Serindë avait observé la scène avec un certain détachement, comme si elle était hors du temps. Quelque part, dans son coeur, un sentiment de peine avait fleuri pour la jeune femme blonde. Elle n’était pas au fait des coutumes et des codes sociaux humains mais elle ressentait pleinement la déception, la peine et la colère que la Garde Dorée tentait de dissimuler. Elle avait lu sur son visage tout ce que sa bouche ne disait pas.

Elle ne comprenait d’ailleurs pas vraiment cette volonté qu’elle avait de ne rien dire. La Brodeuse des Forêts savait qu’il valait mieux parler, discuter, dire ce qu’on a sur le coeur pour que ça aille mieux. Mais pour une raison qu’elle ne saisissait pas, la guerrière avait décidé de se taire et de s’éloigner d’eux. Elle sellait déjà les lézards bipèdes avec application et un rien d’empressement, visiblement pressée de partir.
Sur ce point, la demi-déesse ne pouvait qu’être d’accord : le Temple et ses environs étaient lourds de souvenirs pénibles et douloureux, et elle aussi souhaitait s’éloigner.

C’est pourquoi elle ne dit mot à la proposition de son Invocateur et n’insista pas pour rester. Si Minarîa souhaitait rester, parfait, elle serait sans doute suffisamment forte pour aider ce fameux Luis à rentrer à Lüh. Elle ne se préoccupait pas vraiment du sort de cet inconnu à vrai dire, son coeur à peine renaissant ne pouvait s’occuper de tout le monde. Simon et ses compagnons lui causaient déjà assez de soucis et d’inquiétude comme ça, sans qu’en plus elle en rajoute.

Retournant à son point d’observation, elle contempla la nature que les Quatre avaient recréer se fondre dans la nuit et elle se sentit de suite apaisée. Au final, peu lui importaient les questionnements humains tant que son Invocateur restait en bonne santé et lui permettait de voir, un jour de plus, la beauté de la création de ses Pères.
Croisant les mains sur son giron, elle resta là, au bord du vide, à observer, émerveillée et toujours hors du temps humain qui se déroulait derrière elle.

Oblivion soupira à la réaction de Simon, ainsi qu’à celle de Wazzi. Mais force était de constater qu’elle avait désormais la même envie que son Invocation : partir d’ici le plus vite et ne pas y revenir avant un moment.

Inspirant profondément, elle se tourna à demi vers les autres membres du groupe tout en terminant d’apprêter la seconde monture. Opinant du chef pour la question du panda roux, elle opina en assentiment et lâcha d’un ton froid et rigoureux, le même ton qu’elle employait quand elle était en service ou qu’elle cherchait à dissimuler ses véritables sentiments :

“Wazzi a raison. Le soleil est bientôt bas dans le ciel, le temps s’écoule et Luis ne sort toujours pas. J’aimerais d’autant plus éviter d’avoir à recroiser cet escroc de Rod sinon je jure que je ne vais pas résister à l’envie de lui mettre mon poing dans la figure et je pourrais dire adieu à ma carrière. Donc si on pouvait être prêts à partir d’ici trente secondes… Ca m’arrangerait beaucoup.”

Puis elle se tourna de nouveau vers le variquan tout en vérifiant ses réglages. Une fois cela fait, elle s’employa à aller récupérer son sac et ses affaires posées non loin pour les sangler sur la selle de son lézard d’emprunt.
Saisissant ensuite les rennes, elle avisa Simon qui semblait être le seul autre décideur apte à ne pas être d’accord avec l’option d’un départ anticipé et attendit, l’attitude raide et inflexible.

Elle n’accorda pas un regard au petit panda roux, plus pour s’éviter d’être trop méchante envers elle dans ses reproches, que parce qu’elle boudait et resta concentrée sur son nouvel objectif de convaincre Simon. Elle se refusait cependant à supplier. Elle ne l’avait jamais fait, elle n’allait pas commencer maintenant. S’il préférait rester en arrière, elle ne l’en empêcherait pas mais ne resterait pas non plus. Il se débrouillerait tout seul pour rentrer à la capitale. Pour un combattant tel que lui cela ne devrait sans doute pas poser le moindre problème… Tant qu’aucun monstre ne croisait sa route.

Les explications avec son Invocation viendraient, plus tard. Enfin. Elle allait déjà tenir sa promesse de la laisser faire ce qu’elle voulait. Et peut-être dans quelques temps, elle l’emmènerait avec elle. Malgré ce petit incident, il était hors de question qu’elle rompe sa promesse.
Mais il faudrait qu’elle trouve les bons mots pour convaincre Wazzi de modérer ses humeurs… Surtout en présence de hauts gradés de la Garde, aussi insupportables que Rob fussent-ils. Elle comprenait la difficulté de l’exercice, c’était une épreuve pour elle à chaque fois, mais il faudrait bien qu’elles y parviennent toutes les deux… Pendant encore un petit moment du moins.