The show must go on

La fin de journée arrivait progressivement, installant avec elle un certain calme environnant. La ville cessait peu à peu ses activités de reconstruction, chacun prenait le chemin de la maison ou de la taverne, tenter d’oublier les petits soucis du quotidien ou retrouver sa famille. Nérée, elle, pouvait-elle penser à faire quelque chose de ce genre ? Cela faisait un moment qu’elle était en face de ce noble, en train de négocier la reconstruction de l’un de ses bâtiments. L’attaque l’avait impacté plus qu’elle ne l’aurait pensé. Un homme aussi était toujours porté disparu. Malgré cette affaire importante, cela faisait un moment qu’elle n’était plus totalement attentionnée à la discussion, que son regard dérivait de temps à autre sur la vue extérieure qu’offrait la fenêtre. Nérée avait demandé à Shénzi de l’accompagner, aujourd’hui. Depuis leur voyage à deux au nord de l’île, ils n’avaient pas eu, ou pris, le temps d’échanger. Elle avait aussi l’impression que son comportement avait changé depuis qu’elle s’était lié aux deux autres divinités qui l’accompagnaient. « Madame Helireah ? » Elle fut la première à être surprise de son propre manque de répondant. Où avait-elle la tête, depuis un moment déjà ? Elle trouva comme excuse la fatigue du voyage et une possible maladie, un sourire gêné et le noble fut comblé.

Après un long moment, elle finit par sortir de ce bureau. Elle rangea le contrat fraichement signé dans sa sacoche, retrouvant Shénzi qui l’attendait. Quand elle posa son regard sur lui, tout ses doutes revinrent doucement. Elle aussi, elle avait changé. Ils ne se supportaient plus ? Ce n’était pas le cas. Elle n’avait plus rien à lui dire ? La jeune femme lui devait encore tant. Et en même temps, elle ne lui devait rien. Ils n’étaient qu’humain et demi-dieu. Elle n’était pas idiote. Elle avait eu vent de ses désaccords, mais là encore, avait feint l’ignorance.

La jeune noble l’intima à la suivre, et après quelques derniers échange le duo sortit enfin de la demeure du noble. Comme Shénzi l'accompagnait, elle s'était délestée de sa garde habituelle. Elle pouvait respirer un peu ; ou presque. Le soleil s’était presque couché, à l’horizon. Ils prirent tranquillement le chemin vers le centre de la ville, sans dire mots. Il fallait avouer que Nérée n’avait guère été bavarde depuis que Shénzi se trouvait à nouveau à ses côtés. Si elle l’avait demandé sans trop réfléchir, peut-être par habitude, maintenant se retrouvait dans une position plutôt inconfortable. Inconfortable ? Depuis quand cela était-ce devenu inconfortable ? C’était encore bien plus inconfortable de ressentir cela, un sentiment inhabituel ; ou plutôt peu maîtrisé en ce moment.

« Nous devons encore aller à la forge détruite et ce sera assez pour aujourd'hui... » Commença-t-elle, l'air de rien, comme pour initier une conversation qui n'avait pas été demandé ni de l'un, ni de l'autre. Elle reprit, un peu pour elle-même : « Cette journée m'a fatiguée. »

« Je n'aime pas cette ville. Cette ambiance n'annonce que le pire. »

Que cela soit pour ses commerces, ou le reste.

Ils allaient arriver à son armurerie détruite d’ici une dizaine de minutes. Le soleil était encore loin de disparaître à l’horizon, mais on pouvait facilement sentir que la fin de journée approchait. Il ne fallait pas traîner dans les rues, la nuit tombée. Rorn n’avait pas encore regagné toute sa paisibilité d’antan.

Pour elle aussi, loin étaient les jours paisibles qu’elle vivait en compagnie de Shénzi. Peut-être était-ce l’âge, qui faisait ça. Un changement, lent mais inévitable, un passage à l’âge adulte. N’était-elle pourtant pas encore une enfant, à faire semblant et fermer les yeux sur ces tensions palpables entre eux deux ? S’allier à d’autres invocations, elle en avait faire le choix. Même s’il ne restait plus que Shakahm à ses côtés, peut-être aurait-elle dû réfléchir plus sérieusement à ses motivations. Il était trop tard pour y réfléchir. Shénzi avait changé, lui aussi.

Il n’avait d’ailleurs rien répondu à ses débuts de conversation. Il était resté muet depuis le début, se contentant de la suivre comme un chien suivait son maître. Elle soupira à cette pensée, portant son regard un instant sur lui. Rien de tout ceci leur ressemblait.

« Tu n’es pas bien bavard… »

Elle se risqua à cette remarque, sentant bien que cela n’allait pas les diriger vers une discussion des plus sympathique.

Après tout, faire des commentaires sur ses états d'âme ou son impression sur cette ville n'étaient sûrement pas le sujet principal, aujourd'hui, de leur rencontre. Il fallait revenir sur des bases plus saines, apaiser les tensions que la jeune noble avait depuis bien trop longtemps laissées s'agiter, dans l'ombre. Une ombre qu'elle avait certes laissé prospérer, mais qu'il fallait arrêter. Elle tenait à Shénzi.

Elle avait eu pour habitude d’avancer les yeux fermés vers le danger. La confrontation, le malaise, les situations où il y avait matière à réfléchir et à agir. Ce n’était pour pas un ton des plus assuré qu’elle lui avait livré. Ce regard en coin, bref, qui était maintenant comme fixé sur l’horizon. Si on connaissait un tant soit peu la jeune noble, il était évident que quelque chose ne tournait pas rond. En général, lorsque l’humeur n’était pas des plus adéquate, on avait tendance à la laisser tranquille. Après tout, on la prenait toujours avec des pincettes. On faisait attention à tout, lorsque cela la concernait. Au fond, elle appréciait Shénzi pour cela. Lui, il se fichait de tout ça. Et cela l’énervait, profondément, comme une enfant découvrant qu’en réalité, le monde ne lui appartenait pas complètement.

Son pas se faisait lent, comme à son habitude, mais elle n’était pas des plus décontractée. Elle avait les bras le long du corps, les poings serrés, le regard s’efforçant se de diriger droit devant elle. C’était surtout ce sourire crispé qui s’était peu à peu dessiné sur ses lèvres qui ne pouvait tromper. Certes, elle ne lui avait guère demandé de réponses, mais elle ne pouvait s’attendre à une conversation aussi pauvre, aujourd’hui. Devait-elle maintenant passer par la contrainte ? Peut-être disait-il cela car il savait pertinemment que ce n’était pas le genre de la noble. Non, Nérée ne pouvait s’abaisser à de pareilles futilités.

« Je vois. »

Il n’y avait que ses lèvres pour retenir les terribles mots qui lui passaient à l’esprit. Il était facile de tout envoyer valser.

« Ne dis rien, si c’est ce que tu souhaites. »

Elle avait mieux à faire, comme se rendre à son bâtiment détruit pour en constater les dégâts. Sa marche se fit légèrement plus pressée et elle dépassa son compagnon pour instaurer une certaine distance entre les deux. Il était facile de tout envoyer valser, mais il n’en valait pas la peine.

Doucement mais sûrement, le ton commençait à monter. Cette fougue lui était peu à peu transmise, et cela n’était naturelle pour elle, l’emportement n’était plus très loin. Se faire traiter d’aveugle ne manqua guère de l’agacer. Cela était si facile. Le demi-dieu se permettait de la juger ainsi, alors qu’il ne savait rien ; ou presque.

« Si je suis aveugle, tu es un idiot. »

Le plus idiot des idiots. Cela était-il si compliqué que cela de comprendre qu’elle voulait simplement passer un tant soit peu de temps à ses côtés ? Il fallait peut-être se résigner au fait qu’il était un demi-dieu et, de ce fait, qu’elle n’avait à le considérer comme un vrai compagnon. Avec qui elle avait depuis maintenant un long moment passé de nombreux moments ensembles, des bons comme des moins bons. Sa question la rendit plus amère. Si elle la dérangeait, elle n’avait pas lieu d’être. Lorsque le demi-dieu l’attrapa par le bras, la forçant à lui faire face, elle se dégagea de son emprise d’un coup sec. Elle resta cependant à le fixer, d’un regard froid. Était-ce de la colère ou de la tristesse, cette émotion qui se cachait derrière cet air renfrogné et fâché ?

« Je ne t’ai jamais pris pour un animal de compagnie. » Elle reprit ses mots, pour insister sur le fait que cela était loin d’être le cas. Cela n’avait jamais été le cas. Elle reprit, déviant son regard, la voix un peu plus faible : « Je voulais passer un peu de temps avec toi, mais je suis forcée de constater que ce n’était ni le moment, ni l’endroit. »

A l’entendre, il fallait une raison précise pour sa présence à ses côtés. Il fallait qu’elle soit en danger, ou en train de voyager. Elle avait été stupide de penser que passer un moment avec Shénzi soulagerait un peu ses épaules. Il ne faisait qu’alourdir les choses, un peu plus. Elle releva de nouveau son regard, retrouvant cette froideur un instant perdu. Elle n’allait pas lui faire ce plaisir de le laisser aller venir comme bon lui semblait, aujourd’hui. Il allait la suivre, quel que soit ses paroles. Le regarder était vraiment insupportable.

« Tu ne comprends rien. » Fit-elle en lui tournant le dos, finalement exaspérée, reprenant la marche.

Loin étaient les jours innocents. N’était-ce pourtant pas normal que les défauts cachés par le drap de la nouveauté se dévoilent, petit à petit ? C’était dur à entendre. Attrapée par le col de ses vêtements, la jeune noble regarda froidement, presque triste, le demi-dieu lui parler enfin. Ses bras ballants, elle ne résista pas à cette emprise ; elle l’avait cherché. Elle qui ne reconnaissait que difficilement ses torts, elle y était confrontée, violement, simplement. Après tout, on n’osait lui parler ainsi. A une duchesse, on ne pouvait lui parler simplement. Ses paroles firent échos à ses pensées, amèrement, et elle détourna le regard. Si elle y avait pensé, cela n’était que pour elle et non pour les autres.

Peut-être ne pouvait-elle guère comprendre. Entre un humain et un demi-dieu, tout était si différent. En cet instant, elle ne voulait pas comprendre. Ces mots qu’elle ne voulait pas entendre raisonnaient pourtant dans sa tête ; faire face à la réalité, quelque chose de trop peu abordé. Ici, elle hésitait encore, alors que Shénzi la repoussait. Cela était certain, qu’ils allaient en arriver là, mais elle n’avait guère souhaité que cela arrive en cet instant.

Il comprenait beaucoup de chose à n’en point douter. Finalement, c’était peut-être elle, la plus idiote. Ce qu’elle attendait en cet instant de son invocation, elle ne le savait pas. Ou plus. Elle s’était depuis bien trop longtemps laissée bercée par ses hésitations et ses douces paroles rassurantes. Il y avait pourtant des choses qu’elle voulait faire. Qu’elle voulait changer. La puissance d’une invocation lui était parfois nécessaire. Sa compagnie, aussi. Mais peut-être que cette dernière, à trop vouloir la forcée, ne devenait qu’une corvée pour l’un comme pour l’autre.

La dernière provocation de son demi-dieu lui fit perdre pied. Cela n’arrivait pourtant que rarement mais, la colère avait parfois ses propres raisons. Sa réponse fusa, presque avant que sa dernière phrase ne touche à sa fin.

« Tais-toi ! »

Sa voix avait raisonné dans la ruelle, un écho qui se propagea au loin, dans un silence subitement retombé. Elle s’était presque surprise ce sa propre réaction soudaine, si vive, qui n’avait fait qu’accentuer son désappointement. Elle avait, encore une fois, choisi la facilité face à ses mots. Mais que pouvait-il de toute façon lui reprocher en plus ? Il en avait déjà trop dit.

« Tais-toi… je n’ai pas besoin de tes commentaires… »

Sa fierté, peut-être aussi grande que celle du demi-dieu qui lui faisait face, l’empêchait de faire machine arrière. Un mauvais foie visible par ce regard qui ne cherchait plus le sien, ce dos qui se tournait subitement pour ne plus qu’il voit ses mains serrées, l’une contre l’autre, au creux de sa poitrine. Retenir des larmes était une tâche bien difficile pour une enfant comme elle.

« Tu vas me suivre pour cette fois et ensuite, tu feras ce que tu veux. Je n’attendrai plus rien de toi si ce n’est répondre à mes ordres... »

Ces mots si durs qu’elle prononçait avec sa voix fébrile, elle ne les pensait pas plus que ceux qu’elle avait dit, quelques temps plus tôt. De toute façon, ils étaient arrivés. La forge détruite se tenait à quelques mètres d’eux, elle n’en avait plus pour longtemps. Elle fit quelques pas en sa direction, n’osant même plus regarder Shénzi désormais réduit au silence. Ce calme était bien trop triste pour être regardé en face.

Au bord de la falaise mais elle n'était toujours pas tombée. Elle soupira, se calmant comme elle le pouvait. La jeune femme continua de marcher, droite, essayant de faire fit de ce qui venait de se passer entre elle et Shénzi. De ce remord qu'elle ressentait, après lui avoir ordonné de se taire. De son comportement, peut-être. Mais elle lui tournait une nouvelle fois le dos.

Elle arriva enfin à la forge partiellement détruite durant l'attaque de Rorn. Les travailleurs qui s'occupaient de la reconstruction de la ville s'était occupée aux dernières nouvelles d'une partie du bâtiment, mais le temps n'avait pas joué en sa faveur. Il y avait de toute façon des bâtiments plus importants à reconstruire, et Rorn avait encore de nombreuses cicatrices de l'attaque, des mois plus tard. Avant qu'elle ne puisse cependant s'approcher plus du bâtiment, une vieille femme l'aborda. Nérée la salua poliment, hochant la tête silencieusement à sa première femme. Elle était donc la mère de son collaborateur disparu. Elle s'en serait bien passé. Elle l'écouta, son visage se faisant plus grave.

Elle faisait souvent face à ce genre de situation. Elle se devait d'y faire face, de toute façon. Très vite elle s'était pleinement remise dans les rangs de sa position. La noble suivit alors sans hésitation la femme qui l'emmenait vers la forge, vers le bâtiment encore en reconstruction. Elle ne pu constater les dégâts de l'attaque. C'était ce qu'elle était venu voir.

Elle se tourna vers la mère de Danan, reprenant vite sur le point le plus important de la discussion ; la disparition de son fils. Sur ce point, la jeune noble ne pouvait cependant guère avoir de l'influence, ironiquement. Elle ne faisait pas partie de la garde dorée, et n'avait pas à s’immiscer dans leurs affaires pour favoriser une affaire plutôt qu'une autre. Toutes les victimes de l'attaque de Rorn étaient importantes.

« Je partage votre peine, Madame, et j'ai encore espoir que votre fils sera rapidement retrouvé. Danan est un homme passionné par son métier et je ne peux qu'être fière de notre collaboration. Malheureusement, nous ne pouvons qu'attendre concernant l'avancée des recherches de la Garde Dorée par rapport à sa disparition. »

Certes elle ne ressentait pas la même peine qu'une mère pouvait avoir envers son enfant, mais elle n'était pas indifférente, lorsque cela concernait ceux qui travaillaient avec elle. Elle avait bien fait de se déplacer directement sur les lieux, même si ses conseillers à Rorn avaient déjà réglé la plupart des problèmes ici. Cette disparition était tout de même étrange. Il n'y avait pas eu de rançon, pas eu d'indice.

« Bien sûr, je fais ce qui est en mon pouvoir pour les aider dans leur enquête, et je continuerai jusqu'à ce que nous ayons une piste. »

C'était sûrement que de belles paroles, mais c'est tout ce qu'elle pouvait lui offrir pour le moment. De toute façon, elles avaient accès aux mêmes informations concernant la disparition de Danan. Elle était la mère, c'était ainsi donc normal. Les garde dorés avaient sûrement déjà enquêté sur les lieux et pris contact avec elle. La jeune noble reporta son attention sur les décombres, attendant une quelconque réponse de la mère. Il y avait un sorte de passage sous les décombres, ils étaient sûrement passé par là.

Elle avait totalement ignoré Shénzi jusqu'alors. Ou plutôt, elle n'avait pas posé poser ses yeux sur lui. Elle le chercha alors du regard.

Nérée resta attentive à la vieille dame, se demandant si ses paroles avait calmé ses inquiétudes. Sûrement, non. Mais peut-être au moins avait-elle calmé ses ardeurs. Elle lui informa avoir entretenu l'endroit jusqu'à aujourd'hui, mais pour quelle raison ? Elle ne compris guère sur l'instant, mais elle acquiesça, préférant en trouver la réponse plutôt qu'en lui demandant.

« Je vais aller voir cela de mes propres yeux. Je vous prie de m'excuser. »

Elle pencha la tête poliment en la quittant, se dirigeant vers la partie de l'édifice encore détruit. Shénzi avait déjà passé la petite entrée mais n'en était toujours pas revenu. Le passage était étroit, mais semblait avoir été plusieurs fois utilisé. La jeune femme posa un instant son regard sur la divinité, le détournant rapidement. Elle n'allait pas oublier si facilement ce qu'il venait de se passer. Elle n'allait pas lui reparler, aujourd'hui. Nérée l'ignora alors, observant alors le lieu, essayant d'en découvrir ses secrets. La lampe éclairait les lieux, cette rose, cette dague. Elle s'en approcha, prenant la dague dans ses mains, l'observant un moment. Elle n'avait pas le souvenir d'avoir rencontré un tel symbole ; une tulipe. Peu utilisaient les fleurs comme emblème. La rose séchée était encore plus intrigante. Que s'était-il donc passé, en ces lieux ? Les murs allaient malheureusement rester silencieux.

La jeune noble retourna auprès de la vieille femme, ayant gardé la dague dans sa main. Elle la lui montra, lui posant une question d'un air curieux.

« Est-ce vous qui avez déposé là-bas la rose et la dague ? »

Une fois la réponse donnée, elle examina encore quelques instant la dague qu'elle avait dans les mains, surtout sa garde. Elle reprit : « Si vous me le permettez, je vais garder cette dague. Il sera ainsi plus facile d'en retrouver le propriétaire. » Après, elle s'en irait. Il n'y avait de toute façon rien de plus à voir. Cette dague allait lui permettre cependant de faire ses recherches quant à son propriétaire.