N'ayant pas vraiment le loisir d'entamer la discussion sur la route des quais, il fallut attendre d'être sur place pour que le dialogue commence à prendre forme. Indubitablement, il parlait comme un "frère", au point que même Saen s'en rende compte.
Ce n'était pas bon.
Abandonner son corps était un acte anodin dans le cadre de leurs fonctions, le céder pour partager le sort des humains perfides qui avaient causé grands nombres de problèmes était un acte qu'il jugeait de haute barbarie.
Retenant les mots qui se déchainaient en lui, l'insecte aveugle refusa d'émettre le moindre son pendant une période qui pût être jugée longue. Lorsque la force lui vint de répondre calmement, les propos manquèrent pourtant de diplomatie.

"Je ne vois pas comment accommoder mes compétences avec un... Quelqu'un qui choisit de favoriser les futilités de la métamorphose au détriment des autres faibles capacités magiques dont nous disposons encore. S'il souhaite faire le moindre effort, il va falloir qu'il le montre un peu plus clairement que ce que je constate pour le moment."

Malgré la dureté des propos, tout n'était pas encore perdu cependant... Les cicatrices se rouvraient pour suinter, cela ne voulait pas dire qu'elles ne pouvaient pas cicatriser un jour. C'était juste encore un peu trop tôt...

Il n'était ni surpris, ni dérangé, comme le serait un compagnon d'aventure. À contrario, ses choix restaient ceux d'un étranger aux valeurs corrompues par ceux qui l'entouraient, comme un esprit faible et influençable.
Gozuitl pouvait sentir le flux magique onduler sous les fluctuations imposées par la magie de son ancien frère, chose qui ne l'aida pas à se dérider, visiblement.

"Mes yeux sont clos et le mal est déjà fait. Tu t'acoquines avec les humains, ce n'est pas parce que tu peux changer derrière que ça va effacer quoi que ce soit."

La rancoeur était déjà installée et se propageait inlassablement. Inutile de préciser qu'il trouvait cette forme-ci moins déplaisante, le mal était déjà fait et n'en dépendait pas. Il percevait vaguement une masse de plumes de deux à trois mètres, les sons lui apportaient les nouvelles d'ailes à plumes, d'un bec et de serres. Informations actuellement inutiles, jugea l'insecte. Il n'avait pas envie de parler de ses choix de toute façon. Informer et s'adapter, ça devrait suffire à instaurer les bases d'un duo relativement efficace.

"Je pense obtenir de quoi pouvoir attaquer assez fort, de quoi faire voler mon humain et de quoi ponctionner la vie de mes proies. Je pense aussi que je pourrai aider à la guérison des blessés dans une certaine mesure... Et sinon, quelles capacités utiles pour la mission as tu, cachées sous ta masse duveteuse ?"

Il n'était ni méchant ni moqueur à ses yeux. Insulter quelqu'un de doudou géant n'était clairement pas le plus blessant. À côté, Saen semblait quelque peu en marge et comme la discussion avait amené à parler d'ailes, Gozuitl se glissa dans son dos pour s'assurer de l'endroit d'où elles émergeraient, touchant la peau avec un toucher aussi léger d'une illusion.

Il aurait pu rouler des yeux sous ses paupières closes, si l'autre ne comprenait pas la différence entre leurs façons de faire, il n'avait aucunement envie de s'acharner à lui faire comprendre sa logique.
Idem pour leurs capacités magiques, qui par chance étaient complémentaires, les mots étaient inutiles tant les possibilités d'action étaient restreintes. Il aurait été stupide de proposer que Gozuitl s'occupe du soutien avec ses compétences par exemple.
Quant à la problématique du nom... Il n'avait pas non plus envie d'en parler. Il n'était plus celui d'autre fois et Tête-de-Noeud lui allait très bien en l'état... Aussi bien que "Jean-Roger" ou "Pauvre Tâche".
Muet, il préféra laisser son humain gérer les choses à sa façon, après tout, ce nom était son choix. Se tournant vers un mur adjacent, il frotta son front sur les roches calcaires, lissant quelques pierres sur sa chitine encore immuable face aux matériaux de ce faible monde

Être pragmatique pour survivre n'était pas forcément en lien avec être pragmatique pour vivre en société. Indéniablement, Gozuitl n'était que dans la première catégorie et se trouvait à des milliers d'années lumières de la seconde. Pourquoi ? Il se fichait de savoir ce que les gens voulaient entendre, il leur disait ce que lui avait à dire sans considération pour les subtilités mentales de leurs cerveaux étriqués.
Ignorant la proposition de Saen de le renommer, il se contenta de répondre à la fraîche question de l'invocation sous forme humaine.

"Premièrement, je ne l'aime pas car elle est trop proche de mon humain et je suis celui qui doit rattraper les idioties de non pas un mais deux cataclysmes ambulants. La première fois que j'ai rencontré ta folle, la sauvant d'un combat où elle était en infériorité numérique certaine, elle s'est empressée de foncer dans la mêlée dès que l'occasion s'est présentée. Mon humain étant stupide, il l'a rejoint et m'a ordonné de la protéger. Elle n'a ensuite fait que reprocher chaque action en aggravant la situation jusqu'au point de rupture où il m'a été ensuite ordonné de ne tuer aucun des assaillants. Elle est à l'origine de trop nombreux ordres que mon stupide humain applique afin de rattraper les stupidités puériles de ton humaine. En plus de cela elle le traite mal, comme un animal serait peu dire, alors qu'il lui court après comme elle l'entend. Leur petit jeu de reproduction ne me dérangerait pas si je n'y était pas mêlé de force parce ce fichu pacte que ces divinités stupides imposent ! Je les hais, je les hais, je les HAIS !"

A mesure qu'il parlait, il avait enfoncé son front de plus en plus profondément dans le mur jusqu'à laisser le M de ses protubérances crâniennes en souvenir. A la fin du-dit discours, il semblait avoir accéléré le rythme de la percussion au point que la scène soit floue aux yeux humains des deux protagonistes voisins.