On ne peut pas vraiment dire d’elle qu’elle transpire la sympathie. Elle n’est pas vraiment empathique, pas qu’elle ne connait pas ce mot, simplement il lui est difficile de comprendre l’être Humain. Elle ne fait pas preuve d’empathie parce qu’elle ne comprend pas tous les sentiments et les phases par lesquels ils passent. Pourquoi la mort est-elle si terrifiante pour eux ? Pourquoi cherchent-ils la compagnie de leur semblable ? Pourquoi leur « famille » compte-t-elle autant ? De ce fait, elle leur parait d’une indifférence sans borne. Ils sont attachés à beaucoup trop de choses qui lui sont inconnues et elle n’a pas la moindre envie de les comprendre pour être tout à fait honnête. Non, Lykoï n’a pas envie d’apprendre qui sont les Hommes et ce qu’ils cherchent à atteindre dans leur courte vie insignifiante et aussi palpitante à ses yeux que des moules sur un rocher. Cependant, elle n’est pas spécialement renfermée. Elle a d’ailleurs tendance à dire tout ce qu’elle a envie de dire sans se soucier de casser des œufs. Que peuvent-ils lui faire de plus que ce qui lui est déjà arrivé ? Et le rapport taille/poids entre eux joue clairement en sa faveur. Elle n’a ni pitié, ni remords. Elle n’a pas été créée pour divertir la galerie de toute évidence.

Face à sa nouvelle condition, le serpent semble s’être tourné vers le sarcasme. Elle n’a rien d’une créature impulsive ou colérique, elle est même plutôt docile. Enfin c’est ce qu’elle veut bien faire croire. La semi-divine préfère de très loin faire germer le doute lentement dans l’esprit de son Invocateur que de simplement refuser de coopérer. Elle ne manipule pas dans un but précis, puisqu’elle n’a plus aucun rôle dans ce Monde, elle a trouvé un autre moyen de se divertir. Elle joue de sa voix angélique et de ses airs de mère bienveillante pour discrètement tourmenter son maître. Ils sont de toute évidence bien trop éphémère pour en souffrir trop longtemps. Depuis la fin du premier monde, Lykoï n’a pas vraiment d’intérêts, de passions ou quoique ce soit qui puisse la rendre plus humaine. Elle ne comprend juste pas pourquoi elle le devrait. C’est une pensée humaine qu’elle n’a pas. Aqua l’a créée dans le but de remplir son rôle de régulateur et désormais elle est là pour servir ceux qui lui ont volé ses biens. Son devoir. Le propre de son existence. Et bien soit. Si tel est son souhait. Mais personne n’a dit que cela devait être une partie de plaisir pour les deux partis.

L’immensité de l’enfant d’Aqua n’a jamais été un problème à partir du moment où elle demeurait dans les eaux les plus profondes de l’ancien monde, désormais, elle semble disproportionnée. Sa forme reptilienne se rapproche très fortement de celle d’un serpent sur lequel on retrouve des nageoires fines sur certaines parties de son corps écailleux. De couleur indéfinissable pour l’homme, ses écailles cristallines scintillent et reflètent la lumière comme la surface de l’eau. Sa couleur change avec celle de l’ambiance du lieu. La longueur du demi-Dieu, de la tête au bout de la queue, est de vingt mètres pour un poids avoisinant les quarante tonnes. Son visage est plus long ainsi que plus large que celui d’un serpent, plus froid ou plus sévère doté de deux yeux d’un noir aussi profond que les abysses d’où elle vient. Repose sur son crâne des cornes parfaitement symétriques qui lui dessinent une couronne effrayante ou majestueuse suivant le point de vue. Elle possède aussi trois paires de moustaches autour de ses naseaux qui s’agitent comme des capteurs lorsqu’elle observe les alentours et une dernière paire plus en arrière pour s’orienter. Comme les serpents, il lui arrive d'humer l'air de sa langue fourchue.

Créée pour nager à la base, elle n’a malgré tout pas vraiment de mal à évoluer sur la terre, elle ondule aisément si on oublie les dégâts proportionnels à son gabarit gigantesque. Ses mouvements sont délicats contrairement à ce que l’on pourrait penser à première vue. Elle est une création majestueuse pourvue de dents acérées, il faut mieux éviter de passer par là si la créature divine décide de s’offrir un repas. Le calme de sa voix porte à confusion avec ses actions. Elle sonne comme une créature pleine de sagesse et d’une douceur incomparable loin de la réalité des hommes. Une mère intemporelle et clairvoyance incarnée.

« Savais-tu que le Monde, ton Monde n’était pas le mien ? Sais-tu combien j’ai souffert des tiens ? Sais-tu combien je hais ton espèce ? Non, peut-être que tu l’ignores, mais on m’a offert la vie dans le seul but de réguler des flux dans les abysses. Malgré cela, j’ai trouvé le temps de raffiner le surplus en cristaux. Divins à mes yeux tant leur beauté ne ressemblait à aucune autre. Vous avez essayé de me voler. Insignifiants humains à vous penser supérieur au reste de l’univers, mais vous n’êtes que des insectes à mes yeux. Vous avez perturbé l’équilibre des abysses qui étaient les miens dans le seul but de prendre ce qui ne vous appartenait pas comme si cela vous était dû. Je créais des refuges pour les créatures, des structures pour que le fond de mes eaux leur soit plaisant et vous n’avez fait que détruire ce qui n’est pas à vous. Oh tu n’es peut-être pas coupable, pas directement, mais cela ne me regarde pas non plus. Je te tuerai comme les autres. »

La créature se redresse. Le vieux matelot rampe pour s’éloigner. Comme si cela pouvait l’aider. Comme si il pouvait la fuir. Malgré tous ses efforts il ne semble pas pouvoir quitter l’ombre du jugement divin. Lykoï ignore si l’Humain l’écoute même. Si ses mots lui sont intelligibles ou non, mais celui lui importe peu. Il ne vivra de toute évidence pas assez longtemps pour conter cette rencontre. Se penchant sur lui, son immense tête se trouve à un souffle de l’homme terrifié. La lumière du soleil couchant lui confère des couleurs solaire chaude. Si il n’avait pas aussi peur, il trouverait le demi-Dieu d’une beauté indéfinissable, peut-être même qu’il ne trouverait pas les mots pour parler des teintes qu’il a littéralement sous le nez.

« Créer des pierres précieuses à mon image et rendre la vie plus douce des animaux abyssaux n’étaient pas dans mes fonctions, non. J’ai pris la peine, en plus de ma Tâche, de m’occuper de tout ce petit univers. As-tu seulement idée de l’investissement personnel ? J’ai travaillé dur pour cela. Vraiment. Et penses-tu réellement que vous pouviez me voler ? Que vous pouviez détruire ce que j’ai créé avec tant de passion ? Mais cela ne m’étonne pas puisque vous êtes nés de la vanité d’autres déités que je n’apprécie pas. Oh, non, je n’étais pas d’accord. Vous créer était une très mauvaise idée. Premièrement qui sommes-nous pour nous penser égaux à nos Créateurs ? Je ne vois pas pourquoi il aurait fallu toucher à la perfection des Dieux… Non, non, cela m’échappe grandement, mon bon marin. Cependant, tous ces prétentieux n’ont pas tenu compte de nos avis. Ah… Je me pensais hors de portée de vos petits corps fragiles. Loin dans les profondeurs, je ne pensais que vous parviendrez à me nuire. Oh, par les Quatre. Vous êtes d’un ennui. Maintenant, je dois vous tuer pour que vous n’arriviez pas jusqu’à mes cristaux. Vous avez déjà détruit tout ce pour quoi nous avons travaillé si dur. Vous détruisez la Nature même de mon monde. Ton espèce était presque attachante au début, tu sais ? Quand vous faisiez mumuse avec des bâtonnets il y a plusieurs siècles en arrière. Je n’ai jamais essayé d’interagir avec les tiens, vous ne me sembliez pas digne d’intérêt et vous ne méritez toujours pas ma curiosité. Seulement mon courroux. »

L’immense serpent d’eau se recule pour mieux observer l’épave qu’elle a rejeté sur la terre. Il ne reste que des débris et des corps sans vie. Il saisit une bonne partie du bateau dans ses anneaux pour le rapprocher de l’Humain qui tressaute, peinant grandement à se redresser. Il arrête son mouvement, examinant la pauvre minuscule créature qui tente de fuir encore. Le demi-Dieu penche la tête d’incompréhension. Le marin trébuche encore. Quel étrange bestiole. Qu’est-ce que c’est que cela ? Des larmes ? Des larmes ?! Enfin, c’est ridicule de pleurer maintenant. Il fallait réfléchir avant de faire des bêtises.

« Allons… Tu es déjà mort. Cela ne sert à rien de pleurer. Vous êtes si éphémères. Je dois cependant reconnaitre que vous êtes ingénieux. Est-ce cela ce que vous faites de votre libre arbitre ? » Le serpent divin pose sans délicatesse le bout de l’épave à côté du vieillard. « Je ne sais pas vraiment comment une telle idée vous est venue. Conquérir plus de choses ? Vous déplacer sur l’eau, c’était une bonne idée. Fouiller le fond de l’océan ne l’était pas. Avant vous et vos mauvaises pensées, tout était si parfait. Je ne comprends pas, sincèrement. Pourquoi chercher à détruire lorsque l’on vous offre le Paradis ? Vous aviez tout. Ceux qui ont décidé de vous donner la vie vous ont offert un monde qui touchait la perfection. Nourriture, abris, compagnons… Mais il vous fallait plus, n’est-ce pas ? Exactement comme vos créateurs. Je n’ai pas spécialement d’affection pour les autres créations des Dieux. J’en ai encore moins pour ton espèce. Vous naissez pour mourir, c’est d’une stupidité. Sais-tu, mon petit, ce qui est triste dans cette affaire ? C’est que lorsque les vrais Créateurs reviendront, je ne parle pas de vos faux-Dieux, mais de ceux qui ont créé ce Monde, ils nous puniront tous. Eh oui, mon brave petit asticot, toi et moi, nous allons payer pour tes fautes. Néanmoins, je peux t’assurer que mon Jugement est bien plus doux que celui que je vais subir pour avoir laissé des parasites prendre le pouvoir. J’aurais pu et dû écraser tes Ancêtres. Les premiers Hommes. La fin du monde est proche désormais… Il est déjà trop tard pour nous. Toutefois, si cela peut soulager ton cœur, je serais la seule de nous deux à la vivre. »

Sa langue fourchue goûte l’air alors que la grandiose créature s’éloigne de son interlocuteur. Le soleil a disparu à l’horizon et désormais elle est aussi sombre que la nuit. Les éclats blancs de la lune lui donnent quelques reflets d’argent. Avant qu’elle ne fasse demi-tour pour rejoindre la berge. Le vieux marin parvient à se hisser sur ses genoux, pensant qu’il avait été béni de miséricorde, mais personne n’échappe à son Jugement. La queue monumentale de la divinité s’abat sur lui, ne laissant derrière elle qu’une flaque rouge.

Oh Lykoï n’a pas été surprise lors de leur retour. Elle n’a pas été surprise du Jugement violent et sans appel des Dieux. Elle n’a ni pleuré, ni supplié. Le serpent de cristal s’est simplement délecté de toute la douleur de ses semblables. Voilà. De la justice. Ils voulaient se prendre pour des Dieux à part entière, maintenant ils sont tous égaux dans leur châtiment.