Le but des plages étant d'être belles et agréables pour les yeux, il était normal qu'elles fassent l'objet de visites et contemplations fréquentes de la part de moult individus. Loin d'être mal pris, il ne s'agissait que de la preuve que le fastidieux travail du fils d'Aqua était bien fait.
Les humains n'existant point encore, le monde connaissait encore toute sa superbe et il n'était pas rare pour les fils des dieux de faire l'éloge de leur travail ainsi que de celui de leurs confrères en profitant aisément des magnificences que la nature offrait.
Q'loth était dans un bon jour, un jour sous le signe du dur labeur et de l’autosatisfaction. Il venait de finir déjà quarante deux plages et récifs sur quarante deux jours consécutifs et était en repérage de la prochaine cible de ses exigences maniaques.
Une petite plage de sable plutôt épais, dans une baie discrète ou le vent s'engouffrait violemment. Pas de paysage mignon ici mais un spectaculaire travail d'organisation pour disposer des éléments assez lourds pour subsister face aux rafales et protéger d'autres décorations plus délicates. La difficulté de la tâche ravissait le mammifère marin qui accosta sans difficulté grâce à ses capacité divines.
Une fois arrivé sur la plage, c'est une présence qui lui fit hocher la tête et mettre les oreilles aux aguets. Qui donc était venu se perdre ici ? Un frère ? Un animal ? Confiant et intrigué, Q'loth trottina joyeusement et silencieusement jusqu'à la source de cette mystérieuse aura.

C'était un renard. Un demi-dieu renard. Avec beaucoup de queues. Q'loth ne voyait pas d'intérêt à les compter, après tout ça ne changerait pas sa vie... Intrigué, il ralenti sa cadence sans même y réfléchir, avançant désormais à pas de velours jusqu'à l'objet de sa nouvelle curiosité.
L'autre dormant d'un sommeil qui n'avait rien de nécessaire, la loutre ne s'était pas imaginer approcher avec tant de facilités. A quelques centimètres seulement du museau du canidé, il s'affaissa à son tour, fixant le museau en face du sien avec de grands yeux qui louchent. Souriant, posé, le fils d'Aqua attendit patiemment le réveil de son partenaire divin avant qu'une idée saugrenue n'étire encore plus ses babines moustachues.
Saisissant un petit coquillage qu'il avait trouvé plus tôt dans les récifs, Q'loth disposa la nacre sur le coin de la babine du renard d'un geste d'une précision absolue et d'une délicatesse inattendue. Une petite branche se trouvait non loin et ce fut l'objet suivant des lubies du maître des plages ; elle finit près de la patte gauche de l'assoupi, penchée et à moitié ensevelie dans le sable balayé par le vent.
La scène dura un petit moment, s'élargissant de plus en plus sur la plage, ayant en son centre le divin renard à neuf queues endormi.

Q'loth en avait enfin fini avec cette plages. Quelques heures tout au plus avaient suffit à réarranger les matériaux locaux de façon poétique, mettant en valeur l'élément central de l'oeuvre divine. Élément qui avait bouger sans vraiment quitter son poste, fidèle à la conception de la pièce qui se jouait au milieu des grains de sable.
Marchant mollement, la loutre se dirigea vers le captif renard, un éclat d'espièglerie dans le regard. Une fois à sa hauteur, il s'assit, ses babines retroussées en un sourire moqueur.

"Es-tu muet, frère ? Es-tu embourbé ?"

Malgré leur ascendance divine, il était difficile de trouver un éclat de vie somptueux dans la personnalité du démiurge roux. Si peu de réactions, si peu de questionnement, si peu d'intérêt pour le réel travail qu'exerçait le fils d'Aqua. S'il avait été susceptible, le constructeur de plages aurait pu s'offusquer d'un tel manque de respect envers son travail. Ou était-ce le manque de respect que le renard avait pour lui-même... Ses griffes s'enfonçant dans le sable, le demi-dieu nacré espéra que l'autre lui apporterait un peu plus que la mollesse dont-il avait fait preuve jusqu'ici. S'il y avait bien un type de mentalité qu'il ne pouvait supporter, c'étaient ceux qui se pensaient mystérieux en gardant le silence à des moment où le silence ne signifie rien.

Il s'inclina poliment aux paroles du fils d'Aer. Il parlait. Les intentions de la bête étant plus claires, Q'loth entreprit de poursuivre le dialogue sur un ton plus sympathique. Ce n'était pas un mauvais bougre, juste un ignorant ; ils l'étaient tous les deux l'un envers l'autre, il n'y avait donc aucun mal à cela. La réponse fut sympathique, presque amusée, dans tous les cas elle était pleine de bonté.

"Tu n'as pas besoin de t'inquiéter de ce genre de détail, je maîtrise mon art bien plus que tu as l'air de le penser. Lève toi et regarde cette plage dans son ensemble, avec l'empreinte de du corps que tu as gentiment et naturellement laissé."

Il verrait sans aucun doute l'oeuvre sous un nouvel angle. Le décorateur savait ce qu'impliquait d'inclure un être vivant dans un paysage : le fait qu'il ne s'y trouverait rapidement plus. C'était cette empreinte, cette preuve, ce témoignage du passage d'une créature qui embellissait la fresque de façon à la fois suggestive et très explicite. Savoir transmettre que quelqu'un était là, que sa présence sert la beauté du monde même une fois parti, c'était comme fossiliser le demi-dieu jusqu'au prochain passage de la loutre.

Ravi d'entendre ces mots pour lesquels il se donnait tant de mal, la créature au pelage blanc s'inclina aussi bas que terre pour remercier l'auteur des compliments.

"Bien trop d'honneur, je te remercie d'apprécier ce que je fais. Je ne saurais comment t'exprimer ma reconnaissance autrement qu'avec ces maigres mots. Je me contente d'ouvrir les yeux à toutes les possibilités. Présence, absence, concret, abstrait, décor, concept, trouver les bonnes associations de formes et de couleurs, de matière et de vide... Bien que j'ignore quelle est ta mission, j'apprécie avec autant de respect qu'il est possible d'avoir la reconnaissance que tu m'apportes."

Les yeux clos, les traits détendus, le plus petit des deux divins appréciait avec humilité la situation. Il espérait également exprimer sa curiosité et c'est toujours sue le même ton qu'il s'enquit de nouvelles réponses.

"Si cela ne te dérange pas, fils d'Aer, pourrais-je t'interroger au sujet de ces dites idées que je semble t'inspirer ? Je reste curieux de savoir à quel projet je vais participer passivement..."

Ses paupières se relevèrent et c'est avec de grands yeux intéressés que la loutre attendit les réponses de son frère au poil semblable aux feuilles d'automne.

Les yeux d'onyx de la loutre brillèrent d'un éclat admiratif. La migration ? C'était une belle trouvaille. Des animaux dont la présence varierait au gré de... Au gré de quoi ? Une tâche d'ombre noircissait le tableau pourtant joli. Une mince ride fronça les sourcils du bougon mammifère alors qu'il réfléchissait à deux question en même temps.
Agacé de ne pas trouver aisément, le créateur de paysges opta pour une solution un peu facile mais assurément viable.

"Et bien, Valefor, pourquoi ne pas en profiter pour les faire bouger lorsque les paysages doivent être amenés à changer du tout au tout ? Je me doute qu'il ne faudrait pas les perturber en les faisant voyager trop souvent mais il pourrait être astucieux de profiter des grands bouleversements climatiques pour sublimer leur départ : ainsi les dangers des grands froids pourraient chasser certaines créatures vers des contrées plus accueillantes. Cela me permettrait de créer des plages inédites où l'absence totale de créatures serait le point d'honneur ! De même que les plages d'accueil se verraient chamboulées, permettant la créations de nouveaux tableaux inédits chaque année !"

Véritablement passionné, Q'loth s'était approché petit à petit de son interlocuteur, finissant sous son nez, s'accrochant presque à son pelage. Il vivait déjà la scène, baignant dans l'euphorie des nouveaux projets.
Avec tout ça, il en avait presque oublié de se présenter. Presque. Disons qu'il n'avait pas envie de se couper pour une raison si futile. Il pourrait bien dévoiler son identité après, pour ce que ça changerait...

S'inclinant de nouveau en répondant sur une voix mielleuse, le fils d'Aqua adressa ses sans doute dernières paroles avant un moment au renard pressé.

"Appelle moi Q'loth, ami Valefor. Quant à cette histoire de migration, ne t'inquiète pas des climats, ils changent seuls car cela fait parti du travail de nos frères. Ne cherche pas à tout maîtriser, des fois il est agréable de voir comment les chose évoluent d'elles même après un simple remou..."

C'était sa philosophie et ce qui causa, bien plus tard, son indécision sur le projet "humains". Se contenter de se laisser porter par les courants en les orientant juste à peine, c'était également comme cela qu'il procédait depuis sa propre création. Même les plages se créaient un peu d'elles mêmes. Bien qu'il en était l'architecte, il se servait des ressources de l'environnement proche afin de créer une atmosphère toujours authentique et cohérente avec le milieu local.
Souriant en prenant également la direction de la mer, la loutre regarda son compagnon filer comme le vent, s'allongeant sur le dos dans le lit des courants marins où il dériverait jusqu'à son futur terrain de jeu.