Les événements récents avaient liés et déliés bien des abstractions mentales comme émotionnelles chez Saen. De filaments désagrégés de sa pensée, en éclats de roches variés, mêlés d'un passage au Temple des plus étonnants, il avait tissé une étrange toile de vie, qui lui seyait bien pour l'heure. Son esprit vagabondait au rythme du trot d'Eylun, le variquan qu'il avait 'recueillit' bien des mois plus tôt, lors de sa deuxième rencontre avec Lagertha. Un fin sourire passa sur ses lèvres minces, lorsqu'il se remémora les circonstances dans lesquelles ils s'étaient fourrés avec Tête de Noeud et la nordienne. Cela lui sembla pourtant si lointain déjà...
... Il chevauchait à présent aux côtés d'une petite troupe de voyage, qui désirait relier Trare dans la journée et avait quitté Heilan très tôt dans la matinée. Lui, n'irait pas jusque là. Quelques jours s'étaient écoulés depuis la libération de l'imposante dragonne, suffisamment pour que chacun vaque à ses occupations de son côté. Elle, explorant le Temple, lui et Tête de Noeud quittant le Kelder afin de rejoindre le village côtier, en évitant soigneusement Rorn et son agitation actuelle. Le moment de rencontrer à nouveau l'enfant divin draconien était venu. Il tira légèrement sur ses rênes à l'approche des montagnes sises entre Heilan et le Désert Ambré. Une fois à hauteur d'un membre de la petite troupe, il glissa les rênes de son variquan à ce dernier, chargé de mener la bête à Trare et veiller à ce qu'on l'entretienne jusqu'à son retour. Il le salua de la tête, le remerciant, puis sauta bas de sa monture, observant encore quelques secondes les tourbillon de poussière laissés dans le sillage galopant. Lorsque le groupe de cavaliers ne fut plus qu'un point sur l'horizon, il se dirigea vers les monts proches.
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Il s'avança sereinement entre les pieds des montagnes. Protégé du soleil par son large et solide chapeau de paille tressée, vêtu d'une tunique légère, sans manches, surmontée de son plastron de cuir ainsi que son épaulière, des brassards à ses poignets. Khiigal se trouvait harnaché à sa ceinture, son sac sans fond fixé dans son dos -il l'avait monté sur deux lanières croisées afin que ce dernier n'entrave pas ses mouvements. Saen prit le temps d'avancer lentement, inspirant à plein poumons l'air des landes, simplement heureux d'être seul en ces lieux chargés d'agréables souvenirs. En effet, l'ancien ermitage se trouvait non loin. Lorsqu'il arriva devant un large sentier montagneux, sa voix s'éleva clairement, calmement, son appel porté par une agréable brise de l'été qui baignait les roches environnantes de sa chaleur.
"Pru'ha, peux-tu me rejoindre?" Bien qu'il avait conscience de l'effet indicible de la magie à ses mots, il n'appréciait pas d'imposer son appel et y mettait la formule la plus élémentaire de respect. Il observa le magnifique dragon se matérialiser sous ses yeux, lui accordant un sourire aimable et ravi lorsque son regard croisa enfin le sien.
"Salut! J'espère ne pas t'avoir arrachée trop tôt à tes découvertes." Depuis son départ, près de quatre jours avaient passés, mais au vu des dimensions titanesques des Temples, il doutait qu'elle ait eut le loisir de tout parcourir et étudier à son aise. Cependant, il leur fallait avancer au mieux pour favoriser l'évolution de chacun dans les directions qu'ils escomptaient prendre.
D'un geste souple, qui fit glisser ses lanières, Saen ramena son sac sans fond sur son torse, afin d'y farfouiller à la recherche de plusieurs objets. Il sorti d'abord une carte détaillée des environs, qu'il possédait grâce aux nombreuses années qu'il avait vécu par ici, puis un parchemin, couvert de croquis et notes personnelles. "J'ai ici une carte des montagnes, ainsi qu'un dessin assez fidèle de la bête que nous allons chasser. Comme il s'agit d'un animal inoffensif et un peu particulier, il n'était pas évident d'obtenir des informations supplémentaires à celles que je possède déjà." Il lui tendis le parchemin, afin qu'elle puisse prendre connaissance de l'animal et du peu qu'on pouvait en savoir à son propos."Cela ne sera pas simple, car ils vivent en groupe et possèdent une magie un peu spéciale, je crois... Je suppose que l'idéal serait de repérer une famille, afin de les observer dans un premier temps, qu'en penses-tu?" S'il connaissait beaucoup de chose au sujet de la plupart des monstres d'Arcane, grâce à son mentor, il n'avait jamais réellement chassé, plutôt défendu le territoire sur lequel il vivait. Yshaal chassait pour eux en général... Ha! Ne pensons plus à tout cela, il arrima un nouveau sourire sur son visage, attendant que Pru'ha lui expose ses idées.
Voilà quatre jours que j'explorais ce temple. L'art de l'exploration est plus complexe qu'il n'y paraît soit dit en passant. Fallait il que je commence par une exploration général du lieu au risque de passer à côté des détails ou bien que je prenne tout le temps et les précautions qu'il fallait à une archéologue pour ne rien rater ? Je souhaitais naturellement tout voir mais Saen pouvait m'appeler à tout moment. Alors j'optais pour un compromis en explorant soigneusement le couloir ou se trouvait ma cellule, inspectant chaque porte.
Ainsi je passais la première journée à explorer mon couloir et ses alentours. Le second jour fut consacré à une exploration aussi complète que possible du temple. C'est ce jour là que mes écailles purent de nouveau à loisir absorber les rayons du soleil mais je ne me permis pas tout de suite d'en profiter : j'étais tombé dessus par hasard. Cette exploration me prit deux jours... A l'aube du quatrième jour je décidais d'explorer l'extérieur du temple. Une scène amusante se produisit ce matin là : j’apparus à l'entrée du temple d'un pas décidé et ouvris mes ailes du plus grand que je pu en exposant le plus de surface de mon corps possible au soleil. Je n'accordais pas une seule once d'attention à la petite assemblée qui s'était figé de stupeur à quelques mètres de là : trois hommes, montré sur d'étranges autruches, se trouvaient là et m'observait. Je pris mon envol et commençais par m'accorder le plaisir de jouer avec les vents durant quelques secondes puis je repris mon étude, observant l'architecture du bâtiment.
On peu très clairement affirmer que je ne vis pas le temps passer : je suis incapable de dire quand ce produisis l'appel poli de Saen. La magie du pacte m'emporta à ses côtés. Il se trouvait devant un large sentier montagneux. Je lui rendis ses salutations. Il déposa devant moi deux documents : une carte et des notes. Immédiatement intéressée, je m'avançais prêt de lui, me couchais en sphinx et observais la première. Bon elle ne me servait pas à grand chose pour le moment étant donné que je n'avais aucune idée d'ou nous nous trouvions. Je me tournais alors vers les notes que je survolais dans un premier temps. Je découvris qu'il s'agissait d'un félin, certainement assez massif. Mon compagnon humain m'expliqua qu'ils vivaient en groupe et qu'ils possédaient une magie assez spéciale, il n'en savait guère plus. Nous voilà bien avancé...
« Aucune créature n'est véritablement inoffensive Saen. Un simple moustique peu tuer d'une piqûre que tu ne sentiras pas. »
Je déposais une griffe délicate sur le parchemin, à un endroit précis alors que du regard je cherchais une information située plus haut dans le document. Je conservais le silence durant quelques secondes, étudiant le document plus en détails.
« Nous avons bien trop peu de données pour élaborer une stratégie. Il nous faut en récolter. Si nous partons en chasse maintenant nous deviendront rapidement des proies. Avant toute chose, montres moi ou nous sommes sur cette carte. »
Saen s’exécuta. Je pu alors étudier notre position. Je restai silencieuse quelques minutes, passant de la carte aux notes.
« Il nous faut tout d'abord en trouver. Cela ne devrait pas être trop difficile, ils ressemblent à des lions donc théoriquement ils devraient dormir une grande partie de la journée. En survolant les environs je ne devrais pas mettre beaucoup de temps avant de revenir te chercher. Une fois que nous auront trouvés un groupe, nous allons l'observer quelques temps : je souhaiterai observer leurs stratégies de chasse pour pouvoir anticiper les coups que nous risquons de prendre. »
Un bon chasseur prépare son attaque. Certes il y a les chasses d'opportunités mais celles ci sont dangereuses puisqu'elles ne sont qu'improvisations complètes. Afin de vivre plus longtemps il faut prendre le temps d'évaluer nos chances, attendre le bon moment ou fabriquer l'instant convenant.
« Je me charge de les trouver ainsi qu'un affût qui nous sera confortable depuis les cieux. Je pense qu'il serait prudent que tu restes sur le chemin et que tu avances dessus afin que je puisse progresser en te gardant à vu ou te retrouver facilement. Cela te convient ? J'ignore quels sont les prédateurs qui rodent dans les alentours représentant pour toi un danger. Ma seule taille devrait en intimider la majorité.»
Tout en discutant, je m’efforçais de mémoriser la carte.
Saen observa la dragonne qui l'avait écouté attentivement. Sa première remarque le fit sourire. Bien entendu, ce n'était pas à ce genre de chose qu'il faisait allusion, mais il comprenait ce qu'elle voulait dire. "La dangerosité d'un animal et ses intentions demeurent distinctes... Je soulignais simplement leur tempérament à l'égard des humains en général. C'est pour cela que je n'apprécie guère trop de tuer en ces circonstances."
Il la laissa poursuivre, Saen se doutant que les maigres informations en sa possession ne suffiraient pas. C'étaient néanmoins des indications minimales et nécessaires selon les situations auxquelles ils pourraient faire face. Le jeune homme lui indiqua leur position, puis après étude des deux documents elle amena son approche, se référençant à d'autres animaux, à priori similaires, qu'elle avait du connaître pas le passé. Il nota ce détail dans un coin de son esprit, car sa curiosité le ressortirait tôt ou tard. "Nous ne pourrons effectivement pas faire grand chose avant d'avoir passé un minimum de temps à les observer. J'ai d'ailleurs pris quelques réserves au besoin, pour plusieurs jours. Bien sûr, pour toi cela n'a pas de grande utilité, mais si tu veux néanmoins grignoter quelques chose pour le plaisir." Se concentrant à nouveau sur la carte qu'elle fixait, et le plan qu'elle énonçait en attente de son consentement, il releva la tête. "Cela me semble la meilleure façon de procéder oui. Je pense que ça ira, puis, j'ai également mes armes au besoin. Veux-tu l'emmener avec toi? Je la connais par cœur, j'ai vécu dans les environs..." Ce n'était ni le lieu, ni le moment de développer ce détail, mais peut-être l'objet lui serait utile. Cela fractionnerait moins son attention si elle ne devait pas aussi la déployer dans une mémorisation incertaine.
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Tandis que la dragonne s'élevait dans les montagnes, Saen ramena son sac dans son dos, et s'arma de son chakram. L'avantage d'une telle arme, demeurait la possibilité de la lancer en cas de besoin. Les dégâts seraient moindres, et il devait encore travailler sa précision, mais cela demeurait non négligeable. Il s'avança sur le sentier, conscient, avec plus de clarté, des monstres dangereux des environs. Ceux-ci, il les connaissait bien, au moins.
Il marcha un bon moment, sans trop prêter attention à la distance parcourue, demeurant aux aguets. Fort heureusement, il ne croisa pas le moindre bestiaux compromettant. A plusieurs reprises, son regard se porta sur le ciel, distinguant parfois la silhouette de Pru'ha, ou celle, minuscule en comparaison, d'un candor passant par là. Mais un bruit feutré attira soudain son attention, serrant la main sur le manche de son arme, il s'immobilisa un instant, les sens en alerte. Puis...
...Un émeraude se glissa hors d'une faille rocheuse toute proche, se pourléchant les babines. Il s'immobilisa aussi net à la vue de Saen. Mais l'animal n'avait pas pour habitude d'attaquer les hommes, si bien qu'il se regardèrent simplement, l'éclat émeraude de ses prunelles reflétant le brun orangé de celles de Saen, qui ne put retenir un fin sourire. Puis, la créature releva rapidement la tête, grogna, et fila en moins de temps qu'il ne faut pour le dire. Saen bifurqua prestement, sur ses gardes, mais il s'agissait simplement du retour de la dragonne. Sa vue lui arracha un léger soupir de soulagement.
Bien que je ne possède pas la mémoire absolue, une infinité d'années d'études ont rendus mon esprit exercé à l'apprentissage et la mémorisation. Oh mes capacités de travail mentales ne sont pas comparables à un de ces universitaires, elles sont biens supérieures aux siennes. Il me faudrait certes peut être redescendre une fois ou deux pour jeter un coup d'oeil de vérification à la carte pour m'assurer de ne pas faire d'erreur mais j'étais certaine de ne plus en avoir besoin assez rapidement. Néanmoins Saen me proposa de l'emmener avec moi après m'avoir signalé qu'il avait emporté plusieurs jours de réserve de nourriture dont il me proposait généreusement le partage.
« Il me faut bien plus que tes réserves de nourriture pour sustenter ma gourmandise quand je suis sous cette forme Saen. N'ait crainte, je n'aurais absolument aucun mal à t'attraper quelques lapins ou cervidés si la famine te guette. »
Tout en lui répondant, je roulais d'une patte experte le rouleau de parchemin que j'accrochais habilement à l'une de mes cornes après avoir emprunté un morceau de ficelle à Saen. Puis je lui tournai le dos, accélérai le pas et, après déployer mes ailes d'une envergure bien supérieure à mon corps, je m'envolais dans un puissant déplacement d'air. Il ne me fallut que quelques instants pour atteindre une altitude de plusieurs centaines de mètres, qu'est-ce que trois cents petits mètres pour un dragon de ma taille ?
Je commençai tout d'abord par profiter de ce petit plaisir : jouant avec les courants je gagnais toujours plus d'altitude en restant au dessus de Saen. Puis je jetai un regard vers la bas, analysant tout d'abord le paysage pour me repérer. J'entamais alors une large spirale pour finalement effectuer un cercle à l'immense rayon. Je ne m'occupais pas des êtes vivants pour le moment, me concentrant plutôt à rechercher des repères. Je me posais une première fois au sommet d'une petite montagne et déroulais la carte. Une fois certaine de connaître ma position je m'envolais de nouveau. Je me posais au total trois fois pour être sure de maîtriser l'échelle et les différents lieux.
Enfin je me mis à la recherche d'un groupe de ces fameux lions masqués. J'employai pour ce faire la même technique qu'un oiseau de proie : volant haut à une attitude soigneusement calculée, suffisamment haut pour ne pas inquiéter mes proies mais assez bas pour être certaine de ne pas être victime d'une erreur de vision, j'effectuai de très large cercle de plusieurs centaines de mètres de rayon. Changeons légèrement le centre du cercle à chaque passage. La vie était partout et je fus surprise de découvrir tant d'espèces qui m'étaient inconnus. Tous les trois tours je retournais vers Saen pour m'assurer de sa sécurité, explorant largement du regard la zone autours de lui. J'avais bien sur repérer l'étrange canidé vert qui s'était approché de Saen. J'ignorais s'il représentait un véritable danger et bien que j'en doutais vraiment, je perdis de l'altitude prête à être à ses côtés en quelques petites secondes. Mais le canidé s'éloigna et ma recherche repris.
Je découvris le premier groupe de lions maqués quelques dizaines de minutes après avoir quitté mon compagnon humain. Ils était six mais il n'y avait aucun affut convenable autours d'eux. Je repérais quatre autres groupes durant les heures qui suivirent mais aucun ne me plaisait : pas d'affût, situé en zone trop accidenté, trop nombreux, prédateurs inconnus pas loin... C'est après cinq grosses heures de recherches qu'enfin je fus satisfaite : un groupe de cinq lions masqués dont je suppose deux jeunes légèrement plus petits que les autres. Ils paressaient au sein d'une immense prairie habillée de quelques arbres au pied d'une gigantesque parois rocheuse. Resserrant considérablement mon cercle, je tournais quelques minutes à la recherche d'un affût qui me sauta aux yeux : l'ouverture d'une immense grotte à une quarantaine de mètres de hauteurs. Après avoir vérifiée, le plus silencieusement possible pour ne pas déranger les paresseux, je retournais vers Saen.
Aussitôt je fus en alerte : une espèce de créature rocheuse faites, semble t-il de lave, de rocher et de flammes se dirigeait droit vers Saen à grande vitesse. Mon compagnon humain allait être prit par surprise et n'aurait pas le temps de réagir : la créature lui était caché par les rochers. Il y avait bien sur plusieurs solutions et j'en choisis une qui réglait tous les problèmes. C'était une manœuvre risquée, surtout après avoir passé tant de temps sans voler mais je me fiais à mes connaissances.
Tout d'abord je plongeai en piqué ce qui, amusez vous à faire le calcul savant dans lequel se trouve impliqué la gravité et mon poids (je vous interdit de me le demander), me fis atteindre une vitesse considérable. Puis je déployais mes ailes pour freiner. Je crus bien que la force du choc allait m'arracher les tendons qui heureusement tinrent bon. Je ralentis autant que je pu, frôlais le sol et, sans atterrir ni même marquer un arrêt, je tendis une patte et attrapait Saen, mes doigts se glissant sous ses aisselles et serrant son corps suffisamment pour m'assurer une prise fiable mais pas assez pour lui couper la respiration. Je fus le plus douce possible mais le choc fut peut être un peu... brutal. Sans même attendre sa réaction, sans rien lui expliquer je repris de l'altitude le plus vite que je pu : s'il regardait au sol il remarquerait facilement qu'à quelques secondes prêt nous étions passé à côté d'une catastrophe.
Je me dirigeai droit vers cette grotte et atterrit à l'interrieur dérangeant quelques chauves souris. Elle était vaste de plusieurs centaines de mètres et devenait de plus en plus étroite. Accessible uniquement depuis les cieux, nous serons en sécurité ici et elle nous offrait un affût parfait pour nos proies.
« Quelle étrange créature que celle qui a bien failli faire de toi son repas. Tu seras en sécurité ici, nos proies sont juste là, en bas. »
Je m'ébrouai un peu puis jetais un œil au fond de la grotte pour m'assurer qu'en dehors des quelques chauves souris nous étions bien seuls.
Le temps passait, sans qu'il n'en prenne réellement conscience, sa marche était lente, tout comme sa respiration, ce qui lui permettait de garder les sens affûtés... De façon contrôlée, car pour demeurer présent à la situation, il lui fallait se couper de tergiversions émotionnelles inutiles. Et, en l'occurrence, cela ne pouvait guère lui faire de tort. Il n'y avait plus que les montagnes des Landes Luxuriantes. Le bruit du vent, qui se faisait discret entre les parois rocheuses, quelques chants d'oiseaux, plutôt rares, l'odeur de la terre que foulait le moindre de ses pas...
Finalement, ce fut le grondement sourd de son estomac qui interrompit le plaisir qu'il avait à profiter de cette quiétude naturelle, et la chance, jusqu'alors, de n'avoir rien croisé de dangereux, ce qui l'étonnait quelques peu. Saen s'installa contre un gros rocher, afin de grignoter quelques tranches de poisson séché et avaler un fruit, avant de redémarrer. La dragonne ne tarderait sans doute plus à trouver leur future proie. En parlant de proie, le jeune homme ne réalisa guère en être une, lorsqu'un battement d'ailes retint son attention. Il n'eut pas le temps de se tourner vers ce qui s'avérait être l'enfant d'Aer et venait tout juste de l'achopper sous les aisselles pour l'emmener dans les airs. Son coeur se souleva l'espace de quelques secondes, rapidement rattrapé par une décharge d'adrénaline agréable, il ne se lasserait probablement jamais de telles sensations. "Wowh... Tu m'as surpris, haha."
Ses yeux observèrent le sol qui s'éloignait, ainsi qu'une créature rocheuse et rougeoyante qui venait de débouler là où il se trouvait l'instant plus tôt. Le golem devait être particulièrement vexé, et Saen capta l'intervention de Pru'ha plus aisément.
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Celle-ci le déposa directement à l'entrée d'une large grotte, qui semblait inhabitée, et à flanc d'une grande paroi rocheuse, avant de faire un commentaire et lui indiquer avoir trouvé leur proie. Oui, c'était une étrange créature. "Un golem de lave. Je leur ai toujours trouvé un air à la fois benêt et fascinant!" Dit-il, amusé, se souvenant de sa toute première réaction devant l'une de ses créatures lorsqu'il était enfant. "Merci à toi. Ils sont plutôt robustes, je n'aurai pas sur faire grand chose contre la pierre et la lave figée dont ils sont constitués."
A ces mots, il s'approcha du bord, posant son regard orangé sur la petite famille de lions masqués qui semblait endormie. Sa main vint farfouiller dans son sac sans fond, afin d'en retirer une petite longue-vue, qu'il avait acquis à Heilan avant de partir vers les montagnes. Il s'allongea au sol, et déploya l'instrument, qui lui offrit une vue bien détaillée des animaux en contre-bas. Il n'en avait jamais vraiment croisé jusqu'alors, et demeura plusieurs longues minutes à les observer avec un certain ravissement et une pointe d'amertume à l'idée qu'ils devraient en tuer un. Leur aspect avait cette étrange particularité au niveau de leur faciès, que de ressembler à un masque blanc et lisse, tel le nom qui leur avait été donné.
La journée était à présent bien entamée, le soleil à mi hauteur, déclinait doucement vers l'horizon lointain, ils auraient l'occasion de les observer en début de nuit assez rapidement. Ce ne fut d'ailleurs que lorsqu'il commença progressivement à faire sombre, que le petit groupe manifesta des signes d'éveil et d'activité. Apparemment c'était le moment de leur période de chasse, car quelques temps plus tard, ils se sustentaient d'un bon repas qui venait de leur être ramené. Il ne se passait grand chose d'exceptionnel jusqu'à présent, bien qu'ils purent observer un des jeunes se frotter à un adulte de façon à priori tendue, mais il sembla être rapidement remis à sa place. "Mmh... C'est peut-être un jeune travaillé par ses hormones." Dit-il, la voix basse, à la dragonne qui observait les choses à sa façon. "Je n'y connais pas grand chose, mais on retrouve souvent des similitudes dans le monde animal et dans le monde humain..." Cette perspective l'avait ramené quelques semaines plus tôt sur les quais de Lüh et l'épisode déplorable qui avait eut lieu lorsqu'il avait fait la rencontre d'un loup d'Aqua.
Saen mangea à nouveau et se désaltéra, avant d'envisager de dormir quelques heures. Il ne pouvait pas veiller toute la nuit s'il souhaitait demeurer attentif et prêt à se battre lorsqu'une opportunité s'offrirait à eux. "Je te laisse un moment, n'hésite pas à m'éveiller au besoin." Il ôta son chapeau et sorti une couverture de son sac, afin de ne pas reposer à même le sol caverneux. Heureusement, la grotte n'était pas humide.
Patience. Une qualité d'une extrême valeurs que la patience que ce soit pour le chasseur ou le scientifique. L’affût a pour but de récolter des données afin d'être prêt lorsque le bon moment arrivera. Obtenir des informations est essentiel pour le scientifique, cela permets d'avancer dans la compréhension de ce qui est étudier. Pour le chasseur, l'affût est une longue attente : celle de l'instant ou l'opportunité d'attaquer avec le moins de risques se présentera. Tout ceci peut durer quelques minutes, des heures ou des jours entiers... durant lesquelles il ne se passe souvent rien.
Je me souviens du temps des documentaires et autres leçons de biologie qui laisse croire que la nature est vivante, qu'il se passe toujours pleins de choses partout. Ha quelle pure bêtise que cette idéalisation de la nature ! Ce n'est pas du tout ainsi que la vie réelle se produit. Nous en vivions l'exemple même : durant des heures il ne se passa absolument rien ! Les lions dormaient et leur simple présence tenaient à une distance respectable les autres créatures. L'aprés-midi s'écoula lentement et bientôt le soleil s'approchait de l'horizon jusqu'à le caresser avec tendresse, rougissant d'émotion. Cet instant magique qu'est le crépuscule est celui de tous les dangers : il fait de plus en plus sombre pour les créatures diurnes mais encore trop jour pour les nocturnes. C'est cet instant que choisirent les lions pour s'éveiller.
Après leur retour de la chasse, une situation intéressante se produisit : un individu semblait être en conflit avec plusieurs autres membres du groupe, la situation était tendue. Certainement un jeune adulte ayant atteins la maturité sexuelle pouvant représenter une concurrence trop importante pour le leader du groupe.
Saen m'abandonna pour aller dormir. Besoin de sommeil dont j'étais épargnée. Fort heureusement d'ailleurs! Comment aurais-je pu effectuer correctement ma tâche si je devais perdre un peu plus du tiers de chaque journée ? Moi qui trouvait qu'il n'y avait déjà pas assez d'heures par jour... Heureusement la pleine lune venait tout juste de se terminé n'offrant pas assez de luminosité pour un humain mais bien assez pour moi.
Je ne perdis rien des quelques heures d'activité des lions, observant avec attention chaque détails. En plein cœur de la nuit, les lions se réveillèrent à nouveau simplement pour terminer la proie. Profitant de l'heure la plus sombre de la nuit et cherchant à échapper à une phase de sommeil profond de Saen, je choisis de prendre le risque d'effectuer une expérience. J'attendis que la somnolence d'après repas s'empare des lions pour me lever et utiliser le bord de la falaise pour prendre mon envol. Je pris rapidement de l'altitude, planant en cercle pour ne jamais perdre les lions de vu. Petit je redescendis jusqu'à me trouver à une cinquantaine de mètres de hauteurs. Je me risquais plusieurs fois à battre des ailes. Ce que je cherchais à savoir s'en trouva confirmé : les lions s'agitèrent et réalisèrent naturellement qu'un immense prédateur se trouvait dans les cieux mais ils ne possédaient pas les sens pour détecter mes écailles de la même couleurs que la nuit.
Regagnant la grotte, je m'installais de nouveau le plus silencieusement possible. Peu après l'aube, un conflit éclata : le jeune lion, que je m'amusais à surnommer Odin, se disputa avec un autre. Il fut suivit de deux autres situations agonistiques avant un retour au calme. Puis soudain une violente bagarre éclata : Odin se prit une véritable raclée par un autre l'obligeant à fuir le groupe. Le bruit fit s'envoler un nuage d'oiseau et réveilla naturellement Saen. Dans un premier temps je restai silencieuse : je m'étais redressée, en alerte et ne ratait rien de ce qu'il se passait plus bas. La tension redescendit rapidement : Odin se coucha à l'écart pour lécher ses blessures. Je me détendis également, ne lachant pas le jeune lion du regard :
« Bonjour Saen. Voici Odin, un jeune particulièrement intéressant. Il est en conflit avec la majorité des membres du clan et semble peu à peu mis à l'écart. Je reconnais la situation : soit il finira par s'engager dans un combat à mort avec le leader du clan, ce qui serait fantastique pour nous. Soit il finira par devenir un disperseur : c'est à dire un individu qui quittera le groupe pour rechercher un nouveau territoire et former un nouveau clan. Je pense qu'il s'agit du meilleur choix de cible. »
Si un combat à mort éclatait entre Odin et le leader du clan, ce serait merveilleux pour nous : il nous suffirait de chasser les autres pour bénéficier d'un cadavre qui nous serait offert sur un plateau. Mais je doutais que ce genre de confrontation se déclenche : Odin me semblait trop timide et le leader du clan trop bienveillant. Saen eut droit au spectacle d'un accouplement pour saluer son réveil soit dit en passant.
« J'ai effectuée cette nuit une petite expérience : j'ai survolée le petit groupe. Ils m'ont évidemment repérer à l'audition lorsque j'ai volontairement dévoilée ma présence mais j'ai pu constater que de nuit, ils sont incapables de me repérer à vue et de me localiser lorsque je me dévoile en faisant du bruit. Ainsi une attaque de nuit nous offrira l'avantage de la surprise. »
L'accouplement terminé, le petit clan s'endormaient à nouveau, par pure fainéantise. Odin en profita pour le regagner, se frottant affectueusement à un individu qui s'était soigneusement tenu à l'écart durant l'ébat avant de se coucher. Nous étions partis pour une très longue journée d'affût...
L'aube avait point un peu de temps avant que Saen ne s'éveille. Fort heureusement, il n'avait pas besoin de beaucoup d'heure de sommeil pour récupérer, car le sol rocheux n'était pas des plus conforts malgré son épaisse couverture. Il prit le temps de se rincer un peu le visage et de saisir un fruit dans son sac, avant de rejoindre Pru'ha sur la corniche en s'étirant.
Cette dernière l'accueillit tout en gardant les yeux rivés plus bas, relatant les quelques nouveaux faits auxquels elle avait assisté, ainsi que son vol nocturne. Un fin sourire étira les lèvres du jeune homme, il n'avait pas grand chose à lui apporter dans ce genre d'exercice au final. Elle confirma néanmoins son hypothèse de la veille, en l'étayant de ses déductions et connaissances. Il passa une main derrière sa nuque après avoir croqué dans le fruit qu'il tenait, et porta ses yeux orangés sur le groupe de lions masqués.
"Et bien, tout cela me semble des plus judicieux. Je te suis quoi qu'il en soit. Par contre..." Il se frotta la barbe, tout de même perplexe face à un détail, puis ajouta. "...De nuit je serais sans doute moins efficace de mon côté." Bien sûr, il avait la chance d'avoir une réceptivité sensorielle un peu plus élevée que la moyenne, mais il n'en restait pas moins humain. Enfin, une proie seule et blessée ne devrait pas leur poser de trop grandes difficultés.
Il demeura assis un temps à observer à son tour, même s'il ne se passait pas grand chose de particulier. Puis sa voix s'éleva légèrement, tandis qu'il avait l'oeil rivé à sa longue-vue.
"Dis-moi, Pru'ha... Tu as eu l'opportunité d'observer les hommes pendant de longues périodes n'est-ce pas?" Même si ces derniers n'étaient pas nés de la main des Quatre, contrairement à eux, nul doute que les similitudes étaient grandes. Il n'attendit pas une réelle réponse à cette question, qui était surtout une affirmation, et poursuivit. "Outre les détails des grands mouvements humains, que peux-tu me dire des relations interpersonnelles plus... Euh, disons intimes entre deux êtres? Je veux dire... Les humains me fascinent beaucoup, mais il y a pas mal de choses qui m’échappent, bien souvent."
Surtout ces derniers temps, peut-être. En général il s'accordait de façon très méthodique et brève aux gens qu'il croisait. Entrant dans des échanges et fonctionnements assez basiques et simples à gérer. Ce n'était plus le cas depuis un moment, et s'il avait déjà discuté de certaines choses avec Tête de Noeud, il était curieux à l'idée d'avoir un point de vue supplémentaire. Un angle différent, pour mieux saisir les possibles qui lui échappaient.
Saen souleva un point intéressant : son handicap visuel de nuit. Fort heureusement pour lui, j'y avais pensé et la chance était de notre côté. Les grands maitres des arts martiaux des temps anciens avaient développés les techniques nécessaire à supprimer en grande parti ce handicap nocturne. L'humain possède le réflexe de s'orienter en se fiant presque uniquement grâce à la vue. Or l'humain possède d'autres sens de localisation qu'il oublie d'utiliser : le toucher, l'audition, l'odorat... Et même pour les plus entraînés et concentrés, une possible touche d'écholocation. Ainsi le maitre savait se déplacer assez facilement de nuit et même aisément en terrain connu. En revanche les nuits de nouvelle lune ou lorsque l'astre est caché par son orbite ou des nuages posent problèmes : supprimant la faible source lumineuse essentielle pour ne pas plonger l'humain dans la confusion. Ainsi la chance était de notre côté :
« Nous nous approchons de la pleine lune. Si la chance nous souris, tu bénéficieras de suffisamment de lumière pour t'orienter. Je me chargerai de le rabattre vers une zone qui t'offrira la lumière lunaire. »
Durant un certains temps le silence nous berça. Puis la voix se Saen s'éleva légèrement. Il me posa une première question qui m'intrigua. Bien sur que j'ai étudiée les humains : ne pas passer du temps auprès d'eux aurait relevé de la faute professionnelle ni plus ni moins ! Leur création a donné naissance à d'innombrables nouvelles étagères au sein de ma bibliothèque. Sa deuxième question en revanche me fit rire. Un rire heureusement bref mais sincère. J'étais très clairement amusée, mon regard en pétillait.
« J'ai fréquenté les tiens durant des millénaires, étudiée chacune de vos anciennes cultures, la disparition de certaines sont d'ailleurs un bien pour le monde. Vous êtes des êtres sociaux complexes mais pas si différent dans l'aspect primal des choses que les autres espèces au fonctionnement hautement social. Le rapprochement intime est soumis à un mécanisme instinctif parmi les plus puissants et motivé par le plus fort d'entre tous : la reproduction. L'amour peut être romancé autant que tu le voudras, c'est un mécanisme soumis à des règles primaires et naturelles que seuls les maitres de la volonté peuvent espérer contrôler. Pour aller au delà, la coopération et le fonctionnement par alliances sociales est un atout majeur pour la survie. Les relations d'une espèce comme la tienne évoluent en permanence, bougeant vers le positif ou le négatif pour des raisons qui sont souvent extrêmement complexes mais qui poursuivent pourtant un objectif naturel simple. La difficulté avec vous humains est que vous refusez que l'on vous qualifie de ce que vous êtes c'est à dire des animaux. Vous vous sentez supérieurs et cherchez donc à complexifier sans arrêt vos différents et vos manières d'être pour vous placer à part, pour vous donner une plus grande importance que les espèces que vous jugez inférieures à vous. Tiens observe ce qu'il se passe en bas chez ces lions masqués par exemple. Bien sur il nous faut plus d'informations pour valider la théorie de manière sérieuse mais il semblerait que ce jeune soit un mâle en conflit avec son père, conflit expliqué par le retour du cycle sexuel de sa mère et de la maturité sexuel du jeune. Ainsi les disputes éclatent et le jeune finira par quitter le clan, c'est ce que nous attendons pour attaquer. N'est-ce pas précisément ce qu'il se passe chez les adolescents humains ? Les conflits avec les parents se multiplient naturellement au moment de la maturité sexuel jusqu'à arriver un point ou les jeunes veulent partir et les adultes ne peuvent plus les supporter. Mais bref je me suis légèrement emportée. Parles moi de ce qui t'échappe. Serait-ce une histoire de cœur qui te tourmente ?»
Quelle meilleure façon que de faire passer le temps que de discuter ? Durant un affût le silence est en general imposé mais ici, dans cette cachette presque au sommet de la falaise nous pouvions discuter à haute voix sans avoir peur de faire fuir nos proies.
Saen finit par détacher son regard de la lunette et des animaux en contre-bas pour prêter une plus grande attention aux propos de la dragonne. Il connaissait son fonctionnement cérébral, en terme de concentration, il ne pouvait pas s'éparpiller dans deux directions trop différente pour saisir pleinement ce qui se passait. Elle lui fit un exposé plus que détaillé de sa façon... rigoureusement scientifique d'aborder le sujet. Les éléments s'égrainaient au fur et à mesure, Saen tâchant de le disposer de façon adéquate, mais certaines données échappaient aux mains de sa psyché lorsqu'elles se confrontaient à ses propres observations et réalités. Si cette vision demeurait relativement valable pour certains individus, elle n'offrait pas de réponse à une majorité de situations. Il demeura pensif un instant, avant de prendre la parole à son tour.
"En règle générale, j'observe les êtres humains de façon plutôt méthodique. Pendant plusieurs années, j'ai tâché de relever des schémas, de déduire des postures et attitudes à prendre afin de mieux... Comment dire, me montrer adéquat dans mes interactions." Mais cela ne servait pas plus que dans une certaine limite, malheureusement. "Ceci ne fonctionne bien souvent qu'en surface... Pour de simples rapports, lorsqu'on ne creuse pas, lorsqu'on se satisfait de réfléchir de façon linéaire, en optant pour les réponses classiques car on suit un mouvement de réflexion orienté sur la simplicité qu'est le schéma de cause à effet."
Une façon de répondre aux questions, certes, mais aussi de cloisonner le champ de réflexion. Les hommes et les animaux étaient certes proches sur bien des plans, Saen ne concevait pas la différence dans un rapport de force ou de valeur. Il n'acceptait d'ailleurs en aucune façon qu'un être vivant puisse se légitimer comme supérieur à un autre. Mais tout ceci était complexe, et non pas parce que l'humain le désirait, à son sens, mais bien parce qu'il fallait envisager une approche globale, avec une conscience de l'aspect rhizomique des situations,... "Je ne crois pas que les hommes se complexifient le monde et la vie pour se distinguer ou prendre une place supérieure. Je pense que la vie, sous toute ses formes, est complexité. Mon mentor m'a un jour dit : 'le complexe, c'est ce qui est tissé'. Ce qu'il entendait par là, c'est que comme pour tout, nous ne pouvons sélectionner un élément afin de l'analyser en dehors de son milieu, comme nous ne pouvons sélectionner ce milieu en dehors de celui qui le contient et de toux ceux qui interagissent directement ou non avec..."
◊ ◊ ◊
Il s'interrompit, posant son souffle et sa pensée momentanément. Ses réflexions risquaient fort de l'égarer en bien des sens, comme cela arrivait régulièrement, sans qu'il en prenne réellement conscience. "Peut-être la simplicité de la nature, réside-t-elle dans l'aptitude à considérer et appréhender sa complexité? Tu sais, Pru'ha, je n'éprouve pas de besoins primaires tels que ceux que tu décris. Mon corps est en symbiose avec mon esprit, il me faut plus que des pulsions pour développer un attachement et un attrait à l'égard d'un autre être. Intime... J'entends. Car l'humain, de bien des manières, m'attrait et m'intrigue. Ce qui me semble difficile à combiner, c'est le plan émotionnel, relié à la subjectivité et par conséquent l'imprévisibilité d'un être vivant. Homme, enfant divin, animaux... Qu'importe, les catégories sont de tristes regards enfermant la richesse et la multiplicité du monde."
C'était là une façon de poser un certain angle de vue, un peu partiel, un peu morcelé... Saen aurait aimé qu'il existe plus de mots que de pensées, pour les traduire au mieux. "L'esprit est chargé d'idées qui n'ont de sens réel dans le langage humain. Une fois prononcé, l’immanence et la multitude d'un concept se restreint et s'atrophie... J'aimerais tant que l'évanescence de mon psychisme puisse se matérialiser." Il leva les bras devant ses yeux, son regard scintillant accrochant les prunelles de l'enfant d'Aer, comme un enfant qui tente de peindre des rêves éveillés. Il décrivit des mouvement, tel un artiste donnant vie à son imaginaire. "Que serait nos liens, nos échanges, nos regards sur autrui, si nous pouvions leur offrir la forme de nos ressentis? La magie de cette Terre, les flux et autres puissances qui parcourent l'île, mais aussi vos veines, possède quelque chose d'aussi primal qu'un instinct... Pourrait-elle donner corps à nos manquements?" Il soupira, non pas de dépit, mais de plaisir à se laisser porter par ses fantasmes. A imaginer que d'autres mode de création puissent exister.
Finalement, la réponse, bien que très détaillée et étayée du semi-divin, ne suffisait pas. Cela n'avait rien d'ennuyant, Saen partait du principe qu'il n'y avait de fin, dans le processus de pensée et de réflexion à l'égard des être vivants. Il avait là, au moins, un autre morceau applicable à certaines situations. "Je pense que... l'on pourrait bénéficier d'un temps infini, comme toi, qu'il demeurait bien difficile de saisir tout ceci. Il y aura toujours des éléments qui nous échappent. Mais il peut demeurer intéressant de ce pencher sur ce principe de mécanisme instinctif puissant, en élargissant le champ d'études et d'observation à ses origines. Revenir aux inscriptions sensorielles et/ou psychiques, en retraçant l'histoire des individus, reliés génétiquement. Quel est notre héritage, comment le gérons nous, et... comment allons nous le distribuer à notre tour?" Il s'arrêta, prenant doucement conscience qu'il partait un peu trop loin...
Soudain, sa pensée le ramena à cette dernière question, prononcée par la dragonne, dont il n'avait, pour ainsi dire, pas capté le sens. Il hocha la tête d'un air perplexe. "Je ne comprends pas, qu'est-ce que le cœur à avoir là dedans?" Il ne voyait pas en quelle façon un de ses organes vitaux avait un quelconque rapport avec son questionnement. Très terre à terre lorsqu'il s'agissait de certains choses, son cerveau était un bordel constant de compréhensions, tantôt extrêmement lucides, tantôt incroyablement ignorantes.
Combien d'années ai-je vécue ? Bien courageux, et immortel surtout, est celui qui se serait amusé à fêter chacun de mes anniversaires comme le vœux une coutume humaine. Ce qui est une certitude c'est que j'ai plusieurs centaines de millions d'années de vie minimum ce qui laisse le loisir de découvrir la puissance du temps, une force terriblement puissante et dévastatrice. Pourtant le temps n'est rien sans l'espace et sans nombre d'autres petits phénomènes. Même une force aussi puissante que le temps est dépendante d'autres choses pour exister, choses qu'il ravage sans pitié soit dit en passant, quel étrange paradoxe.
J'apportais une oreille attentive aux paroles de Saen. Je trouve cet humain fascinant par la richesse de sa façon de penser. Voilà bien longtemps que je n'avais pas rencontré pareil interlocuteur à l'esprit aussi complexe que cultivé. Pourtant nos deux visions sont biens différentes. Alors que suis tournée vers le coté scientifique lui se place sur une position plus libre, plus ouverte. De mon avis nos deux esprits sont complémentaires. Je regrettai presque que mon carnet ai été détruit par les dieux : la discussion actuelle demandait presque de prendre des notes pour réussir à suivre ce qui m'amusa agréablement. Je pris soin de noter sa dernière question et lui dit avant toute chose :
« L'évolution a été à la fois mon plus grand allié et mon plus grand obstacle. Grâce à ce phénomène je n'ai jamais connue une seule minute d'ennui de ma longue vie. Pourtant, à cause de lui, certaines informations que j'avais recueilli parfois seulement quelques décennies plutôt s'en retrouvaient erronés car le monde avait évolué. Tout se transforme en permanence Saen, ton corps actuellement est en pleine transformation. En te posant de pareilles questions tu évolues, tu changes. Réunir tout le savoir du monde, étudier tout ce que le monde offre à étudier est une tâche colossale et rendue infinie grâce à l'évolution. Il m'était tout simplement impossible d'etre à jour même lorsque j'étais à l'apogée de ma puissance. »
Impossible d'être sur plusieurs fronts à la fois, même pour moi aussi il est certains que certaines informations m'ont échappés, informations que je finissais toujours pour découvrir.
« Pour ce qui est de ta dernière question, il s'agit simplement d'un très vieux symbole. Le cœur est à la fois un dessin et un organe vital. Ce premier a été créé pour symboliser les histoires d'amour. Lorsqu'un humain amoureux se trouve face à celle qui lui fait tant d'effet – il s'agit d'un mécanisme chimique complexe produisant des stimuli puissants destinés à un objectif naturel simple- son cœur s'emballe, raison pour laquelle histoire d'amour et de cœur ont été associés. Entrons plus avant dans le détail en commençant par te raconter la romance entre un certains Barn et la princesse Elsa...»
Durant les quelques heures suivantes je racontais à Saen quelques histoires d'amour soigneusement choisi afin de lui expliquer l'association entre l'organe et le symbole nommé tout deux cœur. Je m'attardais également sur les manifestations physiques connues du sentiment amoureux. Mon cours fut à deux reprises interrompus par des disputes entre les lions masqués. La journée s'écoulait tandis que nous discutions avec Saen lorsque soudain un véritable combat éclata entre le jeune que je ciblais et ce qui me semblait être son père. La scène fut d'une grande violence et se conclu par une défaite de notre proie qui, blessé et affaibli, fut chassé à l'écart du groupe. Lorsqu'il tentait de revenir il était chassé de nouveau avec violence par son père déclenchant parfois un nouveau combat. Après deux grosses heures à observer cette scène et bien qu'il soit le milieu d'après midi je prononçai les mots suivants :
« Voilà notre chance Saen. Observe la manœuvre du père qui ne tolère plus son fils parmi sien, il le rejette et l'éloigne de plus en plus. Notre cible devrait quitter son clan d'ici quelques heures maintenant. L'angoisse de la séparation ainsi que sa blessure et son affaiblissement nous offriront un avantage considérable et faciliteront grandement notre chasse. Notre attaque est pour cette nuit, je te conseil de dormir autant que tu le peux, je te réveillerai lorsqu'il sera temps de lancer l'assaut. »
Les combats entre les deux lions étaient d'une grande férocité et, bien qu'il soit difficile de l'évaluer d'aussi loin, notre lion masqué était indubitablement blessé et en souffrait. Nous avions discuté stratégie avec Saen et tout était prêt, il ne nous restait plus qu'à attendre la nuit...
J'attendis que la nuit soit tombée depuis plusieurs heures pour réveiller Saen. Il n'y avait plus une nuance de soleil à l'horizon seule la lune, pleine et lumineuse, éclairait le monde. Je réveillais Saen et attendit qu'il me donne son accord pour le transporter jusqu'à une prairie très étroite coincée au pied d'une falaise ne possédant que deux entrées. La stratégie consistait à attirer Odin, le lion masqué dans cette prairie. Je boucherai alors l'une des entrées avec un rocher et me placerai en barrage à l'autre.
Désormais le temps était compté... Le plus discrètement qu'il est possible pour une dragonne de ma taille je m'envolais à nouveau. La demi-heure suivante fut complexe : enchaînant les manœuvres aériennes et les grondements soigneusement dosés j'effectuai tout un travail d'intimidation. Comme je m'y attendais, Odin fut incapable de savoir ou je me trouvais précisément grâce à la combinaison de couleurs de mes écailles et de la nuit. Blessé, affaibli et doublement angoissé, je réussi finalement à le rabattre vers la prairie. Je fis aussitôt tomber deux ou trois rocher de la falaise pour en boucher l'entrée. Entreprise qui s'avéra plus compliqué que prévu : les rocher me résistèrent me faisant perdre de précieuses secondes. Ils finirent enfin par céder mais je m'abimais plusieurs griffes. Surprise par la soudaine instabilité du sol je chutais quelque peu avant de me projeter loin de la falaise comme je le pu. Un morceau de roche se détacha des hauteurs et me percuta l'épaule en passant. Il était insignifiant pour une dragonne de ma taille, je le sentis à peine mais il m'abima les écailles ce qui me fit feuler de frustration.
Parce que le vol permet d'aller beaucoup plus vite qu'une petite créature terrestre, il me suffis de quelques coups d'ailes pour le dépasser. j'atterris lourdement de l'autre coté juste à temps pour barrer le passage au lion. Mon poids fit légèrement trembler le sol et un violent coup de patte que le lion, emporté par son élan, n'eut pas le temps d'esquiver fit découvrir à notre proie toute ma masse. C'est alors que je poussais un rugissement de toute la puissance de ma voix, j’espérais ainsi le tétaniser de peur suffisamment pour que Saen en profite pour attaquer dans une relative sécurité et surtout une totale surprise...
En effet tout évolue et se transforme constamment, Pru'ha lui rappelait là un propos entendu bien des années auparavant, lorsque Saen était en compagnie de son mentor. Une phrase, simple et pourtant complexe pour bien des êtres, alors qu'elle revêtait l'évidence. Il hocha d'un mouvement de tête, compréhensif, il était bien entendu infaisable de compiler l'infini des possibles et l'impermanence de la vie, comme des réels que définissent nos multiples regards.
"Rien ne naît ni ne périt, mais des choses déjà existantes se combinent, puis se séparent de nouveau... Et ce en permanence. Ce qui, à mon sens, définit au mieux la vie, est le mouvement, sans ce dernier nous nous arrêtons, et la vie s'arrête aussi." Enfin, pour les êtres mortels, du moins, Pru'ha pouvait s’affranchir d'une telle conception, ce qui rendait sans doute son existence et ses angles de vue encore bien plus singuliers que ceux des humains.
Le jeune homme sourit à l'explication de l'origine symbolique du coeur. Il comprenait mieux, enfin, un peu... Ses capacités d'abstraction émotionnelle avaient du émousser grandement et pendant longtemps les effets physiques que son corps auraient du ressentir de façon fluide. Effets qu'il découvrait depuis peu, et apprenait à connaître avec un certain délice, bien que mêlé d'incompréhension et de tâtonnements. Il soupira, à la pensée de la jeune nordienne, puis cala à nouveau son attention sur Pru'ha, qui lui relatait à présent une histoire ancienne.
La journée s'écoula en divers échanges des plus intéressants, troublée à de rares moments par quelques échauffourées dans le groupe de lions masqués. Puis, un combat d'une toute nouvelle intensité finit par éclater entre le meneur et le jeune qui tentait de s'affirmer et de le confronter. Après une longue observation, ils purent voir le plus jeune mâle capituler, en piètre état, et le groupe le délaisser, le chassant à plusieurs reprises jusqu'à en être vraiment débarrassé.
"En effet, ce sera une cible facile. Tant mieux, je n'aime pas m'attarder dans l'exécution d'un animal." Saen se leva et suivit le conseil de Pru'ha, afin de récupérer un maximum avant leur attaque. Parler demandait une grande quantité d'énergie, mine de rien, le cerveau consommant bien plus que le corps en lui-même. Il s'allongea un moment, et se laissa emporter par un sommeil bienvenu.
◊ ◊ ◊
Il faisait déjà noir lorsque la dragonne vint à nouveau l'éveiller. Une lune pleine et brillante éclairait pâlement l'obscurité nocturne et silencieuse. Il se laissa volontiers transporter dans une petite prairie étroite, un peu plus loin, et se tapis à l'abris d'une paroi rocheuse, son chakram à la main, espérant qu'aucun monstre ne vienne chambouler son attente. Il ignorait quel temps mettrait la semi-divinité à rameuter le lion par ici.
Après plus d'une demi-heure au moins, un bruit feutré se fit entendre, et Saen décela une silhouette à l'entrée du boyau où il se trouvait. Des craquements émanant de roches qui se brisaient lui indiqua que la dragonne opérait à boucher l'entrée, il profita d'ailleurs de ces quelques bruits sonores pour se déplacer et s'avancer sans se faire remarquer. Il se trouvait à quelques mètres encore du lion qui tentait de fuir vers l'unique sortie, lorsque Pru'ha atterrit enfin devant ce dernier, l'envoyant valser d'un coup de patte spectaculaire. Le rugissement qui suivit le fut tout autant, et l'animal meurtri qui venait de se redresser avec difficulté avait roulé à deux mètre du jeune homme à peine.
Trop accaparé par la masse rugissante qui venait de l'attaquer, il ne prit pas garde à l'humain qui l'avait rejoint et venait de passer fluidement sur son flanc gauche, une lame circulaire siffla dans la nuit, avant d'entamer salement la chair de la patte avant de l'animal, la sectionnant presque, et le laissant boiteux. La rapidité amoindrie du monstre déjà blessé offrit à Saen l'opportunité de placer une seconde frappe, visant l'épaule cette fois. Mais si l'animal ne pouvait plus mouvoir ses membres avec aisance, sa gueule se retourna avec une rapidité affolante lorsque la lame de Saen trancha jusqu'à l'omoplate. Il eut à peine le temps de retirer son bras armé, les crocs de l'animal lui tailladant l'avant bras droit sur plusieurs centimètres de façon plus ou moins profonde.
Il grogna de douleur, tout en s'éloignant rapidement de la créature, espérant que la dragonne interviendrait pour enfin l'achever. Il ne pourrait plus porter de coup facilement avec le bras dans cet état.
Chasser est une activité à risque, idiot est celui qui s'imagine que la proie va se laisser tuer sans se défendre. Du moins c'est valable pour les créatures sauvages. Celles domestiques tel que le mouton ont perdus au cours de la sélection artificielle tous les patrons moteurs anti-prédateurs, autrement dit les comportements permettant de se défendre efficacement en cas de prédation tel que faire face et combattre ou fuir correctement. Le sujet est certes vaste mais j'ai suffisamment cloué le bec des bergers de l'ancien temps avec cet argument quand ils venaient pleurer que le loup venir se servir en gourmandise dans leur troupeau. Pourquoi ces animaux très intelligent iraient, je vous le demande, prendre le risque de se faire tuer contre un cerf magnifique alors que juste à côté ce trouve des centaines de brebis idiotes incapables de se défendre ? Choisissez entre le morceau de viande cru qu'il faut aller chercher au cœur de la carcasse ou le morceau de chocolat à votre disposition sur la table, c'est le même choix mais bref je m'égare ! Même avec la meilleure stratégie du monde, le chasseur s'en sort rarement indemne.
Après un vol plané des plus satisfaisant, Odin se figea de stupéfaction face à moi. J'en fus des plus ravie, après tout quelle proie n'aurait pas peur d'une dragonne de ma taille ? Ce fut un véritable coup de chance qu'il atterrisse à quelques pas seulement de Saen qui bien sur en profita. Il effectua une double attaque de son arme que l'on ne rencontre pas souvent. Durant ce petit instant je ne pouvais tout simplement rien faire : Saen était trop prêt, je risquai de le blesser en voulant frapper. L'humain aurait du bondir en arrière avant même la fin de son attaque : il en recueillis une méchante blessure au bras, suffisante pour le mettre en si grandes difficultés que même à moitié amputé le lion aurait pu en faire son repas.
Le retrait de Saen fut l'ouverture que j'attendais. Mais reculer ainsi est l'un des stimuli qui récompense une phase précise du patron moteur de prédation : Déjà Odin rassemblait ses forces pour bondir sur Saen. S’engagerait alors une lutte à mort qui me laissera impuissante, de peur de blesser mon humain qui n'aurait aucune chance en lutte au corps à corps. Il me suffit d'un seul pas en avant et mes mâchoires se refermèrent sur le corps du lion masqué. La hauteur de mon garrot et la longueur de mon cou eurent pour effet un choc puissant sur le félidé. Un crac sonore, qui me rempli une nouvelle fois de satisfaction, retentit lorsque j'utilisais la force de mes muscles pour le broyer. Une flot de liquide chaud m'inonda la gorge faisant naitre en moi une puissante et primale vague de plaisir. Je secouai violemment la tête ce qui arracha la patte à moitié amputer du félidé qui tomba. Je ne pu m'empêcher d'aspirer le sang en resserrant mon étreinte puis je le recrachais. Je m'approchais aussitôt de Saen, ma tête, dont la gueule dégoulinait d'un flot rouge, s'approchant bien trop prêt de lui afin d'observer son bras.
« Mmm... Tu as eu beaucoup de chance, ce n'est pas bien grave mais cela va t'handicaper quelques jours. Je ne peu pas t'apporter des soins sous cette forme, il va falloir que tu te soignes seul. Ensuite tu prendras ce dont tu as besoin sur cette créature que je dévorerai pour ne pas gâcher... et par gourmandise naturellement. »
Bien que Saen n'en avait certainement pas besoin, je lui indiquais les meilleurs gestes pour apporter les premiers soins à son bras. Je ne le laisserai s'approcher du cadavre d'Odin qu'une fois satisfaite des actes de médecine avec les moyens en notre possession. Lorsqu'il aura terminé, le malheureux Odin disparaîtra en trois délicieuses bouchées et quelques coups de langues sur le sol.
Fort heureusement, la taille de la dragonne s'avérait un avantage plus que précieux pour l'heure. De fait, le lion qui s'était retourné sur Saen, gorgé d'un nouvel élan et probablement d'une poussée d'adrénaline provoquée par la douleur fulgurante de son attaque, semblait prêt à lui bondir dessus sans hésiter, malgré sa patte tailladée. Une intention qui demeura éternellement de l'ordre de l'intention, lorsque la mâchoire puissante de l'enfant divin se referma sur le corps de la créature. Un craquement sonore indiqua que celui-ci se faisait littéralement broyer.
Saen en profita pour se redresser en position assise, observant une peu mieux sa blessure sous le reflet pâle de la pleine lune, tâchant de ne pas prêter attention aux échos des derniers bruissements morbides juste un peu plus loin. La plaie était moyennement profonde, surtout au centre des deux balafres qui parcouraient son avant bras. Rien de bien dramatique, au fond. Soudain, le jeune homme eut un léger mouvement de recul lorsqu'une forme sombre s'approcha rapidement dans son périmètre de vision, avant de constater qu'il s'agissait simplement de Pru'ha. Dont la gueule perlait abondamment d'un liquide vermeil, de grosses gouttes venant s'écraser sur l'herbe aux pieds de Saen. Il ramena ses jambes en tailleur, hochant distraitement la tête, avant de répondre posément.
"Ce n'est rien, j'ai largement de quoi faire un soin correct avec moi." A ces mots, il avait retiré deux tissus propres de son sac, une flasque d'eau, un petite fiole et un bandage. Il posa les objets dans le creux que formait ses jambes, puis humidifia un linge d'eau clair, afin de rincer correctement la plaie, avant d'appliquer la lotion désinfectante à l'aide de l'autre tissu. Cela piquait désagréablement, mais il avait connu bien pire. Lorsque ce fut fait, il enroula doucement et avec méthode le pansement coagulant autour de son avant bras, puis remis fiole et tissus dans son sac. Il conserva sa flasque, afin de s'offrir une grande rasade d'eau clair et se remettre un peu les idées en place.
Son regard orangé tomba sur la silhouette inerte du monstre un peu plus loin, dont il s'approcha enfin après s'être relevé. La dragonne avait entamé le corps, sans rien broyer du visage, ce qui lui permit de recueillir un masque indemne, qu'il glissa dans un tissu, puis dans son sac sans fond. Bien que peu séduit par la mort de l'animal, il ne put s'empêcher tout de même de se tourner vers Pru'ha un fin sourire aux lèvres. "Et bien voilà une association efficace. Merci beaucoup pour ton aide, Pru'ha." Il jeta à nouveau un rapide coup d'oeil au lion mort, avant d'ajouter.
"Lorsque tu auras satisfait ta gourmandise, pourras-tu m'amener près de Trare? Ma monture m'y attends, je devrais pouvoir faire le trajet jusque Lüh aller et retour dans la journée de demain... Il faudra cependant me déposer du côté de la montagne pour rester discret, la nuit ne suffit pas toujours à dissimuler les ombres près des villages."
Je fus bien loin d'être satisfaite des soins que Saen apporta à son bras : il avait besoin de plus que ça. Néanmoins c'était de loin le mieux que l'on puisse faire avec les moyens du bord. Il aurait été mieux de lui faire quelques petits points de sutures par sécurité par exemple. La plaie fut lavé, désinfecté puis bandé avec méthode. Saen avait de toute évidence l'habitude d'effectuer des soins sur lui même. Devais-je m'en réjouir ou bien m'en inquiéter ?
Il fini par se relever pour aller recueillir le masque de l'animal et conclure que nous formions une bonne équipe. Je ne lui répondis pas. Oh ce n'était pas dans le but de lui éviter une réponse négative, bien au contraire j'étais d'accord avec lui. Cependant la carcasse d'Odin allait bientôt attirer les prédateurs et autres charognards sans compter que les bruits du combat. Il fallait se débarasser du cadavre le plus rapidement possible. Ainsi, dès que Saen n'eut plus aucun intérêt pour le félidé je m'approchais de celui ci. J'arrachais dans un premier temps les quatre pattes, faisant broyer les os sous mes crocs. Puis le tronc y passa, moelleux et juteux... Enfin la tête ! Délicieuse gourmandise craquante à l'extérieur et fondante à l’intérieur. La saveur de la viande d'Odin ne valait pas une bonne biche bien grasse mais ma gourmandise fut satisfaite.
Je me tournais ensuite vers Saen :
« As-tu conscience que je n'ai aucune idée d'ou ce trouve Trare ? T'y emmener ne me pose évidemment aucun problème mais il va falloir m'indiquer le chemin. »
Il n'était pas question que Saen me chevauche comme une vulgaire jument. Premièrement parce que je ne le tolerais pas, deuxièmement parce que sans un minimum de protection mes écailles finirait par lui infliger de graves plaies aux cuisses et abîmerai certainement la preuve de sa masculinité en passant. Avec précaution, car ces petits corps humains sont d'une surprenante fragilité, je le saisi d'une patte puis, d'un bond et d'un battement d'aile je pris mon envol. Repliant les pattes contre moi, je pouvais entendre les indications de Saen.
Le voyage fut rapide malgré quelques erreurs d'orientations normales pour un humain le voyage aérien étant certainement des plus rares si je me base sur le peu de technologie que j'ai pu voir. Il faisait encore nuit lorsque j’aperçus Trare aidé par les indications de Saen. Je fis un large détour par le nord et déposait l'humain sur une route à quelques kilomètres du village. M'assurant qu'il était en sécurité, je le laissais rejoindre les siens. Le soir venu il me retrouva et m'offrit une étrange pierre munie d'une chaînette en argent que je nouais de manière experte à l'une de mes cornes. Il me confia ses projets pour la suite m'expliquant qu'il souhaitait l'exil et la solitude durant quelques temps et m'offrit la pleine et entière liberté de mes actes. Je lui en fus grandement reconnaissante. Je l'observais s'éloigner sur le chemin jusqu'à disparition de mon champ de vision. Ma nouvelle vie pouvait commencer...