Le lieutenant Spencer fronça les sourcils à l'arrivée de deux femmes dans son bureau. Son regard sévère étudia leur attirail et leurs traits. Elles n'avaient pas l'air… commodes. Aussitôt la raison de leur venue annoncée, elle quitta son siège pour ouvrir un tiroir dans le fond de la pièce. Le dossier saisi fut brièvement consulté. Son timbre légèrement rauque s'éleva :

« Nom et métier je vous prie. »

Elle nota la réponse sur un coin de l'affiche glissée parmi les documents. Une énième mercenaire et une milicienne souhaitant probablement arrondir ses fins de mois. À cette dernière la garde adressa un signe de tête respectueux. La traque semblait bien engagée avec de tels profils. Mieux valait vérifier. Lectra mit les deux postulantes en garde sur la dangerosité de la mission, s'assurant de la présence d'objets magiques dans leurs besaces. Elle rappela également la responsabilité qui leur incombait, de ne pas entraver une enquête officielle, et d'assumer les conséquences de leurs actes.

Le visage toujours sérieux, la soldate les invita à prendre place sur les deux sièges qui lui faisaient face. Si elles le souhaitaient. Les déclarations d'invocations furent demandées mais aucune n'en possédait. Son collègue s'en accommoderait certainement avec plaisir malgré le défaut de puissance occasionnée. Elle expliqua ensuite ne pas avoir les dernières informations concernant l'investigation. Un manque dû à la présence directe du garde Hakon sur le terrain, qui les rejoindrait dans la cité de Trare et conduirait la mission.

« Concernant la prime, sa valeur dépendra de l'issue de l'opération. Si vous rapportez des informations sur notre cible, selon leur quantité et leur qualité, vous empocherez entre mille et deux mille tsuris. Si vous parvenez à la débusquer, la récompense augmentera. Trois mille tsuris pour son cadavre, quatre mille si vous le ramenez en vie. La somme sera rétribuée par tête. »

Une information souvent capitale aux yeux des postulants. En retour, il lui en fallait une toute aussi importante :

« Quand et comment comptez-vous vous rendre à Trare ? »

Son regard droit valsa d'un visage à l'autre, attendant manifestement une réponse précise.

La milicienne n'avait rien à dire de plus et se contenta de suivre la sauvage d'un air bougon. Elle allait la laisser se démerder avec la jungle des quartiers riches mais surtout avec leurs gardiens, les terribles gardes dorés. Connus pour n'être que des deuxièmes ou troisièmes fils et filles de nobles qui n'hériteraient jamais et dont la frustration n'avait d'égale que leur inaptitude au combat. Pour ainsi dire, ils crachaient leur venin sur les gens d'en bas et Eskel ne les aimait guère. Il y avait comme une légère guerre d'égo entre la Milice populaire et la Garde Dorée au cul béni par l'argent et la bonne naissance. Car un pégu ne pouvait pas espérer devenir un soldat d'or sans être passé par la Milice avant. Elle se retint de cracher aux pieds du garde que la sauvageonne avait abordé. Elle lui lança cependant un regard glacial. Qu'importe son grade dans la garde, elle savait qu'elle ne ferait qu'une bouchée de lui en combat.

Fort bien peu de bonne humeur, la milicienne suivit le garde et la nordienne d'un pas lourd et peu avenant. La colère lui tiraillait les tripes à chaque fois qu'elle mettait un pas dans ces quartiers de cul dorés. Elle n'aimait pas la noblesse qui léchait ardemment les bottes du Prince pour conserver leurs privilèges au détriment de la basse population. qui elle ne faisait rien pour remédier à leur sort, trop heureux d'être des esclaves libres. Tout ce beau petit monde avait besoin d'une bonne claque dans la figure pour se réveiller mais surtout d'une reine qui saurait les diriger.
Leur périple dans les beaux quartier les menèrent au quartier général de la garde dorée. Eskel haussa les épaules, elle connaissait le chemin de cet endroit. Il n'était pas rare que des réunions se tiennent ici et au vu de son grade, elle y était parfois conviée.

Le visage de la jeune femme qui les accueillit ne lui disait rien. Sûrement une nouvelle recrue qui montait déjà sur ses grands chevaux au vu du ton qu'elle employait pour leur parler. Mais la milicienne aux cheveux de feu était presque sûre que cette jeune pucelle n'avait jamais fait face à une vraie bataille. Même la sauvageonne avait plus de tripes et de hargne, elle pouvait la bouffer, à tout moment. Un léger sourire s'esquissa sur le visage de la milicienne qui avait croisé les bras sur sa poitrine, n'affichant aucun respect pour le grade de cette pucelle. Les prenait-elle pour des amatrices ? Eskel balaya sa rancune d'une main et prit place sur le siège, écoutant d'une demi-oreille ce qu'elle avait à dire.

"Le plus tôt possible" annonça la milicienne, "une caravane marchande est sur le départ et prendra la route demain." sa voix était froide, cassante, emplie d'une certaine haine à l'égard de la garde dorée. De toute manière, elles ne pourraient pas quitter la ville sans s'être équipé d'objets magiques. Et bien entendu, la Milice était bien trop radine pour leurs en mettre à disposition. La garde dorée aussi visiblement puisqu'ils avaient besoin de faire appel à de tierce personnes pour gérer leurs affaires de criminalité. Des bons à rien.

L'une s'installa, l'autre resta debout, sans échanger un seul regard. Le manque de respect de la milicienne ne l'étonna même pas. Ils ne produisaient pas les meilleurs spécimens en matière de discipline. Pas de temps à perdre avec les imbéciles de son genre. La seconde rousse lui parut presque sympathique en comparaison. Mais ça n'avait pas d'importance, puisque la surveillance et la coopération échouaient à son collègue. Elle, réglait seulement la question administrative.

« Bien. Veuillez patienter un instant. »

La garde Spencer quitta la pièce sans fermer la porte. Dossier en main, elle frappa à celle quasiment en face.

« Capitaine ? »

L'autorisation d'entrée l'accueillit sans atteindre précisément l'ouïe des deux guerrières. Pareil pour l'échange qui suivit avec sa supérieure, dont l'ombre se dessinait à travers l'embrasure de la porte du bureau. Elle revint quelques minutes plus tard. 

« Le garde Hakon vous attendra donc demain matin à l'entrée du village. Si un imprévu vous retardant survient, rendez-vous à la garnison. »

Puis elle les laissa disposer, jugeant que toutes les informations avaient été données. Le lot de femmes présentes ne contenant aucune bavarde, l'affaire fut ainsi entendue.