Nimuë trottinait d'un pas énergique. Les petites moustaches de la créature lactescente tressautaient frénétiquement, marque d'un agacement ne laissant rien présager de bon pour l'objet de ses préoccupations. Ses explosions caractérielles étaient légendaires, aussi ses frères et sœurs avaient tendance à s'éclipser dès les premiers signes annonciateurs d'une telle frénésie. S'ils acceptaient simplement de lui adresser la parole, ce qu'une majorité se refusait à faire. Ce fait ne peinait pas la demi-déesse. Elle trouvait son bonheur dans l'élévation des mortels vers sa Voie. Ils lui rendaient bien l'attention prodiguée, à l'inverse de sa famille crachant sans ménagement sur son travail.
Nimuë devait cependant parfois quitter ses chers mortels pour assurer sa tâche initiale, consistant à participer à la régulation des eaux et des glaces par le transport de messages aux demi-divinités concernées. Une tâche qui se révélait, de son point de vue, bien ingrate. Déjà car elle appréciait autant de fréquenter ses congénères que l'inverse se révélait vrai, et ensuite car cette mission de secrétariat était indigne de sa grandeur.
L'enfant d'Aqua stoppa sa course à l'orée d'une crique offrant une vue resplendissante sur la mer du Nord. Ignis resplendissait, offrant une vision rare de l'éclat rutilant de l'écume heurtant le rivage anthracite. Sans coup férir, l'eau reprenait sa danse éternelle, grandissante puis mourante. Quelle belle création était ce monde. L'hermine huma l'air marin revigorant à plein poumons.
Puis elle regarda à droite, à gauche et poussa un grognement mécontent.
"Slavko, sortez de votre tanière. J'ai à vous parler." dit-elle d'une voix à la coloration impérieuse.
Là se trouve l'erreur de celui qui ne sait pas observer... ou ne prends pas le temps pour cela. Car observer demande du temps et de la patience. À première vue effectivement, plus nous nous enfonçons dans le Grand Nord, plus la vie semble laisser place au calme de la banquise, la vie figée par le froid. Mais pour celui qui sait observer, il verra qu'en réalité il se passe beaucoup de chose dans le Nord : sous la banquise, sous la neige, sous la surface dans le royaume de Terra qui devient un refuge pour nous tous. Oui, la Grand Nord possède ses vies propres. Il est vaste le Grand Nord, infini du point de vu d'un humain ou d'un loup. Si vaste qu'il faut des mois pour passer d'un point à un autre. Partout il offre un beau spectacle.
La mer de Nord. Un nom bien peu adaptée de mon point de vu car elle encercle tout la partie nord de la planète, s'étend à l'infini et communiquant avec tous les océans du globe. Elle n'a pas de fin car celui qui prendra le temps de l'étudier s’apercevra que sous la banquise du pôle se trouve cet océan que les humains et les demis-dieux nomment à tords mer du Nord. Et elle regorge de vie, d'activités.
J'avais des refuges partout dans le Nord. Je connaissais chaque grotte, chaque iceberg, chaque crique, chaque falaise, chaque rocher, chaque village humain. Ce jour là, je me trouvais dans les profondeurs de l'une des plus belle crique du Nord. Dans les profondeurs d'une grotte en vérité, une très profonde grotte longue de plusieurs dizaines de kilomètres et renfermant un bras de mer souterrain. Ce que j'y faisais ? Je méditais tout en laissant couler la magie dans le courant salin.
Lorsque l'hermine lança sous appel, une soudaine brise glaciale lui répondit. Elle n'était pas mordante mais douce, comme une réponse murmurée. Du fond de la grotte j'ouvris les yeux. Tranquillement je me levais et entrepris l’ascension pour répondre à l'appel. Je savais bien sur que Nimue n'allait pas être contente mais je ne me pressais pas pour elle : j'avais répondu, j'arrivais. Il se passa une belle vingtaine de minutes avant qu'enfin je n'émerge de la grotte se trouvant au fond de la crique, d'un pas tranquille, paisible.
« Bonjour ma sœur. » Dis-je simplement de ma profonde voix.
Puis je me couchais. Non par paresse mais par politesse : pour être le plus possible à sa hauteur.
La demi-déesse fixait le canidé de ses prunelles orageuses, prête à sévir. L'enfant d'Aqua n'était pas sans savoir que son frère était un être doux, bien plus fiable que le reste de ses congénères, pour autant elle ne lui ferait pas la grâce d'un abord facile.
"Vous savez pertinemment que je déteste lorsque vous vous baissez de la sorte. Relevez-vous" siffla-t-elle entre ses dents aiguisées, tout en relevant le menton d'un air digne.
Elle tourna le dos à Slavko, s'éloigna de quelques pas et se redressa sur ses pattes arrières, afin de se perdre dans la contemplation des reflets irisés de l'océan. Elle reprit sa diatribe d'une voix acide.
"Avez-vous bien dormi, pendant que l'eau de votre territoire se teintait de noir, mon frère ? Vous êtes vous bien reposé, pendant que je palliais à votre errance ?"
Il ne s'agissait pas à proprement dit de la mission du loup des glaces de connaître avec exactitude l'état de son territoire, mais Nimuë ne brillait pas toujours pour sa bonne foi, surtout lorsqu'elle se mettait en colère.
"J'espère que vous n'avez pas failli à votre devoir pour aller chanter vos sérénades à la fille d'Ignis." déclama-t-elle finalement avec un air de reproche.
J'entendais mes amis humains d'ici. Cela m'amusais. Je connaissais peu Nimue mais bien assez pour savoir qu'elle balayerait cette vérité d'un revers de patte avec agacement et qu'il était inutile de chercher à laver mon honneur par de pauvres excuses, même si elle était vraie. Ainsi j'obéis sagement en me relevant, prenant une position assise et tranquille.
À quand remontais mon dernier sommeil ? Dix jours ? Dix semaines ? C'était avec Hélène c'est certains. Oui c'était avec elle, avant son départ. Au sommet d'un bel iceberg. Seuls dans la neige. Étais-je depuis longtemps dans cette grotte ? Quelques jours peut être. Quoi qu'il en soit elle se trompait : je ne dormais pas. Mais je ne cherchais pas à m'en défendre. Mon territoire. Ai-je véritablement un territoire ? Oui. Le Grand Nord est mon domaine. Non. Je n'ai pas de foyer à proprement parler. Le noir. Il gagnait de plus en plus de terrain et je le combattais de plus en plus difficilement.
Puis elle s'attaqua à Hélène, me reprochant mon amour pour elle. Une chaleurs familière naquit dans les profondeurs de mon ventre, une légère tension s'empara de mes muscles, je sentis même le petit changement de mon odeur. La colère. Oui c'était de la colère. Celle dictée par cet amour puissant que je ressentais. Mais jamais elle n'explosa. Jamais elle ne frappa ma sœur telle une vague sur un rocher un jour de tempête. Non. Elle s'apaisa aussitôt, consumée par la sagesse, évacuée par une expiration. La contredire afin de défendre mon honneur ou lui donner raison pour avoir la paix ? Je choisis une autre voie. Je fis quelques pas en silence, me plaçant à ses côtés pour observer moi aussi l'horizon.
« Aqua a fait de nous des êtres d'exceptions. Pourtant nous sommes si petits devant le ciel et l'océan. »
S'émerveiller. Ne jamais se lasser de la beauté du monde. Je souris, bercé par le bruit des vagues, puis je baissais le museau vers ma sœur.
« Le Grand Nord est vaste Nimuë, il renferme bien des secrets et notre magie s'affaiblit. Me suggérez vous de modifier ma tournée de la décennie pour m'occuper d'un problème urgent que je ne suis plus en capacité de percevoir? »
Ses reproches, même ceux concernant Hélène, n’atteignaient pas la paix de mon cœur.
"- Je ne suggère rien. Je vous informe simplement d'un problème, libre à vous de le résoudre ou non. J'agirais de mon côté, avec ou sans vous."
Une ombre passa sur la frimousse de la demi-déesse. Elle savait pertinemment que son frère avait raison. Leurs maigres compétences ne pourraient pas enrayer le lent déclin de la nature. Sans un front uni des enfants divins, le noir allait envahir le monde, gangréner la pureté et la beauté. Mais ils étaient bien trop disparates pour qu'une telle alliance sacrée soit envisageable. N'était d'ailleurs pas encore né celui qui la forcerait à travailler avec les imbéciles ayant terni la race humaine par leur refus d'écouter sa sagesse.
"Je défendrais la nature, et les hommes qui en sont dignes, jusqu'à ma fin. Même si je dois être seule dans ce combat" dit-elle avec solennité, tout en relevant fièrement vers la tête vers le ciel.
"Suivez-moi, ou non, à votre guise, mais n'allez pas geindre après." dit-elle avant de quitter sa corniche pour rejoindre un point donnant plus aisément sur la mer du Nord.
Tous les problèmes ne peuvent être résolus, c'est pour cela qu'il y a quatre Dieux et tant de leurs enfants.
Ma queue s'agita avec amusement aux mots de Nimue. Pourquoi être venu me chercher si elle peut résoudre le problème seule ? Pourquoi être venu me chercher si elle a l'intention de le résoudre seule ? Pourquoi me reprocherait-elle de laisser ma tâche de côté en vivant l'amour quand elle fait une entorse à la sienne en accomplissant celle des autres ? Pourquoi avait-elle toujours besoin de se retrancher derrière ces mêmes arguments ?
Nimue était aussi forte qu'elle était fragile. Aussi agaçante qu'elle était précieuse, comme une abeille qui tourne autours de nos tartines de confiture. Oui elle pouvait être agaçante cette petite Nimue, même offensante. Mais elle était précieuse, surtout en ses temps troublés. Elle allait trop vite pour le Grand Nord. Beaucoup trop vite. Je secouais la tête, amusé, me levais tranquillement et la rejoignis.
« Je serais heureux de vous suivre Nimue. Mais ne venez pas me reprocher d'être en retard sur ma tournée. »
Je lui dis cela avec malice, d'un ton taquin. Je lui adressais même un clin d'oeil. Peut être allait-elle s'emporter, c'était même probable, mais tant pis. J'étais prêt à la suivre. Oh je la ralentirais c'est certains : bien que je sache galoper et me montrer rapide, je suis dans l'ensemble un être lent et tranquille. Comme la dérive d'un iceberg...
Prenant ombrage de la taquinerie latente dans les propos de Slavko, l'enfant d'Aqua lui coula un regard courroucé.
"Votre tournée, votre tournée... Vous n'avez que ce mot à la bouche, avec le nom de l'enfant du feu."
Sous son agacement, l'inquiétude pouvait être effleurée. Nimuë n'aimait pas quand ses congénères se perdaient dans les affres de l'amour, car cette émotion n'avait été conçue que pour éloigner les êtres de leurs devoirs. La petite créature avait d'ailleurs proposé de la retirer purement et simplement de l'esprit des humains, mais cette proposition avait été recueillie par des éclats de rires tout à fait inconvenants.
"Suivez-moi !" déclama-t-elle d'un ton impérieux, en désignant l'horizon d'un léger coup de tête. Sans accorder un regard à son frère pour voir s'il suivait sa cadence, elle se mit à courir à pleine vitesse jusqu'au bas de la falaise escarpée. Ses minuscules pattes se jouaient des obstacles offerts par la roche abrupte, et elle dégringola jusqu'à sa destination avec adresse. Enfin, elle leva les yeux vers la frégate menaçant de sombrer dans les flots. Le petit navire de guerre lardait ses trente canons vers le ciel, comme s'il formulait un silencieux appel à l'aide. Sa coque brisée s'épanchait d'objets commençant déjà à être engloutis par la mer. Sur son bord, une cinquantaine d'hommes n'avaient pas encore réussi à fuir sur les embarcations de sauvetage, et ne parviendraient sans doute pas à s'échapper sauf à sauter directement la mer glaciale.
Évidemment Nimue s'assombrit de ma taquinerie. Cela m'amusa, ma queue s'agita. Elle était gentille dans le fond et agissait pour le bien. Mais elle était impatiente, ne semblait pas avoir de sens de l'humour et avait un immense défaut, le pire de tous à mon avis : elle ignorait l'amour. Pire : elle le combattait. Je ne lui avais pas ri à la truffe quand elle avait demandé de supprimer ce sentiment à la création des humains, mais j'avais refusé également. En réalité Nimue ressentait de l'amour et elle allait me le prouver une fois de plus quelques instants plus tard.
J'aurais pu lui dire que ma tournée est essentielle à la bonne réalisation de ma tâche. J'aurais pu lui dire aussi que vivre l'amour que je ressentais pour Hélène était essentielle à mon équilibre mental. J'aurais pu aussi lui dire que tout ceci n'était pas ses affaire mais je gardais le silence : on oblige pas un fleuve à capituler et Nimue en était un particulièrement puissant.
Je la suivis donc mais, comme d'habitude, elle allait beaucoup trop vite pour moi. Je m'assis en haut de la falaise pour la regarder descendre. S'attendait-elle à ce que je saute ? Je la regardais descendre avec une certaine admiration. Puis, sans me presser, je bifurquais vers la droite, effectuais tranquillement plusieurs centaines de mètres avant enfin d'atteindre le petit sentier naturel permettant d'aller jusqu'en bas. Puis, l'eau de mer se changeant en glace sous mes pas, je rejoignis tranquillement Nimue.
Sur l'océan glacial se trouvait une frégate en difficulté. Je fronçais les sourcils : il s'agissait d'un navire de guerre d'une trentaine de canons. Sa coque était brisée et il commençait à être avalé par la cruauté de l'océan. Je n’appréciais pas la venue de ses hommes dans le Grand Nord : ils apportaient avec eux la guerre.
« Pourquoi devrais-je sauver ces hommes ? »
Je m'assis et les regardais paisiblement. Je ne fis pas un seul geste, pas un seul mouvement, je n'utilisais pas une seule goutte de magie dans le but de les sauver. Nimue allait devoir choisir ses mots avec soins si elle souhaitait me convaincre...
Les cris des hommes aux abois firent frémirent le poil lactescent de Nimuë. Tous les fibres de son être lui intimaient d'agir. L'enfant d'Aqua gronda de déplaisir à la question de son frère : tant de passivité face au mal était selon elle bien la raison du noir rongeant le monde.
"Expliquez moi plutôt pourquoi je devrais les laisser mourir"
Sa voix était ferme et résolue, ne laissant pas de place aux tergiversations.
"J'irais avec ou sans vous."
Elle ne lui accorda pas le privilège d'un regard avant de s'engager sur la rive bordant le navire en perdition. Comme à chaque fois qu'il lui fallait affronter le regard humain, sa métamorphose humaine se déploya, balayant l'horizon d'un corps éthéré évoquant plus le spectre que la divinité. Une fine ride se glissa entre les sourcils roux de Nimuë alors qu'elle visualisait le vêtement avec lequel elle souhaitait parer sa silhouette humanoïde. Quelques secondes plus tard, une longue robe blanche parsemée de cristaux bleus apparut comme par enchantement. Maintenant décemment vêtue pour le regard mortel, la semi-déesse déposa un pied sur la houle. Une expression de stupeur jaillit sur ses traits lorsqu'elle manqua de tomber à la renverse : ses pouvoirs étaient plus affaiblis qu'elle ne l'aurait escompté. Serrant les poings et relevant le manteau, l'enfant d'Aqua continua d'avancer péniblement vers le navire. Elle parvint jusqu'à sa destination au prix d'un effort bien trop important au regard de la traversée réalisée. Son enveloppe charnelle vacillante se hissa avec difficulté jusqu'à la proue du navire, agrippant les rares prises offertes par le bois avec la force du damné. Une brusque secousse vint projeter Nimuë sur le plancher vermoulu. Agacée par cette entrée sans panache, l'enfant d'Aqua jeta un regard houleux aux alentours.
La notion de bien et de mal existe t-elle vraiment ? Quand un loup détruit une famille de lapin en dévorant la mère, est-il du côté du mal ? Oui car il détruit une famille, il distribue la mort et la destruction. Mais il est aussi du côté du bien : il empêche les lapins de proliférer. Sans lui, sans ses actions, l'accroissement de la population de lapins n'aurait aucune limite et serait une catastrophe pour la nature. Et puis... Les petits du loup attendent, il faut leur donner à manger. L'océan polaire est le plus cruel du monde. Non seulement il possède toutes les cruautés des autres, mais il est également si froid qu'il en est mortel en quelques instants. La glace, les icebergs sont des pièges meurtrier. Les humains n'ont pas leur place en mon domaine... Surtout des humains armés pour la guerre. Nimue retourna la question contre moi et sans même attendre ma réponse, plongea en direction du navire. Je fus donc contraint de répondre à ma question seul. Alors je ne bougea pas d'un millimètre et je me plongeais dans une tranquille réflexion. J'étais face à un dilemme. La mort de ces humains m'importait peu. Je ne les connaissais pas et je ne souhaitais pas me mêler de leur histoire guerrière. Ma tâche ne consiste pas à sauver de la mort ceux qui n'ont rien à faire chez moi. Les sauver c'était avoir l'assurance d'apporter la guerre dans le Grand Nord jusqu'ici relativement épargné de part ses conditions extrêmes du point de vu humain. Suivant cette ligne de réflexion, j'arrivais à la conclusion que non seulement je ne devais pas les sauver mais que leur mort serait certainement une meilleure chose pour le Grand Nord. D'un autre côté, je ne pouvais pas rester sans rien faire s'il s'agissait d'hommes de bien, comme semblait le défendre Nimue. Les regarder mourir, tourner le dos sans la moindre petite action pour les aider ferait effectivement de moi un être maléfique, cruel et sans cœur. Je passais de nombreuses minutes ainsi, assis, à regarder le navire sombre, à réfléchir. Je ne pouvais ni les sauver, ni les regarder mourir sans rien faire. Devais-je obéir à Nimue sans hésiter ? Non. Elle était la messagère d'Aqua, non la leader des enfants d'Aqua. Elle n'avait aucun droit de me donner des ordres et son comportement me guidait plutôt sur le chemin de la désobéissance. Ma décision devait m'être propre, non guidé par le caractère puissant de ma sœur. Alors je fis le choix du compromis. Sans bouger d'un millimètre j'invoquais la magie qu'il me restait. La glace se referma sur le navire. Une glace solide qui interrompit le naufrage, offrant des minutes de répit aux humains, des minutes vitales qui, avec les bons choix, leur permettraient de se sauver seuls. Mais une glace également fragile que le cruel océan glacial allait bientôt briser pour continuer d'avaler son dû. Ainsi j'aidais les humains sans les aider. Je leur offrais du temps pour qu'ils se sauvent seuls. Je restais assis au même endroit, observant paisiblement la suite des événements avec une neutralité désormais absolue. Je ne m'attendais pas à ce que Nimue me comprenne. Elle allait certainement se fâcher. Mais elle ne pourra pas me reprocher ma passivité : j'ai agis.
D'une main fébrile, Nimuë accrocha la paume calleuse d'un marin paniqué ayant manqué de passer par dessus bord. C'était bien le dixième qu'elle repêchait de la sorte, sans qu'aucune porte de sortie viable à ce mouroir ne se dessine. L'enfant d'Aqua laissa échapper un grondement sourd : elle aurait cruellement eut besoin de Slavko, mais celui-ci ne semblait pas daigner remuer une patte.
"Tenez bon !" lança l'incandescente aux humains avachis derrière-elle. Elle ignorait s'il s'agissait d'un encouragement qui leur était destiné ou si elle se l'adressait à elle-même.
Les prunelles claires de la semi-déesse parcourent le récif en quête d'une idée lumineuse, ou d'un sauveteur inopiné. Peut-être son frère avait-il été chercher du secours ?
*N'y compte pas trop* songea-t-elle avec déception. Slavko pourrait toujours courir pour revoir son visage après cet abandon. Levant les yeux sur la houle, Nimuë se prit à adresser une prière silencieuse à son père. Cela ne lui arrivait plus beaucoup ces derniers temps.
Soudain, une masse de glace transperça les vagues, offrant enfin un semblant de stabilité au navire. Slavko, sans l'ombre d'un doute. Si cette intervention était bien moindre que ce qu'elle aurait souhaité, il s'agissait tout de même de quelque chose. L'enfant d'Aqua se retourna vivement vers les mortels toujours à bord.
"Dépêchez-vous d'amarrer les barques."
Certains se mirent en marche, d'autres étaient trop tétanisés pour bouger.
"Allez, allez !" clama Nimuë d'un voix impatiente, tout en leur adressant des signes pressés de la main.
Les survivants hissèrent tant bien que mal le bois creusé qui leur servirait de refuge jusqu'à la côte. Dans une alliance inespéré entre Aqua et Terra, ils parvinrent à glisser jusqu'à leur embarcation de fortune. Quelques minutes plus tard, la glace se fendilla, et le bateau subit une secousse si violente que la semi-déesse manqua de finir une nouvelle fois étalée par terre. Elle regarda avec soulagement les silhouettes humanoïdes s'évanouirent au loin, puis se retourna vers le point où elle avait laissé son frère. Reprenant sa forme initiale, la petite guerrière s'accrocha à la coque, puis nagea jusqu'à une planche de bois dérivant sous ses yeux. A bout de force, elle se laissa porter par les vagues jusqu'à atteindre la côte. Elle y resta quelques minutes, contemplant le ciel se voiler de laque vaporeuse. Puis, bien décidée à bouder Slavko pendant le reste de ses jours pour cette action de sauvetage limitée, parti sans un au revoir.
| 
