An 47, ville de Lüh

Ariez avait 10 ans. Très protectrice envers ses trois soeurs, Shaami, Mujin et Kawa, elle s'inquiétait énormément d'une rumeur qui courait en ville. Des enfants avaient disparus sans laisser de traces, ailleurs sur Arcane et ici dans la capitale, sans doute kidnappés. C'est un client de l'armurerie qui en avait parlé avec son père et Ariez avait tout entendu. Quelle personne horrible pouvait kidnapper des enfants, et que devenaient ils une fois disparus ? Pour rassurer les plus petits on inventait des histoires à dormir debout, mais les parents les moins scrupuleux comme ceux d'Ariez disaient qu'un monstre dévorait les enfants pas sages. C'est le genre d'histoire qui pouvait faire trembler la petite Kawa de peur mais Ariez ne se sentait pas concernée outre mesure... non pas qu'elle était sage loin de là, mais elle semblait considérer qu'à son age, elle n'était déjà plus une enfant et donc une proie potentielle. Elle ne réalisait pas le moins du monde à quelle point elle était petite et vulnérable.

Mujin, qui avait alors 6 ans, lui avait dit qu'elle avait vu un monsieur louche qui traînait souvent autour de son école. Il n'en fallait pas plus à Ariez pour décider de mener l'enquête afin de protéger ses sœurs et d'avoir déjà la certitude dans son esprit que cet homme louche devait être le coupable. Dans les grandes villes comme Lüh, qui était d'ailleurs LA plus grande ville, c'était facile d'enlever des enfants. Ariez repensa aux nombre de fois ou elle était livrée à elle-même, aux responsabilités que ses parents lui confiaient déjà pour avoir un coup de main à l'armurerie, à tous ces moments ou elle et ses sœurs auraient pu être les pauvres victimes d'un adulte zinzin.

Elle avait élaboré un plan qui lui semblait parfait : elle se cacherait au coin d'une ruelle de l'école de sa sœur, observant de loin l'adulte désigné comme suspect, et le suivrait discrètement jusqu'à chez lui. Elle attendit un moment et finit par repérer l'individu, il boitait et avait l'air bossu, c'était forcément lui ! Mais un détail titilla la petite Ariez : il semblait simplement venir chercher ses enfants à l'école. C'est une peine que les parents de Ariez ne se donnait même pas. Il n'abordait pas les enfants de lui même, ne semblait pas chercher de proie. Ce sont deux enfants qui spontanément allèrent vers lui, alors qu'avec son allure étrange ils s'en seraient abstenus s'ils ne le connaissaient pas. C'était un père aimant, pas un détraqué ! Il avait juste l'air bizarre.

Elle pesta contre Mujin, et décida de rentrer. Cependant, en voulant repasser à l'armurerie pour aider ses parents, elle remarqua qu'un client semblant respectable faisait des achats à l'intérieur et surtout, qu'une invocation majestueuse l'attendait à l'extérieur. Sous la forme d'un gigantesque loup blanc, sa fourrure semblait faite de brume, Ariez en resta estomaquée. Avait-elle déjà vu spectacle plus fascinant ? La fillette n'osa pas s'approcher plus, la bête faisait 1,77 au garrot et Ariez qui ne faisait à l'époque que 1,40m se sentit minuscule à coté. Elle resta planté à quelques mètres de là, la bouche bée. L'homme à l'intérieur et son père étaient trop occupés pour remarquer sa présence.

Evidemment, elle était loin de se douter que les apparences allaient encore la tromper...

Encore un jour a Luh, dans ces ruelles frénétiques et grouillantes d'humains. Encore un jour a constater leur ignominie, a subir leur bassesse, et a commettre des crimes...

Il ne doutait pas que de braves gens puissent se cacher parmi cette foule dense et tumultueuse, mais son quotidien infernal ne lui permettait plus de l'imaginer. Il était libéré depuis quelques années maintenant, de trop longues années ou son seul désir était de voir son maître mort. Il était a la solde d'un être immonde qui l'avait intelligemment dupé lors son épreuve au temple. Et Wolf Rain avait cru tomber sur un aventurier intègre et intelligent. Oh... son intellect n’était pas a renier mais c’était hélas pour mieux tromper son monde. Ce Ratigan se donnait de grands airs. D'ailleurs il impressionnait bien des gens par sa haute taille et son éloquence. Mais nul ne se doutait du monstre qu'il était....

Voila des semaines qu'il s’était mis en tete d'assouvir ses désirs les plus vils et ses instincts les plus bas. Et Wolf Rain, impuissant, ne pouvait qu’obéir a ses horreurs. Il aurait voulu mourir plutôt que de vivre une journée de plus dans l'odeur métallique du sang. Mais c’était impossible. Alors il attendait sagement devant l'armurerie, obéissant au pied de la lettre aux ordres de son humain. Il donnait toujours des instructions d'une clarté sans failles, si bien que Wolf ne trouvait jamais d’échappatoire pour lui désobéir et tenter de prévenir la population pour le faire envoyer en prison. Il douta même que la parole d'une invocation puisse être acceptée dans les tribunaux. Ce pourquoi il était assis la par terre, la tete basse et les oreilles repliées, se morfondant sur son triste sort.

Il n'avait pas prêté attention a l'enfant qui s'approchait, elle faisait parti des passants et se fondait dans la masse. Cependant, lorsqu'elle se stoppa devant lui, a quelques mètres, son instinct lui dicta qu'il était observé. Alors il releva doucement la tete et dévisagea l’ingénue de ses yeux bleu de glace perçants. Elle semblait choquée par la prestance du loup de brume. Wolf Rain inclina la tete sur sa droite pour l'observer plus attentivement, et fut prit d'une peur panique a l’idée que son humain ne la voit. Il souhaitait a tout prit ne pas attiser ses pulsions meurtrières, car plus elles étaient mignonnes, plus il les voulait...

Doucement, sans vouloir attirer l'attention de l'armurier et de son monstre d'invocateur qui négociaient âprement, il tenta de s'approcher d'elle en grognant pour lui faire peur, et la faire fuir loin d'ici.

L'invocation semblait triste, tête basse et oreilles repliées. Cela rappela à Ariez l'expression qu'avait le chien du voisin quand il était attaché tout l'hiver dehors dans le froid. Ariez ne comprit pas comment une créature si proche du divin pouvait être triste, mais elle n'eut pas le temps d'y réfléchir plus longtemps qu'il releva ses yeux de glace vers elle, elle se força courageusement à soutenir ce regard, mais ses grands yeux verts d'ingénue ne pouvait cacher sa surprise et sa peur.

Quand il commença à grogner en s'approchant, elle eut un hoquet de surprise et fit quelques pas en arrière, de sorte que sans s'en apercevoir elle soit dans l'angle mort des personnes à l’intérieur de la boutique. Cet être qui avait l'air d'une telle pureté pouvait-il être un monstre féroce ? Aurait-elle mal jugé ? Il lui semblait que les invocations était douée de parole mais celui là n'avait fait que lui grogner dessus. Et s'il ne s'agissait que d'un monstre domestiqué ?

Cependant, comme il ne se jetait pas sur elle pour la déchiqueter et que ses yeux trahissaient quand même beaucoup d'intelligence, elle comprit bien vite qu'il ne s'agissait là que d'intimidation. Elle inspira un grand coup et bomba le torse, regagnant un peu confiance en elle, fronçant les sourcils et du haut de ses 10 ans essayant d'être aussi autoritaire que possible, et déclarant, un soupçon d'hésitation dans la voix :

"Bonjour monsieur l'invocation. Laissez moi passer je travaille ici !"

Evidemment travailler était un grand mot, mais elle se sentit obliger d'employer des mots convaincants, des mots d'adultes. Elle s'était sentie un peu bête de ne pas savoir comment s'adresser à cet être divin, fallait-il dire madame l'invocation ? Ou juste invocation tout court ? Elle se sentit extrêmement gênée, et terrifier à l'idée de vexer cet être, qu'au fond elle voulait simplement caresser, le rouge lui monta aux joues. Sa peau de porcelaine, avec les joues légèrement rosis, et ses lèvres naturellement pigmenté, la rendait la candidate idéale pour tout détraqué digne de ce nom. Heureusement, la vente à l'armurerie sembla se poursuivre encore un peu, le père d'Ariez étant un peu dure en affaire.

Le loup de brume continua d'avancer doucement dans la direction de la fillette, la faisant reculer hors de vue des clients de la boutique. Il lut dans son regard de la peur et une intense réflexion. Elle semblait hésiter a faire quelque chose et Wolf souhaita qu'elle ne fasse rien de stupide sinon fuir le plus loin possible. C'est alors que la petit parla, d'une voix tremblante mais décidée. Elle cherchait a se donner du courage et a intimider.

Wolf en fut tout étonné, sa réaction se traduisit physiquement car il ne put retenir sa surprise. Il était auparavant sur ses quatre pattes courbées, la gueule baissée, les crocs révélés et les oreilles en arrière. Il était désormais bien droit sur ses quatre membres, la tete haute et en arrière, les oreilles droites comme des " i " et les yeux exorbités de surprise. Sa gueule s’était entrouverte de stupeur et il resta quelques instants dans cette position, le temps pour lui de réaliser ce qu'il venait de se passer.

Non pas qu'il soit imbu de sa personne, bien au contraire, mais Wolf Rain avait simplement très conscience de son allure et de ce qu'il pouvait dégager lorsqu'il se mettait a menacer quelqu'un. Il était un loup géant au corps massif et d'apparence impalpable. Il était comme un démon aux yeux de nombreux humains. Mais cette petite enfant aux yeux vert émeraude avait osé lui tenir tete. Nombre de personnes se seraient enfuies! Il n'en revint pas mais en même temps, a bien y réfléchir, seul un enfant innocent pouvait croire qu'il ne lui arriverait rien. Quand un adulte aurait réalisé qu'il perdrait en cas de combat.

Par dessus son encolure il observa la boutique encore calme pour quelques instants, son maître finissait de négocier les prix. Il espéra d'ailleurs que l'armurier n’essaie pas de trop gonfler les prix ou son ignoble maître Ratigan pourrait bien revenir lui régler son compte... Quoi que ! Il lui était encore utile alors peut être s'abstiendrait-il ?

Son regard se porta de nouveau sur l'enfant et il plissa les yeux pour mieux l'observer. Saurait-elle écouter ses précieux conseils ? Plutôt subir la prison pour l’éternité plutôt que de devoir la dévorer comme tous les autres avant elle... Ça lui était intolérable. De sa voix grave et naturellement autoritaire, un don des Dieux pour son ancien rôle de pacificateur, il decida de lui parler.

" Bonjour..." il laissa planer quelques secondes de silence.

" Va t'en petite. Reviens plus tard. Je te conjure de passer ton chemin pour la prochaine heure. Va te promener hors de ma vue. "

Elle trouva les mouvements surpris qu'il faisait avec ses oreilles d'une extrême mignonnerie, elle songea qu'il était surpris qu'elle s'adresse à lui comme elle l'aurait fait avec un humain adulte, et non pas comme un esclave ou une bête. Elle se sentit fière d'elle d'avoir mis les formes. C'était bien monsieur l'invocation qu'il fallait dire alors.

La petite fille continua de reculer à chaque pas en avant que le loup blanc faisait vers elle, même si elle ne le sentait plus du tout menaçant. Il eut cependant une drôle de façon de regarder ou en était son maître dans ses achats, peut-être n'avait-il pas le droit de parler aux inconnues. Certes, son ton de voix était profond et autoritaire, mais Ariez était fascinée. C'était la première fois qu'une invocation lui adressa un bonjour, elle se sentit privilégiée, même si c'était pour la faire partir en fin de compte.

"Mais monsieur l'invocation, je ne comprends pas... je vais me faire gronder si.."

Elle ne finit pas sa phrase, quelque chose n'allait pas. Ce n'était pas logique, ses deux parents travaillaient là, dès que son maitre aurait finit ses achats, ils allaient partir et elle pourrait regagner l'armurerie sans déranger personne. Par les temps qui court, envoyer une petite fille vagabonder toute seule dans la rue... il y avait forcément un message caché. On lui avait déjà dit que certaines invocations parlaient en énigme ou faisaient des alexandrins, il devait être de ceux là, c'est alors qu'elle comprit.

"Ha j'ai compris ! vous voulez faire un cache cache ! Oui il me faudra bien une heure pour aller me cacher loin de votre flair ! C'est parti !"

Toute excitée d'avoir trouvé un sympathique partenaire de jeu et résolu ce mystère, elle partie en courant, pleine d’innocence. Cependant si Wolf la flairait il pourrait sentir que pour l'instant elle était juste partie au bout de la rue, elle était curieuse avant d'aller se cacher pour de bon de voir la tête de son chanceux maitre, se disant que si c'était un client régulier qu'elle connaissait il pourrait peut être après le cache cache la laisser caresser le loup.

La petite continuait de reculer et cela plut a Wolf Rain. Il était rassuré de la voir s’éloigner toujours plus loin de son humain. Mais elle restait une jeune enfant joueuse et innocente... Aussi ne comprit-elle pas le véritable sens de son avertissement. Ce n’était qu'un jeu pour elle. Mais la réalité était toute autre.

Croyant a un cache cache elle se mit a courir dans la rue, et Wolf ne comptait surement pas l’empêcher de se mettre hors de vue de Ratigan.

" Ce n'est pas un jeu petite ! Que je ne te vois plus ! "

Wolf avait crié pour que l'enfant l'entende. Il n'en fallut pas plus pour que son humain ne sorte de l'armurerie avec un sac rempli de couteaux de chasse.

" Qu'est ce qu'il a le clébard ? Tu veux m'attirer des ennuis c'est ça !? Je vais t'apprendre a me désobéir... Je t'avais dis de la fermer sale cabot. Et d'ailleurs... qui doit disparaître de ta vue hein? "

Il offrit un rire carnassier a Wolf, un poing menaçant au dessus de son crane, tandis que l'armurier, a qui il tournait le dos, leur offrit un sourire et un au revoir amical depuis le pas de sa boutique. Il ne pouvait pas voir la menace dans les yeux de Ratigan...

Wolf Rain se tassa et baissa les oreilles, il baissa la partie antérieure de son corps en signe de soumission comme il avait appris a le faire pour éviter le plus gros des coups. Cela le rendait fou de honte mais il n'en pouvait plus d’être frappé sans cesse. Son humain était immense mais Wolf n’était pas en reste. Et avoir le pouvoir de soumettre une créature si massive rendait son humain fou de joie et de puissance.

" Réponds moi immédiatement! A qui parlais-tu ? "

Wolf Rain était oblige de répondre a un ordre direct, aussi dut-il dire la vérité, mais a sa façon.

" A un citoyen qui pouvait perturber vos achats dans la boutique. Il comptait rentrer en courant. Je sais que cela vous aurait gêné. Je ne tenais pas a me faire réprimander."

Ratigan parut satisfait de la réponse bien que quelque peu surpris, pour une fois que ce satane chien d'eau lui obéissait correctement. Avait-il enfin compris qui était le maître ici? S’était-il soumis a sa volonté? L'humain en douta fortement et resta méfiant vis a vie de l'invocation.

" Ce... citoyen? Est-il toujours dans ton champ de vision? "

Wolf obéit a son maître et observa la foule alentour. Il jouait sur les mots et se contenta de regarder par delà Ratigan, de l'autre cote de la rue, a l'exacte oppose de la fuite de la petite fille.

" Non maître, ce citoyen a disparu de ma vue "

La réponse convint a l'homme hargneux et il se mit en route, malheureusement en direction de la jeune fille. Il s’était engagé dans la rue et Wolf, pouvant la pister non seulement a l'odeur mais aussi a son souvenir, la reconnue tout de suite, a moitie cachée par un angle de bâtiment, entrain de guetter le loup de brume et son invocateur. Il pria tous les Dieux pour quelle ne se manifeste pas tandis que tous deux passeraient bientôt devant sa médiocre cachette. Son Maître affichait un sourire faussement poli et trompeur en public pour ne jamais être soupçonné de quoi que ce soit, tandis que l'invocation, angoissée, tournait ostensiblement la tete du cote opposé a l'enfant, évitant volontairement de la regarder.

Ariez n'en revenait pas. Cachée à l'angle de la rue, elle avait pu tout voir des gestes menaçant du maitre à l'invocation, les oreilles rabattu et tous les signes de soumission de Wolf Rain. Comme le chien du voisin quand il ne voulait pas se faire frapper. Il ne s'agissait pas d'un cache cache avec le loup alors, il voulait simplement que la jeune fille n'ait pas affaire à son maitre peut être de peur qu'elle ne se fasse engueuler elle aussi. Elle ne pouvait rien entendre de leur conversation de là ou elle était, sans quoi le langage grossier de ce monsieur lui aurait encore plus mis la puce à l'oreille.

Ils avancèrent dans sa direction, peut être que le loup avait été obligé de la dénoncer. Elle eu un hoquet de peur mais resta cachée, ses jambes tremblaient mais elle n'émit pas un bruit et pas un mouvement tandis qu'elle observa, cachée comme le pouvait, l'invocation et son maitre qui passaient à coté d'elle.

C'était étrange, maintenant qu'il était si proche elle n'aurait jamais pu dire que cet personne puisse être un méchant homme. Elle se rappela tout de suite sa mésaventure de tout à l'heure, les apparences ne font pas tout. Elle avait bien cru qu'une personne désavantagée physiquement était méchante, ce chasseur qui était propre sur lui pouvait de ce fait très bien être un méchant homme. En tout cas il était suffisamment abominable pour dresser son invocation comme un chien.

Curieuse d'en savoir plus, elle prit la décision de les suivre discrètement afin de tirer cette affaire au clair. Une fois qu'ils furent assez loin, elle sortit de sa cachette et regarda la direction qu'ils avaient pris, elle pu apercevoir le bout de la queue de wolf juste avant qu'il ne disparaisse à l'angle d'une rue et se lança discrètement à leur poursuite. Heureusement que les rues étaient assez bondés, sans quoi un chasseur n'aurait sans doute pas eu de mal à constater qu'il était suivi. Elle ne savait pas si l’ouïe de Wolf était aussi bonne ou meilleur que celle des chiens, qu'importe, elle parla suffisamment peu fort pour ne pas être entendu de trop loin par un humain dans le brouhaha ambiant :

"Je me cacherais, je veux t'aider."

Wolf Rain remercia les Dieux d'avoir caché la petite. Elle ne s’était pas montrée et pour qui ignorait qu'elle se trouvait-ici il était improbable de se retourner exactement sur elle dans la ruelle. Aussi son maître continua son chemin pour se rendre jusque dans le magasin suivant, car il avait aussi besoin de peaux de bêtes pour entretenir ses lames. Les siennes étaient maculées de sang et l'odeur devenait insoutenable même pour un monstre comme Ratigan qui raffolait des souvenirs de ses carnages. Il ignorait que Wolf pouvait imprégner le tissu de brume, décrocher la saleté et la faire s’évaporer ensuite... Et l'invocation ne tenait pas plus que cela a devoir nettoyer les ustensiles de torture ou même les caleçons de cet homme. Ce serait une corvée de plus pour lui que de s'occuper de sa lessive bien qu'il se lava peu souvent...

Ils tournèrent a l'angle de la rue a droite, et évoluèrent dans une autre ruelle toute aussi bondée en cette belle journée ensoleillée. Une dame a l'immense panier de fleurs fraîches passa a cote d'eux et Ratigan ne put retenir un regard lubrique en sa direction.

" Les fleuristes sont intéressantes vois-tu. En ça quelles font partis du peuple puant mais que les fleurs les parfument délicatement."

Et il se mit a rire en agitant la main devant son visage comme une arabesque, imaginant des choses auxquelles Wolf ne voulait accorder aucun crédit.

Malheureusement, notre loup de brume dans son infinie sincérité habituelle, se figea quelques petites secondes en entendant ce qu'il lui sembla-t-être la voix de l'enfant. Il tourna légèrement la tete sur sa gauche par réflexe, comme pour regarder en arrière, et tenta de poursuivre son chemin. Mais il était trop tard, son maître l'avait vu. Il l'observait maintenant en plissant des yeux, d'un air parfaitement méfiant. Wolf se mit a craindre le pire.

" Qu'est ce que tu as loup puant ? Crache le morceau!"

Wolf ne souhaitant pas avouer sa rencontre avec l'enfant, et le fait d'avoir entendu sa voix juste derrière eux si naïve et tristement jeune, il interpréta cet ordre au pied de la lettre et se força a vomir la dernière chose que l'homme l'avait oblige a avaler. Soit un organe humain... Bien que la pitance fut en partie digérée, Ratigan savait que Wolf préférait tout gober d'un coup pour ne pas avoir a mâcher et en supporter le gout. Il eu une peur panique que les reins de sa dernière victime ne ressortent dans leur état quasi intacte. Il se mit a paniquer et commença a réprimander violemment le loup, le traitant d’imbécile et d'abruti congénital a toujours tout interpréter au pied de la lettre.

" Qui m'a collé une invocation aussi stupide ! Faut-il être bête pour entendre mes ordres de façon toujours aussi ridiculement ratée ! Tu ne sers a rien sale cabot ignare! "

Il ôta de sa poche avant droite un gourdin de cuir avec lequel il frappait toujours Wolf. Sa main se leva et il commença a frapper le loup de brume en l'insultant de plus belle. Les coups martelaient sa tete a une cadence ridiculement régulière tandis que l'invocation se retrouvait a terre a ne rien pouvoir dire ou faire. C’était ce qu'il avait recherché afin de ne pas parler de l'enfant. Mais le prix était cher payé. Il souffrait atrocement et aurait aimé mourir une fois de plus aujourd'hui. Disparaître de ce monde et se fondre dans les pavés glacés du sol de Luh pour se faire oublier a jamais.

" Je t'interdis de régurgiter ton dernier repas abruti de sous créature, sale pisse froid de chiot de flotte bon a rien et attardé! "

Et les coups continueraient de pleuvoir tant que la rage de Ratigan ne se serait pas calmée...

Que fallait-il faire ? Ariez tremblait de peur dans sa cachette à chaque coup qu'elle entendait. Cet homme qui avait l'air respectable était en fait un monstre ! Il s'acharnait sur cette pauvre bête, qui lui était de toute façon liée dans un pacte de servitude qu'Ariez était encore un peu jeune pour pleinement comprendre. Il ne pouvait pas se défendre.

Elle avait compris ce qu'il s'était passé, elle l'avait vu se figer quelques secondes juste après qu'elle ait parlé, et c'est ça qui avait déclenché la colère de son maitre, il n'avait pas voulu dire ce qu'il avait entendu, et avait fait exprès de mal comprendre son ordre. Elle en était sûre, il avait voulu la protéger contre son maitre. Mais ce qu'il avait fait était très grave, Ariez était encore jeune mais elle savait que pour une invocation mal interpréter des ordres en jouant sur les mots était une provocation envers les Dieux. Etait-elle en train de mettre cette invocation dans une situation délicate, vis à vis de la colère des Dieux, et vis à vis de son maitre ?

*Monsieur l'invocation fait ça pour moi... il endure ça pour moi...je dois faire que ça s’arrête !!*

Mais comment ? Elle n'avait que 10 ans et a priori qu'un homme batte une invocation en pleine rue ça ne faisait ni chaud ni froid au reste du monde, toute la ville sauf elle lui paraissait insensible à la souffrance de cette bête. Elle sécha les larmes de dégout envers sa propre race qui naissait aux coins de ses yeux, et décida d'agir. La rue était bondée, il y avait du passage, comme cette jolie fleuriste. La foule la protègerait. Il y a surement quelqu'un qui réagirait si c'est une enfant innocente qui se faisait battre.

Oui, elle était décidée, elle allait agir, elle sortit de sa cachette et couru à la rencontre de l'énergumène, elle feignit d'être essoufflée comme ci cela faisait longtemps qu'elle lui courait après.

"Monsieur !!!" Elle fit semblant de reprendre son souffle et n'accorda pas un regard à Wolf Rain, il ne fallait pas se trahir, elle voulait juste faire cesser les coups, elle n'avait pas vraiment pensé à la suite du plan. "Je suis la fille du forgeron, je vous ai enfin rattrapé !"
Son regard glissa légèrement vers Wolf Rain, son jeu de comédienne n'était pas parfait mais elle faisait de son mieux, et elle disait la vérité pour le moment donc c'était plus facile. Un indice très net indiqua la véracité de son histoire : ses yeux émeraude étaient les mêmes que ceux du forgeron.

"Il y a une erreur sur la note il ne vous a pas rendu toute la monnaie."

C'est la que le mensonge commençait, elle trembla légèrement et fouilla dans ses poches pour en sortir ce qu'elle trouva, une pièce de 10 Tsuris

"Tenez. Nous nous excusons pour le désagrément."

Elle s'approcha légèrement en lui tendant la pièce. On avait rarement vue une enfant si courageuse.

Wolf Rain cru devenir fou. Il vit l'enfant se jeter juste devant son maître et entamer une discussion. Il se tétanisa et la dévisagea en priant pour qu'elle disparaisse. Il n'en pouvait plus de cette violence et de son humain. Il ne voulait plus lui obéir, et encore moins faire du mal a une nouvelle enfant. Mais il savait que cet homme aimait les jeunes femmes a l'air pur et innocent. Il aimait les souiller et leur ouvrir les yeux sur la laideur du monde. Il disait ainsi les rendre matures en quelques heures. Mais puisqu'il était impossible de les relâcher ensuite il finissait toujours par les tuer.

Ne valait-il pas mieux les tuer d'ailleurs? Plutôt que de les laisser a vie avec des séquelles physiques et psychologiques irréparables ? C’était peut être la le seul point de charité de ce monstre au visage humain.

Pour l'instant cette enfant si douce aux yeux d’émeraude magnifiques se mettait littéralement dans la gueule du loup. Pourquoi avait-elle fait cela? Elle avait forcement assisté a la baston... comment pouvait-elle avoir le courage d'affronter Ratigan ? Ou peut-être était-ce de l'inconscience ? Si l'enfant s’était interposée volontairement pour que cessent les coups Wolf Rain n'en serait que plus sidéré, tandis qu'aucun autre adulte dans cette rue n'avait osé bouger le petit doigt. Avaient-ils seulement remarqué la scène tandis qu'ils étaient obnubilés par leur propre petite vie?

En attendant, l'effet fut immédiat. Ratigan stoppa son bras en l'air, en plein élan, et se retourna très lentement vers la jeune fille. Son bras toujours levé il la regardait de trois quart dos, sa tete se dégageant sous l'arche puante que formait son aisselle.

" Ah oui vraiment? Une erreur ? Il me semblait pourtant avoir fait les comptes avec minutie et négocié si âprement avec ton prétendu papa qu'il a refusé de me vendre sa marchandise au premier abord... "

Loin s'en faut Ratigan était loin d’être un imbécile. Et il était tout aussi pingre et avare qu'il était cruel... Il savait pertinemment que la petite mentait. Ou que son père avait fait lui une erreur. Mais lui n'en faisait pas.

Wolf Rain ne s'était pas fourvoyé, cette enfant de 10 ans était bien intervenue dans le seul but de faire cesser les coups sur sa personne. Là ou tous les adultes détournaient les yeux, car après tout pourquoi se soucier du sort d'un esclave, qui plus est un esclave immortel qui a sans doute bien mérité son sort ? Mais Ariez malgré son jeune age avait déjà la prétention de vouloir faire cesser les injustices mais elle avait aussi compris que le maitre de Wolf était quelqu'un de dangereux. Elle était une jeune fille, avec trois sœurs. Elle était bien au courant d'être une proie pour beaucoup d'homme adulte tordu, sa mère lui avait toujours dit d'être extrêmement méfiante. L'homme était qui plus est rusé car il détecta immédiatement le mensonge. Évidemment même si Ariez était courageuse elle était loin de se douter du danger immense que représenté cet individu. Si elle avait su de quoi il était capable elle n'aurait probablement jamais suivi ce loup dans cette ruelle.

"Vous avez raison j'ai menti."

Elle rangea la pièce en avalant sa salive difficilement, espérant cacher un nouveau mensonge en commençant par cette vérité. En tout cas les coups avaient cessé, c'était déjà ça, elle ne s'approcha pas plus elle restait aux aguets.

"A vrai dire c'est la première fois que je vois une invocation aussi majestueuse, j'espérais en vérité que vous m'autoriseriez à lui caresser la tête ? J'ai demandé l'autorisation à mon papa avant de quitter la boutique et il m'a dit qu'il était d'accord à conditions que je ne vous pose pas de problème. Je suis vraiment désolée de vous avoir importuné."

Elle espérait qu'en faisant croire que son père savait avec qui elle était cela le dissuaderait de tenter quoi que ce soit pour s'éviter tout soupçon. Surtout qu'il devait avoir écrit son nom sur le reçu afin d'assurer les suivis de commande et que l'armurier était donc en possession de son identité, à condition bien sur qu'il ait donné la vrai...

"Vous aviez besoin de corriger son comportement, je comprends comme tous les chiens il faut sans doute le dresser, mais je n'aime pas le sang je me suis dit que s'il y en avait sur son pelage je ne pourrais plus le caresser, alors... "

Au fur et à mesure Ariez baissa les yeux en se tordant les doigts, pour essayer de simuler un sentiment de timidité et de gène, et peut être l'amadouer, alors qu'au fond elle avait juste peur que l'homme se fâche sur elle ou la ramène chez son père en lui disant que sa fille suivait les clients dans la rue pour les importuner.