Une brise parfumée égrainait la douceur florale de la vallée, un lieu à priori paisible, son nom prêtait à y croire. Mais en quel endroit de l'île pouvait-on réellement déambuler sans se soucier des crocs ou du venin des créatures y demeurant? Ces terres lui paraissaient moins hostiles en d'autres temps... Et tandis que l'homme au large chapeau progressait dans la lande sur son variquan, aux côtés d'une caravane marchande venant opérer diverses tractations à Sirk, il lui semblait avancer sans son ombre.
Saen ne s'y était jamais complètement habitué. Une absence dont le goût déteignait d'amertume au fond de sa gorge et son cœur. Un soupir discret traversa ses lèvres sèches, qu'il vint aussitôt humecter en prenant une rasade à sa gourde d'eau fraîche. Ses paupières se fermèrent dans l'ombre de son couvre-chef, tandis qu'il inspirait lentement et posément afin de vider son esprit de ces sombres pensées. Chaque choix revête un manteau de circonstance dont le poids n'est pas toujours des plus agréables à soutenir. Mais les épaules du pugiliste sont solides et sa charpente psychique forgée par le biais de plusieurs extrêmes, passant du sang sur ses phalanges au silence de l'introspection méditative...
L'heure n'était plus au retrait de sa propre existence, certains liens l'appelaient encore, regorgeant d'un potentiel peu découvert. Sa curiosité naturelle et son besoin d'explorer la moindre source d'étonnement avaient pris le dessus, à nouveau, enfin! La petite sphère magique qui reposait à son cou, attachée à un lien un rien plus court que celui possédant une écaille sombre comme pendentif, lui avait apporté des nouvelles de la dragonne, susceptibles d'éveiller son intérêt perdu. Une des raisons pour lesquelles il cheminait vers Sirk, dont les rempart se découpaient nettement sur l'horizon désormais.
Délesté de son arme aux portes de la place forte, il sourit intérieurement. L'endroit pouvait-il être aussi paisible que l'auguraient certaines mesures obligatoires? Une idée plaisante à ses yeux de grand innocent utopiste. Un grand innocent qui, après avoir mis sa monture aux écuries, se dirigeait à présent vers la boutique de son amie, dont on lui avait indiqué la direction quelques secondes plus tôt.
Le jeune homme au teint halé fit glisser son large chapeau dans sa nuque avant d'entrer dans la bâtisse après avoir frappé au panneau de bois. Vêtu d'une chemise beige et légère sous sa cuirasse, il entretenait l'espoir de se débarrasser de son armure dont il ne supportait plus aussi facilement le port. Une autre habitude qui se réinstallerait avec le temps, sans doute.
La pièce attira irrémédiablement son attention à plusieurs niveaux, et il lui fut difficile de ne pas porter le regard partout, ou toucher aux différents objets et outils qui se présentaient à lui. Une lueur d'excitation perdue depuis plusieurs mois refit même son apparition, alors qu'il repéra une silhouette affairée plus loin.
"C'est moi!" Claironna-t-il bêtement, avec la plus grande simplicité du monde et un fin sourire. Se doutant que la dragonne ne pouvait revêtir son apparence initiale, il considéra directement la personne devant lui comme sa métamorphose. Alors que cela pouvait tout aussi bien être n'importe qui, au fond!
Difficile de dissimuler ma présence lorsque je prend ma forme originelle. Comment voulez vous que je sois discrète ? Je mesure plusieurs mètres de haut et bien plus de long. Et je vous interdit de tenter de deviner mon poids ! Bande de goujats ! Certes mes écailles m'offrent une quasi invisibilité, surtout les nuits de pleine lune, néanmoins je ne peu cacher les signes physiques de ma présence. La seule manière de cacher mes empreintes est soit de voler, soit de m'installer sur des flancs de montagne rocheux. La première option n'est pas confortable, la seconde provoque régulièrement des éboulements. Ainsi il circule une rumeur à Sirk affirmant qu'une gigantesque créature s'est installée. J'ai de la chance de n'avoir jamais été traquée jusqu'à présent.
C'est pourtant nécessaire : je ne peu pas conserver ma forme humaine plus de deux ou trois jours et puis il aurait été bien trop suspect que je passe plusieurs nuits sans sommeil. Ainsi je quittais le village pour passer la nuit à me reposer sous ma forme d'origine. Il faut dire que j'ai énormément de travail à Sirk ! La bibliothèque, et sa réserve, étaient dans un état scandaleux. J'ai fais installer la statue de la jeune fille à l'entrée comme promis, fabriquer de nombreux rayonnages et de bibliothèque, réaménagée complètement l'endroit, au plus grand désespoir de l'archiviste en chef qui s'égare désormais, commencé à ranger les documents par thème et passée des commandes de livres au compte.
Et puis il y avait ma boutique d'Alchimie mitoyenne à mes appartements. Je vivais presque comme une véritable humaine. La boutique était un savant mélange d'ordre et de désordre. Il y avait des potions, substances, mixtures de partout. Il y avait aussi des plantes et des objets étranges, certains de ma fabrication. La boutique était sur deux niveaux : le rez-de-chaussée et un étage. Aucun mur n'existait au sein de celui ci, si bien qu'il y avait une sorte de balcon donnant vu sur l'entrée. Il y avait cependant à l'étage une porte, ouverte, donnant sur une autre pièce. Plusieurs pancartes indiquaient qu'elle était strictement interdite.
Bien sur ce n'était pas moi que Saen trouva derrière le comptoir occupée à compter. Il s'agissait de Cindy, une ancienne gouvernante embauchée pour s'occuper de ma boutique. Elle avait une cinquantaine d'année, était forte et semblait avoir une personnalité douce mais stricte, nous nous entendions bien... Elle releva la tête et :
« Bonjour Monsieur. Dame Pru'ha ?! »
« Oui Cindy, qu'est-ce que c'est ? » Fut soudainement lancé sèchement depuis l'étage, comme si on me dérangeais. Saen reconnaîtra ma voix immédiatement.
« Je pense un visiteur pour vous »
« Qu'il... »
Je fus soudainement interrompue par un détonation qui fit trembler tout le bâtiment. Ce fut un miracle qu'aucun article ne se brisa. Une épaisse fumée jaune fluo s'échappa soudain de la pièce à l'étage se dirigeant vers une grille d'aération dans le plafond. Je toussais avec force tout en râlant avec énergie de manière incompréhensible durant de longues secondes. Cindy soupira, comme si elle me trouvait incorrigible, et ne paru pas inquiète une seule minute. Ce genre d'incident était fréquent ici. Elle sourit à Saen :
« Dame Pru'ha s'occupe de vous tout de suite. »
Puis elle retourna à ses comptes. Quelques secondes plus tard, la fumée se dissipa. J’apparus soudainement au balcon, élégante dans ma rusticité, les manches retroussées, posant les deux mains sur la balustrade en jetant un regard vers le bas, visiblement le visiteur passerait un sale quart d'heure s'il avait osé me déranger pour rien. Mais mon visage s'illumina :
« Saen ! Quelle excellente surprise ! Sois le bienvenue.»
Je descendis l'escalier et l'enlaçais avec chaleurs, comme une grand mère. De toute évidence, mon comportement familier surpris Cindy qui n'avait pas l'habitude de me voir ainsi.
« Viens, nous serons plus à l'aise dans la sale de séjour pour discuter. »
« Dame Pru'ha ? En ce qui concerne le petit incident... »
« N'ayez crainte Cindy, il n'y a aucun danger. La substance est détruite de toute façon... »
Ainsi Saen était de retour ? C'est une possibilité pouvant avoir de nombreuses implications. Il allait peut être me falloir choisir entre mes responsabilités et engagements ici et ceux envers mon libérateur. Il était clairement le bienvenue mais il pouvait certainement voir les rouages de mon cerveau calculer toutes les possibilités que son retour impliquait. Tout en disant ces dernières paroles, j'invitais Saen à me suivre dans le franchissement d'une porte sur laquelle se trouvait une jolie et délicate pancarte avec l'inscription « privé ».
Elle donnait sur mes appartements privés. Je guidais Saen le long d'un élégant couloir sur le sol duquel courait un tapis de couleur bleu, passant devant plusieurs portes, j'en ouvris une et l'invitais à y entrer. Elle donnait sur une pièce ni trop grand ni trop petite, très confortable et chaleureuse, très lumineuse grâce aux fenêtres qui ne donnait pas sur la rue mais une arrière cours. Il y avait une cheminé, un impressionnant fauteuil qui donnait envie de s'y asseoir ainsi qu'un beau canapé le tout face à une petite table délicate. Une bibliothèque encore au trois quart vide se trouvait contre le mur ainsi que d'autres meubles et objets.
« Je suis heureuse que tu acceptes de me rendre visite mon cher ami. Comment vas tu ? »
Je l'invitais à prendre place sur le canapé, il est peut être mon libérateur mais il n'est pas question qu'il s'installe sur mon fauteuil. Je remis une bûche dans le feu, pris une jolie théière que je remplie d'eau et plaçais au dessus du feu. L'endroit n'avait pas le prestige ni le luxe de la sale de séjour que Saen avait visité dans le temple d'Aer mais conservait la même chaleurs accueillante.
Il fallut quelques secondes aux engrenages de son cerveau pour se réorganiser en fonction de l'attitude adoptée par la jeune femme devant lui. Qui, à l'évidence, ne se trouvait guère être Pru'ha. Une assistante ou une amie ? Saen eut le regard brillant à l'idée que la semi-déesse se soit bien entourée. Enfin ça ne pouvait qu'être bien, non ? La demoiselle lui semblait tout à fait sympathique et il la regarda un instant avant de réaliser qu'il ne s'était pas présenté et l'avait prise pour quelqu'un d'autre.
"Oh ! Bonjour, moi c'est Saen ench..." Sa phrase s'acheva dans une détonation saisissante qui le fit lever aussitôt les yeux vers la source auditive de cette dernière et il en oublia la dénommée Cindy. Jusqu'à ce que celle-ci lui informe que la dragonne ne tarderait plus à le rejoindre. Parfait ! Son regard repris le chemin de l'étage quand une voix l'y ramena, cette fois, pas de doute !
Ces iris captèrent le moindre détail de son apparence, tandis qu'elle le rejoignait, quelque chose dans son air humain allait décidément très bien avec sa nature originelle, même s'il ne pouvait dire quoi exactement. Son esprit trébucha une seconde au moment où elle l'enlaça avec chaleur, peu habitué aux contacts tactiles de la sorte. Mais le contentement perceptible dans la voix de la femme éclipsa ce désagrément et para son visage d'un sourire.
Elle l'invita dans ce qui devait être ses appartements personnels, afin qu'il puisse échanger plus librement et Saen la suivit sans se poser plus de questions. La semi-déesse faisait sa vie à sa convenance et sa nature divine n'avait peut-être pas sa place dans les oreilles de n'importe qui. Tout en avançant, l'oeil observateur et intrigué, il profita de la quiétude des lieux et de leur douce atmosphère pour ôter son large chapeau et dégrafer son armure de cuir dont l'épaulière l'incommodait plus qu'autre chose. Le jeune homme posa ses affaires là où elles n'empiétaient sur rien de particulier, puis vint s'asseoir sur le canapé qu'elle lui présenta. Il appréciait l'endroit, calme et lumineux, à l'abri du brouhaha des rues animées de la cité. S'il ne connaissait guère la ville, il ne l'aurait cependant pas imaginée si vaste que ce qu'il en avait perçu en arrivant jusque ici.
סּ סּ סּ
Saen réfléchit un bref instant à sa question. Un instant qui n'existait pas fut un temps, pour répondre à ce genre de chose. Était-ce devenu si différent? Oui et non, il pencha la tête tout en se grattant l'arrière du crâne, puis émit une réponse sur un timbre qui passe de l'indécision à la réassurance dans la même phrase. "Mmm.. Bien, je crois." Il enchaîna sur la première partie des propos de la dragonne. "Je pense que j'avais besoin de revenir parmi... Les autres." Hésitant sur la fin de sa phrase, le terme 'miens' ne lui venait finalement pas spontanément. Sans doute se sentirait-il toujours trop en décalage pour cela. Se remémorant les paroles de la dragonne lorsqu'elle l'avait contactée, il demanda simplement. "La vie que tu mènes te rend-t-elle heureuse?"
Il n'avait, au fond, pas d'autres préoccupations. Même si la réponse semblait relativement claire, au vu de son attitude et de l'intérêt dont elle avait fais part dans son message. D'autres interrogations concernant ses activités et la ville commençaient à affluer, mais il préféra laisser l'enfant divin répondre d'abord. Connaissant la richesse de ses réponses face à de simples questions, peut-être y trouverait-il déjà de nouveaux éléments intéressants. Par ailleurs, il ne cherchait rien de plus que le plaisir simple d'une conversation sans réflexions tordues. Il y avait perdu beaucoup, ces dernières semaines, avant de retrouver enfin une sorte de sérénité intérieure.
Nul doute que Cindy venait d'obtenir encore une excellente raison de me traiter d'excentrique : il faut dire que le physique et le comportement de Saen sont originaux, une des raisons de mon choix soit dit en passant. Il semblait physiquement en bonne santé. Je notais qu'il n'avait pas son arme sur lui : elle était certainement resté à l'entrée du village comme l’exigeait le comte. Une excellente règle je pense mais à double tranchant : elle permet d'assurer la paix à l'intérieur du village et d'éviter tout conflit armée. Mais en cas d'attaque de bandits, de barbares les habitants du village se retrouvent sans défense, complètement dépendant des forces armées du comte. Que feront-ils s'il refuse d'intervenir ?... Voilà pourquoi j'économisais pour passer commande d'une arme que je cacherai quelque part...
Saen s'installa sur le canapé. Il m'informa qu'il pensait se sentir bien et avait ressenti le besoin de revenir parmi les autres. Par autres je devais comprendre les humains. Il n'est pas difficile de comprendre qu'il se sent différent des autres, ce qu'il me fut facile de remarquer lorsqu'il se présenta au temple. Il me demanda alors si ma vie actuelle me rendait heureuse. Je pouffais en installant sur la petite table coupelle, tasse et cuillère. Elles n'avaient pas la beauté de celle du temple mais restaient élégantes, assorties et de toute évidence choisis avec soin. Je lui répondis avec énergie :
« Qu'est-ce qui rend plus heureuse une bibliothécaire que sa propre bibliothèque et une scientifique son laboratoire et le financement de ses recherches ? Je possède tout ça. J'ai rencontré le Comte Akelar, chez de ce village. Oh c'est une histoire très amusante que je te conterai si tu le souhaites. Il m'a proposé de me placer à la tête de la conception et de la gestion de sa bibliothèque. Je suis aussi en charge de ranger sa réserve de documents secrets. Si tu avais vu ce scandaleux foutoir la première fois que j'y ai mis les pattes, ohlala par mes cornes je n'arrivais pas à en croire mes yeux. »
Je racontais presque avec passion, typiquement la commère se trouvant à raconter des histoires de voisinage à une copine autour d'un thé. J'en soupirais avec désolation en déposant les deux dernières phrases. Je plaçais des petits gâteaux au citron sur la table, dont j'avais appris que la recette était inconnue sur Arcane puis je récupérais la théière et servie Saen en continuant de parler :
« J'ai réclamé en échange la boutique que tu as pu visiter et ce logement. J'ai imposé au comte de conserver ma pleine et entière indépendance au sujet de ses affaires et de sa réputation : je ne suis en aucun cas à ses ordres bien que je sois soumis aux lois du village. »
A nouveau je pouffais de rire.
« Comme si de petites lois humaines étaient suffisantes pour me brider. Il m'a aussi offert un financement pour mes recherches et bien sur une partie des bénéfices de la boutique t'appartient selon la loi de l'île. »
Tout en parlant, je m'étais installé dans mon fauteuil, laissant le thé refroidir.
La dragonne métamorphosée pouffa à sa question, arquant un des sourcils de Saen au passage, il ignorait comment interpréter cette réaction. Mais, bien rapidement, il ne s'en soucia plus. Sa réponse énergique dégageait une positivité contagieuse, qui le fit sourire niaisement. Ses oreilles demeuraient attentives, tandis que son regard balayait la petite table désormais dressée. Le souvenir de leur échange au temple vint caresser son esprit d'une nostalgie agréable et il passa ses mains dans sa nuque, coudes pliés de part et d'autre, avant de s'appuyer contre le dos du canapé.
Heureux de cette réponse, il nota dans un coin de sa tête la proposition de lui conter sa rencontre avec le propriétaire des lieux et la laissa poursuivre. Il ne s'était pas vraiment douté qu'elle puisse aménager sa vie à sa convenance, même s'il espérait que le dénommé Akelar ne lui causerait pas plus d'ennui que nécessaire. Saen savait peu, sinon rien, à propos de cet homme, mais les consignes qu'on lui avait donné à l'entrée offraient déjà une vague idée. Il connaissait également le caractère de Pru'ha à certains égards, comme cette dernière vint lui confirmer. Mais elle ne devait pas trop jouer avec le feu, si elle avait toujours dans l'idée de ne pas user de magie... Bon, il n'y connaissait pas grand chose, mais côtoyer Tête de Noeud lui avait appris que leur puissance n'était plus comparable à celle d'antan et, surtout, qu'il leur fallait réapprendre certaines choses en sortant du temple. Sans pratique, il n'essaya pas trop d'imaginer de quelle façon sa colère arcanique pourrait se déverser.
La fin de ses propos avait survolé son cerveau sans s'y accrocher vraiment, jusqu'à ce qu'il réalise qu'elle attendait peut-être une réaction de sa part à ce niveau.
"Oh... Je n'ai pas vraiment besoin d'or, fais-en ce que tu veux." Dit-il simplement, avant d'ajouter, le regard brillant, un peu comme si la phrase sortait de nulle part. "Et bien, je suis content!" A ces mots, il se pencha le temps de saisir un gâteau posé devant lui et le dégusta avec un plaisir perceptible, fermant les yeux momentanément. Prendre le temps... Ressentir les plaisirs... Percevoir la saveur des choses... Quand il s'appuya de nouveau, son regard orangé pouvait laisser une impression d'absence un peu étrange. Oh il était là, et ailleurs à la fois, ça n'était rien.
סּ סּ סּ
Le morceau de ciel visible depuis la fenêtre se reflétait dans ses iris aux teintes orangée, alors que son esprit se laissait doucement aller. "Crois-tu que je pourrais visiter la bibliothèque du village en ta compagnie? ... Même si j'aurai aimé m'attarder plus que deux jours, c'est étrange tout de même, cette loi qui restreint le passage des voyageurs." Et puis, cela lui aurait permis de passer un peu plus de temps avec la fille d'Aer, ce qu'il avait initialement prévu en venant ici. Il s'exclama soudainement, en tapant du poing dans le creux de sa main, s'étant un rien redressé.
"Ah! Je pourrais peut-être me rendre utile en offrant mes services. Je n'ai rien d'autre à faire, sais-tu si je peux me faire embaucher dans le coin?" Là dessus, il s'empara de sa tasse, dont le contenu était un peu moins chaud, et la porta doucement à ses lèvres. Au fond, un travail l'occuperait aussi un peu et lui permettrait peut-être de se dégourdir les muscles, selon la teneur de l'emploi.
Saen m'informa qu'il n'avait pas besoin d'or et que je pouvais conserver les bénéfices de ma boutique pour mon usage personnel. C'était précisément la réponse que j'avais prévue, ni plus ni moins. Bien sur moi non plus je n'avais pas besoin de richesses mais l'humain n'a jamais su faire fonctionner une société autrement qu'autours de l'argent et il semblerait que ceux de ce nouveau monde soient aussi stupides que ceux de l'ancien. Ils n'ont jamais été capable de comprendre quelles sont les véritables richesses et que l'argent n'est pas utile pour vivre. Quoi qu'il en soit les bénéfices de ma boutique étaient maigres mais, additionné au financement de mes recherches, elles me permettaient de vivre dans un confort presque luxueux.
Saen me demanda alors s'il pouvait visiter la bibliothèque en ma compagnie. Une question polie mais stupide ! Il s'agit de ma bibliothèque ! Bien que je n'ai pas officiellement récupérée le poste de ce vieux chnoque d'archiviste, je l'ai complètement effacé en quelques jours seulement. Des décennies d'incompétences comparés à mes millénaires d'expérience, ce pauvre vieux n'avait aucune chance. Je suis là bas chez moi, je suis la maitresse des lieux même si j'ai embauchée un jeune homme formidable pour en effectuer la gestion en mon absence.
Puis il me demande s'il y avait la possibilité de trouver du travail dans les environs du village. Levant la tasse de thé, je pouffais de rire, m'étranglant à moitié, et la reposais sur la table. Puis je répliquais avec énergie :
« Hahaha ! Le libérateur employé par la demi-déesse qu'il a libéré, haha ! Avoue que la situation serait formidable. »
J'en éclatais d'un rire franc. Un rire énergique et très impressionnant qui en a même effrayé certains. Je serai très amusée d'embaucher Saen comme garde du corps pour mes expéditions de recherches ou de l'envoyer me chercher mes commandes à Luh ou ailleurs. Mais je n'en avais pas réellement besoin, ce ne serait pas intéressant pour lui. Une fois mon hilarité passée, je redevins sérieuse :
« Je suppose que tu pourrais demander à cet imbécile de Marchandeur... Ou bien à Sarabi. Il y a certainement du travail pour toi dans les environs, je me renseignerais et te tiendrais au courant si tu ne trouve pas avant moi. Nous pouvons nous rendre à la bibliothèque quand tu le souhaitera. Je dois t'avertir : je suis en mauvais termes avec le Marchandeur. Il serait peut être préférable que mon nom ne soit pas mentionné si tu t'entretiens avec lui.»
Je n'ai pas oublié notre altercation lors de l'expédition avec Jonas et sa soeur. Chacun sait dans le village que cet homme et moi ne nous aimons pas et que je n'hésite pas à lui dire ses quatre vérités. En vérité je crois que nous ne nous comprenons tout simplement pas et je n'ai pas l'intention de faire le moindre effort.
«Sarabi est l'assistante du Comte chef du village. Elle est de nature divine. Elle devrait pouvoir te donner du travail. »
Je pris une nouvelle gorgée de thé, avec mes manières habituelles. J'avais averti Saen en raison de l'incident de mon expérience qui avait lamentablement échouée soit dit en passant... quoi que le résultat, bien qu'un échec, était très intéressant. Il me restait à trouver ou et quand j'ai fais des erreurs bien que j'ai une petite idée. La fumée n'est certainement pas passé inaperçu, il se pouvait que Sarabi choisisse ce moment pour venir se renseigner...
Tandis qu'il reposait le récipient sur la table devant lui, Pru'ha se mit à rire, amenant un angle de vue cocasse auquel il n'avait même pas réfléchi en déballant sa proposition. Il éclata de rire à son tour en songeant à la situation d'un côté et à ce qu'en aurait pensé l'insecte divin de l'autre. "Ahaha! J'avoue que la chose serait amusante! Peut-être..." Poursuivit-il avec cette lueur un peu utopiste mais bienveillante dans le regard. "...Que cela donnerait aussi à réfléchir à la place que prennent certains hommes vis-à-vis des enfants divins." S'il était naturellement dépourvu de jugement envers autrui, il ne cautionnait pas pour autant les comportements qu'il avait déjà pu observer, à regret, dans les relations entres humains et semi-divins.
Se fondant à nouveau dans le confort de son siège, il détailla la pièce avec un peu plus de curiosité, songeur... Finalement, ce n'était pas pour lui, ou du moins, pas pour le moment, le fait de se poser quelque part. Il avait bien trop la bougeotte pour cela. Il mémorisa cependant les données nécessaires fournies par la dragonne à propos des responsables de cet endroit. Peut-être cela lui servirait-il un jour? Un sourire vint s'épanouir -avec ce qui pouvait sembler plusieurs temps de retard- sur son visage à la pensée de ce marchandeur. Il ne fut pas surpris, la fille du ciel possédait un caractère de feu, en quelque sorte... Un tempérament avec lequel il fallait savoir composer. Saen sauta du coq à l'âne dans ses intentions sans prévenir, un peu comme à son habitude. Le ton flânant au même rythme que ses pensées.
"Oh laisse tomber cette histoire de travail finalement, je pense que je préfère bouger. Et puis... Les règles de passage ici ont un petit je ne sais quoi qui ne me convient guère. Je n'aime pas me sentir restreint, quelque chose me dit que m'engager dans un truc sérieux ici serait... Et bien... un peu trop sérieux pour moi, haha!"
Autant profiter de ce qui s'offrait à lui présentement! Comme il l'avait presque toujours fait, et peut-être un rien oublié quelques semaines plus tôt. Heureux que Pru'ha accepte de lui montrer la bibliothèque et, conscient du peu de temps à sa disposition en ce village, il tourna un regard pétillant vers elle après avoir avalé un autre de ses délicieux biscuits. "C'est drôlement bon! Si tu en a de trop avant que je ne reparte, je t'en débarrasserais avec plaisir." Dit-il dans un sourire candide et ravi, avant d'enchaîner. "Et si nous y allons dès à présent? Autant rentabiliser mon bref passage ici!"
A ces mots, il se redressa et s'étira tel un chat qui venait de prendre un bain de soleil en piquant un petit somme. Délesté de son attirail, il se sentait extrêmement bien et à l'aise. Ou peut-être était-ce la présence divine qui lui procurait un réel plaisir? Au fond, ils s'étaient essentiellement croisés jusqu'alors, pourtant, le lien était là! Et, qu'il soit fait de magie ou de connivence, peu importe, c'était une présence qui lui plaisait grandement.
"Tiens! La bibliothèque possède-t-elle des ouvrages sur l'Ancien Monde?" Curieux, il savait qu'il pouvait également demander nombre de choses à la Maîtresse du Savoir, mais il aimait aussi se perdre au gré des livres et confronter les points de vue des hommes ayant couché sur papier la réalité de leur prisme personnel...
Il est vrai que mon comportement au sein de ce nouveau monde pouvait certainement en jeter plus d'un dans la confusion. Très loin d'être soumise à un humain, je vivais ma propre vie dans une indépendance totale au point d'avoir ouvert ma propre boutique, d'avoir mon foyer et d'être à la tête de ma bibliothèque. Mieux, j'étais peut être la seule enfant divine de cette île à avoir des humains sous mes ordres. Le Marchandeur était furieux contre moi parce qu'il n'arrivait pas à me contrôler, quant au Comte je le soupçonne de nourrir un sentiment négatif envers moi pour la même raison. Oh rien de bien grave : je suis trop bien installée, j'ai une certaine importance et suis bien assez populaire auprès des habitants pour avoir une situation solide et sécuritaire.
Saen changea soudain d'avis : plus besoin de parler de lui et de l'aider à trouver du travail. Mon regard sévère mais bienveillant le transperça sans commentaire sous forme verbal derrière ma tasse de thé lorsque je pris une nouvelle gorgée. Quel homme atypique, une personnalité tout simplement fascinante. Il était déconcertant mais je m'adaptais aussi rapidement qu'une mouche change de direction -je vous interdit catégoriquement d'oser me comparer à une mouche, je suis la seule à posséder ce droit !
« La recette de ces gâteaux est inconnue de ton monde parait-il. J'ai appris à les faire il y a plusieurs milliers d'années auprès d'une humaine que nous appelions la Mère Christiane, tenant une auberge ravissante. Une femme fascinante faisant partie d'un certains nombre d'anecdotes de ma vie. »
Comment ? Qui ose me reprocher de ne pas avoir passée ma vie à étudier ? Passez vous votre vie à faire la cuisine ou la ménage vous ? L'exercice de votre métier occupe t-il la totalité du temps de vos journées ? Non alors silence.
Je passais beaucoup de temps chez la Mère Christiane fut une époque, je lui rendais visite régulièrement. Elle fut l'une de mes quelques amies et je me rappellerai toujours avec une certaine hilarité ce soir ou nous avons vidées quelques tonneaux d'hydromel avec ma chère amie Xion. Pauvre Mère Christiane qui a du supporter puis lavée deux demis-déesses complètement saoulent qui n'ont pas sur contrôler leur vessie !
Je me levais et invitais Saen à me suivre. La bibliothèque n'était pas loin. Dès son entré, il fut accueilli par la statue d'une magnifique jeune fille, présente à la demande du comte. L'endroit était grand mais petit à côté de celle de Lüh. L'endroit était clairement divisé en plusieurs zones : non loin de l'entrée se trouvait un bureau donnant l'impression d'être dans un désordre surchargé mais en y regardant de plus prêt il était en réalité parfaitement organisé... simplement très chargé. Plus loin se trouvait une pièce, clairement privé. La majorité de la pièce était occupé par d'immenses étagères qui étaient pratiquement vide mais semblaient rangées avec des règles précises et strictes. Au loin, une grande zone envahie de documents et livres posés à même le sol et entassés de manières à ne pas s’abîmer. La zone était barré par plusieurs piquets et une ficelle courant entre eux. Enfin il y avait une autre bibliothèque visible dans une autre pièce avec un panneau noté : « Réserve, interdite au public ».
« Quel spectacle pitoyable n'est-ce pas ? J'en suis malade quand je repense à ma bibliothèque d'antan m'enfin... Je n'arrivais pas à en croire mes yeux quand je suis arrivée ici, le désordre insultant est tout simplement indescriptible ! J'ai effectué un gros travail de rangement et de restauration mais comme tu peux le constater le travail est considérable. Il va falloir que je me mette en quête de documents également mais le temps me manque affreusement ! »
Comparer l'endroit à mon arrivée et à ce que j'en ai fais aujourd'hui ne peu que me valoir des félicitations. Pourtant, la découvrir aujourd'hui pour la première fois n'avait rien d'impressionnant, c'était même presque honteux pour moi de me déclarer bibliothécaire de cet endroit quand on connaissait ma nature divine et mon rôle dans l'ancien monde. Cette honte serait immense si j'accueillais ici un demi-dieu qui aurait visité mon ancienne bibliothèque...
Le Général était en pleine conversation avec la maître bâtisseur au sujet de l'amélioration des défenses du village lorsque l'un de ses hommes vint à sa rencontre. Il l'informa dès lors du passage de la récente recrue pour la bibliothèque mais également du fait qu'elle se faisait accompagner par un homme n'étant pas résident de Sirk. Cela contraria grandement l'homme d'arme qui vit là un danger. Une personne dont on ignorait tout se trouvait dans un lieu contenant des secrets mais outre cela, la fille d'Aër avait également démontré son non respect des lois.
Laissant à plus tard sa conversation il se fit accompagner de deux Katarydons pour rejoindre le lieu. Ils ne devaient pas les succéder de bien longtemps au vue du fait qu'ils se trouvaient encore non loin de l'entrée. Le visage fermé comme à son habitude et la main sur le pommeau, le Général s'approcha du duo. La diplomatie était sûrement de mise au vue de la réputation de la dragonne à prendre de haut un peu tout ceux qu'elle jaugeait inférieur. Autrement dit, pas mal de monde. Mais Sarabi était affairée à une affaire de nuage étrange dans le Sud et il n'était pas du genre diplomate. Beaucoup trop de mots pour en venir au fait à son goût.
Dame Pru'ha, j'ai à vous parler.Commençait-il.Vous n'êtes pas en droit de faire pénétrer un inconnu dans la partie supérieure de l'île, dédiée aux instances administratives de Sirk.
Ses pas le menèrent jusque devant l'inconnu qu'il évalua de bas en haut. Il ne semblait pas menaçant aux premiers abords et cela joua en leur faveur. Cela et le fait qu'il n'avait que peu de temps à accorder à ce genre d'affaire. On avait signaler une meute d'étranges créatures en pleine migration vers le village et des bandits de grands chemins non loin. Par chance, il ne s'agirait dès lors que d'un rappel à l'ordre mais qui pèserait lourd pour qui voudrait retenter sa chance plus tard.
- De ce que je vois, vous n'avez ni prévenu le Grand Archiviste qui est occupé à gérer ce lieu. Vous n'avez pas prévenu la Garde sur votre intention ni sur qui était cet homme. Cet homme qui a de fait enfreins la loi de Sirk et peut donc être poursuivis en justice. Tout comme vous, qui n'avez pas respecté les termes d'un contrat passé avec un Comte de la Capitale concernant votre respect des lois de Sirk.
La chose était ainsi, par son action le Général pouvait aisément faire parvenir les fautes à la Capitale qui enverrait alors des membres de la Garde Dorée arrêter les deux individus. Ou si ils souhaitaient se soustraire à la chose, en faire des fugitifs. Si il s'agissait de simples mortels la sanction aurait été rapide et gérée ici même, mais avec un immortel, mieux valait laisser le Prince se chargeait de les traquer. Le regard endurcis du Général scruta une nouvelle fois l'homme. Puis il se porta sur la statut accueillant de sa splendeur tout individu entrant dans ce lieu et un léger adoucissement se fit remarquer.
- Néanmoins. Puisque le Comte est satisfait de votre dernier service, et que nous sommes sous un regard bienveillant, nous allons garder cette affaire pour nous. Cela sera l'unique fois. Les lois de ce village vous sont peut-être arbitraires ou superflues mais elles garantissent la sécurité et la paix pour les hommes, femmes et enfants qui y vivent sans craintes. Respectez-les.
Puis après un dernier regard porté sur le duo et sur le visage de la statut, le Général se retira. Non sans avoir fait signe à l'un de ses hommes de se poster devant la salle où étaient entassés l'ensemble des documents sensibles. Cette-dernière ne s'ouvrirait pas sans son accord ou celui de Sarabi.