Flamme purgatrice

La nuit tombée sur Harask me prive d'un sommeil salvateur. Et les Dieux savent pourtant combien j'aimerais qu'ils me l'accordent. Les tourments m'assaillent, les pensées s'embrument et m'emprisonnent. Une peinture sombre aux contours flous au creux de laquelle j'y vois comme au fond des abysses. La sensation de suffoquer saisit ma gorge alors que je me redresse brutalement. Seule, dans mon lit, aucune lueur ne traverse la brume. Seules quelques bougies offrent une conscience relative de l'espace.

Pourtant, leur flamme capte irrémédiablement mes iris. Comme envoûtée, la réalité m'échappe un court instant avant de retourner à la surface brusquement. C'était ça, la solution. Je quitte ma couche d'un bon et traverse la pièce, atterrissant dans la principale. Face à moi, le feu crépite encore et à nouveau, me voilà happée par une force invisible. Immobile, je lui fais face, le souffle coupé. D'un pas leste, je m'en approche et le contemple. Il est vieux, la flamme n'est plus aussi jaillissante, mais je m'en contenterais amplement.

Mon corps est appelé, je m'approche encore et tends la main gauche vers lui. Sa chaleur lèche ma peau, la mord quelque peu et mon avancée se ravise. Mon poings se serre. Trahis par ma nervosité, il est en colère et je prends douloureusement conscience que ça ne serait pas suffisant. Je fais alors demi tour et retrouve les murs de ma chambre, m'approchant du meuble et cueille la dague posée là. Une seconde, mes prunelles tombent sur sa lame et la fixe intensément. L'instant suivant, une rage familière fourmille, insidieuse et force ma poigne droite sur son pommeau.

Je retrouve maintenant la chaleur enveloppante du feu qui crépite par delà la pièce et à nouveau, je lui fais face. J'inspire profondément, m'efforçant de trouver au fond de moi l'élan qui me libérera du l'Ombre qui m'assaille. Je m'accroupis alors face aux bûches crépitantes, qui laissent s'échapper quelques langues d'Ignis. Ma main droite serre la dague. La gauche s'ouvre et se tends vers les flammes. Elle avance, lentement mais sûrement. Il mord déjà ma peau et s'acharne à mesure que je plonge. Mes mâchoires se crispent et mes dents se serrent. La douleur point, mais je ne peux me résoudre à revenir en arrière.

Finalement, ma main s'approche d'une bûche incandescente et force ma paume sur son bois brûlant. Ma peau se déchire et m'arrache un gémissement. Plusieurs même. Je tiens éloignés mes doigts, mais la douleur demeure là. Pourtant je ne peux m'enfuir. Je me dois d'aller jusqu'au bout, pour moi-même. Je ferme les paupières et reste ainsi, de long instant se muant en éternité, jusqu'à ce que la douleur se confonde avec l'anesthésie. Malgré le froid de la région, mon corps transpire et à l'orée de l'inconscience, j'arrache ma main à ses tourments.

La présentant à mon regard, je fais face à une peau rouge et noire, détériorée. Quelques morceaux sont resté sur la bûche mais... Je souris. Difficilement. Mais je souris. Le sillage a disparu et je contemple mon œuvre une seconde avant que la douleur ne me rappelle à l'ordre. La dague tombe au sol et je me relève jusqu'à trouvé mon sac sans fond duquel je sors nerveusement une fiole de curaga. Arrachant son bouchon de liège de mes crocs acérés, je le crache plus loin et verse son contenu sur ma peau consumée. Gardant la paume bien ouverte, un simple mouvement m'arrache un gémissement de douleur. Malgré cela, je sens le poids du monde libérer mes épaules.

Une profonde inspiration, les yeux clos, je demeure immobile une seconde. Il me faut pourtant continuer mon entreprise. Je lâche la fiole et retrouve la dague que je saisi du bout de mes doigts sains, me baissant à peine plus que nécessaire. Mon membre handicapé pendant encore une heure, il me sera définitivement impossible de vêtir ma cape de fourrure, mais tant pis. Je n'allais pas attendre autant. Quittant la maison en ouvrant la porte à l'aide de mon coude, l'air embrumé m'enveloppe confortablement.

J'inspire et soupire d'aise, m'accordant une seconde de répit avant d'emprunter les quelques marches de pierre. La terre m’accueille et d'un pas assuré mais mesuré, je me dirige vers le pont séparant Harask en deux. Au milieu de celui-ci, je fais face au cour d'eau cerclant les hautes murailles de bois. Rattaché à Rivebrume, je ne doutais pas qu'Aqua saurait quoi faire de mon offrande. Une dernière fois, j'observe la lame qui réveille les ombres et dans un ultime effort, je l'envoie au plus loin que je puis, accompagnant son plongeant d'un râle puissant.

Comme un poison qu'on aspire d'une plaie, avec elle me quitte les poussières qui demeuraient. Il restera peut-être encore un temps, tapit dans l'ombre, mais ce soir j'avais fait le choix de le repousser définitivement. Demeurant quelques instants immobile à fixer l'horizon brumeux, la morsure du froid sur ma peau calcinée m'en arrache. Crispée et les mâchoires serrées, je retrouve la chaleur relative de ma maison, n'attendant pas une seconde de plus pour m'écrouler dans mon lit.

Par mégarde, ma paume m'échappe et frôle des tissus qui me font souffrir. Pourtant, délestée d'un poids si conséquent et mon âme apaisée, je tombe dans le sommeil malgré la douleur saillante. Cette nuit là sera des plus salvatrices. Au plus loin que remontent mes souvenirs, jamais je n'avais dormis avec tant de quiétude et pour ce cadeau, je remercierais Ignis et Aqua milles fois.