À nouveau, le jeune homme harangua sa petite équipe, les mains en porte-voix. Il les avait fait lever tôt, et si tous n'étaient guère ravis de cette décision, personne ne la contestait. La discipline militaire était trop ancrée pour permettre un écart de protestation. Motivé par le soleil naissant et la perspective d'une cour d'entraînement relativement déserte, le brigadier Lameblanche avait prévenu la veille que l'heure serait à l'entraînement. Voilà désormais une bonne demi-heure qu'il observait les mouvements de ses trois soldats, et il n'était guère satisfait.
À sa plus grande surprise, Gavin, un homme qui avait rejoint les rangs en même temps que lui, avait demandé à intégrer sa brigade. Pourtant, Valion avait toujours eu l'impression que le fils de pêcheur ne le portait pas dans son cœur. S'il ne saisissait pas cette initiative, il était loin de s'en plaindre, comme tout bon milicien.
Son équipe réunissait également Helus, un vétéran un brin cynique, et Lyla, une fraîche recrue réservée mais dévouée. Il lui arrivait d'ailleurs d'en faire un peu trop. Mais c'était loin d'être une tare, et il était lui-même passé par-là. Les sourcils froncés, Valion croisa les bras et ancra fermement ses pieds au sol. Lyla devait travailler sa défense, mais son adversaire ne lui offrait guère de réelles occasions.
« Frappe Gavin. Tu es le seul à penser qu'elle ne peut pas l'encaisser. »
Le jeune homme ne répliqua rien mais le brigadier l'avait côtoyé suffisamment longtemps pour repérer sa moue contrariée. Il faisait les cent pas, observant attentivement la position des bras de Lyla, et la force d'impact de son opposant. Il avisa Helus non loin, dont l'arme factice reposait au sol. Cet entraînement n'avait pas pour but premier d'améliorer leurs capacités martiales, mais d'apprendre à se connaître, puis à se battre ensemble. Comme leur unité venait d'être formée le mois dernier, il y avait encore des progrès à faire, et les occasions n'étaient pas aussi nombreuses qu'il l'aurait espéré. Mais il avait confiance, et restait patient malgré les apparences.
Le brigadier Lameblanche masqua son étonnement en voyant se dessiner plus loin des silhouettes dorées. Il n'était pas rare que la Garde se rende ici, mais c'était suffisamment peu courant pour être remarqué. De toute façon, si on ne lui avait rien dit, c'est qu'il n'était pas concerné. Sans plus y prêter d'attention, il fit signe à Helus de rejoindre le combat, et mit les deux autres ensemble pour l'affronter.
« Deux contre un ? Désolé le vieux. »
« J'ai plus d'expérience que vous deux réunis. Je ne fanfaronnerai pas à ta place. »
« Et tu ne sais pas frapper de toute façon. »
Valion leva le menton. Il y en avait une qui se déridait au moins. Gavin capta son petit sourire plaisantin et la regarda d'un air faussement outré. Cela lui servirait de motivation. Leur chef ajouta, pour leur donner un point de focalisation.
« Helus a raison. Si vous ne combinez pas vos efforts en apprenant à vous battre ensemble, il aura raison de vous. »
Voyons désormais comment ils se débrouillaient, avec un objectif plus clair.
J'me traîne les pieds le long du terrain d'entraînement, les jambes en compote. J'suis revenu en ville hier, et le putain de recruteur machin lieutenant a réussi à me mettre la main dessus comme si ma localisation était connue de tous. Pas que ça me gêne qu'on sache où je me trouve, mais c'est que ça en devient presque risible comment je peux me cacher nulle part! Que ce soit l'une de mes invocations qui me vend ou simplement les autres gars avec qui j'ai voyagé, ça reste, ma foi, plutôt dérangeant. Et puis ils me casent jamais avec de jolies demoiselles! C'est toujours ces putains de gens de l'administration ou des responsables de chépasquoi. Quoique je leur en voudrai de me caser avec de jolies filles. Lucille me casserait les dents. Enfin...
Je suis donc là, sur ce terrain d'entraînement que j'ai probablement déjà foulé quelques fois auparavant, à me traîner les pieds comme un vieillard handicapé. Bon, en vrai c'est surtout la gueule de bois, hein. On est rentré la veille d'une de mes rares missions sur le terrain avec les gars et on a fêté notre réussite. J'ai peut-être, je dis bien peut-être, un peu trop bu. Me faire tirer du lit à cette heure n'étant pas dans mes plans, j'ai pensé que je pourrais me laisser aller! Mais non, les responsabilités finissent toujours par me retomber dessus. Aujourd'hui, c'est un de ces recruteurs débiles qui m'a demandé de l'accompagner. Il a repéré quelques petits jeunes qui pourraient se faire une place dans la garde doré et il s'est dit qu'un avis extérieur serait pas de trop. Et oh, quelle meilleure personne que "l'un des gardes du Roi en personne" ! Bah oui hein ! Quand c'est pour les tâches relous on me trouve direct ! Et je suis, mystérieusement, toujours le meilleur candidat. Parce que clairement, Rachel ou André, c'était hors de question de les tirer du lit. Et puis, bien sûr, c'est pas comme si j'avais mon propre travail à faire hein. Mes hommes vont se gérer seuls, pour sûr.
Au loin, j'avise un petit groupe de quatre individus. Ils s'entraînent, avec les gestes et l'état d'esprit qu'on ceux qui n'ont encore jamais vu la mort en face. Quoique l'un d'entre eux semble plus rompu au combat, mais je suis encore trop loin pour réellement me faire une idée. Je me tourne vers machin chose en les désignant.
« C'est un de ceux là ? »
Il hoche la tête. Le bonhomme est plus petit que moi, comme presque tout le monde, et porte une très belle moustache aussi blonde que sa barbe. Honnêtement, je pourrais jalouser sa pilosité faciale si elle ne lui avait pas, apparemment, coûté ses cheveux. Un chauve à la moustache et à la barbe proéminentes. Bon, je suis bas de me moquer, mais je connais la valeur du gars. Je lui ai jamais vraiment parlé, mais on ne me parle de lui qu'en bien, et je sais qu'il a toujours su mettre la main sur de bonnes recrues. On dit de lui qu'il est droit et cherche avant tout des gens qui partagent les bonnes valeurs plutôt que des tas de muscles sans cervelles. C'est la base, mais c'est pourtant bien mal compris chez les recrues, je crois. Je m'étire subtilement pour essayer de me réveiller, comme si c'était moi qui me retrouvait à devoir faire aller mon arme dans tous les sens si tôt le matin plutôt que les jeunôts devant moi. Comme machin chose à côté de moi, et connaître sa réputation ne veut pas dire que je me souvienne de son nom, j'ai opté pour une tenue légère, avec le plastron aux couleurs de la garde et des chausses de tissu. Ouaip, si ce n'était du doré que je porte, je me sentirai comme dans ma jeunesse. Même mes bottes longues me rappellent les entraînements.
Une fois assez près du groupe, je pose ma main sur l'épaule du lieutenant pour l'arrêter. Le groupe est assez hétéroclite. Le brigadier est jeune, mais sérieux, tandis que son équipe est faite de toutes les couleurs. Une jeune femme, que je devine pleine d'entrain, qui se bat avec un jeune homme plus fermé contre un vieillard rompu au combat. Je passe une main dans mes cheveux rattaché en un espèce de chignon fait à la va vite et soupire.
« Bon, c'est lequel ? »
Que je sache où diriger mon regard bien sûr, parce que pour le moment, je me contente d'analyser la scène dans son ensemble. Je note quelques détails au passage, d'ailleurs, qui dénote du manque de synergie du groupe. Ils ne se connaissent pas, ou du moins c'est ce qui transpire de leurs échanges. La jeune fille fait un pas en avant suivi d'une attaque, geste qu'elle effectue avec une aisance liée à l'habitude, et de ce fait prévisible pour quelqu'un ayant souvent combattu à ses côtés. Pourtant, malgré la parade du vieillard, celui-ci n'a pas profité de l'ouverture. Je fronce les sourcils, juste un peu, en me demandant si c'est fait exprès ou s'ils sont ensemble depuis si peu de temps. Bien sûr, mon cher recruteur répond à la question.
« Valion Lameblanche. Il est brigadier et s'occupe de cette petite équipe depuis sa formation, il y a un mois de cela. Il est jeune, fort, intelligent... Prometteur. J'espère avoir un plus ample aperçu de ce qu'il est vraiment en lui parlant, mais je préférais te faire venir avant. »
Je lui offre des hochements de tête et des « hmhm » tout au long de ses explications, et puis finalement je m'approche. Machin hèle le brigadier, que j'examine sans jugement pendant un petit instant. Physiquement, il a l'air plutôt pas mal, et sa posture me semble forte et fière. En soit le type me semble correct.
« Brigadier Lameblanche. Je me présente, Lieutenant Cowley. J'espère que vous ne voyez pas de mal à ce que nous assistions à votre entraînement ? »
Ahhhh! Cowley! Mais bien sûr! Je souris à ma propre bêtise sans pour autant émettre le moindre commentaire. Le gars se tourne ensuite vers moi pour me présenter.
« Et je vous présente le Colonel De Vaillance. »
Je hoche la tête en direction du brigadier. Il doit se sentir tout petit, le pauvre. Je m'avance pour poser mes yeux dans les siens. Je sais pas s'il a reconnu mon nom, mais je sais que j'ai encore une chance de le mettre à l'aise.
« Bonjour, Brigadier. Vous m'excuserez, je suis un peu rouillé et je ne peux m'empêcher de repenser à mes vieux jours en vous regardant ainsi. Accepteriez-vous de m'accorder un petit entraînement ? »
Je retiens une grimace au ton que j'ai employé. Même Crowley me regarde en biais, étonné. Ouais bon, je suis pas reconnu pour être le plus poli et sympathique, alors ça l'étonne que je sois tout gentil avec le petit. Ouais bon je suis quand même sympa de temps en temps!
Le regard gris-bleu du jeune brigadier fut distrait de la joute pour se porter sur les plastrons scintillants en mouvement. Finalement, ils venaient dans leur direction. Deux hommes, plus précisément. Toutefois, Valion n'interrompit l'entraînement que lorsqu'on l'interpella. Un lieutenant et un colonel souhaitaient les observer ? Il en perdit légèrement contenance et afficha un air surpris, incapable sur l'instant d'en comprendre la raison. Se reprenant tant bien que mal, Lameblanche salua ses supérieurs, aussitôt imité par son équipe.
« Lieutenant, Colonel. Bien sûr, je vous en prie. »
De Vaillance ? N'était-il pas ce noble aguerri officiant comme garde du corps de sa Majesté !? Le vieil homme chercha alors son regard incertain pour y ancrer son œil ambré. Sa présence était impressionnante malgré son âge avancé. Si Helus était également un vétéran, il n'y avait nul lieu de comparaison en termes de prestance. Et si Valion n'avait aucune discipline ni maîtrise de soi, il se serait royalement décomposé.
Voilà maintenant que l'homme demandait... à se battre contre lui ? Le brigadier se racla la gorge le plus discrètement possible. Son ton avait beau être affable, le garçon redoutait d'autant plus l'expérience de combat qui se cachait derrière. Mais il n'allait pas remettre ses paroles en doute, même s'il peinait à croire que le Garde était si rouillé. Les secondes s'étirèrent sous le traitement de silence. Valion revint à lui, assimilant véritablement ses propos. Se battre. D'accord. La situation lui semblait parfaitement incongrue mais il obtempéra avec gentillesse et vaillance.
« Bien sûr Messire. » N'osant rétorquer quoique ce soit d'autre, il se dirigea vers ses hommes et emprunta leur épée factice. Puis il revint vers Geoffrey, reprenant peu à peu possession de tous ses moyens, l'esprit et le corps se préparant à l'affrontement. Concentration. « Tenez. »
Il tendit l'arme au Colonel, poignée devant, la lame de bois dans sa main. Puis il se mit en position, et testa ses appuis. Il échauffa rapidement son corps, puisqu'il ne s'était pas vraiment étiré, ne s'attendant pas à participer si activement. Autour de lui, les trois membres de sa brigade s'écartèrent. Lyla était confuse, et surtout déçue de voir son entraînement interrompu. Helus demeurait neutre, mais montrait un brin d'intérêt. Leurs messes basses se firent plus ou moins discrètes.
« Pourquoi il veut se battre contre lui ? Il va forcément perdre, ce n'est qu'un vieil homme. »
« Je n'en serais pas aussi sûr, gamine. »
Le sobriquet était dépourvu de condescendance. La demoiselle lui renvoya un regard interrogateur. Le premier restant mystérieux, elle chercha une réponse auprès de son second collègue. Mais il ne lui accorda aucune importance, les yeux rivés sur la scène qui allait se jouer. Le visage de Gavin rayonnait. Il ne prenait même pas la peine de dissimuler son sourire narquois.
« Oh que j'ai hâte. Je suis bien content de m'être levé finalement ! »
Tout ce qu'il espérait évidemment, c'était que Valion se fasse botter les fesses. Le brigadier demanda d'un signe de tête au Colonel s'il était prêt. L'homme acquiesça, donnant le signal de départ. Lameblanche n'avait aucune idée de la façon dont il devait s'y prendre, aussi il n'osa pas attaquer directement. Mais son adversaire semblait attendre un mouvement de sa part. C'était plutôt déconcertant. Il tenta une frappe simple, assez haute, pour forcer l'autre à monter sa garde. Puis une deuxième, visant la taille, et enfin une troisième d'estoc. Il était rapide, mais pas engagé. Au fond, comme il ne savait pas à quoi s'attendre, il restait inconsciemment sur la défensive.
J'fais aller ma tête de droite à gauche pour m'étirer l'cou et lance un bras après l'autre aussi haut que j'peux pour tester ma flexibilité. Si c'tait pas pour mon 'taf qu'est passé de garde du corps à gérant de paperasse, j'serais probablement plus enclin à m'dire que c'est gagné d'avance, comme combat. J'ai beau être sorti d'la ville récemment, le peu d'terrain qu'j'ai fait dans les derniers mois m'semble bien piètre entraînement face à un jeunôt qui vient ici tous les matins pour entraîner son équipe. Pas qu'j'me tienne pas moi-même en forme, mais à part Lucille, y'a pas grand monde pour faire aller d'leurs armes avec moi. J'me plains pas, hein, au moins on m'laisse tranquille, et j'sais qu'mes gars pensent pas à mal, mais quand même. J'pousse un soupir discret. L'arme dans ma main est légère, beaucoup plus que c'que j'ai l'habitude de manier, mais j'suppose que j'peux m'débrouiller avec ça. Va m'falloir quelques coups pour m'habituer, par contre. J'espère qu'j'vais pas détruire l'image qu'on s'fait d'moi quand même. Ce s'rait siiiiii dommage. Ah. Terrible. Je meurs d'embarras.
J'jette un r'gard en biais à Cowley, qui a l'air de se d'mander c'qui m'a piqué. Roooh, si on peut même plus s'amuser avec les jeunes recrues, aussi! Pourtant, y m'laisse faire, c'qu'est sympa. J'le rassure d'un hochement d'tête avant qu'Lameblanche me d'mande si j'suis prêt. J'lui offre un sourire, me met en position, et lui dit qu'c'est bon. On peut y aller.
Pendant un moment, y s'passe rien. Poli comme j'suis, j'le laisse tenter sa chance en premier. Et puis c'comme ça qu'mon père agissait aussi pour mieux m'ridiculiser après donc j'ai pris l'réflexe d'faire ça aussi, j'crois. Pas que j'veuille ridiculiser l'petit, hein! Non mais quand même, j'lui laisse le premier coup. J'pense qu'il mérite une chance de m'montrer c'qu'il vaut. Même, j'suis gentil, j'me met un peu en biais, pour lui laisser de la place pour manoeuvrer et m'toucher. Ouais, j'me complique la tâche, et alors? J'sais qu'c'est pas du tout la meilleure position pour se battre, mais ça m'fait bouger l'bras un peu plus.
Au final, le p'tit s'décide. Un pas en avant qui m'prévient d'son coup à venir, et mon corps suit l'mouvement d'son bras. J'pare difficilement, vu comment la lame monte plus vite que c'que j'aurais voulu, et j'dois m'déplacer sur l'côté pour éviter l'deuxième coup. Le troisième, j'y suis d'jà un peu plus préparé alors ma lame vient s'enrouler avec la sienne pour la dégager d'un coup un peu brusque. Ugh, c't'épée d'bois est décidemment trop légère, mais au moins j'me suis un peu habitué. J'pense. En fait, j'dois r'mercier Lameblanche d'avoir été un peu timide dans ses premiers coups, ça m'a laissé l'temps d'me faire au poids d'l'arme. Par contre, ça m'empêche de l'évaluer lui, parce que j'sais qu'il s'y met pas à fond. J'vois l'hésitation dans ses yeux autant que dans sa façon d'tenir son arme.
Il m'rappelle un peu mes premiers combats contre d'autres gardes dorés, en fait. Et j'parle des combats dans les règles, hein. Pas d'moi qui s'en va foutre un coup de poing à un collègue parce qu'il dit d'la merde. Heureusement qu'j'ai arrêté d'faire ça, sinon j's'rai pas là aujourd'hui.
J'chasse vite fait d'ma tête les pensées parasites et j'me concentre sur l'jeunôt. Il a calmé ses attaques et m'regarde en attendant que j'réplique. J'le sens analyser mes mouvements pour préparer sa parade, alors j'me dis qu'j'vais y aller quand même gentiment. J'commence par un pas en avant et j'envoie ma lame faire un arc de cercle dans les airs pour l'atteindre à l'épaule. Mon torse exposé fait alors une cible idéale, et j'enchaîne en abaissant mon arme d'un mouvement vif pour la ramener contre moi et foncer vers le brigadier avec tout mon poids et ma stature imposante. Je le force à reculer de quelques pas et profite qu'il soit déstabilisé pour m'écarter sur le côté en laissant mon arme glisser vers son flanc. Je m'éloigne assez pour me mettre hors de portée et fait volte face en un seul pas pour le regarder dans les yeux à nouveau. Avec un sourire en coin, je le laisse reprendre son équilibre.
J'suis du genre à y aller plutôt de front en combat, alors faut qu'j'me rappelle d'lui laisser son espace aussi. J'veux pas l'foutre à terre en deux coups, non plus. Pas qu'j'en sois forcément capable, après tout il a plutôt bien réagi à ma première attaque, mais j'pense pas non plus qu'il puisse me battre. En fait, j'suis assez surpris. À la fois d'son niveau, et à la fois du mien. J'me suis pas amélioré, moi oho!
Cette fois-ci, j'me repositionne complètement d'côté pour cacher mon corps derrière ma ptite lame, et j'attends qu'le jeune réplique.
« Maintenant qu't'as testé l'terrain, tu peux y aller, Lameblanche. R'tiens toi pas d'me mettre au tapis! »
Et je fronce les sourcils, serre la garde de l'épée d'entraînement, et patiente pour un coup à venir.
Si la première frappe fut parée avec difficulté, elle ne déstabilisa pas le garde royal. Chaque coup échoua, mais Valion s'y attendait. Il restait sur ses gardes. Il observait le placement des mains et pieds de son adversaire, ainsi que la posture de son corps. Il mesurait également ses réflexes, et sans surprise, De Vaillance en possédait à la hauteur de son grade.
Le Colonel répliqua avec assurance et précision, marquant la joute d'une volonté plus prégnante. Valion opéra un mouvement de recul pour se mettre hors de portée. En temps normal il se serait engouffré vers ce buste exposé. Ici, sa restreinte fut bénéfique car l'homme chargea. Le brigadier fut contraint de reculer à nouveau. Il dévia d'une extrême justesse la lame, qui effleura son flanc, ou du moins l'armure de cuir le protégeant.
Le milicien laissa filer une longue bouffée d'air emplie de tension. L'adrénaline courrait dans ses veines après cette dernière offensive. Un ricanement fit discrètement écho à l'invitation du Garde doré. L'idée de prendre une raclée devant Gavin ne plaisait, malgré lui, guère à sa fierté. Il resserra sa prise sur l'arme. Ses sourcils se froncèrent légèrement. Il expira avec calme.
« D'accord. »
Le respect et l'obéissance marquaient son acquiescement. Contrairement à son opposant, le jeune homme se posta quasiment de face. Difficile ainsi de deviner quel était son pied d'appui. L'épaule gauche s'avança en premier, lui donnant élan et force. Il visa l'arme du vieux soldat pour fragiliser sa prise, puis fit un pas chassé vers l'arrière, et revint aussitôt avec une frappe d'estoc.
La brève inspiration rétracta ses muscles et sa position. Il balaya d'un revers tout contre et en profita pour se remettre à distance. Même déterminé, Valion restait un combattant prudent. Excepté quelques criminels légèrement armés, il n'avait pas vécu de réelles situations de danger. Aussi il favorisait la technique. Ses frappes étaient précises, peut-être trop cadrées, trop sages justement. Son entraînement physique et son excellente santé lui donnaient un avantage, qui suffisait généralement à vaincre ses adversaires.
Mais il en faudrait plus pour battre un Colonel. Le fils Lameblanche ne laissa pas cette pensée s'ancrer. Être convaincu de sa défaite ne résulterait jamais en la victoire. Si peu disposé qu'il était à prendre des risques, il restait dans le combat, et repartit à l'assaut. Une feinte de taille, qui se dirigea finalement vers la cuisse du prestigieux Garde.
Derrière eux, une jeune recrue agrandit les yeux. Bonne observatrice malgré son âge, elle réalisa au fil des joutes un fait qui lui semblait indéniable.
« Il ne va pas gagner. »
Le vétéran à ses côtés étira les lèvres.
« L'enjeu d'un duel n'est pas toujours la victoire. »
La respiration saccadée du brigadier trahissait son effort. Du haut de ses vingt ans, il se donnait à fond. Il avait été touché, mais persistait, comme l'indiquait sa nouvelle offensive. Ayant réussi à défaire la garde de De Vaillance, il dévia son bras armé pour toucher ses côtes dans un souffle étouffé.