Cela n'avait rien de surprenant à ce qu'elle soit en désaccord avec cette histoire de recensement. Bien que Saen ne saisit pas exactement les références auxquelles elle fit allusion, une histoire de l'Ancien Monde, probablement. Au vu de l'aperçu qu'il pouvait avoir de son caractère, il se doutait que bien des réalités princières ou simplement humaines ne lui plairaient franchement pas. L'essentiel demeurait qu'elle soit apte à y réagir intelligemment, ce dont il ne doutait pas vraiment non plus. Les leçons, c'était encore une autre histoire... L'accompagnant jusqu'aux portes, il répondit simplement.
"Je pense que les hommes ont tiré des leçons de ce qui les arrangeaient... Et c'est parfois difficile de leur en vouloir, lorsqu'on voit ce que certains enfants divins sont en mesure de faire, toi-même m'a mis en garde contre l'une d'entre eux. Ils ont peur, la peur génère le besoin de contrôle, et enraye l'esprit de réflexion, la souplesse, la bienveillance qu'on peut porter à l'individu dans sa globalité, en fonctionnant au cas par cas..." Il ne savait certes pas beaucoup de choses à propos de l'histoire d'Arcane, mais son mentor lui avait conté des batailles passées. En relatant, à l'époque, des faits qui parlaient d'êtres de magie particulièrement puissants, et qu'il ne souhaitait pas nommer 'enfants divins' aux oreilles du jeune Saen. Celui-ci avait bien compris, aujourd'hui, à qui il faisait référence.
Le jeune homme observa les deux portes qu'il avait à moitié franchie bien plus tôt, songeur et un brin content. Il sourit, ce lieu, la magie de Pru'ha, ainsi que sa conversation l'avait surpris, étonné, fait découvrir des choses... Il ne demandait rien de plus, et même, aurait pu fonctionner de moins, cela importait peu. Mais il était bien.
"Je serais curieux et ravi de découvrir quel genre de boutique tu ouvrirais. Si tu as besoin de quoi que ce soit, cela me plairait grandement de t'apporter ma participation... J'apprécie particulièrement de créer de nouvelles choses, que ce soit des mes mains ou mon esprit, comme de l'alliage des deux."
Pour Tête de Noeud, cela s'avérait plus complexe. La réflexion de la dragonne n'allait pas pour le rassurer, car il connaissait l'insecte divin... Celui-ci aurait tôt fait, dans sa spontanéité et son verbe authentique, de l'offenser, sans que cela ait été sa volonté. C'était un être franc, brut de ses propres vérités, qu'il exposait platement, sans désir de blesser ou provoquer. Mais simplement parce qu'il voulait partager sa vision des choses. Une neutralité subtile, que tous ne considérait pas comme telle, malheureusement. Enfin!
"Vous ferez connaissance plus tard, et nous verrons bien... J'ai confiance en chacun de vous, tout comme je suis aussi buté que l'un et l'autre quand je le veux!" Dit-il, dans un bref éclat de rire sincère, mais légèrement sérieux aussi. Il ne voyait pas d'inconvénient à ce qu'elle visite le Temple, était-ce sa première sortie? Peut-être... Pour le reste, par contre.
"Je le peux, mais cela ne me serait pas agréable... Il existe des pierres magiques, qui permettent à deux individus de communiquer par télépathie. J'aimerais, si tu le souhaites également, aller chasser une de ces créatures étranges, qui possède la matière première à la fabrication de ses pierres. Car elles ne sont pas données lorsque déjà toutes faites. Si tu souhaites vivre en tant qu'humaine, et même, au préalables explorer un peu l'île, cela me permettrait de t'avertir avant de t’appeler de façon un peu brusque au milieu de tes activités." Il l'observa un instant, avant d'ajouter, ignorant ce qu'elle pensait de la chasse et de la perspective de partager cela avec lui. "Qu'en penses-tu?"
Il attendit sa réponse, puis envisagea de ressortir prévenir Tête de Noeud, pendant qu'elle explorerait le Temple. Il voulait profiter de ce moment pour mettre quelques détails au clair avec ce dernier, avant que Pru'ha le rejoigne par la suite.
Saen avait parfaitement raison dans son raisonnement en réponse à ma remarque que les hommes n'avaient pas appris leurs leçons. L'homme possède le défaut, pour la majorité de ceux que j'ai connu en tout cas, de ne retenir que ce qui l'arrange et de mettre en avant uniquement cela. Cette mentalité imbécile nous a conduis tout droit à la destruction d'un monde. Combien de fois ai-je été irritée par le comportement des dirigeants de l'ancien temps ? Il avait également raison sur la peur que peu générer les miens : ma seule influence sur le long terme pourrais ravager le système politique de ce nouveau monde, la demi-déesse dont je parlais plus tôt pourrait, si on la laissait faire, réduire à feu et à sang cette île pour son plus grand plaisir. Les Quatre ont placés les humains sur le petit trône d'espèce dominante de cette planète, trône qui avait détruit le monde rappelons le, il était normal qu'ils mettent en place ce système de recensement pour tenter de contrôler les miens. Néanmoins ils n'avaient pas intérêt à me traiter comme un vulgaire animal.
Ouvrir une boutique d'alchimiste et autres bricoles que l'on disaient de sorcière dans l'ancien temps m'avait toujours tentée. Oh je ne recherchais ni la richesse, ni la rentabilité, je me fiche de toutes ces bêtises. Cette activité m'offrirai un financement pour mes futures recherches et m'empêcherai de sombrer dans une activité horrible que j'ai découvert dans le temple : l'ennui. Une scène traversa mon esprit, telle une vision : Saen m'aidant dans une expérience de fabrication de potion, prenant une fiole contenant un liquide vert fluorescent pendant que j'avais le dos tournée... puis une explosion fumante. Combien de fois avais-je fais exploser mes laboratoires ?
Saen me parla alors de pierres magiques permettant la télépathie entre deux individus. Quelle idée formidable ! Je possédais dans l'ancienne époque un certains nombres d'objets possédants les même facultés. Saen se proposait de les fabriquer mais pour ce faire il fallait chasser une créature qui m'était certainement inconnue.
« Chasser et tuer sont des activités qui demandent le respect de certaines règles. J'accepte de t'aider à tuer l'une de ces créatures aux conditions que l'on ne touche pas aux femelles gestantes et allaitantes, que l'on n'inflige pas de souffrances inutiles et que tu ne gâches rien des restes de notre proie. Je ne vais pas quitter les abords de ce temple durant les prochains jours afin de l'étudier. Je souhaite explorer ses couloirs et son architecture intérieur et extérieur. Ainsi tu pourras m'appeler à tout moment sans crainte de me déranger une fois que tu auras besoin de moi. »
J'ouvris grandes les portes de ma cellule et suivis Saen à l'extérieur. Aussitôt que j'eus franchi la porte, je sentis la magie s'évaporer, m'échapper et disparaître telle une flamme éteinte par le vent. Derrière nous, le souvenir de ma bibliothèque s’effondra sur lui même comme absorbé par un point invisible de l'espace temps pour ne laisser place qu'à une immense salle vide. Je lâchais un grommellement de frustration : comment avaient ils pu oser m'insulter de la sorte ? Les portes se refermèrent derrière nous. J'observais le couloir et les autres portes, m'approchant de celle face à la mienne. D'une voix pensive, pour moi même je dis :
« Fascinant... »
J'approchais une patte de la porte sans la toucher.
« On peu sentir l'intense flux magique malgré ma puissance misérable... Comment fonctionne cette barrière ? Est-ce un flux de magie continue spécifique au spectre divin ? Ou bien est-ce un piège magique permanent à retardement ? Ce sortilège semble inefficace sur le spectre biochimique de l'humain. De quoi le sortilège tire t-il l'énergie suffisante pour se maintenir et agir ? Agit-il dans un seul sens, que se passerait il si je cherchais à franchir cette porte ? »
Je posais bien sur d’innombrables autres questions et j'émis plusieurs hypothèses, réfléchissant à haute voix utilisant par ci par là des termes scientifiques techniques qui n'avaient de sens que pour un érudit du sujet. A plusieurs reprises je passais dans la langue ancienne, celle antique qui servait aux incantations, celle que je m'amusais à graver sur mes œuvres tricotés. J'avais complètement oubliée Saen. Je restais face à cette porte de longues minutes avant de commencer à m'éloigner dans le couloir, m’arrêtant devant chaque porte, étudiant chaque motif de l'architecture du temple. Je suppose que lorsqu'un demi-dieux est libéré, sa première action est de rechercher la sortie pour goûter enfin l'air pur, lorsqu'il s'agit d'un dragon comme moi il doit avoir hâte d'utiliser ses ailes et de retrouver la délicieuse sensation d'être porté par les vents. Je n'étais pas de ceux là : j'étais simplement heureuse de pouvoir étudier ce temple sachant que je n'avais que quelques jours devant moi...
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