Ce sang, était-ce réellement le sien ? Son regard vide était rivé vers le ciel, plongée dans ses pensées. Elle ne voyait pas les nuages défiler lentement, annonçant une nuit fraiche qui n'allait pas tarder à bercer la ville. Le crépuscule s'imposait, peu à peu. Une douce brise s'engouffrait dans la ruelle,  la pluie caressait sa peau, roulait sans barrière sur son corps. Au loin, on pouvait encore entendre le brouhaha des quartiers populaires, bien que les mots prononcés par les Hommes n'atteignaient ses oreilles. Elle n'y prêtait guère attention. Une journée ennuyante, copie conforme de sa précédente.Elle devait partir. La nuit, la demoiselle savait qu'il ne valait mieux pas rester en cet endroit. Les bonnes gens le savaient. Les raccourcis mal éclairés dont on intimait aux enfants et jeunes filles de ne point se rendre, tous connaissaient leurs mauvaises réputations, tous savaient les horreurs qui s'y produisaient. Nérée aimait ces renfoncements qui n'attiraient l'attention de personne. Peut-être était-ce pour cette raison qu'elle n'avait guère bougé depuis lors, se contentant de rester immobile, ses doigts se mêlant aux brins d'herbe gémissant entre les pavés. Au final, cela n'avait guère d'importance.
Peut-être était-ce réellement le sien.

Le crépuscule allait venir dans quelques heures. Elle laissait sa main errer sur le mur de pierre, alors que ces pas l'amenaient déjà à l'embouchure de la ruelle. Elle tourna, se retrouvant dans un recoin du quartier populaire. Nérée n'était pas une demoiselle effarouchée, ainsi, elle s'autorisait à faire quelques détours pour braver ses propres interdits, ses chuchotements qui lui intimaient de faire demi-tour. Elle pouvait facilement retrouver le chemin de sa demeure, quand bien même Lüh était une ville immense pour un petit être comme elle. La jeune noble sortait d'une entrevue avec l'un de ses associés, ayant passé plus de temps que prévu à parlementer des clauses du contrat. La lune allait bientôt détrôner l'astre solaire, emportant avec lui la sécurité fictive qu'imposait tant bien que mal la milice. Elle s'engouffra dans une ruelle, son regard s'assombrissant quelque peu, bien que son esprit fût déjà loin dans ses songes. Elle sentait déjà le souffle glacial s'avancer au fil des secondes, venant effleurer sa peau d'albâtre du bout de ses doigts. Elle sourit légèrement, s'arrêtant au milieu de la ruelle. Cela devait se dérouler ainsi, Nérée ne pouvait lutter contre cela. Elle n'en avait guère l'envie.

Il bougea, se mettant sans plus attendre au travail. Il s'avança d'un pas soutenu vers la femme, posant une main ferme sur son épaule. Une pression brusque et sa tête alla heurter le mur. Son corps s'affaissa mollement. Seule sa respiration semblait l'animer. L'homme fit quelque pas en arrière, peut-être surpris de ce comportement. C'était-elle déjà résignée à mourir ? Avait-elle pris conscience de ce qu'il venait de se passer ? Elle ne lâcha aucun son, bien que la douleur envahît peu à peu son être. Ces quelques secondes lui suffire pour la sortir de son monde, se relevant doucement. Elle fit face à l'assassin. Sa tête avait-elle réellement été mise à prix ? Nérée plongea son regard dans le sien, alors qu'il abattait sa sentence d'un coup bref et rapide. Peut-être avait-il hâte d'en finir avec cette femme qui ne réagissait pas comme la plupart des Hommes. Peut-être avait-il été effrayé par les bruits, au coin de la ruelle, des armures cliquetant des miliciens en patrouille. Il bouscula la demoiselle assez fort pour qu'elle tombe en arrière, retirant sa dague qui s'était doucement introduite dans son ventre. Il disparut, la laissant seule. Nevi n'aurait pas été très enchantée de la voir ainsi, une énième fois bercée par le souffle glacial. Cela devenait presque une habitude, cette simple pensée faisant sourire la jeune demoiselle. Elle n'y trouvait pourtant pas son évasion, en ce moment même.

Il se mit à pleuvoir.

Ainsi elle s'était retrouvée dans cette ruelle, dos contre terre, perdant lentement le fluide vital qui la constituait. Si l'homme avait été employé pour la tuer, il était certain que, tôt ou tard, quelqu'un viendrait terminer le travail. Peut-être bien plus rapidement que la demoiselle ne le pensait. Devait-elle s'en aller ? Elle ne pouvait, de toute façon, guère se relever, ses membres étant si faibles en cet instant. Sa voix même ne parvenait guère à franchir ses lèvres. Sa simple robe de nacre se collait contre sa peau avec les larmes des cieux, la faisant quelque peu frissonner. Elle n'avait même pas vérifié si la blessure était mortelle ou non, quand bien même l'assassin employé n'avait guère été efficace. Avec un peu de chance, elle atteindrait l'inconscience.

La chance ne semblait être de son côté, aujourd'hui.

Elle lui était apparue comme un déclic, une idée fugace et pourtant évidente. La pluie ne semblait vouloir cesser, aujourd'hui. Elle sentait chaque pleur du ciel tombant sur son visage, la morsure glaciale de l'acier contre sa peau humide et blanche. La demoiselle avait entendu les tambours de ses pas se rapprocher, son souffle déranger sa tranquillité vacillante. Pourtant, elle n'avait osé bouger, se contentant d'inspirer une plus grande quantité d'air frais quant à ce soudain contact. Elle ne voulait le faire partir. En l'espace d'une seconde pourtant interminable, la demoiselle aurait voulu lui ordonner d'enfoncer sa lame dans sa peau, faisant ainsi disparaitre cette simple respiration qui maintenait son emprisonnement. Si l'homme avait continué son geste, elle aurait pu enfin être libérée de toute emprise de ce monde et ainsi errer au gré de sa propre volonté, de ses envies primaires et pourtant futiles. Elle aurait pu se détacher de cette enveloppe, défaire le lien qui la retenait en ce lieu haïssable et merveilleux. Ce voyage vers l'infiniment beau qui n'était que fantasme et chimère prenait doucement forme. Elle ne pouvait que se servir de ses rêves qui n'étaient que l'illusion, la soif de liberté grandissant sans cesse. Les Hommes ne pouvaient comprendre. Gouter à son évasion, cela était si tentant. Devait-elle s'y diriger, alors qu'elle était si près du but ?
Ce voyage était définitivement beau.

« Je ne souffre pas. »

Elle ne bougea pas, alors que son regard se porta lentement sur le visage de l'homme. Avouer sa propre vérité ne lui suffisait guère, son être hurlait doucement une complainte de douleur et d'ivresse. Sortit de ses songes, elle n'avait pu ignorer plus longtemps sa question. Ce qui se passait en dehors de son esprit devenait quelque peu amusant, ainsi continuer ce jeu devenait une nécessité. Un jeune homme prenant le rôle de marionnettiste se tenait au dessus d'elle, le sort de la poupée étant entre ses doigts maladroits. La dague était si aiguisée. La demoiselle ressentait une certaine attirance pour cette représentation de son évasion, ne sachant guère quelle décision celui-ci allait prendre. D'une voix plus douce encore, peut-être de par ses forces qui diminuaient, plus désireuse et pourtant plus lointaine, elle reprit : « Mentir sur ma décision serait futile, ainsi le choix est tien. »

Vivre ou mourir, cela n'avait aucun sens. D'un geste lent, Nérée leva sa main jusqu'à la dague de l'homme, laissant son doigt glisser sur le long de la lame. Hésitait-elle ? Elle savait que sa vie n'était pas encore en danger malgré la blessure au ventre, pour le moment. Peut-être le sang ne s'était pas autant rependu que sa robe de nacre laissait à penser. Dans un soupir, elle laissa son bras retomber au sol, si l'homme se décidait seul, la demoiselle n'en serait que ravie. Elle désirait vivre et mourir.

« A moins que quelqu'un ne te vole le rôle de marionnettiste qui vient de t'être attribué. »

Car déjà, un autre homme se tenait à l'embouchure de la ruelle. L'assassin qui avait échoué à sa tâche était revenu pour terminer le travail.

La décision du jeune homme devait attendre, au grand déplaisir de la demoiselle. Elle aurait tant voulu être seule avec lui, le garder contre elle. Elle aurait tant aimé gouter à son propre sang, connaitre la décision de son sauveur. Elle le désirait. Pourtant, l'assassin jadis croisé revint dans la ruelle, chose qui n'échappa à ses oreilles, bien que la pluie frappant le sol couvrît la plupart des sons perceptibles. Il était vrai que Nérée ne comprenait guère pourquoi celui-ci revenait, alors sa vie s'échappait peu à peu de ses fins doigts, alors qu'elle luttait pour la faire sienne. Pourquoi s'enfuyait-elle si vite ? L'assassin était revenu finir son travail. Son sauveur semblait aussi l'avoir remarqué, bien que cela ne fût guère compliqué. Ainsi la jeune noble l'observa se redresser, voyant quelques secondes plus tard une lame le frôler, sa course s'arrêtant le long du mur après quelques ricochet. En plus d'être idiot, l'assassin devait être mauvais lanceur, elle-même étant bien meilleure que lui. Il fallait dire que, dans sa jeunesse, son père adoptif lui avait apprit le maniement de la dague, arme simple bien que redoutable dans les mains d'un Homme sachant un tant soit peu s'en servir. Nérée savait s'en servir. Ainsi, alors que le nouveau joueur semblait être destiné à combattre le donneur de mort, elle produisit un effort infiniment grand pour parvenir jusqu'au mur non loin d'elle, laissant derrière elle une trainée carmin. Oubliant la douleur, elle se redressa légèrement pour reposer son dos contre celui-ci. Un soupir faible s'échappa de ses lèvres.

En face de ses yeux rêveurs se produisait un combat quelque peu déséquilibré, son sauveur semblant être un combattant agile et redoutable. Il évitait les coups, ripostant avec une précision et une facilité perceptible. Il semblait en avoir l'habitude. Était-il lui aussi un donneur de mort ?

Quand bien même un des deux corps s'affaissa, la demoiselle était déjà repartie dans ses songes, sa main venant effleurer la plaie de son ventre qui laissait s'échapper son fluide vital. Un cri étouffé déchira les pleurs du ciel, faisant frissonner la Dame Aux Fleurs. Ce cri. Il semblait si désireux de gouter au voyage infiniment beau. Ignorant complètement le combat qui se finissait sous ses yeux, son autre main glissa le long des pavés froids, humides, sursautant légèrement lorsque ses doigts touchèrent l'objet convoité. Au début réticente, sa poigne se fermera après quelques secondes sur la lame de l'assassin, la ramenant ainsi jusqu'à son être, la couvrant d'un regard émerveillé. Tant que son sauveur avait le dos retourné, elle pouvait offrir à ses divagations causées par la douleur la délivrance qu'elles souhaitaient. Pointant la lame vers son être, Nérée était enfin prête, son regard se portant sur ses mains. Soudain, ses yeux réalisèrent l'ampleur de ses songes. Une pensée plus folle encore lui fit étirer un léger sourire, alors que la dague tombait déjà de ses mains, délaissée, perdant toute valeur et attirance. Levant lentement une main jusqu'à son visage, elle en contempla le sang qui en coulait, désireuse d'en connaitre le gout. Alors qu'un de ses doigts se rapprochait de ses lèvres, les touchant presque, une voix percuta ses oreilles. Détachant tant bien que mal son esprit de sa main, elle releva ses prunelles d'ambre, observant l'homme en face d'elle. Au final, la demoiselle jugea que son sauveur était lui aussi un donneur de mort, alors que ses yeux se posaient sur l'être inanimé gisant dans son sang, derrière lui.
Il lui avait donné la mort.

Elle laissa sa main descendre atteindre mollement le sol, oubliant presque ses songes d'avant, n'ayant plus de forces pour la soulever en cet instant même. L'homme lui avait posé deux questions distinctes, et pourtant, l'une liée à l'autre. La réponse n'était-elle évidente ? Nérée prit le temps de l'observer, détailler les contours de son visage, essayant de déterminer ses émotions et songes. Quand bien même cela était impossible, ce jeu était amusant. « D'autres arriveront bientôt. Et je doute qu'ils soient enchantés de voir un cadavre et une femme blessée dans la même ruelle qu'un homme armé. » Elle se contenta de ces mots, les prononçant d'une lenteur calculée, peut-être de par sa difficulté à parler. L'idée d'appeler Nevi pour briser le jeu qui s'était imposé ne lui vint guère en esprit, et ainsi, plaçant ses mains sur le mur derrière elle, la demoiselle produisit un second effort afin de se lever complètement, ses jambes tremblant sous son poids misérable. Heureusement que le mur auquel elle était adossé la supportait.

« Endosseras-tu ton rôle jusqu'au bout ? »

La pluie avait couvert sa faible voix, ainsi uniquement audible par son vis-à-vis. Elle avait plongé son regard dans celui de son sauveur, lâchant un soupir de bonheur douloureux. La demoiselle avait raison. Au final, si l'assassin avait voulu en finir, la milice était surement à sa poursuite. Effacer les preuves, voilà la raison pour laquelle il était venu en ce lieu. Il était vrai qu'elle avait vu son visage, comme elle voyait celui de son sauveur en cet instant même. Ainsi, les nouveaux joueurs n'allaient guère tarder à débarquer, ces temps-ci très réactifs quant à la recherche de malfrat et autres crimes. Allait-il partir, la laissant aux proies de ses songes et de ses folies pour l'empêcher de fuir hors de la ville, ou bien même l'aider, l'emportant dans sa fuite ? Nérée attendait avec impatience son choix, celui-ci déterminant ses prochains actes. D'un geste lent soutenu par son regard, elle porta une main jusqu'à sa blessure, éprouvant le besoin de la compresser pour limiter les pertes de sang. Les vertiges commençaient à arriver, la fatigue dupait ses yeux pour les fermer, malgré sa lutte invisible. Elle détestait ne pouvoir contrôler son enveloppe charnelle, ses émotions. Elle aimait cela. Une larme, unique et solitaire dévala sa joue, se confondant à celles des cieux, la douleur ayant pris un instant le contrôle de son corps futile. Son esprit pourtant, lui, ne pleurait pas. La Dame Aux Fleurs voulait vivre. C'était son seul désir ayant la chance d'être éternel.

Un infime sourire fleurit sur ses lèvres, lorsque son regard recroisa celui de son sauveur. Ils étaient liés dans ce nouveau jeu, et la demoiselle ne comptait guère le laisser tricher.

« Le choix est tien. »

Son regard était toujours plongé dans le sien, en attente d'une réponse, d'une sentence. Nérée était si impatiente. Et pourtant, l'attente que laissait s'écouler le jeune homme tardant à se décider ne lui était nullement insupportable. Afin de se tenir éveillée, la demoiselle focalisait son esprit sur la pluie et l'environnement qui l'entourait, quand bien même elle ne s'intéressait qu'à son vis-à-vis et ses actions. Si la pluie ne couvrait pas la plus part des bruits environnant la ruelle, peut-être qu'elle aurait pu entendre les bruits de métal frapper les pavés au pas de course, passant dans chacune des ruelles, venant lentement mais surement à la position même des deux êtres ensanglantés. Machinalement, la jeune noble compressa un peu plus sa blessure, sentant que le sang commençait sérieusement à lui manquer. Elle se sentait mal, chose qui la réjouissait. En ce moment même, elle était si heureuse, sa condition humaine étant réduite à néant. Entre la vie et la mort, proche de son évasion, la Dame Aux Fleurs ne pouvait que désirer prolonger un peu plus ce moment, quand bien même abréger ses souffrances était de plus en plus tentant.
Pourtant, elle n'aimait les plaisirs faciles.

Soudain, le jeune homme laissa échapper un bruit qui n'échappa guère aux oreilles de la demoiselle, son regard observant ses mouvements alors que celui-ci s'approchait de son corps adossé contre le mur. Il lui prit après un court instant son bras, la faisant frissonner de par ce contact soudain, le passant par la suite par-dessus ses épaules. Avait-il fait un choix, alors que l'homme prenait ainsi d'énorme risque ? Les forces pour se détacher de son corps, réagir afin de trépasser lui manquait. Ainsi Nérée se laissa faire, marchant presque sans s'en rendre compte en se reposant sur son sauveur. Elle fermis les paupières, se replongeant dans ses songes, préférant ses rêves à la réalité qui lui avait une fois de plus joué un mauvais tour. Non, cette fois-ci encore, son évasion ne lui parviendrait pas en cette journée de pluie et de malheur. Ce ne fut que lorsqu'elle sentit une présence, des bras soulevant son maigre corps qu'elle se laissa bercer par l'inconscience, soupirant faiblement.


Tout était si calme. Trop calme. La pluie qui tombait encore et encore semblait lointaine, ne se ressentait plus sur sa peau d'albâtre. Elle ouvrit promptement les paupières, fixant un instant le plafond d'une pièce qui lui était totalement inconnue. Était-elle morte ? Son évasion était bien plus pitoyable face à ce qu'elle attendait, ainsi la demoiselle se contenta de soupirer. Bien malheureusement, ce que son esprit voyait grâce aux fenêtres de son âme était bien la réalité. Se redressant lentement, prenant conscience de la lourdeur de son corps, amplifiée par une douleur vive, Nérée comprit bien rapidement que le jeune homme avait décidé de la sauver. Il y avait pourtant tant d'inconvénient. Examinant son corps, elle se rendit compte que ses blessures étaient nettoyées et bandées. Sa robe carmin et humide reposait à côté de son lit, revêtant de nouveaux habits propres, une tunique de blanc et de cuir. Ainsi elle ressemblait un peu plus à une femme de moyenne classe, normale. Elle passa une main dans ses cheveux, essayant de se rappeler des derniers instants avant son évanouissement, sans succès. Il faisait nuit dorénavant. Peut-être avait-il fait le bon choix.
Elle posa ses pieds nus sur le parquet, inspirant lentement, se demandant si son sauveur était encore présent dans cet endroit inconnu. À en croire le brouhaha étouffé qui entourait la pièce, la jeune noble en déduisit que son être se trouvait dans un lieu public, auberge ou taverne. Mieux peut-être.
« Ne vous levez pas, vous devez encore vous reposer ! » Nérée sursauta presque, ne s'attendant aucunement à ce qu'une voix parvienne à ses oreilles. Il était vrai qu'elle n'avait aucunement remarqué la femme qui se tenait assise sur une chaise, non loin du lit. Inconsciemment, elle avait omis sa présence, comme si celle-ci était futile, sans importance. Elle tourna doucement la tête, posant son regard sur son interlocutrice. Elle avait un regard si inquiet envers sa personne, que cela ne put que l'étonnée. Cela était si anormal. Ainsi Nérée se contenta de lui sourire faiblement, se levant de son lit.

« Je me dois de remercier celui à qui je dois ma présence ici. »

Elle passa le seuil de la porte avant que la femme ne puisse la retenir, la refermant derrière elle. S'y adossant, elle inspira un long moment. Allait-elle réellement le remercier ? Elle était si faible. Levant le regard, elle le posa tour à tour sur les différentes portes du couloir, l'escalier menant vers le rez-de-chaussée se trouvant au bout. L'endroit ressemblait fort à une auberge. Laissant sa main courir le long du mur, au cas où son équilibre la trahissait, Nérée s'approcha pas à pas de l'escalier, le descendant par la suite. Elle se retrouva ainsi dans une salle avec peu de monde comparé à l'attente d'une pièce principale. Le service du soir semblait être fini depuis longtemps. Combien de temps avait-elle dormi ?

Son regard se posa enfin sur le jeune homme. Il n'était pas parti, signifiant qu'il portait un tant soi peu d'intérêt sur sa personne. Nérée passa entre les tables, se dirigeant lentement vers lui, manquant de tomber par deux reprises. Elle savait qu'elle ne devait forcer sur son corps, et pourtant elle l'obligeait à marcher, encore et encore. La douleur n'avait pas sa place. Elle se plaça devant lui, plongeant une fois de plus son regard dans le sien. Elle n'avait pour le moment guère envie de le remercier, ne sachant guère si ce sauvetage lui avait été utile. Il y avait pourtant une question, si simple et si futile que Nérée voulait en connaitre la réponse. Peut-être que mettre un nom sur ce visage l'aiderait à mieux réfléchir, à mieux se souvenir. Son approche avait été bien trop directe pour être normale. Peut-être se ferait-elle refouler. Cela n'avait que peu d'importance.

« Quel est ton nom ? »

« Nérée. » Lâcha-t-elle sans trop d’attention, comme si cette réponse n’avait été formulée que pour passer à autre chose. S’y attarder, elle n’y portait aucun intérêt. Sa douce voix s’était dissipée aussi vite que le son était parvenu aux oreilles de son interlocuteur. Il était vrai que c’était par simple respect que la demoiselle avait daigné donner son nom, en un souffle quasi inexistant. Pour son esprit, pour elle, Nérée n’avait guère dit son nom.

Elle s’était assise à côté du jeune homme, ses prunelles rivées sur lui. Il était en train de manger. Le dérangeait-elle ? Il avait posé sa fourchette, accordé son attention pour son petit être encore fragile et douloureux. Le corps de la Dame Aux Fleurs avait mal, elle pouvait aisément sentir le bandage le recouvrant, sa plaie étant encore si récente. Combien de temps s’était écoulé depuis la tentative d’assassinat ? Le soleil était encore dans le ciel, malheureusement. Ainsi laissant quelques instants s’écouler entre son premier mot et la suite de ses dires, Nérée détailla plus posément Sora, tel était le nom de son vis-à-vis, qui lui ne s’était gêné pour lui poser plusieurs questions plus ou moins sensées. Au final, qui était-elle réellement ? Elle n’avait aucune idée de la raison de ce meurtre, elle n’avait jamais su ce qu’elle allait faire. Un mince sourire s’étira sur ses lèvres, très vite envolé lorsque les mots passèrent la barrière de sa gorge.  

« Peut-être parce que ma vie devait être tout simplement prise. Je ne sais encore pourquoi cet homme a essayé de me tuer. »

Sa main, posée sur le rebord de bois, attrapa la fourchette du jeune homme, commençant machinalement à jouer avec. L’idée que celui-ci en avait peut-être besoin ne lui traversa aucunement l’esprit. Son regard, pensif, dériva lentement sur le couvert, comme s’il représentait en cet instant un intérêt immense. Elle reprit : « Ce que je compte faire… T’attends-tu à une réelle réponse ?  Je ne sais pas. Dois-je te remercier ou t’insulter de ton acte accompli ? Dois-je chercher le commanditaire de cet assassinat, ou plutôt fuir, chercher de l’aide auprès de la milice inutile de la ville ? »
Au-delà de sa barrière habituelle peinte de dédain et de neutralité, la jeune femme semblait songeuse face à cet évènement pourtant commun. Il n’était pas rare de voir des nobles pris pour cible. Cela était bref, sans échappatoire. Nérée aurait dû mourir. L’assassin aurait dû l’achever, ne lui laisser aucune chance de survie. Alors pourquoi pouvait-elle encore voir le soleil dehors ?

« Je suppose que ce n’est pas pour rien que tu es encore ici. » Finit-elle par dire, stoppant ses réflexions sans sens ni raison. La demoiselle avait tout son temps pour y penser, se doutant bien que là n’était qu’un début de jeu fort dangereux. Son regard retourna une nouvelle fois sur Sora. En ce moment même, elle avait bien conscience du lien qui s’était formé, malgré tout, entre son sauveur et elle. Ce lien ne semblait pourtant être pur et inoffensif, pour l’un ou l’autre des deux coupables.
Elle aimait cela.

« Pourquoi m’as-tu sauvé ? »