Sans trop savoir pourquoi le demi-Dieu erre dans cette bibliothèque à la recherche d’ouvrages susceptibles de l’intéresser. Sur plusieurs plans, politiques, histoire, herboristerie voire même légendes et croyances. Il ne sait vraiment pas ce qu’il cherche pour être tout à fait honnête, mais rien ne semble pouvoir perturber sa tâche. Un peu de la même façon qu’il ignore quelle apparence il préfère. Shakahm a changé encore. Des tests, voilà. Ses cornes lui manquaient sur sa première tentative alors cette fois il a décidé d’encadré son visage avec deux de ces dernières. Imposantes sans être dérangeante et ce n’est pas le seul changement, plus grand aussi avoisinant les deux mètres quinze sans trop de mal. Bon, peut-être était-il un peu intimidant, cependant cela ne changeait de sa véritable forme. Grand, tout en muscles, un visage fermé, des cheveux bien plus courts et son indissociable air noble. Il attrape une plume et un carnet que le demi-Dieu place en haut de sa pile de livres qu’il tient sans trop de mal d’un seul bras, glissant ses doigts dans l’anse de son porte bougie. Il a mis tellement de temps à choisir ses bouquins qu’il fait désormais nuit. Puis en passant près d’une fenêtre, il se dit qu’il irait sûrement lire dehors. Son regard améthyste se fixe sur une silhouette sur un banc. Vu l’heure, cela ne pouvait nullement être du personnel, alors qui ? A-t-il vraiment envie de le découvrir ? En y regardant plus attentivement, cette personne lui dit vaguement quelque chose. Mh… Soit.

L’air est doux bien qu’un peu frai étant donné la saison. En cours de route, Shakahm avait abandonné ses bouquins pour une fourrure. Il s’avance d’un pas sûr, mais pas vraiment pressé. Il regarde autour de lui, son bougeoir dans une main. Elle se redresse, l’appelant d’une voix qui semble bien faible à la divinité. Comme si quelque chose l’avait empêchée de s’égosiller comme elle pouvait le faire habituellement. Il arque un sourcil alors qu’elle reprend bien vite. Ce qui lui laisse un vague sentiment d’être coupé pour ne pas poser de questions. Un sourire affreusement pitoyable pour un être si naturellement joyeux. Le questionner sur le fait qu’il erre la nuit alors qu’elle est là aussi n’est pas forcément très adéquat, mais soit. Shakahm l’examine longuement avant de hausser les épaules, ses traits toujours aussi sévères. Il lui fait signe de s’asseoir parce que rien ne justifie un tel élan de courtoisie entre eux. Il expire doucement, moyennement convaincu par son ton, avant de répondre de sa voix chaude dans les timbres toujours aussi bas, mais sans cet étrange écho millénaire qui le caractérise d'ordinaire : « Eh bien, à la base, je voulais lire dans le jardin. J’ai reconnu les plumes dans tes cheveux alors je me suis posé la même question à ton sujet. Qu’est-ce que tu fais toute seule dans le noir, Steesha ? » Il se penche ensuite pour la couvrir avec la fourrure, sans rien ajouter. Quand on ne peut être gentil, il faut se taire. Et il n’a absolument rien trouvé de gentil à dire de plus, mais il n’est cependant pas aveugle et même depuis la fenêtre, le fils d’Ignis a constaté l’air chiffonné sur le visage de la jeune femme. Il n’est pas vraiment doué pour réconforter les gens ou trouver les bons mots. Il a même plutôt tendance à être trop honnête dans ce genre de situations et il finit par dire des choses vexantes ou blessantes sans le vouloir. Il pose ensuite la bougie au bord du banc avant de prendre place à côté d’elle pour lever le nez vers le ciel étoilé.

Admirer les étoiles ? Eh bien soit, lui aussi pouvait le faire. Enfin, c’est ce qu’il fait désormais. Le nez levé vers la voûte céleste, il semble un peu perdu dans ses pensées. La fille d’Aer bafouille quelque chose que tu ne comprends pas, chassant les doutes de sa gorge avec un toussotement. Effort vain, puisque rien ne semble vouloir chasser la tristesse de sa voix. Shakahm est patient et ne tient pas vraiment à poser des questions. Pour être tout à fait honnête avec lui-même, il ne sait absolument pas quoi dire. Il n’aura certainement jamais les mots pour ce genre de situation. Ses lèvres s’entrouvrent, mais il n’a pas le temps de dire quoi que ce soit que Steesha commence à le noyer sous un flot de mots. Rien n’a vraiment de lien. Sauf peut-être des moments dont ils ont tous les deux été témoin. Peut-être que cela est étonnant, mais le demi-Dieu n’a pas la moindre idée de ce qu’il se passe. Puis elle lui demande pardon avant de le chasser. Shakahm arque un sourcil.

Bon… Eh bien… Mh… Il n’a pas la moindre idée de ce qu’il faut faire dans ces moments. Aucune. Rien. Alors il se redresse lentement. Elle est peut-être en colère contre lui après tout. Cela ne l’étonnerait même pas, malgré le fait qu’il ne saura certainement jamais pourquoi. Cependant quelque chose le chiffonne. La demoiselle semble pourtant avoir envie de lui parler, mais elle le chasse quand même. Est-ce que c’est un de ces trucs de… euh… femelle ? Il récupère son bougeoir, glissant son index dans l’anse. Et puis de toute façon qu’est-ce qui lui a pris de penser qu’il pourrait l’aider alors que lui-même ne parvient pas vraiment à s’aider lui-même ou à se pardonner. Alors réconforter quelqu’un d’autre… C’était bien idiot de sa part. En se redressant, la lumière de la bougie éclaire la demi-Déesse, tout recroquevillée sur elle-même. Brutalement, Shakahm se fige, ne pouvant détacher ses yeux d’elle. Il avait déjà vu ça quelque part. Le souvenir brûlant lui coupe le souffle une fraction de seconde. Ironique pour un fils d’Ignis, mh. Bien trop bref pour que cela ne se remarque. Déjà à cette époque il n’avait su comment réagir, n’est-ce pas ? Puis Elle avait disparu. Un long soupir lui échappe alors que l’agacement se lie sur son visage. Alors Shakahm, est-ce qu’une fois encore tu vas fuir tout ce qui fait de toi un être vivant ? Il pose la bougie sur le banc, un peu plus loin pour qu’elle ne prenne pas feu en gigotant. Il s’accroupit en face d’elle ensuite. Lentement et avec douceur il attrape ses poignets avec ses mains pour lui dégager le visage.

« Parle-moi, Steesha. » Lorsqu’il est sûr qu’elle n’ira pas se cacher dans ses mains une nouvelle fois, il relâche ses poignets calmement. Et pour être tout à fait certain qu’elle ne le ferait pas, il ancre son regard dans le sien. « Nous savons tous deux que tu es meilleure que moi pour cela… » Il prend appuie sur le banc, plaçant ses bras de chaque côté de la demi-Déesse. « Et pour l’amour des Dieux ne me dit pas que tout va bien. Je ne suis pas le plus extraverti qu’il soit, malgré cela je ne suis ni idiot ni aveugle. Je vois et j’entends que tu ne vas pas bien. Alors parle. » Il ne la quitte pas des yeux, l’air toujours aussi sérieux, mais il n’y a pas besoin d’être très attentif pour noter la nuance de délicatesse dans le ton de sa voix si monotone à l’accoutumée.

Il l’écoute en silence. Toutes ses larmes… Elle lui fait un peu de la peine, mais quelque chose semble la tourmenter bien plus qu’il n’avait su l’apercevoir. Elle demande pardon à nouveau et il secoue la tête doucement pour lui faire comprendre qu’il n’y a pas lieu de faire des excuses. Shakahm pense que certains ont besoin de ses moments pour relâcher la pression. Ses sourcils se froncent alors qu’elle parle. C’était donc ça. Elle pensait sincèrement être une mauvaise Invocation. Il ne pensait même pas que cela pouvait être possible. Le fils d’Ignis essaie de rassembler ses idées et surtout ses mots pour trouver quelque chose d’intelligent à dire. Cette apparence le rend plus fragile que ce qu’il n’aurait cru. Touché ? Oui, voilà, c’est le bon mot. Il est touché par toutes ses larmes et ses mouvements bien trop humains pour lui. Elle pose une main sur son avant-bras et son regard se porte sur cette dernière. Mh. Il ne voit pas bien en quoi ce qu’elle dit est stupide, mais il ne pensait pas qu’elle doutait autant d’elle-même. Et qu’elle se comparait autant à Shénzi ou lui-même. Il pensait réellement qu’elle s’en fichait. Que rien ne pouvait l’atteindre. Il faut croire que le demi-Dieu était bien naïf.

Un soupire irrité échappe à Shakahm. Rien à voir avec les paroles de la déesse, cela vient de son incapacité à trouver des mots qui pourrait, éventuellement, la rassurer. Il n’a toujours pas quitté des yeux la main sur son bras. Et depuis des siècles il n’avait pas ressenti autant de frustration. L’index et le pouce de sa main libre viennent frotter ses yeux alors qu’il inspire profondément avant de la regarder. Et elle se trouvait inutile ? Que doit-il dire lui ? À part obéir, Shakahm ne faisait pas grand-chose d’incroyable ou de notable. Il doute que c’est ce à quoi elle aspire. Être un bon chien-chien obéissant. Elle a au moins la grandeur de faire les choses comme elles lui paraissent. Sans se poser de questions ou sans retenue. Alors que lui ne fait que ce qu’on attend de lui, jamais rien qui sorte du lot ou qui soit naturel finalement. Un rictus délicat se dessine sur ses lèvres alors qu’il porte ses mains vers le visage de Steesha pour essuyer ses larmes. Ses pouces tentent tendrement de faire disparaître les perles salées qui roulent sur ses joues. « Je… Je ne trouverai jamais les bons mots, fille d’Aer. Je me suis surestimé en pensant pouvoir te consoler quel que soit tes craintes. » Shakahm garde son visage entre ses mains un moment, l’observant non sans inquiétude. « Je ne pense pas être meilleur que toi, loin de là. Je suis incapable d’exprimer quoique ce soit, certainement par lâcheté. Je… » Il soupire à nouveau, détournant le regard pour réfléchir. Ou pour éviter de percevoir un quelconque jugement chez la demi-Déesse. Dans le même temps, ses mains abandonnent son visage. « Tu sais… J’ai peur d’échouer aussi. Je ne suis pas aussi enthousiaste que toi. Je n’ai pas le sourire en toute circonstance. Je ne prends aucune décision par moi-même. Je ne fais qu’obéir en silence. Ce qui fait de moi une créature bien plus ennuyante que toi. "Utile" comme tu dis, mais je suis bien loin de… de ton naturel enjoué et de ta douceur spontanée. J-je… » Il se frotte le front, toujours accroupi face à elle. Tout ceci est bien trop compliqué pour lui. Faut-il vraiment parler de soi-même pour consoler quelqu’un ou est-il simplement trop égoïste pour ne pas le faire ? Il n’a aucune idée de ce qu’il faut dire ou faire. Il espère simplement qu’elle sera indulgente malgré tout. Qu’elle comprendra qu’au moins il essaie de la consoler. Que Shakahm fait de son mieux. « Mais… Mais je crois que si Nérée a voulu de toi, c’est justement parce que tu n’es pas comme moi. Différente, curieuse, naïve, maladroite, drôle, tu essaies toujours de faire de ton mieux. Attachante. » Il penche la tête en la regardant à nouveau. Sans trop réfléchir il remet un peu d’ordre dans la chevelure de la fille d’Aer, puis il lui caresse furtivement la joue du revers de la main. « Je ne peux parler pour Nérée, cependant… Cependant, je sais que tu fais de ton mieux et même si parfois ton comportement me fait rouler des yeux… Je n’ai pas honte de toi. »