| Tobias & Blue | ✦ An 59, été ~ Océan Thétys ~ De Lüh à Heilan ✦
L'ordre de mission pendait devant son visage incrédule, alors qu'il tenait le parchemin par le haut tout en avançant dans la rue, son barda sur les épaules. L'Aube déversait une pâle lumière depuis deux heures à peine, le navire vers lequel il se dirigeait en compagnie de sa brigade levait l'ancre tôt...
Son supérieur direct avait été très clair et particulièrement sérieux lorsqu'il lui avait remis ce parchemin avec des détails plus précis. Ce n'était pas dans les habitudes de la milice d'escorter la haute noblesse, cependant, ils n'avaient pas eut leur mot à dire au poste, apparemment. N'osant s'enquérir de plus d'informations à ce sujet, Tobias s'était contenté d'opiner du chef, à plusieurs reprises, avec des "Oui sir, à vos ordres sir, je ferais attention, etc." Les patrouilles sur Lüh possédaient des effectifs légèrement réduits avec la révolte en cours et les hommes mandés à Rorn. Par ailleurs, la brigade de Tobias s'avérait être une des seules constituées d'hommes qui avaient été réellement confrontés aux dangers de l'île, rôdant derrière les hautes protections des villes et villages. Que ce soit grâce à leur passé ou de par leur aptitudes particulière face à l'imprévisibilité, ils semblaient, au vu des circonstances actuelles, les mieux placés...
... Car oui, au fond, sa brigade lui ressemblait un peu en un sens. En plus de présenter des éléments complémentaires, ils avaient tous cette capacité de réactivité et de prise d'initiatives qui faisait parfois défaut chez les miliciens bien carrés dans leurs rangs, qui suivaient les ordres à la lettre. Comme quoi, son tempérament possédait quelques avantages! Et puis, le moment de faire ses preuves ne pouvait être plus beau. Bien qu'il lui fallait vraiment assurer, la tête de son officier supérieur parlait pour lui sans qu'il ait le besoin d'ouvrir la bouge. Et le brigadier Santerouge s'était largement permis d'y voir un "C'est votre chance, vous en êtes capable alors ne vous loupez pas!"
|✦|
Le petit groupe s'engagea sur la passerelle reliant le navire aux quais, afin d'embarquer. Une fois sur le pont, Tobias senti le poids qui l'encombrait s'alléger soudainement, tandis que Justien venait de saisir son sac, lui signalant qu'il allait descendre ce dernier dans sa cabine. Le brigadier sourit chaleureusement, en l'observant partir ainsi que ses deux collègues. Il devait rester présent, ignorant quand arriverait la personne dont ils avaient désormais la charge. Le capitaine lui ayant signalé que cette dernière n'était pas encore là, il en profita pour se délester de son arc et de son bouclier, ne conservant que son épée à la ceinture. Il préférait tout de même garder ses armes sur le pont, par précaution. L'arc lui serait plus utile, dans un premier temps, en cas d'attaque quelconque.
Ses pas le menèrent vers le bastingage, où il posa ses deux mains, le dos bien droit et le regard fixé sur l'horizon. La traversée ne devrait pas poser trop de soucis, ce qui l'inquiétait davantage, c'était la portion de territoire à franchir entre Heilan et Rorn...
...Rorn, à cette pensée, il fronça un rien les sourcils. Là bas, il risquait fortement de croiser son paternel, qu'il n'avait plus vu depuis longtemps, et qu'il ne souhaitait pas particulièrement revoir. Bah! Pas la peine de gâcher son enthousiasme actuel avant l'heure!
Il se retourne, croisa les bras et appuya distraitement son fessier sur la rambarde derrière lui. Cela serait plus pratique pour voir embarquer la demoiselle d'Avesnes. L'air habituellement innocent et naturel de son visage, sembla se mouvoir en air étrangement réfléchi. Son cerveau essayait, pour l'heure, de se rappeler ce qu'il connaissait de la jeune femme. De nom, c'était assez évident, mais pour le détail, il ne l'avait jamais rencontrée... La seule fois où des informations lui étaient parvenues, c'était dans une lettre d'Eonelle, qui disait s'être rendue à une réception somptueuse, organisée de main de maître par la fille du marquis.
Il pencha le fief de côté, les yeux perdus dans le vide, pensant avec ravissement qu'il avait échappé à tout ce faste des soirées mondaines en ralliant la capitale aussi jeune. De toute façon, il n'aurait jamais été à son aise dans de telles futilités, et encore, pas sûr que son père l'aurait laissé s'y rendre. Un fin sourire habilla ses lèvres à cette pensée, il se trouvait ici à sa place et nulle part ailleurs.
Comme vous vous en douterez certainement à là suite de cette narration, je m'apprête à commettre une parjure inqualifiable. Oui, très exactement. Moi, Brisielle d'Avesnes, vais mettre en péril la réputation de mon futur mari, probablement de ma famille également. Oh, mais j'oubliais, je m'en moque et ne compte pas avoir de mari. De fait, le problème est résolu me semble t'il. Il est fort probable que j'en subisse les conséquences, que moins d'illustres membres de la noblesse se pressent à mes réceptions. En y réfléchissant cependant, ceux qui adapteraient leur comportement à mon égard à cause de ce fait et bien, ils ne m'intéressent tout simplement pas. Alors, comme je le disais, voilà qui règle le problème.
De toutes manières, les négociations avec mes parents avaient été les plus importantes à mes yeux. S'ils avaient accepté de m'accorder cette faveur, c'était avant tout à cause de la dangerosité qu'impliquaient mes allées et venues vers chacune de nos propriétés. Et puis, si il advenait que j'échoue, de la plus tragique des manières, j'aurais au moins réalisé un rêve cher à mon cœur et aujourd'hui, cela m'importait énormément. Que je décide de partir sans mon frère, Merrin, avait été un choix réfléchis et difficile à faire entendre pour lui. Je ne pouvais cependant me risquer à mettre en péril sa vie pour ce que je savais être un caprice, malgré les formes que je lui avait donné pour qu'il soit interprété autrement.
En parlant de caprice, en voilà un deuxième. Afin de m'escorter jusqu'à ma destination, j'avais choisis de faire appel à une brigade de milicien. J'ai parfaitement connaissance que pour ce genre de voyage, tous m'auraient conseillé de demander l'escorte de la Garde Dorée. Plus entrainée à ce genre d'exercice, plus reconnue également, mais tellement moins plaisante à côtoyer. J'en avais fais l'amer expérience au cours de bon nombres de voyages jusqu'à la Plaine Brumeuse, ou simplement jusqu'à Trare. Ils avaient une manière si... détachée d'accomplir leur devoir. Comme si ils mettaient leur esprit à l'écart et cela ne me plaisait aucunement. Certainement parce qu'ainsi, je ne pouvais que peu m'illustrer dans l'art de l'adaptation, mais aussi et surtout parce qu'ils étaient très souvent issus de la noblesse et quand je pouvais m'en défaire, je le faisais. Et puis, ils étaient si occupés avec ces histoires à Rorn de toutes manières, je leur faisais finalement une fleur. C'est ainsi que pour ce voyage, j'avais fais appel à la milice, bien sous-estimée à mon sens.
Cependant, en bonne capricieuse que j'étais, j'avais tenue à choisir précisément la brigade qui m'accompagnerait et surtout, leur chef. Après plusieurs heures passées au poste et une multitude de candidats dont on me fit plus ou moins les éloges, mon choix s'était porté sur le brigadier Tobias Santerouge. Oh, il avait du sang noble, mais au vue de son historique, cela n'était pas cela qui l'animait. On ne me l'avait pas présenté en premier, pas vraiment en dernier non plus, mais ce que je savais de lui m'intéressait grandement. Il était un instinctif et c'était tout ce qui me fallait pour me convaincre. Il n'y avait donc plus qu'à partir, je leur avais légué une petite somme pour que ma future escorte puisse suffisamment s'équiper pour répondre au mieux à mon besoin de protection.
Ainsi donc et de bon matin, je me présentais sur les quais, accompagnée de quelques servants qui avaient tenus à transporter mes affaires jusque là, même si le variquan blanc qui allait embarquer avec moi pouvait très bien s'en charger. Soit, peu importe, j'avais l'habitude des déconvenues après tout. Arrivant dans une petite calèche, j'en descendais aisément, aider par une main tendue, malgré ma longue robe bleue aux épaules dénudés. Oh, ne vous en faites pas, pour la suite j'avais pris mes précautions. Mais pour l'heure, je me devais de conserver un certain prestige, bien malgré moi j'en conviens. Face au bateau, un large sourire étirait mes lèvres tandis que le bruns de mes yeux observait le bleu du ciel. Un temps parfait pour voyager, n'est-il pas ? Attrapant un pan de ma robe que je soulevais pour m'engager sur la passerelle, un servant me tenait l'autre main afin de m'y aider. Je n'étais pas grabataire, mais c'était là des attentions qui me touchaient tout particulièrement, même si je les savais motivées par l'étiquette.
Une fois sur le pont, je fis quelques pas et m'arrêtais afin d'observer le bateau, ses marins en activité, tandis que mes servants s'attelaient à faire monter le variquan et à installer mes affaires dans ma cabine. La douceur du vent s'engouffrait dans mes cheveux courts, en soulevant les boucles d'une manière si entrainante. Je m'en emplissais d'une profonde respiration, voilà de quoi me donner l'entrain que quémandait la soif d'aventure qui faisait battre mon cœur. Après quoi, je laissais mon regard s'attarder sur chacun des visages m'étant inconnu jusqu'à tomber sur celui qu'on m'avait décrit. A nouveau un large sourire, mais cette fois-ci à son égard tout particulièrement.
Je m'avançais alors d'un pas leste et d'une stature engagée, les pans de ma robe soulevée suffisamment pour ne pas entraver mon avancée, jusqu'à lui faire face, à une bonne distance. En l'observant la seconde qui précédait les présentations, un sentiment positif me gagnait, ce qui était tout à fait déconcertant étant donné la rareté de ces derniers à l'égard de la gente masculine. Sans plus de palabres, je m'inclinais respectueusement, point trop soutenu, j'avais la sensation que si j'y m'étais des formes trop appuyées cela pourrait créer un certain malaise.
« Enchantée monsieur, je suis Brisielle d'Avesnes. Êtes-vous bien le brigadier Santerouge ? »
A sa réponse donnée, un deuxième sourire à son encontre. Voilà qui augurait une aventure plaisante, j'en étais presque certaine. J'espère qu'il en était de même pour lui, même si il ne se doutait guère de quel nature elle serait réellement.
| Tobias & Blue | ✦ An 59, été ~ Océan Thétys ~ De Lüh à Heilan ✦
Une brise marine venait caresser la nuque du brigadier lorsqu'une jeune femme entra soudainement dans son champ de vision. Oui, soudainement, parce que bon, il réfléchissait l'instant d'avant, alors c'était assez épuisant pour sa concentration. Il n'aurait pas su se disperser davantage. Jusqu'à cette apparition... Qui lui fit momentanément perdre ses moyens qu'il n'avait pas eut le temps de récupérer. Ah ben sa soeur aurait pu lui donner plus de détails dans ses lettres, cela lui aurait évité d'avoir un air ahuris pendant quelques secondes avant de réaliser que la dame attendait une réponse à sa présentation comme sa demande.
Déjà qu'elle s'était inclinée, une attitude qui le surpris et porta sa gêne à un degré supplémentaire. Il s'avança un rien pour quitter le bastingage et porta une main sur sa poitrine, ainsi que l'autre derrière son dos avant de faire de même, son teint hâlé légèrement rosé... Sa voix résonna avec mesure et assurance, pour son plus grand soulagement.
« Mademoiselle d'Avesnes, c'est bien exact. Brigadier Tobias Santerouge, mes hommes et moi-même sommes chargés de votre protection. » Sa phrase pris fin tandis qu'il s'était redressé complètement et il observait à présent, avec le plus de neutralité possible, les iris bleutés situés quelques crans plus bas.
Un coup d’œil alentours lui permis de constater l'absence de ses hommes en question, et il se senti légèrement embarrassé lorsqu'il reprit. « Hum... Le reste de ma brigade viendra se présenter à vous en bonne et due forme dès que possible, ils doivent encore s'affairer dans les cabines, nou... »
« Pas tous, non. Enfin... Rodd doit être en train d'aligner son équipement par ordre de taille et de poids, en laissant un même espace calculé au millimètre près entre chaque objet. Et il n'est pas exclu que Justien soit resté coincé dans l'encadrement de sa porte, vu la taille des cabines. »
Ignës était apparue sur son flanc droit et venait de s'arrêter en posant une main sur sa hanche. « Je... Quoi? Oh merde, va voir s'il n'a pas besoin d'aide s'il te plait. » Tobias se passa une main derrière le crâne, le regard soucieux, tandis que la milicienne leva un sourcil. Décidément, elle n'était toujours pas habituée à ce que son supérieur prenne la moindre ironie au pied de la lettre. Elle leva la main d'un geste dédaigneux, en opinant du chef. Son regard ébène se tourna vers la jeune noble, qu'elle salua respectueusement, avant de s'en aller en direction des cabines tout en levant les yeux au ciel. N'empêche... Il serait bien foutu d'être coincé quand même, à la réflexion!
Le regard boisé du brigadier se porta à nouveau sur la demoiselle, tâchant de demeurer simple et respectueux à la fois. Il montra brièvement la jeune milicienne qui s'éloignait. « Ignës Granval, c'est un peu la tacticienne du groupe, elle comble grandement mon manque de subtilité ahah... Heu, enfin... J'veux dire, elle apporte un complément à mes autres aptitudes militaires, ahem. Oui, voilà, nous nous complétons tous un peu, c'est plutôt ça. »
Oh mais quel boulet, ou comment avouer stupidement qu'on est probablement pas le parfait milicien totalement en mesure d'assurer la survie d'autrui. Tobias détourna les yeux en toussant devant son poing fermé puis se déporta pour poser une main sur la rambarde, feintant de scruter avec intérêt l'horizon qui s'étalait à perte de vue.
« La traversée risque de prendre la journée, si tout se passe bien. Evidemment, avec nous, vous ne risquez pas grand chose. Nous restons à votre disposition, mais je suppose qu'il vous sera plus agréable d'aller et venir à votre guise. Je veillerais à ce qu'un de mes hommes soit toujours présent sur le pont en même temps que vous, ou près des cabines. Si cette proximité vous incommode, n'hésitez pas à me le signaler. »
Il se tourna à nouveau vers elle, ignorant que faire de plus pour l'instant et si son attitude s'avérait adéquate. Au fond, ils étaient tous deux enfants de nobles, bien qu'à un degré près dans la hiérarchie nobiliaire. Mais sa fonction devait figurer au premier plan et il tenait à s'y conformer le mieux possible. C'est pourquoi il s'abstint de poser des questions trop indiscrètes, malgré son naturel curieux et son penchant sociable qui le maintenait entre deux extrêmes.
« Avez-vous besoin d'aide pour vous installer? Ou de toute autre chose? » Les marins allaient et venaient tout à leur travail, derrière eux, les passagers semblaient tous avoir embarqué et le bateau ne tarderait plus à quitter le port. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas quitté Lüh et, de toute évidence, il allait voyager en charmante compagnie. Un fin sourire niais s'épanouit sur son visage légèrement distrait.
Il était évident que mon apparition avait eu un effet sur ce brigadier. Bon ou mauvais, il était encore temps d'en être certaine. Cependant, pour ma part j'eus une réaction similaire à la sienne, au moins le temps qu'il reprenne ses esprits. Mon dos s'était tendu, pris d'une légère surprise, non pas qu'elle eut été négative, c'était presque même revigorant. Je me tenais donc là, attendant patiemment qu'il reprenne le pouvoir sur son esprit avant d'esquisser un léger sourire une fois cela fait. D'une allure presque chevaleresque, il se présenta enfin à moi comme l'homme que je cherchais bel et bien.
Pour ma part, je gardais le silence en l'observant, suivant parfois son regard quand il avait l'air de chercher les membres de sa brigades. Il semblait plutôt embarrassé que ces derniers ne soient en vue, ce qui à mon sens n'avait pourtant rien d'alarmant. C'est alors qu'une femme apparu, presque venue de nulle part, en tout cas je n'avais pas notée sa présence jusqu'à maintenant. Ce qui était, je l'avouais bien volontiers, une faute. Ils échangèrent un instant, sans que je ne prenne part à leur conversation qui avait des notes amusantes, ce qui soulevait parfois mes lèvres. Enfin, c'était surtout ce brigadier qui était amusant à observer, ce que je faisais du coin de l'oeil pour ne pas trop le gêner.
La femme me salua, je lui répondais alors bien volontiers avant qu'elle ne nous quitter pour aider, peut-être, ce fameux Justien à se défaire d'une porte sans doute trop étroite pour son gabarit. C'était en tout cas la seule explication plausible pour qu'une personne reste coincé ainsi. Par la suite, mon regard noisette retrouvais le boisé du sien tandis qu'il me présentait la femme qui s'était envolée aussi vite qu'elle avait atterrie. Ignës Granval donc, vers l'absence de laquelle mes yeux se portaient instinctivement une dernière fois alors que le Brigadier Santerouge peinait visiblement à s'exprimer. Ma tête penchait alors légèrement sur le côté, un peu intriguée en observant cet homme se mettre lui même dans un embarras palpable. Je ne pu alors retenir un fin sourire, à nouveau, ce qui augurait une compagnie bien plus agréable que je ne l'aurais imaginé. A vrai dire, les raisons de son embarras m'avait presque échappé, puisque je n'étais pas réellement du genre à m'arrêter sur ce genre de confession, tout du moins à juger par ce genre de chose.
Je le laissais alors, à nouveau silencieusement, reprendre le court de son monologue. Je le remerciais alors de tant de prévenance à mon égard d'un hochement de tête soutenu, couplé d'un sourire reconnaissant.
« Nullement, ne vous en faites pas. Comme vous avez pu le voir, ces braves personnes ce sont occupés de tout. »
Je désignais du fief mes servants qui venaient rapidement à ma rencontre, avant de s'incliner respectueusement en guise d'au revoir. Je leur répondais d'une courte révérence en les remerciant. Voilà que tout était prêt. A une petite chose près cependant. Avant que le dernier servant ne s'éloigne trop, je l'interpellais avec prévenance.
« Vous pouvez la faire sortir. »
Il acquiesça alors en s'inclinant à nouveau, rejoignant la sobre calèche qui m'avait mené jusqu'ici. Il en ouvrit alors la porte et laissait sortir cette bête plein de poils clairs qui s'élançait vers moi en jappant. De quelques bons lestes, laissant le vent s'engouffrer sous ses ailes pour la porter jusqu'à moi. A sa venue, je lui faisais face et d'un large sourire, m'accroupissant à en laisser trainer ma robe sur le sol, pour la flatter de quelques caresses bien placées. Me redressant ensuite, elle s'assit voluptueusement à mes côtés, d'un air fier. D'une main souplement tendue vers elle, je la présentait au brigadier.
« A mon tour de vous présenter celle qui nous accompagnera dans cette aventure. Ma fidèle protectrice : Aeris. »
Je posais ma main affectueusement sur son crâne avant de revenir à son niveau. Accroupis et d'un nouveau geste, je présentais à la Calis blanche le brigadier, avant de tourner mon visage à son encontre.
« Aeris, je te présente Tobias, c'est lui qui va nous protéger. »
La Calis s'avança alors d'un pas, plus proche du brigadier en signe d'acceptation, les ailes repliées et la queue battant l'air. C'était nécessaire avec cette race, peut-être pas de manière si marquée, mais il était impératif de présenter les inconnus comme amicaux, au risque de provoquer des réactions défensifs. Enfin, quand ceux-ci l'étaient évidemment. Je me redressais alors, lui adressant un bref sourire et le laissant faire sa propre présentation auprès de la Calis, si le cœur lui en disait.
| Tobias & Blue | ✦ An 59, été ~ Océan Thétys ~ De Lüh à Heilan ✦
Effectivement, nul besoin d'aide supplémentaire en ces conditions. Réfléchis un peu Tobias, on ne t'as guère assigné à la protection d'une femme du peuple ! Le brigadier hocha la tête, compréhensif et légèrement penaud, réalisant pourquoi il lui plaisait tant d'être loin du manoir et de la vie relativement luxueuse qu'il aurait pu y mener. Bah, le jeune homme secoua brièvement le fief pour ne pas penser à tout cela en ce moment et reporta son regard boisé sur la demoiselle d'Avesnes en retrouvant un certain aplomb.
Celle-ci venait d'interpeller le dernier de ses domestiques, qui, à sa demande, s'empressa de laisser sortir un animal de la calèche stationnée plus bas. Un calis à la robe claire et élégante s'élança vers la fille de marquis. Lui tournant autour saisie probablement d'une joie toute particulière à la rejoindre et l'accompagner. Après de rapides présentations, où il sembla être bien reçu par le calis, le sourire quelque peu amusé de Tobias qui se relevait, se détendit sensiblement, en songeant à ce qui venait de se dire. Il ouvrit la bouche, sa contenance à moitié volatilisée, mais n'eut guère l'opportunité d'aller plus loin.
« Un paramètre qui comporte un degré d'imprévisibilité potentiellement problématique... »
Rodd venait de les rejoindre et s'était accroupis, demeurant à un bon mètre de distance de l'animal. Si ses propos s'adressaient aux humains, l'homme semblait se désintéresser totalement de ceux-ci. Son regard fixé sur le calis, il venait de tendre lentement la main dans sa direction. Un calme implacable habitait le jeune pisteur, ainsi qu'une sérénité presque palpable. Aeris sembla percevoir facilement l'aura particulière qu'il dégageait et s'approcha, intriguée d'abord, puis rapidement, avec confiance. L'homme vint gratter le cou de l'animal en lui adressant un petit sourire en coin. Sa voix basse et un peu dure résonna.
« Je vais devoir connaître ses habitudes. Votre degré de maîtrise sur son comportement. Si elle a déjà été en situation impliquant un danger, croiser des monstres... et ses réactions. »
Il releva le nez en direction de la jeune noble, lui offrant enfin autre chose que sa tignasse sombre, son visage demeurant impassible. Tandis qu'il continuait de flatter le cou de l'animal qui se frottait une dernière fois à lui avant de rejoindre sa maîtresse.
« Sa présence peut constituer un atout comme un handicap, et il est primordial de pouvoir appréhender et gérer cette donnée si tout le monde doit rester en vie. »
À ces mots, il se redressa et s'éloigna pour, probablement, retrouver la quiétude de sa cabine et déjà réfléchir à ce que tout ceci impliquerait comme ajustements. Les craintes floues de Tobias maintenant matérialisées avec précision, celui-ci sentit son corps se relâcher et la confiance parer de nouveau ses traits. Sa voix, bien que désolée, était tout de même plus légère.
« Hem, je suis sincèrement désolé s'il vous a paru un peu abrupt, mais croyez moi, ces intentions sont nobles. Il se soucie p'tet même davantage des animaux que des hommes... Enfin, pas qu'il fera pas son boulot correctement si c'est vous qui avez un soucis hein. » Mais Rodd avait raison, protéger un individu seul n'était pas une mince affaire, alors s'il fallait composer avec un calis dont on ignorait tout du comportement et des réactions possibles, ce ne serait pas idéal.
« Si ça ne vous gêne pas de vous entretenir avec Rodd, c'est son nom au fait, quand vous en aurez l'occasion, je pense aussi que ce serait utile pour tout le monde. » Une voix sonore retentit soudain, intimant aux matelots de larguer les amarres et, rapidement, le bâtiment se détacha du port, afin de s'éloigner progressivement vers l'horizon.
Tobias demeura planté là sans savoir que faire ou dire exactement de plus. Sa mission était assez claire, il ignorait s'il pouvait converser davantage avec la jeune femme. Une perspective qui lui plaisait tout autant qu'elle déplairait fortement à son supérieur. 'Faîtes votre job et tenez vous en au strict minimum en termes d'interactions. Pas la peine d'importuner mademoiselle d'Avesnes avec vos idioties Santerouge !'
Le brigadier se tourna à moitié vers l'océan, maugréant dans un faible soupir « Aye, aye, sir. » On limite les interactions, bon et on fait quoi sinon ? Continuer à fixer le bleu du ciel qui épouse le bleu de la mer... Ah, il y a sur ce pont d'autres nuances colorées bien plus avenantes, pourtant. Il ne va pas tenir longtemps sur la gamme sourde du silence.
Un nouveau protagoniste s'invita à notre entrevue, alors sans attendre davantage, je me redressais pour le saluer d'une brève révérence tandis qu'il amorçait le chemin inverse. Je l'observais s'accroupir et quérir l'attention d'Aeris qui n'hésita pas une seconde à lui accorder. Je la savais évidemment peu farouche, mais elle semblait très à l'aise avec celui-ci malgré son rustre apparat. Aeris était un peu comme moi à ce propos, elle ne s'arrêtait pas à la première image, me concernant, j'étais d'autant plus ouverte d'esprit lorsqu'il s'agissait de personne de leur caste. Par la je voulais dire, sans dénigrer, qu'il n'appartenait pas à un monde faux semblant caricaturé à outrance, que ce soit par la noblesse ou le doré d'une garde. C'était aussi pour cela que je les avais choisis, je ne me sentais pas acculée en leur présence, malgré des habitudes tenaces.
J'écoutais donc ce que cet homme avait à nous dire, tout en notant sa pleine attention vers Aeris. Ses propos faisaient sens et professionnalisme, voilà qui était pour me rassurer sur la qualité de mes accompagnants. Sans pourtant m'accorder le plaisir de lui répondre dans l'immédiat, je l'observais maintenant s'éloigner et disparaître de ma vue avant que le brigadier ne me rappelle à sa présence. Me tournant vers lui, arborant le même sourire inlassablement marqué finement, tendant vers une sorte d'amusement à ses propos. J'agitais sensiblement la tête lui assurant de ne pas craindre mon opinion aux propos de son équipe.
« Ne vous en faites pas, je comprends tout à fait et il y a certaines « déconvenues » qui valent mieux que d'autres. Pour celles-ci en ton cas, croyez bien qu'elles n'en sont pas pour moi. » Lui offrant un autre sourire. « J'irais m'entretenir avec lui évidemment, il en va de votre travail d'équipe. C'est moi qui ai été sotte de l'amener sans vous prévenir. » D'un geste vers la Calis blanche, je posais ma main sur sa tête tandis que d'un mouvement, elle venait s'y plonger d'autant plus. Mon regard doux se portait alors à elle. « N'ayez aucune crainte cependant, ce n'est pas sa première sortie en terres sauvages, loin de là. »
Pour les détails, j'en informerais ce fameux Rodd en temps et en heure. Nous avions après tout un peu de temps devant nous pour finaliser ce genre chose. Ce nom m'évoquait d'ailleurs quelqu'un d'autre, un souvenir un peu lointain d'un garde doré, mais peu importait, le temps ne se prêtait pas à cela. Mon attention se portait ensuite sur l'annonce de notre départ et de l'agitation des matelots. Après quoi, un murmure incompréhensible pour mes oreilles rattrapait mon intérêt pour le brigadier Santerouge qui avait trouvé refuge vers l'horizon maritime. Voilà un homme qui ne devait pas avoir l'habitude de la compagnie féminine ou qui, peut-être pour le mieux, n'était pas du genre à se rabaisser à faire la cour à toutes celles qu'il croise. En voilà assez pour que je m'accorde de profiter de sa présence un peu plus longtemps.
Je m'approchais alors du bastingage pour y déposer mes mains l'une sur l'autre, mes yeux noisettes se perdant dans la houle naturelle d'une mer calme. J'inspirais profondément, mais discrètement, l'air iodé qui accompagnait toute traversée maritime, suffisamment rare pour en être plaisant. Sans me tourner vers lui, j'amorçais une conversation simple.
« Cela fait-il longtemps que vous êtes brigadier ? Est-ce là une carrière qui vous sied monsieur Santerouge ? »
J'éprouvais un intérêt sincère à avoir cette conversation avec lui, aussi je me tournais légèrement pour le lui intimer d'un fin sourire et d'un éclat certain dans le regard quand il trouvait le sien. Aeris quant à elle s'approchait elle aussi, se positionnant entre nous et se mit sur ses pattes arrières pour apprécier à son tour la vue, les pattes avant sur le bastingage, la langue pendante et la queue battant l'air. Ma main venait tout naturellement la flatter avec affection.
| Tobias & Blue | ✦ An 59, été ~ Océan Thétys ~ De Lüh à Heilan ✦
La houle et le vent emportèrent le navire au large, la coque poussée par la main d'Aqua et les voiles tendues par le souffle d'Aer, le voyage s'annonçait rapide et sans contretemps. Le soleil montant apportait à la brise marine une certaine douceur, qui vint apaiser le milicien autant que les propos de la jeune noble. Doublement rassuré, il se relâcha et appuya ses coudes avec une légère négligence sur la rembarde du bâtiment. Un fin sourire éclaira son visage suite aux notes claires de la demoiselle à ses côtés, si c'était elle qui entamait la conversation, il n'aurait pas à se reprocher d'y avoir répondu! Encouragé par ce sourire et ce regard qu'il venait de croiser brièvement en obliquant à peine le fief dans sa direction, il se lança sans hésiter. Le ton de sa voix était empreint d'un certain aplomb quand il offrit une réponse évidente à sa seconde question. Non pas qu'il ait tout bonnement éclipsé la première, mais... si, clairement, en réalité.
« Ho oui, parfaitement même! » Son regard brilla, comme un écho aux scintillements solaires sur les vagues. Il poursuivit, plutôt heureux d'aborder ce sujet. « Certes, ce n'est pas un boulot toujours facile, mais il vaut largement le mal qu'on se donne. Beaucoup de personnes sont dans le besoin, à plein de niveaux différents, même si nôtre rôle est sensé se limiter à certains. Je préfère me donner à fond et en faire plus que ce strict minimum. Bon, ça plait pas toujours à mes supérieurs m'enfin... Un regard éteint qui s'allume à nouveau ça n'a pas de prix. »
Souvent emporté par l'emballement que son travail génère, le brigadier ne réalise pas vraiment le débit dont il fait preuve et la place qu'il prend dans cette conversation. Il rejoint le bout des doigts de ses mains devant lui en poursuivant avec un élan d'optimisme singulier. « Ce que j'essaye c'est de comprendre. Voyez... Pour bien faire les choses, j'pense qu'il faut comprendre les gens. On nous demande souvent de faire respecter la loi et de pas chercher plus loin quand on a un coupable avéré. Genre : ça c'est bien, ça c'est mal, et blablabla. Non. Moi j'pense qu'il faut pas chercher à savoir qui a raison ou tort, mais que les gens possèdent, tous, des raisons de faire, dire, penser, ... certaines choses. Et ça vaut la peine de creuser, de chercher à comprendre ces raisons qui vont souvent expliquer pourquoi, un type qui aura fait un truc qui nous semble mal, l'a fait. Et p'tet on réalisera que le pauvre homme il a été menacé, ou il avait pas d'autre choix pour aider sa famille, ou n'importe quoi d'autre. » Gesticulant avec ses mains pour animer ses propos, il vint momentanément les poser à plat sur le bastingage le ton de sa voix un peu emporté.
« On juge et enferme trop de personnes sans se soucier de ce qu'il vivent eux, juste pour, soi-disant, rendre justice à ce qu'ils ont fait vivre à d'autres. Je trouve pas ça correct, et j'essaye que ça change, qu'on pose un autre regard sur la notion de justice, et... » Il s'interrompit, soudain conscient de ce qu'il faisait et se redressa, gêné, sans oser se tourner vers son interlocutrice.
« Hem. Enfin, voilà... Heu, pardonnez-moi, j'peux m'emporter facilement quand un sujet me tient à coeur et... Vous avez peut-être pas envie que je vous noie sous une conversation de ce genre, d'autant que c'est probablement ennuyant, haha. Hum, j'suis désolée. » Tâchant de renverser la donne, il rebondit aussitôt dans le sens inverse et lui retourna sa question.
« Et vous, ça vous sied votre... heu... en fait, d'être fille de marquis? » Il n'y avait pas de question à retourner mais c'était un peu tard pour le réaliser et il se senti bien idiot tout à coup. Tentant de se rattraper, il poursuivit. « Je veux dire, on choisit pas toujours n'est-ce pas. Est-ce que vous vous plaisez dans votre position de noble et dans vos activités? » Tobias tu t'enfonces, fermes ta grande gueule un peu.
Qu'il ai eu l'intention d'esquiver ma première question n'avait évidemment pas passé inaperçu. Cependant, loin de moi l'idée de vouloir l'y forcer alors qu'il était clair qu'il ne souhaitait pas y répondre. Pour seule réaction, un léger sourire para alors mes lèvres ne tardant pas à écouter le récit de la réponse qu'il consentait à m'offrir. Il était d'ailleurs animé par un aplomb nouveau, qui faisait plaisir à voir. Il était tout à fait étrange de constater que face à Tobias, je reprenais un certain goût à observer un homme. Ils avaient pour ainsi dire tous perdu de mon intérêt depuis longtemps, pour diverses raisons que je ne retrouvaient cependant pas chez lui. Il était évident que cela jouait en sa faveur et qu'ainsi, une curiosité et un intérêt sincère lui était voué. Quel genre de vie menait cet homme pour se montrer aussi spontané ? J'aurais plaisir à le découvrir, mais pour leur, la plaisance de sa compagnie était largement suffisante.
Spontané. Altruiste. Courageux. Déterminé. Passionné. Du bon sens. Ouvert d'esprit. Empathique. Il n'y avait pas de tergiversation à avoir et je doutais sincèrement que tout ceci soit un jeu d'acteur. Cet homme, Tobias, était un humain authentique et doté de beaucoup de qualité, à mon sens en tout cas. Au fur et à mesure de ses propos, mon sourire s'élargissait significativement. Mon regard pétillait d'une lueur depuis trop longtemps terni. Oui, cet homme éveillait en moi un once... d'espoir. Heureusement pour moi cependant, il mettait fin à son monologue passionné, pris visiblement d'une certaine gêne à s'être laissé aller ainsi. Ma main se mit à mimer la négation alors, m'apprêtant à lui stipuler qu'il n'y avait vraiment pas de quoi et que ça avait été un réel plaisir de l'écouter, mais bien vite il retourna la situation d'une manière plutôt grossière et plutôt comique. Mes traits s'étirèrent alors d'un amusement fin et léger, alors qu'un léger rire cristallin accompagnait ses mots. Reprenant alors un air plus enclin à la conversation, le sourire ne quittait cependant pas mes lèvres, m'apprêtant à lui répondre.
« Vous avez raison, il y a des choses de notre vie que l'on ne choisis pas. »
Bien que légère, ma voix trahissait possiblement une légère amertume à ce propos, bien dissimulée cependant à qui n'y prêterait pas attention. J'accordais un léger temps de pause à mon interlocuteur pour qu'il puisse se remettre de sa passion momentanée, avant de lui répondre en détournant mon regard vers l'horizon, les mains jointes sur mon bas-ventre et le corps toujours tourné vers lui. Ma voix adoucis s'élevait alors. Il avait été sincère avec moi, cela avait été limpide. Je me devais donc de lui offrir la même honnêteté, peut-être, sans forcément le vouloir, plus mesurée cependant.
« Cela dépends des jours à vrai dire. Je suppose que ma position de noble me sied lorsque je parviens à l'oublier. »
Cela pouvait sembler anecdotique, mais c'était de loin l'une des paroles les plus sincères que j'avais eu le loisir d'exprimer depuis longtemps. Me laissant aller à deux secondes de songes muets, le regard penseur se logeant sur la houle des vagues, je revenais à lui arborant la légèreté d'un nouveau sourire.
« Ne vous y trompez pas, je suis reconnaissante de beaucoup de chose. Mon train de vie est des aisé, je ne manque de rien et je peux accomplir bon nombre de mes désirs. Malgré l'idée que l'on peut s'en faire, mes journées sont loin de ne tourner autour que de la détente ou de l'ennui. Elles sont toujours chargées et cela me ravie. C'est agréable de se sentir utile aussi souvent qu'il m'est donné de l'être. Alors la réponse à votre question est oui, je me plais dans mes activités. »
Je concluais d'un large sourire. Finalement, ma sincérité n'aura pas été à la hauteur de la sienne, mais il y a longtemps que je ne m'étais pas prêter à l'exercice de la confession et je dois bien avouer que cela me provoquait un certain inconfort. Mon sourire se fit alors moins prononcé et je sentais l'envie de fuir poindre son nez. M'y laissant aller avec une certaine dextérité, je poursuivais en me tournant vers la direction que le fameux Rodd avait prit.
« Je devrais peut-être aller m'entretenir avec le Milicien Rodd ? Plus tôt je l'aurais fait et mieux il y sera préparé, le reste de votre équipe également. Qu'est-ce que vous en dîtes ? »