça fera 50 tsuris. »
Heureusement que tous les clients n'étaient pas comme le sale gosse. Puis vint un vieux qui examina la marchandise non sans examiner la marchande. Rester zen, rester calme, Aliénor se laissa reluquer non sans vouloir enfoncer le jouet-souris dans un endroit appartenant au vieux pervers. Au moins essayait-il d'être discret. Pour mieux l'ignorer, elle s'intéressa à l'étalage voisin, où un singulier jeune homme reluquait la marchandise. Et pas le marchand, cette fois.
Ce qu'il demanda fit cependant s'écrouler de rire Aliénor qui était à bout de nerfs depuis trop longtemps pour résister.
« Une ristourne ? De la part du vieux Sam ? Pour deux ou trois articles ? »
Le vieux Sam, ou Samuel Horrington, était connu dans le marché pour être l'avare de service. Vraiment. Pas de ristourne, pas de crédit, rien. Tu payes cash ou tu te casses, tel était son motto
« Cela vous amuse, mademoiselle Nepenthès ? »
La voix nasillarde du vieux Sam acheva de faire pleurer de rire la marchande.
« Excusez-moi, m'sieur Horrington, c'est les nerfs... C'est les nerfs... »
Elle reprit son souffle avant de reprendre.
« Mais j'ai raison ou pas, M'sieur Horrington ? Vous allez pas lui faire une ristourne, hein ? »
Si elle arrivait à retourner le vieux marchand contre elle, peut-être que le jeune homme singulier allait l'avoir, sa ristourne. Juste parce que le vieux Sam voudrait contredire la vendeuse. Juste pour paraître surprenant, peut-être. Pour la contredire, sûrement. Mais pour Aliénor, voir le vieux Sam faire une offre de mauvais cœur était un but en soi, et aurait le mérite de retirer tout le stress de la journée.
« Bon, vous avez choisi ? » dit-elle un poil agressivement au vieux qui ne prenait même plus la peine de faire semblant de regarder la marchandise.