Alors voilà… Elle était de retour face au Temple, avec tous les candidats recalés de l’immense pigeon. Une certaine rancœur s’était emparée d’elle, mais elle se transforma en amusement quand elle comprit que la nordienne avait été choisie. La femme avait attiré son attention, et elle n’était pas vexée d’avoir perdu face à elle. Le griffon semblait peut-être un peu trop complexe pour elle, après tout…

La demoiselle jeta un regard aux deux autres candidats, les suivant des yeux alors qu’ils retournaient à leurs vies respectives. Pendant un instant, elle s’imagina interrompre la jeune garde pour lui offrir de se rendre à la ville ensemble. Jouer les jeunes nobles éperdues, en somme… Mais elle se retint. Elle avait échoué cette épreuve, mais ça ne voulait pas dire pour autant qu’elle pouvait partir d’ici. Sa quête tenait toujours, en quelques sortes.

Un soupir lui échappa et elle porta ses deux mains à son visage, pour se le frotter doucement. La liberté qu’elle avait effleurée dans l’épreuve de Galifey était si vibrante en elle qu’elle se sentait encore pousser des ailes. Les souvenirs de sa famille avaient beau revenir lentement, il était difficile de laisser partir ce sentiment grisant. Malheureusement, elle n’était pas encore prête. Les fantômes de ses proches agrippaient ses poignets, et le poids revenait contre ses épaules. Dans sa tête, il ne fallut pas longtemps à la tornade pour revenir. Avec elle, une vague de culpabilité se heurta à sa conscience. C’était tellement douloureux pour elle que la demoiselle faillit tomber. Ses jambes se faisaient faibles alors qu’elle était envahie de plaintes accusatrices. Comment avait-elle pu souhaiter laisser tomber sa famille ? Ils étaient vivants quelque part, et elle devait les retrouver ! Pourquoi avait-elle eu cette attitude pendant l’épreuve ?

Tout en resserrant les pans de son manteau, elle s’avança dans le grand hall, aux prises avec deux versions d’elle-même. Celle qui regardait vers l’avenir, et celle qui restait fixée sur le passé. Ces deux Ezelya se battaient sauvagement dans sa tête, soulevant derrière elles un nuage d’incompréhension et de tristesse.

Malgré la température plus accueillante du Temple, le vent froid qui y soufflait faisait frissonner la jeune femme. L’air frisquet s’engouffrait sous ses jupes, et remontait le long de ses jambes, qu’elle sentait de plus en plus frigorifiées. Elle n’avait pas choisi les vêtements les plus adaptés à la température… Dans le passé, elle aurait jeté cette si belle tenue dans la rue, optant pour des vêtements roturiers plus chauds. Après tout, dans le village, soit on gardait sa chaleur, soit on mourrait de froid. Le vent qui soufflait tous les matins lors de sa marche jusqu’à l’école l’avait plus d’une fois rendue malade. Il lui avait fallu quelques mois pour s’adapter, et le premier hiver avait été terrible. Pourtant, elle s’était adaptée, et ce petit vent de rien du tout était vite devenu un élément du quotidien avec lequel elle s’entendait bien.

Un sourire perça ses lèvres à ce souvenir. Les champs, les élevages, les axurixs, les commerces de rues, les enfants courant partout, les travailleurs passionnés, la routine monotone… Elle avait aimé ce petit monde de tout son cœur, et maintenant elle repensait à toute cette histoire avec la plus grande peine du monde. Si elle ne s’était pas absentée, aurait-elle pu changer le destin de son village ? Sa rapière aurait-elle pu changer le cours de la bataille ? Elle ne pouvait que se le demander, et jamais elle n’aurait les réponses. Alors maintenant, elle était coincée avec ce sentiment d’impuissance, de culpabilité, et de folie.

Bon… Elle devait admettre que Nagah et Valion avaient légèrement modifié la tempête dans sa tête. Nagah y amenait un brin de complaisance, comme si ce qu’elle faisait n’était pas si mal, après tout… Et Valion… C’était dur de décrire ce qu’il soulevait en elle. De la révolte, pour sûr. L’ancienne Ezelya se battait pour revenir au contrôle, et Valion lui donnait des armes pour sa révolution. Nagah contrecarrait ses plans avec brio, surtout qu’elle n’avait pas vu le jeune homme depuis longtemps. Son sourire se fit un peu plus large quand elle réalisa qu’elle reverrait le chasseur bientôt. Ils s’étaient donné rendez-vous dans le village près du Temple dans les prochains jours. Peut-être était-il déjà là-bas ?

Son regard fut attiré par les immenses portes de bois. Elle appréciait le travail divin. Ces gravures dégageaient une aura de mystère et de grandeur dont seuls les demi-dieux étaient dotés. Elle détailla cette porte, notant mentalement la présence de l’écriteau avec la douce consigne de sonner avant d’entrer. Ses yeux suivirent les gravures, jusqu’à tomber sur le nom et le titre de l’Invocation détenue ici. Pru’ha, Maîtresse du Savoir. Ce nom la secoua plus qu’elle ne l’aurait cru. Une maîtresse du savoir ? L’écho que cela faisait sonner en elle était à la fois agréable et hautement douloureux. Comment pouvait-elle associer son petit rôle de village au titre d’un demi-dieu ?

Peu importe. Docilement, son âme trop engloutie sous la brume pour faire la rebelle, elle tira la petite chaînette, et pénétra par la petite porte. Immédiatement, la vision des livres la conquit. Elle ne porta pas attention aux panneaux et se dirigea immédiatement vers les livres. Sans être la plus grande lectrice au monde, elle était tout de même impressionnée par une telle collection. Elle savait comment il pouvait être dur d’accumuler des livres. Après tout, n’avait-elle pas monté livre par livre sa propre collection pour l’école du village ? Avec l’aide d’Ari, elle avait bataillé pour obtenir de quoi enseigner aux enfants. Maintenant tout cela derrière elle, la vision d’une telle merveille l’emplissait d’une merveilleuse nostalgie, et elle se laissa porter par les lieux. Peu importe que ce soit une épreuve. Un demi-dieu avec une telle cellule ne pouvait être mauvais, et forcément un tel savoir ne pouvait rester enfermé.

Sa main parcouru les livres, consciente qu’ils n’étaient probablement pas réels. Elle en saisit un au hasard, ne sachant pas ce qu’elle voulait lire exactement, et elle détailla les espaces de lectures. La moindre chaise était une œuvre d’art ! Comment oser s’asseoir ici ?

Elle finit par abandonner ses petites craintes et se posa tranquillement dans un rocking chair. Le livre sur les genoux, elle ouvrit la première page.

La liberté de Galifey lui revenait tout doucement.

Aurait-elle pu trouver meilleur lieu ? Probablement pas.