Déferlante de rage, de haine et de frustration

Pourquoi avait-il fallu qu’elle lui colle quelqu’un d’autre dans les pattes ? Valion s’y prenait déjà très bien tout seul pour se mettre en travers de sa route, pas besoin de rajouter un autre boulet à sa patte. Pourquoi ne pouvait-elle pas se satisfaire de sa puissance ? A lui seul, il agissait comme une arme de destruction massive. Lui mettre un coéquipier dans les pattes ne ferait que le gêner. Enfin, encore faudrait-il que cette nouvelle invocation soit du genre à aimer le sang et les combats. D’ailleurs, quand Ezelya lui avait avoué qu’elle s’était rendue au temple de l’air, Nagah avait presque eu l’air heureux en s’imaginant qu’elle avait peut-être sorti Ruinn de sa cellule, son ancien compagnon de galère. Mais il déchanta instantanément en entendant un nom inconnu. Pru’ha... Drôle de nom, ça sonnait un peu comme un aliment que les humains mangeaient en accompagnement d’un plat à la bière. Des... prunus ? Non. Ah, des pruneaux ! Mouais, pas sûre que l’invocation apprécie la comparaison.

L’enthousiasme de l’espoir s’estompa rapidement et l’habituelle colère sourde qui grondait en lui refit surface. Durant la quasi-totalité du trajet, le silence s’imposa sans que Nagah ne cherche à relancer la conversation. Bien qu’il était plus qu’agacé, il n’en montrait pas le moindre signe. Il ne souriait pas à tout va mais il ne tirait pas la gueule non plus, il avait juste adopté une expression plus neutre et sans doute plus naturelle pour un être humain. Force était de constater qu’en ayant vécu plusieurs années aux côtés des humains dans l’Ancien Monde, il avait appris à maîtriser leur façon d’être, de s’habiller, de parler ainsi que tout le panel d’expressions dont ces derniers disposaient pour communiquer de façon verbale ou gestuelle. En ayant acquis les bases, il lui était donc très facile de se fondre dans la masse sans qu’on ne puisse le distinguer d’un humain lambda. Et contrairement à la dragonne que son invocatrice s’apprêtait à lui présenter, Nagah avait accumulé ce savoir non pas dans le but de le partager mais bien pour s’en servir contre les humains et les mener à leur propre perte.

- Un nom ? C’est la seule information que j’aurais à son sujet ? Ezelya avait sûrement parlé de lui à sa seconde invocation alors pourquoi n’aurait-il pas lui aussi droit à une brève présentation ? Il secoua la tête et crut bon d’ajouter une remarque pendant que son invocatrice cherchait les mots les plus justes pour décrire la fille d’Aer. C’est peu, tu ne trouves pas ? Il ne lui demandait pas de raconter son voyage avec la divinité de long en large, non. D’une, ça ne l’intéressait pas et de deux, il avait envie que cette présentation se fasse le plus rapidement possible. Il n’était pas pressé de rencontrer sa nouvelle coéquipière, non. Il voulait juste retourner vaquer à ses occupations au plus vite.

« Pru'ha n'est pas la plus... docile des Invocations. Nous avons eu un différent à sa sortie du Temple, et j'ai du lui ordonner de se retirer et de ne parler à aucun humain avant que je ne la rappelle. L'histoire est longue, mais pour faire court, je portais les couleurs de ma famille et elle ne trouvait rien de mieux à faire que de s'amuser à provoquer la loi. »

Merveilleux. Un paquet de nerfs doublé d’un QI d’huître en guise de seconde invocation. Ezelya avait fait fort sur ce coup. Enfin, c’est ce que la description laissait sous-entendre. Qu’est-ce que Pru’ha cherchait à faire en agissant ainsi ? Envoyer Ezelya derrière les barreaux ? Était-elle consciente qu’elle serait, elle aussi, victime de l’enfermement si son invocatrice était mise sous les verrous ? Rebelle ou purement stupide ? Le loup géant hésitait sur le terme à utiliser. Nagah laissa échapper un soupir en songeant à tout les ennuis que ce nouvel élément perturbateur allait leur apporter.

- Avant que tu ne l’appelles, j’aimerais juste te mettre en garde. Il marqua une pause avant de poursuivre. Mis à part quelques rares Demi-dieux, je voue une haine viscérale à l’égard de tous mes frères et sœurs divins. Déclara t-il, préférant être clair sur ce point. J’accepte de rencontrer Pru’ha... Mais tu dois connaître les risques que cela implique. Son regard se fixa sur Ezelya, ses yeux bleus intenses et froids lui rappelant qu’elle avait devant elle l’être sanguinaire qui se plaisait à combattre et à tuer sous ses ordres. Silencieux, il attendit que l’humaine achève de prendre ses propos en considération avant de regarder devant lui, signe qu’il était prêt à rencontrer la Demi-déesse.

Une dragonne. Ma foi, pourquoi pas. Elle pourrait toujours faire diversion ou - au contraire - causer de sévères dégâts sur les bateaux qu’ils pilleraient. Enfin, si c’était bien là le rôle qu’Ezelya avait prévu pour elle. Intrigué, Nagah pencha légèrement la tête en l’observant. Mais à qui pouvait-elle bien parler ? Allez savoir. Dans tous les cas, son cours d’histoire avait l’air d’une tonalité somnolente. Calme et attentif, il laissa Ezelya entamer les hostilités, restant légèrement en retrait pour observer leur échange. Il voulait voir si la réaction de Pru’ha allait confirmer ou non ses impressions.

« Oh ! Quel dommage... Ces pauvres fermiers resteront dans l'ignorance. »

Elle discutait avec des humains ? N’était-ce pas contraire à l’ordre qu’Ezelya lui avait donné ? Le regard de Nagah fila vers l’humaine dont il tâcha de capter l’attention. La Demi-déesse lui aurait donc désobéi ? Comment était-ce possible ? Le lien du pacte aurait normalement dû la forcer à s’éloigner de la civilisation durant le laps de temps fixé par l’invocatrice.

- On dirait qu’elle se fout un peu de toi là, non ? Finit-il par dire en gardant les yeux rivés vers l’humaine. Maintenant, il comprenait un peu mieux ce qu’Ezelya lui avait expliqué plus tôt.

Un peu, le mot était faible. Il ne remua pas davantage le couteau dans la plaie, préférant se concentrer sur la dragonne qui lui faisait face. Il n’avait pas la moindre envie de faire ami-ami avec elle et lâcha un profond soupir, ne cachant pas son agacement d’être retenu ici pour faire la connaissance de la fille d’Aer. Allait-il devoir jouer le jeu du Demi-dieu sociable et hypocrite devant elle ? Cette perspective lui déclencha une irrémédiable envie de vomir.

« Ah bonsoir Nagah ! Il me tardait de faire ta connaissance, parait-il que nous allons travailler ensemble désormais. »

Son regard croisa une fois de plus celui d’Ezelya. Cette fois, il se fit plus insistant, sonnant presque comme une supplique. « Pitié, ne me force pas à nouer un lien avec elle. » : Voilà ce qu’elle devait lire dans les yeux turquoises qui la fixaient. Pour lui, se comporter de manière sociable avec un Demi-dieu inconnu relevait plus du supplice qu'autre chose.

- ... Bordel, pourquoi c’était si dur ? Bonsoir, Prun... Pru’ha. Rien de tel pour nouer une indicible amitié que d’écorcher le prénom de son futur coéquipier, pas vrai ? Oh, vraiment ? C’est... - absolument pas réciproque - génial. Et dis-moi, tu comptes voyager avec nous ? Pitié, non. Encore une fois, il y avait déjà Valion pour gâcher leurs voyages et il le faisait très bien tout seul, pas besoin de relever le niveau. Quel poste occupais-tu dans l’Ancien Monde ? Pourquoi as-tu décidé de suivre Ezelya ? Ça faisait beaucoup de questions d’un seul coup mais plus vite les présentations seraient achevées, mieux il se porterait. Et quelque chose lui disait que les réponses de la dragonne seraient loin d’être abrégées.

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Déferlante de rage, de haine et de frustration

La réaction d’Ezelya lui tira un soupir désappointé. Qu’attendait-elle pour se faire respecter, bon sang ? Où était la pirate sanguinaire, la jeune femme autoritaire qui avait passé son épreuve et l’avait réussi avec brio ? Face à Pru’ha, elle s’écrasait comme si elle craignait que la colère de la dragonne ne s’abatte sur elle telle la foudre de l’orage sur un paratonnerre. Elle avait le contrôle, elle avait le pouvoir. La laisse des Dieux était entre ses mains. A elle d’en faire bon usage. Avait-elle si peur que la dragonne n’en vienne à la détester ? N’était-ce pas déjà le cas ?

« Pas besoin d'agir comme quelqu'un que tu n'es pas. Je veux simplement vous introduire officiellement. Pas vous forcer à devenir les meilleurs amis du monde. »

La main sur son épaule le surprit, bien que sa réaction ne fut pas des plus flagrantes. Plutôt calme, il jeta un regard en coin à son invocatrice sans pour autant chercher à lui ordonner expressément de retirer sa main. Il appréciait son soutien. Ses yeux se posèrent ensuite à nouveau sur la Demi-déesse qui leur faisait face. Parfait. S’il pouvait laisser tomber le masque, il ne s’en plaindrait pas. Il n’attendit pas plus longtemps pour se retransformer et revenir à sa forme originelle qui était tout de même bien plus imposante.

« Allons je ne serai qu'un handicap pour vous : brisant le bâtiment de notre Pirate en me retournant dans mon sommeil ou abîmant l'image de sa majesté. Je n'ai pas la chance de pouvoir passer aussi inaperçu que toi Nagah ; même sous forme humaine. »

C’était ça son excuse ? Depuis quand les Demi-dieux avaient besoin de se reposer ? Elle pourrait très bien voler en permanence au-dessus du bateau si elle ne maîtrisait pas la transformation en humain. Mais là encore, quelque chose lui disait que la dragonne se fichait royalement d’eux. Et si Ezelya n’avait pas passé son épreuve dans le but d’utiliser la puissance l’invocation durant leurs assauts, à quoi pourrait-elle bien leur servir ?

« Je serai beaucoup plus utile en agissant de mon côté comme je le fais depuis la nuit des temps au sein de ma bibliothèque. »

Une bibliothèque ? Dans l’Ancien Monde, c’était ça son rôle ? Veiller sur des vieux livres poussiéreux ? Décidément, entre un griffon qui battait tous les records en terme de naïveté et de stupidité et un immeuble de trois étages associable chargé de consigner les exploits des êtres qui avaient menés les Demi-dieux à leur perte, Aer détenait la palme d’or des Demi-dieux ratés et inutiles. Quoique... Terra n’était pas loin derrière. La queue du fils d’Aqua remua lentement dans son dos, cherchant les mots les plus adaptés pour répondre à Pru’ha. Finalement, il ne put empêcher un rire malsain de franchir ses babines.

- Ne te fais pas plus bête que tu n’es, Pru’ha. Tes excuses ne marcheront pas avec moi. Elle pouvait peut-être manipuler Ezelya mais à ce jeu là, il restait bien meilleur qu’elle. Tu dis vouloir opérer seule de ton côté mais tu désobéis aux ordres les plus basiques. Comment veux-tu qu’Ezelya t’accorde la moindre liberté pour agir à ta guise si elle ne peut même pas avoir confiance en toi ? Il ne s’attendait pas à obtenir une quelconque réponse à sa question, son discours ayant pour unique but de la faire culpabiliser un minimum afin qu’elle prenne davantage les choses en considération. Enfin, si elle était évidemment capable de se remettre en question. Et ça, rien n’en était moins sûr. D’après ce que j’ai compris, elle t’avait juste demandé de n’avoir aucun contact avec les humains. Elle aurait pu te renvoyer dans ton temple miteux si elle l’avait voulu, et à sa place - vu le peu de reconnaissance qu’elle obtient en retour - c’est probablement ce que j’aurais fait. Bien qu’il comprenait mieux que quiconque le cauchemar de se retrouver cloîtré dans la cellule d’un temple, il n’éprouverait néanmoins pas le moindre remord à y envoyer un Demi-dieu qu’il jugerait fautif. Mais j’ignore pour quelle obscure raison, elle semble préférer conserver une relation cordiale avec toi. Il croisa le regard de la dragonne, plantant ses iris froids dans les siens. Corrige-moi si je me trompe mais je doute qu’elle t’ai ordonné d’agir contre tes convictions jusqu’à maintenant. Certains humains sont ainsi. Pas elle. Il avança une patte pour se décaler un peu par rapport à Ezelya. Tu dois te dire que j’ai déjà choisi mon camp et c’est le cas. J’ai choisi celui qui me permettra de garder un semblant de liberté. Il s'avança un peu plus. Et je ne laisserais personne mettre en danger ce lien fragile qui me permet de la conserver. Il s’arrêta à mi-distance de la dragonne. Mais si tu veux retourner dans ta cellule minable en attendant qu’on ait un jour besoin de toi, c’est ton problème après tout. Il marqua une pause en soupirant avant de relever la tête, un léger sourire perceptible sur les babines. Tu sais... Je ne t’apprécie pas plus que tous les autres Demi-dieux qui ont regardé notre Monde sombrer dans une lente agonie. Apprécier ? Non, haïr serait le terme exact. Et ça ne me dérangerait pas le moins du monde de montrer à Ezelya comment se servir du pacte pour que la laisse des Dieux se resserre encore un peu plus... Jusqu’à ce que l’étreinte devienne à peine supportable. Il secoua la tête. Je ne m’en fais pas. Je sais qu’elle saura l’utiliser à bon escient. Et surtout sur la bonne invocation. Bien, maintenant que la mise au point est faite... Il tourna la tête en direction de leur invocatrice. Est-ce que quelqu’un pourrait me dire quel rôle notre amie va t’elle jouer dans notre trio ? Après sa brimade, Nagah doutait que Pru’ha répondrait gentiment à sa question. Mais peut-être qu’il se trompait et que la dragonne en avait sous le pied ?

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Déferlante de rage, de haine et de frustration

Hmpf... Cette rencontre commençait sérieusement à lui faire perdre le peu de patience qu’il pouvait avoir dans ce genre de situation. Alors elle croyait tout savoir ? Elle croyait qu’elle pouvait tout se permettre parce que sa sainteté rat de bibliothèque s’était autoproclamée « Grande Maîtresse du Savoir » ? Pitoyable, même lui n’avait pas eu la présomption de se faire appeler le « Prince des Océans » alors qu’il avait bien plus de mérite qu’elle. Quelle gloire y avait-il à veiller sur l’histoire de l’humanité et quelques vieux livres poussiéreux ? Aucune.

« Tu tentes sans succès de me faire la leçon sur un sujet dont tu ne sais pratiquement rien ce qui, naturellement, te fais dire les âneries des arrogants, comme la majorité des humains. Tu nages dans l'erreur comme une carpe dans une grosse flaque d'eau. Tu agis comme un idiot Nagah, impulsif comme ta maitresse. Vous formez un couple superbe, le jugement primaire que je me forge me force à l'avouer, j'espère le faire évoluer. »

Et allez, encore une comparaison avec ces êtres qu’il haïssait tant. A croire que tous ses frères et sœurs divins avaient l’unique don de mettre le doigt sur le seul détail qui pouvait l’énerver suffisamment pour qu’il se mette à tout ravager sans le moindre remord. Ah et il était idiot maintenant ? De mieux en mieux. Ses griffes s’ancrèrent dans le sol, la patience dont il disposait s’amenuisant un peu plus à chaque instant. La colère sourde qui grondait en lui se fit plus intense et la magie d’Aqua se répandit dans l’air autour d’eux. La dragonne venait de faire le premier pas vers un conflit qu’elle aurait pu éviter si elle avait su faire preuve d’un peu de jugeote. Tu parles d’une érudite. Si elle était si intelligence, elle aurait compris depuis le temps qu’il valait encore mieux ignorer le Demi-dieu.

« Tu ignore pratiquement tout du terrain sur lequel tu t'aventures. Pourtant, tu y vas la queue haute, persuadé de maîtriser la situation mais... » Elle aurait pu s’arrêter là mais non, il avait fallu qu’elle continue ses insupportables provocations. « Tu as l'apparence d'un loup mais tu agis comme un chien de chasse. »

Et c’était elle qui disait ça ? D’eux deux, c’était elle qui se trouvait sur une pente glissante, pas lui. Un soupir franchit ses babines. Si elle croyait pouvoir détourner le sujet de la conversation aussi facilement, elle se fourrait les griffes dans l’oeil jusqu’à la queue. Et allez, encore une insulte. Pour une grande sage qui se disait vouloir éviter les conflits ou les résoudre pacifiquement, elle n’y allait pas avec le dos de la cuillère.

- Je sais qu’Ezelya t’a donné un ordre que tu n’as pas respecté. Je me fiche du contexte ou de tes protestations. « Contourner » le pacte, c’est ça ton excuse ? Ça revient à défier l’autorité des Dieux. Et arrête de chercher à inverser les rôles. La seule qui est dans l’erreur ici, c’est toi. Assume tes actes au lieu de te cacher derrière des excuses minables ! Un grondement sonore lui échappa, signe que sa patience atteignait ses dernières limites. Et tu sais quoi ? Je me fiche du jugement que tu peux bien avoir de moi. Tu peux me détester ou même me haïr... Sache que ça sera réciproque. Il s’approcha un peu plus et se mit à rire. Pour un rat de bibliothèque, je te croyais plus intelligente, Pru’ha. Tu ne te rends même pas compte de la situation dans laquelle tu t’embarques, à vouloir ainsi t’obstiner à avoir raison, à nous insulter de la sorte, à te complaire dans ta supériorité. Il secoua légèrement la tête et fit quelques pas sur le côté. Je commence à en avoir assez de ce petit jeu et de ta mauvaise foie, Pru’ha. Tu me considères comme un chien de chasse qui accourt pour protéger son maître et attend sagement ses ordres, hm ? Pourtant, Ezelya ne m’aurait jamais demandé de te faire le moindre mal. Mais sois sûre que je ne me laisserais pas marcher sur les pieds plus longtemps. Une couche de glace vint recouvrir le corps du loup géant, épousant parfaitement la forme de sa fourrure, recouvrant chaque poil qui s’était hérissé sur son dos et ses flancs. Elle pouvait encore éviter la confrontation qui s’annonçait avec un peu de bonne volonté, mais encore faudrait-il qu’elle sache s’en servir correctement.

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Déferlante de rage, de haine et de frustration

Tiens donc, elle ne disait plus rien ? Cette stupide dragonne avait-elle finalement compris que garder le silence était la meilleure option qui s’offrait à elle ? Il lui en avait fallu du temps pour se rendre compte d’une telle évidence. M’enfin, mieux vaut tard que jamais comme on le disait. Le regard froid et méprisant du loup géant ne s’était malgré tout pas adouci pour autant. La colère et la frustration grondaient toujours en lui, trouvant écho à ses pulsions violentes et meurtrières. Sur la défensive, il ne bougea pas, guettant le moindre faux-pas de Pru’ha pour passer à l’attaque. Son allure, sa position, tout indiquait en lui qu’il n’hésiterait pas à agir sur l’instant. Un grondement vint ponctuer le silence de la dragonne, comme pour s’assurer qu’elle n’essaierait pas d’agir après coup.

« Assez. Nagah, ce n'est pas un ordre, mais je te le demande, d'égal à égal : Ne lui fais rien, s'il te plaît. »

Ses oreilles se dressèrent sur sa tête quand il entendit la voix d’Ezelya. Avait-elle enfin décidé d’agir pour prendre les mesures qui s’imposaient ? Ce n’était pas trop tôt. Lorsqu’il croisa son regard, le sien changea imperceptiblement. Certes, la haine et la rancœur y étaient toujours bien visibles mais il tâcha de reprendre suffisamment contenance pour respecter la demande de son invocatrice. Aussi, il marqua son accord d’un léger signe de tête. Il espérait néanmoins que l’humaine allait remettre Pru’ha à sa place cette fois, quitte à user du pacte pour cela.

Curieux, le demi-dieu suivit l’échange avec un grand intérêt. En s’aplatissant devant la dragonne, Ezelya avait perdu une grande partie de son estime. Il avait hâte de voir si cette dernière serait capable de regagner ses faveurs sur l’instant ou si elle ne ferait que le décevoir un peu plus. Aucune sanction, juste des mots. Des précisions, des explications... Encore une fois, Ezelya semblait prendre des gants avec elle. Pourquoi ? Cette dragonne ne méritait pas qu’on soit conciliant avec elle.

« Je pensais jusqu’à très récemment que ma liberté passait avant tout. J’ai réalisé qu’inconsciemment je la cédais déjà à certaines personnes, que cela me profite ou non. Nagah, dans les quelques semaines que nous avons passé ensemble, a gagné ma confiance. Si je dois mettre ma liberté en danger pour assurer la sienne, je serais prête à le faire. »

D’un seul coup, la colère et la frustration disparurent de son regard, laissant place à la surprise la plus totale. Sous le choc. Il était sous le choc, il n’y avait pas d’autres mots. Il n’avait pas conscience d’avoir agi dans le but d’obtenir la confiance d’Ezelya ou même sa reconnaissance. Dans son esprit, il s’était contenté de rester lui-même et d’agir selon ses principes. Mais après tout, peut-être qu’inconsciemment, il avait décidé de faire d’Ezelya son alliée la plus précieuse. Elle le comprenait mieux que quiconque et partageait en grande partie ses idéaux. C’était sans doute pour cela qu’elle avait décidé de lui accorder sa confiance et cette liberté à laquelle il aspirait tant.

« Nagah, penses-tu pouvoir faire un jour confiance à Pru’ha? »

La réponse était évidente. Le Demi-dieu n’eut pas besoin d’y réfléchir plus longtemps. Pru’ha lui avait démontré à maintes reprises cette immaturité caractéristique, ce refus catégorique de prendre en compte les remarques bonnes ou mauvaises qu’on pouvait lui faire. Cette dragonne n’était rien d’autre qu’un boulet à traîner, une épine dans le pied dont il fallait se débarrasser, une mauvaise herbe dans un champ de fleurs. Bref, les qualificatifs pour décrire Pru’ha ne manquaient pas et il aurait pu ainsi les énumérer un à un mais... Ezelya attendait sa réponse. En l’espace d’un instant, son regard redevint aussi acéré que ses critiques.

- Jamais. Si elle est incapable d’assumer et de reconnaître ses erreurs, je ne vois pas pourquoi nous devrions lui accorder la moindre crédibilité. C’était simple, clair, net et concis. Il n’y avait rien d’autre à ajouter.

Peu de temps après lui avoir donné sa réponse, il vit Ezelya se séparer d’un objet, une sorte de pendentif étrange. Que comptait-elle faire avec ça ? Les mots et les gestes aidant, il comprit rapidement de quoi il s’agissait. Le lien du pacte. Ezelya était en train de mettre un terme au pacte qui l’unissait à la dragonne ! Nagah n’en croyait pas ses yeux. Jamais il n’aurait pensé qu’elle pourrait aller aussi loin dans sa décision. Silencieux, il s’efforça d’écouter les commentaires de Pru’ha. Ça serait probablement la dernière fois.

L’intelligence et le savoir, hein ? Les sages savent reconnaître leurs torts et se remettre en question pour avancer. Ils savent régler les conflits pacifiquement. Ils sont là pour montrer l’exemple et la voie à suivre. Pas elle. Elle qui croyait tout savoir, elle avait tout faux. Cette constatation fit sourire le loup géant qui se retint difficilement d’éclater de rire devant la stupidité navrante de la Demi-déesse. Néanmoins, il écouta son monologue - plus que décevant - jusqu’à la fin... Ou presque. Ses derniers mots l’agacèrent au point qu’il ne réprima pas sa colère cette fois. Sa queue s’immobilisa, sa gueule s’ouvrit et un grondement sonore, aussi puissant que terrifiant résonna jusqu’à ce que la dragonne disparaisse. En langage humain, ce grondement aurait certainement signifié quelque chose du genre « Ta gueule ! » ou dans la forme plus polie : « Assez ! ». Il était parfaitement capable de protéger Ezelya et si ce rat de bibliothèque s’imaginait qu’il pourrait nuire impunément, le fils d’Aqua se ferait un plaisir de le traquer jusqu’au bout d’Arcane pour le renvoyer dans sa misérable cellule, encore et encore jusqu’à ce que le flot de sa colère ne se tarisse.

« Je ne me suis jamais sentie aussi chanceuse de t’avoir si bien trouvé, Nagah. »

Jugeant qu’aucun danger ne les menacerait dans l’immédiat, il fit voler son armure de glace en éclats avant de se tourner vers Ezelya, hésitant encore sur le comportement à adopter après ce qui s’était passé.

- Tu as pourtant perdu une invocation par ma faute. Lâcha t-il, un peu ironique sur les bords. Il fallait bien l’avouer, ce n’était pas une grande perte. Tu t’es montrée trop bonne avec elle. Ce faisant, elle a compris qu’elle pouvait te défier ouvertement sans que tu ne réagisses. Elle t’a traîné dans la boue. Elle s’est joué de toi et t’a manipulé à sa guise. Et le pire, c’est que tu lui as permis s’en tirer à si bon compte. Pourquoi ne m’as-tu pas laissé faire ? Elle est certaine d'avoir gagné. Ces mots sonnaient comme des reproches mais n’en étaient pas. Pour lui, il ne s’agissait que d’une simple constatation, accompagnée d’un soupçon de déception.

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Déferlante de rage, de haine et de frustration

Le silence était enfin revenu. Ces quelques instants de tranquillité permirent au loup divin de calmer un minimum ses ardeurs et sa colère vis-à-vis de la dragonne qu’il ne reverrait pas de si tôt. Néanmoins, même si les tensions s’étaient un peu apaisées suite au renvoi de Pru’ha, l’irritation restait bien présente dans l’esprit de Nagah. Il n’en revenait pas que son invocatrice se soit laissée manipuler - ou plutôt piétiner - par ce rat de bibliothèque. Le seul qui pouvait utiliser Ezelya à sa guise, c’était lui et personne d’autre ! Enfin, pas exactement. L’influence que Valion exerçait sur elle était toujours un problème. Moindre, certes, mais tout de même assez gênant.

« Nagah, tu te souviens de ce que je t’ai raconté par rapport à ma vie d’avant? »

Le loup géant ne dû pas réfléchir bien longtemps pour se rappeler toute l’histoire de son invocatrice, n’ayant omis aucun détail malgré la quantité importante d’informations qu’il avait dû retenir en si peu de temps. En réalité, ce n’était pas que le passé d’Ezelya l’intéressait, non, mais c’est en connaissant le maximum de choses sur une personne qu’on peut mieux la manipuler. Alors s’il pouvait en apprendre encore davantage sur l’humaine, il tendrait assurément l’oreille. Attentif, il hocha la tête en guise de réponse, se contentant d’attendre la suite des propos de son invocatrice avant de faire le moindre commentaire.

Le museau de Nagah se plissa en écoutant les explications d’Ezelya. Était-elle en train de lui dire qu’elle regrettait son ancienne vie ? Ce qu’il redoutait le plus semblait être en bonne voie pour se produire. Depuis la sortie du temple, le fils d’Aqua était persuadé que rien ni personne ne pourrait détourner la jeune femme de l’objectif qu’elle s’était fixée. Mais derrière la pirate sanguinaire qu’il avait rencontré dans sa cellule, il y avait une mère et une épouse éplorée d’avoir perdu sa famille. Cette facette de son invocatrice, il ne l’avait découverte que bien plus tard, après avoir scellé le pacte avec elle. Et il savait qu’elle vivait avec l’espoir de retrouver un jour les êtres aimés. Mais que lui arriverait-il si elle y parvenait enfin ? Abandonnerait-elle d’aussi sec la vie de pirate qu’elle avait mené jusqu’à présent ? Oui, en l’état actuel des choses, il s’agissait là de la plus grande crainte du loup divin.

« Maintenant, je pense que ça n’a plus d’importance. Je reste celle que tu connais si bien, même s’il est vrai que les épreuves que j’ai passé m’ont montré des choses… Que j’espère atteindre. »

Avait-elle décidé d’abandonner son projet ? Et sa famille dans tout ça ? Sa femme, ses enfants... Renonçait-elle à les retrouver ? Non, mais quelque chose lui disait que son invocatrice avait d’autres plans en tête et qu’elle allait très bientôt lui en faire part. Peut-être que ces derniers avaient d’ailleurs un rapport avec le fait de retrouver les siens ? Après tout, elle pouvait bien combiner plusieurs projets ensemble si ces derniers étaient compatibles. Enfin... C’était ce qu’il croyait.

« Par exemple, je pense que la piraterie a besoin d’un nouveau souverain, et la Reine serait parfaite pour régner sur les mers. Je veux viser haut Nagah, et j’ai besoin de toi pour cela. »

Combiner la piraterie et sa vie de famille ? Non, ce n’était pas du tout cohérent avec ce qu’il s’était imaginé. Mais on peut dire que ce dessein avant le mérite de rasséréner le loup divin qui esquissa un sourire satisfait. Oui, la voilà, cette pirate sanguinaire qu’il connaissait et respectait. Il inclina légèrement la tête lorsqu’elle se retourna vers lui, heureux de constater qu’elle s’était enfin retrouvée. Maintenant, ils allaient pouvoir avancer ensemble... et écraser quiconque se dresserait sur leur chemin.

« Peu importe les Invocations que je perdrais en cours de chemin si tu les estimes indignes de nos plans. Je te fais confiance. »

Elle renoncerait donc à toutes les invocations si Nagah lui en faisait la demande ? Eh bien, c’était une agréable surprise. En devenant l’invocation d’Ezelya, Nagah était loin de s’imaginer qu’il agirait très rapidement en tant que conseiller divin de cette dernière. Après tout, il n’était pas le plus sage, ni le plus sociable des Demi-dieux. Néanmoins, malgré la rancœur tenace qu’il entretenait vis-à-vis de ses frères et sœurs, le fils d’Aqua avait su déceler très rapidement l’inaptitude de la dragonne à les épauler dans leur quête de puissance. La fille d’Aer aurait certainement trouvé sa place dans une bibliothèque poussiéreuse, mais pas à leurs côtés. Elle était bien trop encombrante et inutile aux yeux du loup géant. Non, ce qui leur fallait, c'était un Demi-dieu ou une Demi-déesse de sa trempe qui abhorrait les humains autant que lui, et qui serait donc capable de les exterminer sans le moindre remord.

- Je suis honoré de la confiance que tu me témoignes, Ezelya. Néanmoins, j’aurais besoin de ta lumière sur certains points. Il marqua une pause afin d’obtenir toute l’attention de son invocatrice, car les réponses aux questions qui allaient suivre seraient d’une importance capitale pour le fils d’Aqua. Lorsque tu es venue passer mon épreuve, tu n’as mentionné qu’un désir chaotique de haine et de violence, auquel j’ai répondu favorablement. A ce moment-là, il ignorait encore l’existence - ou plutôt la disparition - de la famille de l’humaine. Plus tard, tu m’as parlé de ta femme et de tes enfants, de l’envie de les retrouver quel qu’en soit le prix à payer. Peux-tu me dire si tu as abandonné ton projet ? Et si ce n’est pas le cas, que feras-tu lorsque tu les auras retrouvé ? Il craignait d’être à nouveau entravé comme un vulgaire esclave.

Il attendit d’obtenir toutes les réponses à ses questions avant de poursuivre ses remarques. Après tout, leur séparation remontait maintenant à plusieurs jours ou semaines ? Il fallait bien avouer que pour un Demi-dieu, le temps était un élément tout à fait relatif. S’approchant tranquillement de l’humaine, il regarda dans la même direction qu’elle, un brin perplexe, avant de se retourner pour l’observer un instant. Puis il se coucha, se sentant déjà un peu plus à l’aise maintenant. Et puis, dans cette position, il était un peu moins imposant et intimidant.

- Pour en revenir à tes plans... Tu ne manques pas d’ambition et c’est une qualité que j’admire chez toi. Malgré tout, je pense que nous devrions d’abord nous concentrer sur l’obtention d’un autre support divin. Comme tu as pu le constater, j’ai effectivement recouvré une bonne partie de mes pouvoirs mais la magie dont je dispose reste bridée et je crains de ne pouvoir te défendre convenablement face à des Demi-dieux disposant de toutes leurs facultés. Je serais plus serein à l’idée de pouvoir me reposer sur la présence de l’un de mes pairs. Il ne garantissait pas non plus d’entretenir une relation cordiale avec la seconde invocation d’Ezelya mais au moins, cette dernière serait sous bonne protection.

Après avoir abordé ce second point, un nouvel élément revint à l’esprit du loup géant qui grogna en se souvenant que c’était ici même que les deux tourtereaux étaient censés se revoir pour faire part à l’autre de leur décision. Est-ce qu’elle lui avait déjà parlé ? Que comptait-elle lui dire ?

- Hm... De mémoire, il me semble que tu devais retrouver Valion au Kelder pour lui faire part de ta décision, non ? Qu’as-tu décidé ? Au fond, il espérait que leur chemin se séparerait ici, même s’il devait reconnaître que la protection de Valion valait bien la sienne là où il ne pouvait pas aller. Même si, techniquement, sous métamorphose, il pouvait se rendre n’importe où. Mais suivre Ezelya comme un bon toutou ne faisait pas réellement partie de ses envies premières.

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