Les serres cauteleuses d'Aer s'enserraient doucement sur la capitale des Hommes. Docile, l'astre de feu succombait plus aisément aux ténèbres et les lourds nuages d'orage menaçaient la quiétude des cieux. Il faisait froid, ce soir, et les ruelles du quartier populaire étaient désertées par les ivrognes calfeutrés auprès du feu de la taverne. Une ombre accentuée par la réverbération de la lune arpentait les lignes sinueuses menant à l’extrême ouest de cette portion de Lüh réservée aux moins fortunés. Loin des décorations fastueuses des résidences nobiliaires, les habitations se faisaient plus vétustes, sans néanmoins tomber dans l'indigence. Une ville sous protection princière ne saurait révéler la pauvreté sous son vrai visage, laissant les nécessiteux sur le pas de la cité. L'institut de médecine était une des rares structures de la capitale ne cédant pas au dictat de l'apparence et ouvrant ses portes aux plus démunis. Il s'agissait d'une ancienne propriété familiale, mise à la disposition des soignants par un de ses fondateurs particulièrement généreux. Ou foncièrement hypocrite, tout dépendait de l'angle de vue. La large structure élancée ne détonnait pas au milieu des habitations ocres et brunes de l'allée dans laquelle était engoncée. Elle possédant pour seul signe distinctif un panneau défraîchi indiquant sa fonction, dont seul le balancement au gré du vent brisait le silence de plomb.
Seule une embrasure sise au second étage de la bâtisse portait encore les reflets vacillants d'une flamme. La silhouette se dirigea vers la lumière, puis se glissa avec aisance jusqu'à sa hauteur dans un glissement de cape. Les prises semblaient apparaître comme par enchantement sous les mains habiles de l'individu. Une fois arrivée sur le balcon jouxtant la brèche, l'ombre joua du coude pour l'entrouvrir.
Une bourrasque caressa alors l'acôve, soulevant la capuche couvrant jusqu'alors le visage marmoréen de l'intruse, et tirant de sa lecture l'habitant des lieux. Revna leva les mains pour lui indiquer qu'elle n'était pas armée, puis d'un geste, l'invita au silence.
Il s'agissait d'un bel homme brun aux yeux d'un vert intense, uniquement vêtu d'un pantalon. Le bandage couvrant son torse et son épaule ne dissimulait que partiellement ses muscles saillants. Les prunelles azur du Corbeau s'illuminèrent un instant à cette vision, avant de reprendre leur habituelle rudesse. La jeune femme détailla les environs d'un coup d'œil latéral. Une table de chevet sur laquelle était installée une chandelle et des restes de graines de la lune. Des murs clairs offrant l'illusion d'un peu plus d'espace, et sur lesquels se déployaient leurs ombres. Une chaise solitaire qui ne devait pas recevoir beaucoup d'invités au vu de son emplacement reculé. Et un lit de mauvaise facture, sur lequel Jade était installé.
"Ainsi donc, tu as survécu." murmura l'empoisonneuse d'une ton moqueur avant d’atterrir souplement sur le sol. Ses bottes élimées auraient tout aussi bien pu être un artefact de lévitation, tant le bruit qu'elles firent en touchant le plancher fut dérisoire.
Sans doute, son hôte involontaire aurait-il du mal à la reconnaître. Les boucles sombres de Revna étaient retenues par un lien de cuir et ses atours étaient bien moins fastueux que la dernière fois qu'ils s'étaient croisés. Tout de noir vêtue et habillée à la garçonne, on devinait néanmoins la délicatesse de son corps gracile sous le tissu l'enveloppant. La jeune femme restait à distance respectueuse du lit de fer habillant humblement la pièce, s'apprêtant à devoir déguerpir par la fenêtre à tout moment.
Un rêve sans étoile C'était ma deuxième nuit à l'institut et je devais bien avouer que ce temps de repos forcé n'était pas pour me déplaire. Si ce n'est les visites des soignants qui s'espaçaient de plus en plus, je profitais d'une solitude bien méritée. Ça ne me laissait pas vraiment la possibilité de m'entretenir, mais pour cette fois, je pouvais bien consentir à simplement profiter. Je n'étais pas seul le premier jour, dans une autre chambre et mon colocataire avait craqué avant moi. La demande de mon isolement venait de lui et ça m'allait bien.
Durant mon séjour, j'avais profité d'un moment d'égarement pour emprunter un manuel de médecine qui trônait là. Ils avaient qu'à faire un peu plus attention à leurs affaires, je le remettrais de toutes façons bien en place quand je sortirais. Il était question de nécessité, la période était peu propice à dormir pour moi alors avec la douleur en plus, ce n'était vraiment pas évident. En plus du bouquin subtilisé j'avais demandé des graines de lune, n'ayant pas eu accès à mon stock personnel avant d'arriver ici.
M'éclairant à la bougie pour pouvoir profiter de ma lecture, je m'étais installé confortablement dans mon lit, a peine vêtu d'un pantalon de tissu sombre et du bandage qui enveloppait mon épaule. Tournant une page, je choppe distraitement une graine avant de la porter à mes lèvres, prêt à la croquer quand je m'arrête net. Mon regard perce en direction de la fenêtre qui s'ouvre sur une silhouette encapuchonnée à la souplesse indécente. Et elle me disait nettement quelque chose.
Ses gestes m'intime un certain pacifisme, si on méttait de côté son intrusion, ainsi qu'une invitation à être silencieux. D'un air un peu contrarié, je la fixe en extirpant le fruit de mes lèvres que j'avais déjà un peu croqué. Ce n'est pas trop le moment de me détendre. Sans la quitter des yeux, ni lâcher mon livre, je pose la graine sur la table de chevet. Sa voix trahissait son identité, je l'avais écouté avec assez d'attention, de plus récemment, pour la reconnaitre.
C'était donc elle, l'herboriste, concubine ou je ne sais quoi d'autres encore. Oui j'ai survécu, sans doute grâce à elle, mais je me serais bien passé de sa petite visite nocturne. Je murmure alors à mon tour, tout en la fixant d'un air dépité.
❝ C'est une blague ? ❞
Je laisse mes mots rhétoriques peser lourdement en la détaillant des pieds à la tête. J'étais certain que c'était elle, mais pour le coup, son accoutrement était complètement différent de ce soir là. Ce qui, entre ça et son aptitude à grimper jusqu'à une fenêtre dans une discrétion parfaite, ne me disait vraiment rien qui vaille. D'un ton railleur je poursuis.
❝ C'était pas la peine de venir jusqu'ici juste pour s'en assurer. ❞
A part si c'était pour changer l'issue de cette soirée évidemment. Ce qui serait étonnant. Elle avait eu le choix de me laisser crever tranquillement, mais ne l'avait pas fait. Enfin... Elle pouvait tout aussi bien avoir envie de s'amuser avec moi encore un peu plus. Mes doigts se serrent sur le livre qu'ils emprisonnent, restant sur le qui-vive, au cas où. et attends patiemment de voir la tournure des évènements. :copyright: 2981 12289 0
Revna leva les yeux au ciel aux salutations de Jade. Elle lui avait sauvé la mise, après l'avoir jeté dans la fosse aux Rhénos, certes, mais il pouvait se montrer un peu plus agréable.
"Toujours aussi sympathique, le troufion. Tu serais dans un caveau sans mon aide, je te rappelle. Pas étonnant que personne ne veuille te rendre visite. Tu devrais chier un bon coup, ça te fera du bien." chuchota-t-elle d'une voix dans laquelle transparaissait une pointe d'amusement.
Les commissures de ses lèvres s'étaient relevées en un demi-sourire. Il lui était agréable de ne plus devoir arborer un masque pour converser avec quelqu'un, alors elle s'y donnait à cœur joie. Un peu trop peut-être. Il pouvait toujours sonner l'alerte si elle jouait trop avec sa sensibilité. Surtout, elle en avait trop dit : avouer à demi-mot avoir espionné les allées et venues dans sa chambre n'allait pas plaire au milicien. Elle le jaugea de ses iris glacées. Il était définitivement hermétique à sa présence. Voilà qui était à la fois intéressant et frustrant.
Le Corbeau s’adossa sur au mur adjacent et croisa les bras; toujours à l'affut d'un moindre signe suspect venant de Jade. Sa fine stature semblait considérablement plus imposante sous le projecteur de la flamme. Elle reprit de manière plus sérieuse, ses traits devenant de nouveau indéchiffrables : "Tu dois avoir une myriade de questions après l'épisode de l’autre soir. Je suis venue y répondre. Je préfère te donner tous les éléments que tu recherches maintenant, pour que tu n'ailles pas fureter dans mes affaires."
Après un bref silence, la jeune femme ajouta à contrecœur :
"Merci de ne pas avoir parlé de moi à tes supérieurs."
Un rêve sans étoile En voilà une bonne encore. Je la fixe, interdis, la mâchoire tombant sensiblement de stupéfaction alors que je la scrute avec insistance. C'est quoi ces manières cette fois ? Elle va vraiment finir par me rendre timbrer à changer de personnalité toutes les cinq minutes. Troufion ? Un rire décontenancé m'échappe en regardant ailleurs.
❝ Bah voyons. ❞
Murmurais-je pour moi-même. Pas comme si ça avait été une partie de plaisir de mon côté. D'accord je lui en devais peut-être une, mais elle m'en devait plusieurs aussi et puis pour le reste... Je le savais déjà et n'avais pas besoin qu'on me le dise. Mais elle avait un sacré culot de se pointer ici et de me balancer tout ça. Et puis comment elle pouvait bien savoir que je n'avait eu aucune visite ? Je me tourne vivement vers elle, lâchant le livre et basculant mes jambes sur le côté du lit prêt à bondir, un air accusateur dépeint sur le visage, puis d'agacement avant de me raviser.
Il me serait difficile de rétorquer sans gueuler un bon coup et ni l'un ni l'autre n'avions envie de rameuter d'autres oreilles. C'est qu'elle a l'air bien parti pour rester, à s'adosser comme ça sur le mur. Lui faisant face, assis sur le bord du lit, j'ouvre un peu les jambes et dépose lourdement mes coudes sur mes cuisses en me penchant vers l'avant. Mes doigts mollement entremêlés, je la regarde de mon air toujours si sympathique, comme elle dit.
En effet, j'avais possiblement une « myriade » de questions. Un nouveau rire de dépit m'échappe dans un soupire, roulant les yeux au ciel avant d'attraper le verre d'eau non loin des graines. Elle sort de ces mots alors que cinq minutes avant elle me traitait de troufion qui devrait chier un coup. J'avale le liquide lentement, laissant mon regard tomber sur elle à mesure que mon verre se lève, écoutant attentivement ce qu'elle avait à dire.
Je ferme les yeux et hausse les sourcils en entendant ses remerciements. Réellement, c'était à ni rien comprendre. Je finis mon verre en me raclant la gorge avant de le reposer une peu brusquement, son tintement raisonnant quelque peu dans la pièce. Je reprends ma position initiale dans un soupir. Basculant la tête sur le côté, de fatigue, je la regarde en plissant les yeux.
❝ C'est pas comme si je savais quoi leur dire. ❞
Car oui, j'avais tout un tas de question sans réponse, mais une seule réponse m'intéressait vraiment. Sans savoir trop pourquoi d'ailleurs, mais en général, les gens ne se donnent pas la peine d'avoir autant de facettes sans raison. Elle en avait sûrement et ça ne me regardait pas, mais...
❝ Qui me remercie au juste ? ❞
Laissant planer quelques secondes de silence, je grimace et gronde quelque peu en assouplissant ma nuque, les yeux clos. J'étais resté dans la même position un peu trop longtemps et mon corps avait besoin de se dégourdir. Mais pas maintenant. Chaque chose en son temps. Toujours assis sur le rebord du lit, j'attrape mon pied droit que je pose sur ma cuisse gauche, laissant mon genou plié reposer sur le matelas. Ça me permettait de tenir mon dos un peu plus droit et c'était déjà plus confortable. J'énonçais alors les possibilité.
❝ Celle qui fait joujou avec moi et qui chouine après ? Qui voulait pas vraiment aider la milice ? Celle qui se trimballe avec des poignards empoisonnés et qui fait flipper ? Ou la nouvelle là, qui balance des insultes avant de me remercier gentiment ? ❞
Plus j'énonçais et plus ma voix portait, naturellement sans que je ne le veuille vraiment. Il fallait bien avouer que ça m'agaçais sérieusement. Je m'arrête alors dans mes propos pour éviter de parler trop fort, mais mon air irrité ne faisait pas illusion, lui. J'avais du mal avec ceux qui se croient meilleur que ce qu'ils sont, mais là, jouer sur autant de tableaux différents, c'était trop pour moi. :copyright: 2981 12289 0
Revna leva un sourcil interrogateur à l'écoute de la diatribe du milicien. L'âme dissimulée sous son effigie n'avait jusqu'alors jamais été la cible que de peu d'attention. Le Corbeau mettait par ailleurs un point d'honneur à ne pas s'aventurer sur la route sinueuse de l'auto-analyse, au risque d'y perdre ses plumes. Prise de court, la jeune femme ne put se raccrocher aux discours préétablis gravés dans sa cervelle. Un lourd silence se fit entendre, seulement rompu par l'écho de leurs souffles. L'hésitation se lisait distinctement sur les traits réguliers de l'empoisonneuse.
"C'est une excellente question, à laquelle je ne saurais répondre" concéda-t-elle d'un air songeur.
Elle cala son poing sous le menton, arborant une position réflexive.
"Si je devais m'embarquer dans des considérations métaphysiques... je dirais que la "vraie moi" est morte depuis longtemps; et que celle qui se tient devant toi n'est qu'une coquille vide changeant de nature au gré des attendus."
Les yeux de la hors-la-loi se voilèrent alors qu'un souvenir s'imposa à son esprit. Mue par un élan d’honnêteté soudain, Revna reprit la parole d'une voix placide. "La seule certitude que j'ai est de n'avoir jamais été heureuse. Sans doute la tristesse est-elle le point le plus saillant de ma réelle personnalité. Je ne peux pas t'apporter de réponse plus précise."
Elle ne nota pas que les ondoiements de son accent originel étaient réapparus dans ses dernières paroles. La jeune femme regardait Jade sans le voir, absorbée dans le temple immatériel du passé. Elle sentait le frimas d'Oagran sur sa joue, et les tintements de rires enfantins s'étiolaient au creux de ses oreilles. Le Corbeau secoua la tête pour s'arracher au songe, réalisant alors à son grand désarroi que ses yeux s'étaient humidifiés.
*Merde* grogna-t-elle intérieurement, honteuse d'être tombée si facilement dans l'affect. La rencontre avec son géniteur l'avait plus endommagée qu'escompté.
Revna inspira une longue goulée d'air et essuya discrètement ses larmes d'un revers de main. Elle se redressa pour reprendre contenance. "J'espère que tes autres questions seront plus terre à terre, sinon je me tire." reprit-elle avait une agressivité renouvelée.
Un rêve sans étoile Si je m'attendais à ça... Sans être réellement certain que c'était une vérité franche qu'elle me servait, j'avais également un peu de mal à penser le contraire. Du peu que je la connais, ça serait étonnant qu'elle se livre si facilement, mais il y avait quelque chose dans sa voix qui me poussait à croire que c'était le cas. En tout cas, ses mots étaient lourds à entendre, sûrement davantage à dire. Plus il filaient, plus je basculais vers l'arrière, jusqu'à me retenir de mes mains posées sur le matelas derrière moi. Les épaules en avant, ce simple petit mouvement me fait grimacer discrètement de douleur. Je lâche alors un murmure, l'observant avec un regard moins crispé cette fois-ci.
❝ Je vois. ❞
C'était bête à dire, mais je ne savais pas quoi lui répondre. Il était plutôt rare qu'on se confie à moi et je ne crois pas être particulièrement doué pour réconforter quelqu'un, que d'autant plus je ne connais pas. Pour peu que ce soit une réelle confidence et pas un moyen d'essayer de m'apitoyer. Mais si la faible luminosité de la pièce ne m'avait pas permis de cerner ça, son revers de main me pince un peu. Je suis un con, c'est vrai, mais pas un véritable salaud et si j'avais l'impression qu'elle me servait une vérité, ça ne me plaisait pas de voir ça.
Madame tristesse est donc face à moi, pour cette fois, peut-être pas d'autre. Tout ce que je sais avec certitude, c'est que j'avais perdu l'envie de me confronter à elle, pour l'instant. Qu'on ne se méprenne pas, ce n'était pas une envie comme un caprice, ça avait simplement été naturel et instinctif jusque là. Mais maintenant, il n'y avait plus vraiment de raison.
Enfin, c'est de courte durée jusqu'à ce qu'elle reprenne de plus belle, avec ses répliques cinglantes. Mes traits se tortillent gentiment en une mine presque amusée avant de rouler les yeux et soupirer amplement.
❝ C'est pas simple hein... ❞
Lâchais-je par dépit avant que mon regard ne retombe sur elle. Oh, ça n'avait rien d'une question, simplement un commentaire auquel je croyais dur comme fer. Enfin bon, elle était là pour s'expliquer alors pourquoi pas. J'avais des questions après tout. Mes yeux la scrute plus qu'ils ne l'observent. Quelle genre de question j'étais en mesure de lui poser sans que ça n'implique que mon devoir, même si je m'en foutais, prenne le dessus ?
❝ Herboriste, donc. Y a pas que ça j'imagine ? ❞
Avant qu'elle ne réponde, je ponctue brièvement.
❝ Oui ou non, ça suffira. ❞
Je ne sais pas comment elle allait le prendre. Tout aussi bien que mal surement. Je n'avais simplement pas besoin de connaître les détails. Et surtout pas l'envie... :copyright: 2981 12289 0
Et le vent la porta loin de l’échafaud. Sans le vouloir, Jade avait par sa tendre rudesse éclipsé les lambeaux altérés du souvenir s'étant éveillés à sa conscience. La silhouette pâle de l’empoisonneuse s’avança jusqu’au pied du lit du garde. Elle posa ses mains blêmes sur les barres de fer symétriques encadrant le matelas, réprimant un frisson à la fraîcheur de ce contact. Le Corbeau adressa un sourire narquois au jeune homme.
« Je n'arrive pas à savoir si tu es malin ou ignorant. Que ma réponse soit positive ou négative, elle revient à admettre la même chose. Alors oui ou non, à ta guise, milicien.»
Son regard s’appesantit sur les effets personnels du garde, installés à son côté. Une lueur taquine vrilla en ses iris en fixant les billes roses pâles et elle lutta pour conserver une expression neutre.
« En parlant d’herboristerie, je n’ai pu m’empêcher de noter que tu consommais une sacrée quantité de ces Graines de Lune. Je me dois de t’avertir qu’elles ont à terme un effet dévastateur pour le transit si elles sont consommées en trop grande quantité et ne sont pas coupées avec autre chose.»
Après un temps de silence, elle repris son monologue calfeutré en fronçant les sourcils et arborant un air très sérieux :
«Je retire donc ce que j’ai dit plus tôt sur ton besoin de te décrisper.»
Le Corbeau détourna son visage vers l’ombre pour dissimuler l’égaiement qui commençait à lui chatouiller la gorge. Une fois qu’elle fut un peu calmée, elle focalisa de nouveau son attention sur la couleur vipérine luisant près de la chandelle.
« Broie les et mêle-les à ta nourriture, plutôt que de les gober comme des bonbons. Ça ira déjà un peu mieux. »
Sa poitrine fut de nouveau secouée par une quinte de rire, qu'elle tenta de faire passer pour une toux légère.
Un rêve sans étoile La voilà qui s'approche. Je scrute son avancée, non pas inquiété, mais plutôt curieux, sans bouger de ma propre place. Ne lui accordant pas mon regard, je pivote simplement la tête pour la conserver dans mon champs de vision, fixant un point au hasard non loin.
Malin ou ignorant ? Hm. Dans la situation actuelle, sûrement un peu des deux. Mais elle n'avait pas tord, mes mots étaient mal formulés et prêtaient a confusion. Je lui concède donc cette petite victoire d'un simple hochement de tête complaisant. Je me rends surtout compte que sa réponse, qui n'en était pas vraiment une, m'allège d'un poids insoupçonné. Il était clair que je ne voulais pas en savoir plus. Oui ou non, je n'en avais rien à faire.
Notant que son regard glisse jusqu'à la table de chevet, je le suis et lève un sourcil interrogateur avant de les froncer. Qu'est-ce qu'elle va me servir encore ? Mes yeux pointent vers elle d'un air revêche. Mon transit ? Il allait très bien mon transit, je crois. C'est pas comme si je me posais la question à chaque fois que j'allais sur le pot. Après son temps de silence, je ponctue son petite pic d'un souffle en roulant les yeux. Ah, quel bout-en-train celle-ci. Elle avait l'air de s'amuser en tout cas. De moi encore évidemment.
Je plisse le yeux et me penche pesamment vers elle, en arquant un sourire forcé.
❝ Super, merci du conseil. ❞
Même si j'avais jamais entendu parler de ça. Je vérifierais plus tard. On toque à la porte. Je pointe directement vers cette dernière et me lève brusquement du lit pour la rejoindre, passant non loin de l'herboriste tant la pièce était exiguë. Mes pieds nus offrent alors une certaine discrétion.
❝ Tout va bien là dedans ? Je vous entends parler. ❞
J'attrape la poignée, prévenant toute intrusion et pivote la tête jusqu'à l'herboriste pour ne pas paraitre trop proche de l'entrée, mais aussi la garder en visu au cas où. Je réponds donc d'une voix quelque peu irritée.
❝ Ça va ça va, je parle tout seul c'est pas un drame. ❞
Ça pouvait l'être si on mettait ça sur le compte de la folie, mais grâce à ma réputation de chieur, la gentille dame de l'autre côté de la porte n'allait pas insister. J'entendais ses pas s'éloigner. Je lève les yeux en soupirant, puis pivote pour faire face à l'herboriste, plaquant mon dos contre la porte. Je la scrute en levant le menton, pensant au fait que ma voix portait visiblement plus que la sienne, même si j'avais essayé de faire l'effort de murmurer. Il faudrait donc que je force davantage le trait. Même si j'avais bien une solution toute trouvée au cas où on me questionnait. Une soupirante pouvait bien m'avoir rejoins dans ma chambre non ? La grande question était surtout : pourquoi déployais-je autant d'effort a garder sa venue secrète ?
Je me penche alors un peu vers elle, réduisant l'espace entre nous pour murmurer bien plus bas.
❝ Ça ira comme ça. ❞
Mon air était plutôt neutre, ni offensant ni particulièrement rustre. J'étais sincère. Peut-être que les soignants allaient se montrer un peu plus alerte, il valait peut-être mieux couper court à cette discussion. Lentement, je la contourne pour revenir proche du lit en développant mes propos, d'une voix toujours la plus basse possible.
❝ J'ai pas d'autres questions. Moins j'en sais mieux je me porte. ❞
Et c'est surtout pas ça l'important. Je ne sais pas vraiment ce qui l'est, mais pas ça en tout cas. Face au lit, je m'arrête pour lever les yeux vers elle. Sans insistance particulière, je la fixe néanmoins sans discontinuer. Une brise s'engouffre alors dans l’entrebâillement de la fenêtre à moitié close. Le vent frais d'Aer glisse sur ma peau et la crispe d'un léger frisson grimpant jusqu'au creux de ma nuque. :copyright: 2981 12289 0
L'ennui saisit le Corbeau à la réponse de Jade. Loin de l'éclat escompté, elle ne récoltait que des cendres. Voilà qui était étrange. Cet homme réagissait excessivement pour des broutilles, mais lorsque des choses extravagantes se produisaient, il aurait tout aussi bien pu être fait de glace. Une présence extérieure se fit entendre, tirant Revna de ses atermoiements. Elle se figea sur place. Jade pouvait à loisir saisir cette opportunité pour la dénoncer. Il était en effet un peu présomptueux de croire qu'elle pouvait s'immiscer dans la chambre d'un milicien sans conséquences; même si le gardien de la paix en question semblait bien laxiste. Ses muscles se bandèrent. Prête à se jeter sur l'interstice menant vers son salut, la jeune femme restait néanmoins consciencieusement immobile... alors que l'homme brun renvoyait l'individu s'occuper de ses palabres. Pourquoi l'avait-il encore une fois protégée, alors qu'elle avait avoué à mot couvert plonger dans des affaires bien plus sordides que la cueillette d'herbacées ? N'était-il pas défenseur de l'ordre public ? Décidément, c'était à n'y rien comprendre. Agacée de subir le sort qu'elle jetait habituellement à autrui, Revna coula un regard noir vers Jade. Et se figea de plus belle en le voyant s'approcher dangereusement. Allait-il enfin l'embrasser ? Mieux valait tard que jamais... Le cœur battant à tout rompre, le Corbeau se prépara à fermer les paupières pour profiter pleinement de ce moment, à son sens amplement mérité.
❝ Ça ira comme ça. ❞
La jeune femme entrouvrit de grands yeux stupéfaits. La surprise puis la frustration la saisirent lorsqu'elle constata que Jade allait user de cette indécente proximité pour ... discuter. Quelle ingratitude ! Des centaines d'hommes auraient payé cher pour être à sa place, et lui décidait de couper court à leur discussion. Moins il en savait, mieux il s'en portait ? Revna serra imperceptiblement les poings. Elle avait escompté joindre l'utile à l'agréable ce soir, en s'assurant du silence du milicien tout en se délectant d'un surplus agréable, pour ensuite ne plus jamais croiser son chemin.
Mais qu'il en soit ainsi. Jade allait constater qu'on ne se moquait pas impunément du Corbeau. Elle leva fièrement le menton, ses iris colériques semblant lancer des éclairs à l'égard de l'impudent.
"Non, ça n'ira pas." lâcha-t-elle d'un ton agacé, sans fournir plus d'indications quand à ce nouveau trait d'humeur. Elle se dirigea vers la fenêtre et l'entrouvrit, escomptant disparaître sans demander son reste après cette nouvelle humiliation.
Son instinct de chasseresse reprit cependant le dessus. Il lui fallait mettre la main sur ce gibier qui se refusait à elle. Les conditions actuelles n'étaient pas favorables à la séduction, c'était évident. Elle stoppa son échappée d'un mouvement sec. Les jambes dans le vide, se jouant de la vertigineuse hauteur se déployant sous ses pieds, la jeune femme se retourna vers Jade.
"Rendez-vous dans une semaine, à l'aube, aux portes de la ville. Je vais t'apprendre à vraiment utiliser les plantes, milicien de pacotille." gronda-t-elle d'un ton revêche.
Puis sa silhouette gracile s'évanouit dans les ténèbres.
Un rêve sans étoile Allons bon, à à quoi elle joue encore ? Mon visage se fronce, incertain et perplexe. Qu’est-ce qui n’irait pas au juste ? D’une mine renfrognée, je suis son petit manège du regard, sans un mot, plutôt atterré par ses réactions qui devenaient bien compliqué à cerner. Je lâche tout de même une question évasive, escomptant une réponse sans grand espoir de l’avoir.
❝ Quoi ? Comment ça ? ❞
Et en effet, elle n’éclaircira pas ce point. Mon corps pivote à mesure de ses déplacements, grondant discrètement malgré tout. Prête à disparaitre aussi vite qu’elle était apparue dans cette pièce, elle ne se lance pas. Les traits grimaçant et les mâchoires serrées, je demeure interdis, la scrutant silencieusement sans comprendre.
Finalement, elle lâche son… Invitation ? Si s’en était vraiment une. Ça tenait plus de l’ordre que d’une proposition. Est-ce que j’avais vraiment le choix ? Sans me permettre d’en savoir plus, alors qu’elle-même s’était donné la peine de venir jusqu’ici pour ça, elle disparait en une fraction de seconde.
Un premier élan me pousse jusqu’à la fenêtre, que je refreine en une marche lente. M’avançant jusqu’à l’encadrement, j’y appose les mains le temps d’examiner l’obscurité, sans la trouver. Les traits de mon visage s’alourdissent de fatigue, aussi physique que moral tant elle avait pompé mon énergie en quelques instants.
Qu’est ce qu’elle voulait à la fin ? Son invitation sonnait à la fois comme une proposition bienveillante et une menace. Qu’est-ce que j’allais bien pouvoir en faire ? Faisant d’abord le choix de fermer la fenêtre alors que le vent d’Aer vient à nouveau crisper ma peau et manque d’éteindre la seule bougie de la pièce, je me retourne pour retrouver mon lit dans un soupir.
J’attrape une graine de lune que je gobe, mâche et avale d’une traite, comme un pied de nez inconscient à la donneuse de leçon. Je me vautre sur le matelas dans un grondement de confort, avant de reprendre ma lecture.
Fait chier. J’ai la tête ailleurs avec ces histoires et ne parvient pas à finir une seule ligne sans devoir la recommencer tant mon esprit est parasité. Agacé et frustré, mon regard pointe vers la fenêtre. Je me résigne à fermer le bouquin, le poser et souffler la bougie avant de me coucher de tout mon long, une main derrière la tête, elle-même tournée vers la fenêtre, la fixant distraitement. J’évacue une lourde expiration sachant pertinemment que j’allais mettre un temps fou à m’endormir, commençant déjà à peser le pour et le contre d’une troisième rencontre. D’ici une semaine, ma décision serait prise. :copyright: 2981 12289 0