C’est avec une certaine bienveillance que Galifey considère toute chose ; car toute chose a été crée par les Quatre, et qu’il a pour rôle originel de les protéger et de veiller à leur bien-être.
Il est pourtant notable que depuis la Punition Divine et son emprisonnement, son attitude est plus réservée vis-à-vis du Nouveau Monde.

Il semble ne pouvoir s’empêcher de nourrir une sincère amertume face à l’Apocalypse de l’Ancien Monde, mais il n’en tient pas rigueur aux humains des Quatre : ils ne sont pas les mêmes créatures que celles des Invocations et, il en est persuadé, eux ne pourront pas amener la destruction à la même échelle que leurs prédécesseurs. Il les considère à vrai dire à la façon dont les humains interagissent avec des chiots : ils sont mignons, un peu bêtes et un peu faibles, mais, bien éduqués, ils sont une compagnie relativement distrayante et n’ont rien de dangereux.
Ce qu’il a par ailleurs toujours préféré chez ces êtres, ce sont leurs capacités exceptionnelles à communiquer. La diversité et la complexité de leurs langages, articulés comme gestuels, fascinent le Demi-Dieu dont le rôle était autrefois d’assurer et d'aider les créatures à développer et perfectionner les communications inter et intra-espèces. Il est de fait fin psychologue et décèle sans mal le malaise ou l’imminence d’une traîtrise chez son interlocuteur, ou plus communément sa joie et sa tristesse -nuances que toutes les Invocations ne sont pas toujours capables de discerner.

Du fait de cette expérience millénaire de toute sorte de langages, animal comme humain, Le Demi-Dieu possède des cordes vocales incroyablement développées, qui lui permettent d’imiter le plus timide des piaillements de Sifflet comme le plus féroce rugissement d’un Croc-Rouge. Il se souvient encore de la langue morte qu’est l’anglais, ainsi que de certaines autres qui caractérisaient quelques peuples de l’Ancien Monde -mais avec bien moins de précision et de justesse.
Il est en conséquence particulièrement amoureux de la musique et des chants, discipline qu’il apprend volontiers des humains et dont, à son sens, il ne finira jamais réellement de faire le tour.

Paradoxalement, Galifey n’est malgré son rôle dans l’Ancien Monde pas aussi bavard qu'on pourrait l’imaginer. Son expression est avant tout corporelle, et il aura même tendance à se révéler mutique face aux nouvelles personnalités qu’il rencontre ; pour, petit à petit, s’ouvrir verbalement. Le silence est d’ailleurs somme toute relatif, puisqu’il n’est pas rare qu’il chantonne des airs d’une voix terriblement changeante : alternativement femme, suave, homme, cassée… Toutefois, lorsqu’il ne chante pas, sa préférence va à une voix grave, lisse et profonde : la stabilité procure un certain repos pour des cordes vocales sans cesse quémandées.
Son mutisme est d'ailleurs un processus qu’il exerce plus par curiosité de découvrir autrui par leurs réactions que par une quelconque forme de timidité.

Ses rêves, pour ainsi dire, Galifey n'en a plus. Plutôt, il a perdu l'espoir de voir réalisé celui qui veille dans son esprit, à la façon d'une luciole : la liberté, totale, dans un monde où les Quatre auraient pardonnés à tous leurs enfants. Hélas, en l'absence d'optimisme quant à cette réalisation, sa peur se révèle finalement en être l'opposé : la crainte irrépressible que jamais les Dieux ne les pardonnent.

S’il serait en finalité un dernier point à soulever, ce serait l’affection inconditionnelle que Galifey porte à tous ses Frères et à toutes ses Sœurs. Qu’il ne les connaisse pas tous personnellement ne change rien : il les accueille invariablement par une complicité familière étonnante, parfois perturbante, pour ces derniers -qui ne partagent pas toujours son point de vue à ce sujet. Il serait prêt à bien des choses pour eux ; La Guerre de Rébellion fut en ce sens une véritable déchirure pour l’Invocation qui fut forcée de blesser les Fils et les Filles d’Aqua.

Malgré ses couleurs chatoyantes, non sans rappeler le dégradé à peine plus pâle du ciel au crépuscule, l’Invocation d’Aer est difficilement confondue avec un Fils d’Ignis : les éclairs qui crépitent silencieusement autour de lui, d'une façon qui ne saurait blesser qui que ce soit, sont sans aucun doute fruits du Dieu des Airs. D'autre part, de sa silhouette de griffon se détachent deux paires d’ailes élancées, une paire plus petite que l'autre, dont il peut user séparément pour voltiger habilement dans le ciel ou ensembles afin de mieux se laisser porter par les vents ascendants. Sa queue, constituée de longues plumes noires parcourues de lignes et de symboles rouge vif, lui fait office de gouvernail lors de ses manœuvres aériennes et de balance sur la terre ferme -à la façon des rectrices chez les oiseaux. Quant à ses pattes, elles sont semblables à celles des félins : rugueuses au toucher, sombres quoi que dorées sous les coussinets, et bien entendu dotées de griffes capables de réduire en charpie les ennemis dont il devrait se défendre.

Son pelage abondant et duveteux se révèle être un mélange unique de plumes et d'une épaisse fourrure : le tout est teinté de noir sur la queue et les ailes, d’un orange sanguin sur tout le corps et, enfin, d’un jaune chaleureux sur la crinière qui encercle son cou et sa tête anguleuse.
Ses yeux aux iris écarlates ont les pupilles aiguisées et scrutatrices, parfois intimidantes pour ceux qu’ils toisent de son regard. Il n’a pourtant pas le faciès effrayant : sur son bec pointu et courbé semble se dessiner un sourire naturel qui, couplé à ses mouvements lestes et à son attitude nonchalante, lui donne l’aura bienveillante.

Sous forme humaine, il aura tendance à imiter celle de son second Maître : un fermier de taille moyenne, un peu pataud et aux muscles noueux ; à la barbe et aux cheveux blonds comme le blé et au sourire familier et malicieux ; les yeux noirs et la peau hâlée par les heures passées sous un soleil de plomb. Ainsi que, lorsqu'il le peut, un brin de paille glissée dans la bouche, et dans l'idéal habillé d'une amure en cuir ainsi que d'une arme et d'un bouclier. En somme, un homme lambda qui passe volontiers inaperçu dans la foule.
Cependant, si les circonstances l’exigent, il n’aura aucun mal à adopter une autre apparence humaine -néanmoins toujours calquée sur une personne qu’il aura déjà aperçue.

Au commencement, l’Ancien Monde était une perfection qu’il était bien difficile d’affiner.
Galifey prétendra qu’il était parmi les premiers Demi-Dieux créés ; de ceux pour lesquels les Quatre  étaient encore prêt à coopérer et à expérimenter. C’est ainsi qu’il explique cette impression de dualité d’élément dans son apparence, même s’il est clair qu’en finalité il n’est le Fils que d’Aer, et qu’Ignis n’est en fin de compte que le peintre qui lui donna ses couleurs flamboyantes.

Son rôle dans ce Monde était limpide : il était chargé d’encourager les espèces à communiquer entre elles. En effet, en ce temps, elles cohabitaient dans un silence qui handicapait les créatures les plus mal placées dans la chaîne alimentaire. Les Dieux avaient pressenti le déséquilibre que la chose annonçait, et Galifey fut leur réponse au problème.
De mémoire de Demi-dieu, il n’eut jamais le temps de s’ennuyer. Il inculqua un langage à chaque chose, différent pour chacun, car tous n’étaient pas dotés des mêmes capacités articulées ou de la même intelligence. Il les chérissait indifféremment et prenait le temps de s’adapter à eux.
Quand il eut appris à tout herbivore comment communiquer pour survivre, par les cris comme par la gestuelle, il passa aux prédateurs afin qu’ils ne soient pas excessivement désavantagés. Tous avaient déjà acquis une forme de langage, primaire, mais c’est le Demi-Dieu de l’air qui se chargea de les aider à les développer et à se stabiliser universellement.

Il y avait tant à faire, malgré l'aide de ses Frères et Sœurs qui travaillaient avec lui sur cette facette de la vie, qu’il voyageait sans cesse, sur la terre ferme comme parmi les plus hauts monts -et même au sein des mers les plus profondes, dans la limite de ses capacités.
Fier de son travail, il ne cessa jamais ses efforts et s’appliqua jusqu’aux plus petits insectes. Il lui arrivait de cohabiter voire de coopérer avec ses Frères et Sœurs, car au-delà de ce rôle de communication, le Fils d’Aer aimait également s’assurer qu’aucune espèce ne prolifère et qu’aucune espèce ne disparaisse (bien que cela ne fusse pas le rôle que les Dieux lui avaient originellement attribué). L’équilibre devait être parfait, et il était parfois nécessaire de décimer des troupeaux pour les empêcher de renverser la balance. C’était une facette de cette tâche qu’il appréciait moins mais qu'il jugeait nécessaire. Quelqu'un devait bien s'en charger.

Alors, c’est sans grande surprise qu’il fut tardivement mis au courant du grand projet des Demi-dieux : la création de leur propre être, une chose tout à fait pittoresque qu’ils comptaient nommer Homme.
Galifey ne fut alarmé en aucune façon et se joint même à l’effort collectif, excité à l’idée de pouvoir poser sa pierre à l’édifice. Il offrit à l'Homme, en collaboration avec ses Frères et Sœurs, un potentiel infini pour le langage sous toutes ses formes.

Lorsque ces derniers naquirent finalement, le Fils d’Aer ne perdit pas de temps pour se mêler à eux et leur enseigner le langage. Ils étaient frêles, fragiles, et seul leur regroupement et leur capacité à travailler ensemble leur permettrait de survivre.
Puis, quand il jugea leur avoir enseigné ce qu’il fallait, l’immense griffon s’en alla et les laissa évoluer en paix.

Il fut tout autant exceptionnellement surpris de découvrir que les Hommes dépassèrent par la suite de très loin ses enseignements, qu’inquiet de constater le déséquilibre qui grandissait partout où ils se rendaient.
Ils avaient inventé de fabuleuses langues. Ils avaient inventé l’écriture. Ils chantaient, faisaient de la musique -une musique tout à fait différente de celle des oiseaux ou des criquets.
Mais ils se transformaient en parasites et dévoraient sans compter, et, surtout, sans rendre.

Aussi, Galifey commença une purge mortelle qui ne ravit pas tous ses Frères et Sœurs, dans cette mesure où beaucoup n’y voyaient encore que les prémices mignons et inoffensifs de leurs enfants. Et il pouvait effectivement sembler prématuré de s’attaquer à eux maintenant, mais là était la volonté du Fils d’Aer : aider à équilibrer les rapports entre chaque espèce. C’était probablement parce qu’il avait côtoyé longuement ses Frères et Sœurs dont c'était la tâche principale, qu’il le sentit venir avant certains.

Il ne comprit jamais pourquoi décimer des villages entiers d’humains ne suffit pas à embrayer leur prolifération.

La situation dégénéra à une vitesse effrayante. Les machines tout court, puis les machines de guerre. Les guerres entre eux. Les disparitions d’espèces entières malgré tous les efforts du Demi-dieu de l’air. Les forêts rasées. La magie dévorée goulûment.

Galifey se battit autant que possible avec les moyens qui lui restaient. Souvent, il infiltrait leurs bases afin de délivrer ses Frères et Sœurs prisonniers. Souvent, il participait aux affrontements terribles qui opposaient les Gardiens du Monde aux Destructeurs de celui-ci.
Cela ne servait à rien. Il en avait conscience, mais il persévérait, parce que c’était là le but originel que lui avaient confié Les Quatre, et qu’il ne cesserait que lorsqu’il s’éteindrait.

L’Apocalypse lui laissa un goût d’acide brûlant dans la gorge.
Il ne restait plus rien si ce n’était lui et les autres Demi-dieux.

Il ne resta bientôt plus rien si ce n’était lui et sa cellule.

Les premières centaines d’années, il les passa à reprocher alternativement les Quatre, ses Frères et Sœurs, et lui-même. Jusqu’à ce que la lassitude ait raison de lui.

Là, Galifey attendit, simplement. Que quelque chose se passe. Il dormit et rêva beaucoup du passé, pour ne pas devenir fou.

À la période de ce que les humains appellent aujourd’hui l’Ignorance, il rencontra le premier humain des Quatre. Il prétendait être le sacrifice de son village pour apaiser les forces maléfiques du Temple et empêcher que le malheur ne frappe sa famille et son entourage. Quelle drôle d'idée. Galifey tenta de lui expliquer la vérité ;  mais il ne fut pas entendu. L’humain s’obstinait, tremblotant, à lui implorer la clémence sur son village en échange de son sacrifice.
Il comprit que l'heure n'était pas venue d’être libéré de sa prison. Le Demi-dieu le tua puis le dévora.

C’est lors de la Reconquête qu’il fut finalement sorti de sa cellule pour la première fois. Par une jeune femme pleine d’idéaux et prête à donner sa vie pour repousser les occupants. Leur contrat fut court mais intense : elle mourut quelques mois plus tard sur le champ de bataille, au soulagement immense de l’Invocation, blessée dans son âme d’avoir été forcée de violenter ses Frères et Sœur d’Aqua. Cette période le poussa à refuser d’emblée tous les humains qui se présentèrent par la suite dans sa cellule. Tant que la guerre ne serait pas achevée, il refuserait de sentir de nouveau le vent glisser entre ses plumes.
Il préférait cela à se battre contre ses Frères et ses Sœurs.

Lorsqu’un paysan vint à son tour dans sa cellule, et lui annonça que la guerre était finie, alors seulement Galifey consentit à lui faire passer l’épreuve. Le jeune homme la réussit, et tous deux vécurent ensemble durant de nombreuses décennies pendant lesquelles la ville d’Aspéra finissait de voir le jour.
Son second Maître mourut âgé, lors de la prise de pouvoir de Sahen  -à cause de criminalité grandissante. Le Fils d’Aer fut chagriné de n’avoir pu le sauver du poignard qui s’enfonça dans son estomac tandis que le vieil homme refusait de donner sa bourse aux voleurs, mais il avait conscience que son humain avait de toute façon atteint la fin de sa vie. Retourné dans sa cellule, il espéra que ses enfants et que ses petits-enfants sauraient s’en sortir…

Et il attendit, de nouveau, d’être libéré.