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Et dans les ténèbres les lier
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Aventure #1 écrite Lun 22 Aoû 2022, 08:24
Et dans les ténèbres les lier
Un linceul d'obsidienne s'était étendu sur Lüh, faisant apparaître l'éclat sordide de la capitale des Hommes. Le souffle du silence, entremêlé à celui d'Aer, amplifiait l'écho des lieux de débauche. Une fois les bonnes gens endormis, le monde n'appartenait plus qu'à ceux tirant les ficelles de ce grotesque spectacle de marionnettes qu'était l'existence.
La nuit tombée, la taverne de Lüh devenait un des repères de ces âmes errantes se délectant de l'oubli octroyé par le crépuscule. Le faible halo des chandelles luttait vainement contre l'inexorable arrivée des ténèbres. Les vivants tentaient d'en amoindrir les effets par de joyeuses balades, mais l'ombre gagnait toujours sur la lumière. Tout n'était que cycle.

Une marionnette était justement attablée ; se demandant à quelle démonstration elle devrait bien s'adonner. La capuche brune lui arrivant sous les yeux ne laissait entrevoir que des boucles sombres soigneusement disciplinées. A trop vouloir s'évanouir de la sorte, elle attirait fatalement l'attention. Mais la jeune femme ne voulait pas se risquer à apparaître le visage exposé, pas après la terrible nuit ayant entraîné la mort d'Ambroise de Vireil. Elle avait déjà bien trop attiré l'attention sur sa personne.

La frustration commença à se faire sentir. Elle n'était pas femme à attendre. Ses doigts blêmes jouèrent sur le pourtour de sa choppe. Devait-elle repasser commande ? Non, trop d'alcool nuirait à son entreprise. Et s'il ne venait pas ... ? Le découragement saisit Revna à cette pensée. Avoir tant sacrifié pour parvenir à cette conclusion serait misérable.

Le grincement caractéristique de gonds nécessitant d'être remplacés se fit entendre. Prise d'un infime élan d'espoir, la jeune femme se retourna pour la énième fois de la soirée, et sentit son estomac se tordre lorsqu'elle constata que l'objet de son attente était enfin arrivé.

***


Et dans les ténèbres les lier 145ef110
Sören Me'aran
Lieutenant-Colonel de la Garde Dorée



Sans son armure d'or, Sören perdait de sa superbe mais pas de son autorité. La sévérité de ses traits jurait avec l'amusement ambiant. Pourtant, personne ne le dévisageait. La singularité était chose courante en ces lieux.
Il laissa ses prunelles couleur azur planer sur les femmes de mauvaise vie qui assaillaient déjà les premiers rangs de la taverne et réprima difficilement une moue dégoutée. Le lieutenant-colonel dut capter le fruit de ses recherches car il cessa son observation pour se mettre en mouvement. Il était sobrement vêtu mais détonnait au sein du mobilier frustre qu'il dépassait de par son port altier et sa démarche pompeuse. L'homme aux cheveux sombres s'assit en face d'une frêle silhouette encapuchonnée.

"Pourquoi une taverne ?" dit-il en guise de salutation. Ses traits, particulièrement fermés, n'invitaient pas à la discussion.

"Il est plus facile de capter les discussions dans le silence que dans les lieux bruyants" répondit sobrement Revna, les yeux résolument fixés sur sa choppe. La jeune femme avait rêvé de ce moment un millier de fois mais ne pouvait se résoudre à en profiter une fois l'instant arrivé. Par les Quatre, que franchir le pas du songe vers le réel était éprouvant.

Las, l'homme n'allait pas lui laisser le temps de la timidité.

"Montre moi la preuve de ce que tu avances"
gronda-t-il d'un ton impérieux, décidemment peu enclin à la courtoisie.

Sans répondre à cette agression verbale taisant son nom et d'une main qu'elle voulut assurée, le Corbeau sortit le lourd pendentif noir pendant habituellement entre ses seins. Elle le décrocha de son cou et le tendit au Lieutenant-Colonel. Sa belle assurance habituelle envolée, elle ressemblait à une enfant prise en flagrant délit de vol de bonbons tandis que Sören étudiait sa prise. Son pouce effleura le corbeau ornant la pièce de cuir, comme pour s'assurer de son authenticité. Il dut bien admettre qu'il n'y avait ici nulle manigance, car il lui rendit le bijou avec un air crispé.

Un long silence s'installa entre eux, seulement rompu par les bavardages externes se faisant de plus en plus grossiers. Enfin, l'homme rompit son mutisme.

"Combien est-ce que tu veux ?" dit-il d'un air profondément ennuyé.

A sa grande surprise, Revna sentit ses yeux s'humidifier. C'était pourtant  ce qu'elle avait cherché en se mettant sur les traces de son géniteur. Elle n'avait pas envisagé sentir le gouffre béant lui servant de cœur tirailler à ce point.

"Rien."
répondit la jeune femme, tout en luttant de toutes ses forces pour garder contenance. Les mots lui avaient échappés sans qu'elle ne semble avoir un quelconque contrôle dessus.

"Combien. est-ce que. tu veux."
répéta-t-il d'un ton glacial.

Le Corbeau leva enfin le visage vers son père. Elle nota qu'ils avaient les mêmes yeux. Il était rassurant de savoir qu'elle venait bien de quelque part; même si l'origine en question souhaitait renier jusqu'à son existence. Toute son enfance, elle s'était raccrochée à l'idée de disposer, quelque part, d'une famille heureuse et aimante. Voir ce rêve d'enfance se briser avec tant de violence lui faisait mal. Physiquement mal. Sa poitrine irradiait de douleur. Il lui semblait ne plus pouvoir respirer.
Jetant les armes et escomptant fuir avant de perdre toute dignité, Revna se décida finalement à abréger l'entretien.

"Mille Tsuris" lâcha-t-elle d'une voix fragile. Elle se sentait soudainement affreusement fatiguée.

Sören extirpa une bourse du dessous de sa cape et, dissimulé sous le tissu, commença à compter les lourdes pièces. Après quelques minutes, il lui tendit le contenant sous la table.

"Il y a plus que le compte. Maintenant, ne t'avise plus jamais de me contacter."


Sur ces paroles acides, le Lieutenant-Colonel se leva et sortit d'un pas souple de la Taverne. Le regard vide, Revna resta un moment assise sans esquisser un mouvement. Elle continuait de fixer l'endroit où son père avait disparu. Puis, elle régla sa consommation en pris le chemin de son habitation de fortune. Tout s'était déroulé selon ses plans, et pourtant, elle se sentait plus seule que jamais.


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