L'épreuve de Sir Boyd

Décidément, ces derniers jours constituaient un véritable ascenseur émotionnel pour le jeune Lameblanche. Les réjouissances du festival, dans un premier temps, puis l'attaque de la procession, dans un second. Ses retrouvailles avec Nérée et sa rencontre avec Arianna. L'escorte du barde, et enfin la vision de Rorn dévastée. Incapable d'agir, de protéger, de réparer, le poids de la défaite alourdissait ses épaules avec le monde pour témoin, au moins.

C'était donc avec une joie des plus sincères que Valion s'apprêtait à retrouver Sir Arthur Boyd pour la journée, afin de l'accompagner jusqu'au Temple et, il l'espérait, chasser ses propres pensées noires. Le noble l'attendait déjà lorsqu'il arriva, alors que lui-même s'était assuré d'avoir de l'avance pour ne pas l'incommoder.

Le chemin se déroula heureusement sans encombre. Les deux hommes discutaient avec un naturel certain, qui n'était pas sans rappeler pour Valion la camaraderie entre soldats d'une même brigade, dénuée de barrière hiérarchique. Le village fut rapidement en vue, le temps lui ayant malicieusement filé entre les doigts au gré de leurs échanges. Le fils de forgeron releva la tête pour observer l'impressionnante muraille dressée entre les habitants et la faune hostile. Elle n'était bien sûr rien comparée à celle de Lüh, mais à l'échelle de Trare, la barrière de pierres faisait son effet. Sorti de sa contemplation par la question de son compagnon de route, il se tourna vers lui après un bref silence.

« Bien sûr. Je vous suis. »

Il acquiesça avec respect pour appuyer sa réponse. Lui-même précautionniste, il comprenait parfaitement le besoin de se recueillir. Il n'était pas aussi pratiquant que le chevalier, mais sa mère l'était, ainsi que sa petite cousine. Il avait également côtoyé plusieurs soldats très croyants, et s'étonnait toujours avec une curiosité admirative de la ferveur qu'ils témoignaient. Il se serait bien mis à prier aussi mais... la vérité était qu'il ne savait jamais quoi dire. Il ignorait comment s'adresser aux Quatre, ni même s'il en était tout simplement digne. Cette crainte tapie en son sein l'avait toujours un peu distancé des manifestations religieuses. Qu'en était-il à présent ?

« Votre famille est-elle aussi pieuse Arthur ? »

Sa dévotion faisait figure d'exception et Valion en était presque intimidé. S'il saisissait très bien les différents de degré de croyance qui s'animaient dans le quartier populaire, il était moins conscient du culte familial dans la caste noble.

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L'épreuve de Sir Boyd

Ainsi l'exception prenait le nom d'Arthur dans la famille Boyd. Aux yeux de Valion, tant de foi en un seul homme forçait l'admiration. Rares étaient ceux capables de se dévouer à leurs convictions ou leurs passions. Visiblement, même au sein de la noblesse, pourtant la plus à même à faire preuve d'excès, le zèle souffrait d'un manque de tolérance. Les humains les mieux lotis trouvaient le moyen de créer des dissensions, quand ils étaient censés se rassembler pour préserver leur patrimoine. Peut-être que cet objectif ne leur tenait pas plus à cœur que ça, contrairement à l'humble fils de forgeron qu'il était.

Arthur lui demandait une heure. Si le jeune homme envisageait également d'aller prier, il aurait sans doute le temps de faire un tour au village aussi. Imitant son compagnon de voyage, il attacha Safran à côté de la monture plus imposante. Valion grimaça légèrement. Son bras lui faisait encore un peu mal. Il avait opté pour les soins minimums, jugeant que cela lui servirait de leçon. Cette décision prise sur un coup de tête semblait encore plus stupide désormais. Tant pis, il ferait avec. Il savait supporter les blessures, même si les brûlures étaient un genre nouveau.

L'intonation surprise du colosse ramena immédiatement son attention sur la scène. Le dénommé Myrdwinn, dont il avait grandement entendu parler, et qui semblait posséder une place toute particulière dans le cœur du chevalier, se tenait non loin. Même sous forme humaine, il irradiait d'une aura de sagesse et de majesté qui ne laissait guère indifférent. Un peu en retrait, et moins affecté que le noble, Valion comprit plus rapidement la situation que ce dernier, notamment grâce à leurs conversations précédentes.

Sa sœur Morgane venait de lui couper l'herbe sous le pied en délivrant le demi-dieu tant convoité par la fratrie. Impuissant, le fils Lameblanche observa les deux Boyd engager une confrontation verbale. Il se sentait tellement désolé pour son compagnon, mais sentait bien qu'aucune réaction de sa part n'avait de place ici. À sa grande surprise, ce fut le demi-dieu sous les traits d'un homme mûr qui vint l'aborder. Les joues du jeune homme s'empourprèrent brièvement.

« Bien sûr, noble fils de Terra. C'est un réel plaisir de vous rencontrer. Arthur m'a longuement parlé de vous, et de votre rôle dans sa destinée. »

Il s'engagea aux côtés de la divinité, se promenant tranquillement le long des allées pavées de Trare. Les environs avaient retrouvé leur calme depuis l'apparition présumée de Zan, qui avait laissé un tas d'incertitudes et d'interrogations sur toutes les lèvres. Il eut un sourire en revoyant Arthur et Morgane dans leur échange animé. Cela faisait écho à sa propre relation avec sa sœur. Il n'était pas du genre à s'emporter, mais Danae avait le don de tirer habilement sur la moindre de ses cordes sensibles.

« Et donc... vous connaissez les Boyd depuis leur enfance ? Ce que mademoiselle Morgane a dit... est-ce vrai ? Peu vous importe lequel des deux serait amené à vous libérer ? »

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L'épreuve de Sir Boyd

Arthur, se montrer dithyrambique au sujet des Quatre et de leurs premiers nés ? Oh, à peine. Le jeune homme sourit discrètement. Il voulait croire que tous les demi-dieux avaient quelque chose d'exceptionnel. Mais il concédait de bon gré à son ami chevaleresque que certains l'étaient plus que d'autres. Après tout, et fort malheureusement, d'autres se trouvaient réduits à de bêtes travaux physiques, ce qui diminuait la perception exceptionnelle que l'on pouvait avoir d'eux.

Alors qu'il s'interrogeait sur l'avis de Mirdwynn sur ses pairs, la prestation de Morgane, brièvement évoquée, l'intrigua tout autant. Mais Valion demeura silencieux, sa curiosité n'était clairement pas prioritaire, et peut-être même malvenue. Et de toute façon, le sage divin s'affairait auprès d'un stand. Le jeune homme accepta le fruit, qu'il saisit délicatement.

« Je vous remercie, c'est très aimable. »

La route avait légèrement creusé son estomac, et cet en-cas était le bienvenu. Bien sûr, n'y voyant là qu'un objet d'alimentation, il fut surpris par l'interpellation du fils de Terra. Repoussant la dégustation, le fils de forgeron prit quelques secondes pour réfléchir, sans chercher où son interlocuteur voulait en venir.

« Je suppose que si elle est pourrie, la différence sera flagrante, oui. Mais si l'on est persuadé que cette pomme aura un goût divin, le goût jugé banal par tout un chacun, n'aura-t-il pas une meilleure saveur dans l'esprit du convaincu ? »

Puis Valion réalisa qu'il s'agissait d'Arthur, et de sa croyance, comme précédemment évoquée. Derrière les dires et la conviction du colosse, il avait du mal à percevoir Mirdwynn comme un enfant des Quatre parmi les autres, modestie ou non. Et pourtant, il croyait en la sagesse et les propres paroles de ce dernier. Les deux versions étaient-elles contradictoires pour autant ? Maintenant qu'il avait la situation précise en tête, il se projetait un peu mieux.

« Je crois que l'image qu'ont Arthur et Dame Morgane de vous a la même valeur exceptionnelle que si vous étiez le plus puissant ou le plus sage des enfants de Terra. »

Il finit par ajouter, songeant au sentiment d'amertume teintant le passage de l'imagination à la réalité.

« Il est vrai que nous nous connaissons depuis peu, mais je ne pense pas que Arthur puisse être déçu de vous. Je crois qu'il nourrit un objectif qui va désormais au-delà de sa foi en vous. Le seul qui pourrait le décevoir, c'est lui-même, s'il ne parvient à le mener à terme. »

Il eut un petit sourire admiratif pour le chevalier et sa noblesse d'âme, puis croqua un morceau de pomme.

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