Et la chaleur de la justice s'abattit sur la glace du crime

14/04/2018

Assise sur le canapé luxueux de la demeure familiale, Ezelya jouait distraitement avec un fil un peu fou de sa robe. S’il n’en avait pas été des règles de politesses et de comment se tenir bla bla bla, elle aurait probablement mordu le petit rebelle pour pouvoir le jeter et arrêter de le regarder dépasser de sa robe. Bon, le tissu n’était pas neuf, ce qui était étonnant connaissant les occupations de sa mère, mais elle passait bien peu de temps à la Cour. Et puis elle gardait les belles robes neuves pour les quelques banquets auxquels on daignait l’inviter.

Alors que faisait-elle ici, dans la demeure familiale, sans sa famille, dans une vieille robe? Elle attendait Ari. Son frère jumeau avait été tellement heureux de la revoir après un si long laps de temps, une semaine ou deux étaient une torture pour deux âmes si proches, qu’il l’avait tenu éveillée toute la nuit pour lui parler de cette demoiselle qu’elle ne connaissait pas. Ari lui avait tout raconté, que ce soit leur rencontre ou comment il l’avait regardé de loin pendant un moment avant d’oser réellement l’aborder, et de comment elle était magnifique, exquise et tellement distinguée que toutes les femmes de la noblesse faisaient pâle figure à côté d’elle. Sauf Ezelya, bien sûr. Ezelya était la plus fantastique des nobles, selon Ari, ce qui lui valut une bousculade de sa sœur. Ils savaient tous deux qu’elle ne méritait pas un tel titre. C’était différent que de le souhaiter ou de le garder au fond du cœur. Au fond de leurs cœurs, en plus de faire d’Ezelya la plus grande des nobles et d’Ari le meilleur de tous les médecins, il y avait aussi cette part de réalité où la distance n’existait pas. Parfois la jeune pirate remettait en cause ses propres décisions en fonction de ce monde fictif. Il lui arrivait de ne vouloir rien d’autre que retrouver sa moitié, et puis elle chassait ce sentiment du bout des doigts, parce que tous deux avaient accepté la froide réalité.

Cela ne les empêchait pas de rêver.

Cependant, si la nuit passée avait été centrée sur un rêve, celui-ci, ou plutôt celle-ci, n’était pas un simple mirage. Qilin Lù, une dame qu’il lui avait décrite comme exquise, qui servait dans la Garde Doré. Elle avait frissonné quand Ari était finalement arrivé à la partie où il lui annonçait la courtiser depuis un moment, et elle avait retenu un sermon. Ses problèmes n’avaient pas le droit d’interférer avec le bonheur de son cher frère. Et puis cette femme ne serait pas forcément un danger, n’est-ce pas ? Alors elle avait hoché la tête en souriant quand il avait parlé de tous les criminels qu’elle avait attrapé avant de soudainement s’arrêter, mal-à-l’aise. « C’est peut-être de mauvais goût, de te raconter ça. Je suis désolé, Ezel. » Elle avait haussé les épaules et chassé son inquiétude d’un rire. Puis sur le ton de la confidence, elle avait mimé un petit geste de combat. « Qu’est-ce que tu penses ? Que je vais me laisser attraper par la jolie-cœur de mon petit frère ? » Et ensemble ils avaient ri et argumenté sur qui pouvait bien être l’aîné, jusqu’à débarquer dans la chambre de leurs parents pour exiger une réponse déjà bien connue. Si leur père avait ri de bon cœur, leur mère avait plutôt dégagé leurs piètreries d’un geste de la main ennuyé pour qu’on la laisse retourner dormir. Finalement, le « Qu’est-ce que ça peut faire » habituel avait mis fin au débat. Bien que le reste de la nuit soit ponctué par de petites piques sur le sujet. Au final, ils avaient terminé la nuit avec un verre d’un quelconque mélange de ce qu’ils avaient pu trouver dans la demeure, à parler dans un jargon connu d’eux seuls et composé majoritairement de références à leurs aventures épiques d’enfance. Ari avait la meilleure mémoire, mais Ezel racontait les histoires comme personne. « Je pourrais te la présenter, tu sais. Si tu restes en ville un ou deux jours de plus. » La réalité de leurs cœurs l’avait poussé à accepter. À lui dire oui malgré les responsabilités qui la guidaient loin sur les mers. Elle avait accepté de rester, de lui faire plaisir, et de réduire la distance entre eux.

Alors elle était assise là, à attendre qu’Ari entre avec son âme sœur, pour qu’une présentation en règle soit faite. Bien qu’elle ait toujours été du genre à ne pas douter, une certaine panique enflait en elle. Elle ne voulait pas faire honte à son jumeau. Il lui avait décrit sa dame comme une femme si distinguée qu’elle craignait de gaffer et de tout gâcher pour son frère. Pourtant, tout était prêt! Elle avait préparé un thé délicieux juste assez chaud avec un pain au miel, et une petite tarte à partager. D’accord, elle avait peut-être abusé sur le sucré? Et puis elle avait soigné sa tenue, si ce n’était de ce petit fil désagréable grrrr. Elle avait même tressé ses cheveux pour les redresser dans un chignon distingué. C’était Ezelya Kor’lenter au plus haut de ses capacités. Et puis ainsi, avec les cheveux remontés, elle ressemblait d’autant plus à Ari. Elle espérait que ça lui rapporterait des points.

Enfin, la porte s’ouvrit et elle se leva d’un bond, évitant de justesse de renverser la table basse d’un coup de genoux. AHHHHHH MAIS CONCENTRATION! Elle s’agita et finit par s’ordonner de rester bien immobile et en contrôle. La capitaine de l’Écarlate ne se laisserait pas marcher sur les pieds! Mais… Avec Ari elle n’était pas l’Écarlate. Elle était la petite Ezelya, l’enfant à problème qu’on protégeait à tout prix. Il avait probablement déjà expliqué sa situation à sa courtisée.
Ensemble, ils entrèrent et elle les salua d’une petite courbette en se retenant de se jeter au coup de son frère pour signifier à l’inconnue qu’il restait « son » frère malgré tout.

《 Ezel! 》

Comme s’il était étonné de la voir! Elle se trouva un peu vexée de le voir étonné de la trouver encore là. C’était son genre de disparaître sans un mot, mais l’événement était assez important pour qu’il la tienne éveillée toute la nuit. Elle n’oserait pas le laisser tomber, n’est-ce pas? D’un geste fluide, elle se détourna du problème pour s’incliner légèrement devant Qilin.

《 Par les Quatre, je suis ravie d’enfin avoir la chance de rencontrer la femme dont mon frère m’a tant parlé! 》

Elle se présenta ensuite, avec un petit sourire. Bon, plus que la demoiselle se présente à son tour, vite fait, puis elle pourrait les inviter à s’asseoir pour boire le thé et faire la conversation et… Toutes les étapes de cette rencontre étaient stressantes.
Et puis c’était pour ne pas souligner la beauté de la dame. On voyait le soin qu’elle avait mis dans chaque aspect de sa présentation et elle, Ezelya, était juste à côté, avec son fil fifou. Dans quel situation sociale inadaptée s’était-elle embarquée?

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05/01/2019

Et la chaleur de la justice s'abattit sur la glace du crime

Il y avait un homme, un noble également, qui avait posé son regard sur elle depuis quelques temps. Il ne fallut à la jeune femme que peu d'échanges pour le cerner. Ses yeux avaient une lueur douce et attentionnée, parfois amusée, et facilement émerveillée. Ses traits respiraient la bienveillance, ce qui collait avec sa profession.

Un reflet blanc glissa sur le verre du grand miroir.

« Xiao Long ? »
« J'ai été invité à prendre le thé chez les Kor'Lenter. »
« Ah, oui. Le jeune médecin. Tu le laisses rester plus longtemps que les autres. Comptes-tu l'épouser ? »
« N'est-il pas un peu trop tôt, Mère ? C'est simplement du thé. »

Lian Lù leva sensiblement la tête, les lèvres légèrement étirées, sans dévoiler leurs intentions. Une mimique récurrente. Elle se détourna gracieusement, laissant sa fille aux mains expertes de leurs domestiques. L'une des deux leva brièvement les yeux au ciel, tirant un petit sourire à la seconde. Qilin ne bougea pas. Elle observait son reflet dans le miroir. Physiquement, elle se différenciait de sa génitrice plus facilement que ses sœurs aînés. En revanche, le timbre suave de leur voix était identique.

Une heure plus tard, la jeune femme était fin prête. Ses longs cheveux bruns étaient savamment bouclés à l'arrière, et maintenus en place par un peigne discret. L'avant était aplati avec une huile spécifique, souvent utilisée pour la brillance. De précieuses épingles en or, probablement plus affûtées que les épées d'incapables, ornaient le tout. Autrefois, il y avait un nom pour ce type de dressage capillaire, mais il était mort avec l'ancien monde. Sa robe aux manches amples prenait la couleur du rouge carmin. Fermée par une large ceinture en tissu, le vêtement dévoilait ses mollets quand elle marchait. Cette fois, le rouge qui parait le dessous de ses yeux sombres fut réhaussé de noir pour agrandir son regard.

Ari Kor'Lenter était le nom de celui qui l'attendait dehors. Qilin le rejoignit avec un sourire ravi. Il lui offrit son bras, qu'elle prit avec plaisir. Avant qu'ils empruntent la direction de son domicile, elle congédia le garde qui s'entêtait à l'accompagner en toute situation. Étant plus réservée, elle laissa son courtisan tenir la majeure partie de la discussion en chemin. Le jeune noble l'avait déjà prévenu qu'elle rencontrerait potentiellement sa jumelle, même s'il n'avait pas l'air d'y croire. S'il lui parlait souvent d'elle, Qilin ne savait pas grand chose à son sujet, aussi elle était curieuse. Quant à sa sœur aînée et son père, qui officiaient tous deux dans la Garde Dorée, elle avait déjà fait leur connaissance à la garnison.

Ari poussa la porte d'entrée. Une petite pointe d'adrénaline électrisa ses muscles. Elle s'engagea tranquillement à sa suite. L'exclamation surprise du jeune homme la tira de son observation de l'aménagement. Voilà donc la dernière donne de cette noble équation : Ezelya Kor'Lenter. Elle répondit à la courbette qui lui était adressée par une révérence distinguée. La noble en face la salua sur un ton avenant et enjoué, et se présenta de la même manière. Qilin répondit avec une réserve timide et un sourire discret, quelque peu gêné par la familiarité qu'elle dégageait malgré ses propos codifiés.

« Vos paroles me font trop d'honneur Mademoiselle Kor'Lenter. C'est une chance pour nous que vous soyez en ville, et un plaisir pour moi de faire votre connaissance. Je suis Qilin, troisième enfant de la famille Lù. Ari m'a également beaucoup parlé de vous. »

Aucun doute n'était possible sur leur fraternité tant leurs traits se ressemblaient. La dénommée Ezelya avait soigneusement dégagé son visage, rendant cette similitude plus frappante. Elle était toute aussi jolie que son frère. Néanmoins, son expression était très différente, et sa peau si marquée que la matriarche Lù aurait appelé au scandale. Ses iris d'un bleu glacial détonnaient de son sourire si chaleureux.

Après y avoir été invitée, Qilin s'installa à la petite table soigneusement préparée. Elle se tint droite et laissa calmement l'hôtesse prendre les devants, puisque c'était là son rôle.

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14/04/2018

Majestueuse. Élégante. Princière.

Ezelya hésitait très sérieusement entre de l'admiration et une grimace. D'accord, la demoiselle était l'incarnation même de ce que représentait la noblesse. Toute en beauté, elle émanait une grâce que peu de personnes pouvaient dégager, et elle avait dans le regard une intelligence indéniable. Pourtant, le point le plus déstabilisant était son appartenance à la garde dorée. Une guerrière, et pourtant une femme dans toute son éclatante et -Ezelya devait se l'avouer- sensuelle beauté. Elle devait tirer son chapeau à Ari. Son petit frère s'était dégôté une perle qui ferait le plaisir des parents. Et puis bien sûr, elle avait des manières, et n'était même pas -encore- condescendante.

Avec des gestes habitués, Ezelya servit du thé à leur invitée, échangeant avec son jumeau un regard rempli d'approbation et de fierté. Pas que la demoiselle lui soit particulièrement sympathique, mais elle voyait en quoi elle pourrait rendre Ari heureux. Et puis, avec la distance entre eux, elle se voyait mal refuser les choix de compagnes de son frère. Ce serait... indélicat. Et puis Qilin n'était encore qu'une... amie. Ezelya n'avait pas encore besoin de la considérer comme une part de la famille. Ugh, elle espérait secrètement que ça n'en vienne jamais à cela.

Elle savait, au fond, que peu importe qui Ari choisirait, elle se sentirait dans l'obligation de la protéger aussi bien qu'elle essayait de protéger son frère. Et protéger une garde dorée, non merci.

Tout en finissant de servir le thé, et d'offrir de petits biscuits ni trop sucré ni pas assez, elle décida de ne pas rebondir sur le fait qu'Ari la mentionnait à ses conquêtes. Elle en était touchée, bien sûr, mais... Mais elle redoutait ce qui avait pu lui échapper. Savait-elle pour Eänwen? Non, non, autant détourner la conversation sur elle.

《 De ce que j'en ai compris, vous vous êtes rencontrés à un banquet il y a quelques temps déjà, c'est cela? 》

Évidemment, elle avait entendu l'histoire des centaines de fois rien qu'en une nuit, mais elle était des plus inutile dans tout ce qui touchait aux petites conversations au-dessus d'un bon thé. La dernière fois qu'elle avait eu ce genre de conversation, c'était avec Lagertha, et pour lui annoncer son identité. Pas le genre de choses à faire avec une garde dorée, donc.

《 Et il m'a vanté vos mérites dans la garde dorée! Vous y avez sûrement déjà rencontré Arianne. 》

Bien qu'il n'y ait pas de question à proprement parler dans ses paroles, elle essayait clairement de faire papoter la demoiselle. Devait-elle la complimenter? Lui dire comment ses cheveux étaient parfaits? Et sa robe? Elle se mordit la lèvre inférieure et décida finalement de laisser la demoiselle et son frère mener la conversation. Et si on lui posait des questions sur ses "voyages", elle inventerait quelques itinéraires étranges. Et totalement accompagnés par des mercenaires. Ou des marchands. Ou des gardes? Ugh. Elle croqua dans un biscuit en écoutant Qilin.

Et puis bon, elle avait beau vouloir répondre, peut-être commenter, elle ne pouvait s'empêcher d'observer son frère du coin de l'oeil. Son petit frère, toujours si concentré sur son métier, qui avait passé des années à lui dire qu'il ne s'intéressait pas à une vie romantique quelconque... Ce même jumeau qui aujourd'hui regardait cette femme avec des étoiles dans les yeux, totalement ensorcellé. Que pouvait-elle dire? Peu importe ce que cette Qilin pourrait dire, ou faire, Ezelya ne pourrait jamais la prendre en grippe ou s'avouer ne pas l'aimer. Si elle pouvait mettre cette expression sur le visage d'Ari simplement en parlant de choses tiviales... Alors la pirate pouvait se la fermer et hocher la tête.

C'était amusant de penser que d'une certaine façon, la capitaine de la Reine pouvait être gérée si facilement. Par une garde dorée en plus. Ugh.

Quand la demoiselle lui eut raconté ce qu'elle avait à raconter, Ezelya hésita un moment à se montrer plus familière, mais abandonna rapidement l'idée, mal à l'aise d'enfreindre un quelconque code de conduite idiot. À la place, elle se promit de continuer avec les questions inutiles et fades. Au moins elle aurait l'étiquette "ennuyante" collée au front au lieu de "stupide et inéduquée".

《 Et, hum, vous avez pu visiter l'Institut où travailler Ari? Cet endroit est incroyable! 》

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05/01/2019

Et la chaleur de la justice s'abattit sur la glace du crime

L’ébène de ses iris se figea un instant pour fixer le liquide s’écouler dans la faïence. L’art de servir le thé pouvait sembler dérisoire, surtout pour les individus dénués de rang. Mais il restait un excellent moyen de jauger une femme au sein de la noblesse. La précision, la grâce et le soin de ses gestes révélaient son degré d’éducation et l’intérêt qu'elle portait à la famille reçue, ou la conversation. La négligence se repérait rapidement. La matriarche Lù avait été intransigeante sur cet exercice. Et Qilin avait dû s’y tenir, même les doigts brûlés par une précédente maladresse. Elle chassa ce souvenir sans qu’il ne laisse de trace sur son beau faciès de poupée.

À ce niveau, la fille Kor’Lenter s’en sortait bien. Qilin se demandait si elle avait elle-même dressé le salon pour l’occasion ou si des domestiques s’en étaient chargés. Certaines petites familles s’en passaient lorsque l’un de ses membres n’avait pas d’activité. Ça n’était pas leur cas, mais peut-être que la jeune femme les avait congédié pour ne pas incommoder son invitée. Ceux qui avaient le malheur de se faire remarquer ne restaient jamais longtemps employés. Elle n’avait pas souvenir d’en avoir discuté avec Ari. Peu importait vu leur rang, de toute façon.

Qilin prit délicatement le biscuit offert. Ses doigts fins le tenaient d’une simple pression, presque du bout des ongles pour ne pas se salir. Cet échange de politesse sur la qualité du breuvage et des gâteaux était aussi futile que nécessaire. Il lui laissait tout le loisir de penser. Observant de temps à autre le visage ravi de son courtisan, elle souriait timidement. Le pauvre, il animait en majeure partie la conversation puisqu’elle se voulait réservée. Les rencontres familiales étaient si délicates. Elle y échappait généralement. Mais pas avec lui, non. Elle devait bien avouer que connaître son père et sa sœur aînée par le biais de la Garde lui conférait un avantage de terrain, et donc d’aisance.

Cette mystérieuse jumelle, visiblement nerveuse, fit dériver la conversation sur d’autres banalités. Certaines femmes se complaisaient dans le récit de leurs aventures amoureuses, détaillant avec enthousiasme les rencontres, sentiments et premiers échanges. De nature pudique, Qilin devait fournir plus d’efforts pour endurer et alimenter ce genre de discussion. Elle préférait maintenir sa sphère intime dans l’ombre, réservant le plaisir d’un tel partage seulement aux concernés. Mais elle avait choisi de venir, aussi il aurait été injuste de se refermer, pour Ari comme pour Ezelya. C’était un joli prénom.

Reposant sa tasse de thé légèrement fumante, elle l’observa avec amabilité, les lèvres finement étirées, les yeux brillants à mesure qu’ils reconstituaient la scène évoquée. D’abord gênée, elle trouva l’assurance nécessaire pour développer auprès du jeune homme à ses côtés.

« Oui, tout à fait. C’était une charmante réception. Il faisait un peu frais, mais la nuit était belle et sans nuages. Je discutais avec mon frère sur le balcon quand Ari est arrivé. » Elle se tourna vers l’intéressé, l’air compatissant et un brin amusé. Ils en avaient ri après. « Il m’a avoué plus tard avoir attendu plus d’une heure que je sois un minimum isolée… Et mon frère, Wen, est juste resté là à nous regarder sans comprendre ! » Elle rit doucement, repensant à cet instant de gêne appuyé par son cadet. Difficile de le sortir de sa bulle parfois. « J’ai dû l’envoyer s’enquérir de notre Mère. Je me suis sentie coupable envers lui, mais ça en valait la peine. »

La main d’Ari vint chercher la sienne. Elle se laissa attraper. Sans s’être départie de sa gêne, elle reprit sa réserve distinguée lorsque ses petits yeux noirs se posèrent sur les plus glacés. Elle espérait sincèrement que son vis-à-vis ne creuserait pas l’histoire. Heureusement, après quelque flatterie la jeune femme sauta sur un autre sujet d’un mouvement si inconfortable qu’il réussit presque à mettre Qilin mal à l’aise, alors même qu’elle s’était détendue. Au moins elle maîtrisait le terrain suivant à la perfection. Mais elle ne devait pas le laisser déborder non plus, il ne fallait pas mélanger. Son grade de capitaine requérait une autorité qui n’avait rien à faire ici. Elle répondit plus sobrement.

« Vous êtes trop bonne, c’est l’effort de tous, le mérite est collectif. Un soldat n’est rien sans ses compagnons d’arme. » Après une courte pause, elle poursuivit en acquiesçant. « En effet, Arianne est un excellent élément. Sa dévotion et sa droiture sont admirables. »

Un petit silence s’installa, aussi elle en profita pour reprendre en silence une gorgée de thé et un biscuit. Polie et bien élevée, elle cherchait un moyen de le combler avant qu'il devienne embarrassant. Elle allait s’enquérir des voyages d’Ezelya quand Ari vint à leur rescousse en reprenant le pas, l’invitant à traiter de leur père. Il lui avait tant parlé de sa sœur, et voilà qu’elles ne savaient où poser leurs pieds. Enfin, Qilin se contentait de suivre le rythme. Elle ne voulait pas s’imposer, car elle avait plus à perdre qu’à gagner. Si un quelconque désagrément survenait entre les deux femmes, son compagnon en souffrirait profondément. Peut-être avait-il lui-même créé cette barrière en dressant un portrait de chaque côté. La passion d’un homme ne se mesurait pas.

Une nouvelle question franchit les lèvres de son hôtesse, de la même trempe que les autres. Elle était d’un tel ennui qu’au moins, Qilin n’avait pas à s’inquiéter de grand-chose. Le seul risque serait de la froisser, comme n’importe quelle noble ordinaire. Enfin, celle-ci possédait moins de fards et de prestance, ce qui n’était pas forcément un mal. Moins d’efforts à faire.

« L’Institut est une merveille, Ari y conduit un travail formidable. »

Le jeune homme se mit à rire et saupoudrer ses propos de modestie. Elle pivota vers lui. Tout un chacun avait à ses yeux le droit de s’attribuer du mérite tant qu’il était fondé. Les qualités personnelles et morales d’Ari sublimaient d’autant plus ses compétences professionnelles. Et elle pouvait le défendre, contrairement à cette Arianne dont le balai coincé dans son fessier la rendait plus imbuvable que sa propre personne, une fois son armure dorée de capitaine enfilée.

« C’est vrai. J’ai vu la façon dont les gens te regardent. Oui, tu les soignes, mais tu les rassures. Tu atténues leur peur. Et tu le fais sans ciller. C’est quelque chose que j’admire chez toi. »

Il n’y avait aucun miel dans ses mots, mais un curieux mélange de fermeté et de douceur. Même lui l’observa avec de grands yeux. C’était vrai, elle ne lui avait jamais dit que cette forme de confiance en soi et sa détermination à aider lui plaisait. D’ailleurs elle lui avait rarement parlé avec autant de familiarité et d’assurance. L’influence de la Capitaine à n’en pas douter. Elle espérait que cet écart plus direct ne lui porterait pas préjudice. Mais elle ne pouvait tolérer qu’il se dénigre de la sorte.

Qilin reprit position pour faire face à Ezelya, dans un sourire qui ne pouvait que traduire sa gêne et fendre ses lèvres en une excuse silencieuse. Elle croisa les jambes, dans un glissement d’étoffes soyeuses. Machinalement, elle posa une main sur l’émeraude de son collier, acheté il y a peu. Elle voyait mal Ari répondre à cela devant sa sœur, à moins de l’indisposer et de l’exclure de la conversation. Guère plaisant pour la demoiselle, donc. Elle en profita pour rebondir.

« Ari m’a dit que vous voyagiez beaucoup. C’est une chance, je dois avouer que je vous envie un peu. »

Elle devait bien avoir des choses à raconter de ce côté, à moins que le récit de ses aventures soit aussi creux que ses conversations sociales.

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14/04/2018

Ezelya fut ravie d'écouter poliement la demoiselle face à elle pendant qu'elle lui contait leur rencontre. Elle avait beau connaître les détails, les entendre de la bouche de cette Qilin rendait la chose légèrement différente. C'était toujours aussi adorable, mais cela donnait aussi de la distance sur le récit absolument mielleux de son frère. Elle ne put empêcher un sourire nostalgique au souvenir de sa propre rencontre avec Eänwen. Son attitude à l'époque ressemblait tant à celle d'Ari en ce moment... Comme quoi ils se ressemblaient toujours autant.

Enfin, pas exactement. Elle avait énormément changé, pas lui. Maintenant, elle serait la première étonnée d'agir à la manière de son jumeau devant qui que ce soit.

Avec un coup de fouet mental, Ezelya recentra son attention sur ce qui se disait face à elle, sur les regards échangés, et sur ces deux mains se trouvant confortablement l'une dans l'autre. Sans savoir pourquoi, cette image suscita quelque chose en elle. Une sensation inconfortable monta dans sa poitrine, une envie criante de fuir qu'elle ne connaissait que trop bien. C'était un instinct familier, auquel elle avait cédé trop souvent, mais qu'elle avait récemment appris à combattre. Alors elle prit sur elle-même, cacha son malaise derrière une gorgée de thé, et lentement repoussa la sensation désagréable. Elle ponctua même la conversation d'un petit "hmm" intéressé quand la demoiselle se permit un peu de modestie quant à son grade.

Heureusement, elle ne semblait pas vouloir appronfondir le sujet, ce qui rasséréna la pirate. Moins elle en savait sur les activités exactes de cette Qilin, mieux elle se portait. Et puis quand vint la question du travail d'Ari à l'Institut, Ezelya fut surprise de voir la demoiselle défendre son frère face à sa propre modestie. Ari avait cette tendance à faire passer tout le monde avant lui, et il en allait de même quand il devait parler de ses exploits. Pour lui, l'Institut était d'abord une création collective, menée à bien par le travail d'équipe plus que par lui-même. La jeune femme savait très bien à quel point c'était faux, cependant. Elle se souvenait du travail acharné d'Ari pour trouver des collaborateurs, pour motiver le financement et pour recruter des experts compétents. Jamais il n'avait lésigné pour faire de l'Institut ce qu'il était aujourd'hui, et Ezelya était fière de lui.

Apparemment, Qilin l'était aussi. La pirate baissa les yeux devant la démonstration de douceur de la noble dame. Elle avait l'impression d'assister à quelque chose qui la dépassait. Un moment qui aurait du lui être interdit. Pendant un instant, elle se fit le plus silencieuse et invisible possible, incapable d'esquisser le moindre geste. Qu'était-elle supposée faire dans un moment pareil?

Elle se força à garder une allure composée, droite et fière, tout en gardant son regard désespérément scotché sur la théirère posée entre elle et l'invitée. Le mouvement de Qilin fut ce qui força la jeune femme à relever les yeux, et elle s'empressa de répondre au sourire désolé de la demoiselle par un sourire chaleureux. Oh, elle espérait qu'elle ne rendait pas la situation encore plus pire qu'elle ne lui semblait.

La question, de ce fait, lui sembla comme une salvation. D'accord, elle ne pouvait pas parler de la plupart de ses voyages, mais certains avaient été fait assez officiellement pour qu'elle se permette de les aborder sans craindre de répercussions.

《 Ari a du vous dire que j'ai habité dans le nord pendant un temps, n'est-ce pas? Eh bien c'est souvent par là que mes voyages m'amènent. Je suis récemment passée au Temple de l'Air, d'ailleurs, dans l'espoir de trouver un compagnon divin pour me protéger dans mes escapades. Ce fut un échec, mais tout de même une aventure! Les montagnes sont absolument magnifiques, et je ne pourrais jamais me passer de la liberté de marcher vers là où m'emporte le vent. 》

La pirate baissa les yeux pour afficher un air timide.

《 Je sais que les Kor'lenter me préfèreraient à Lüh plutôt que sur les routes, mais c'est là ma faiblesse, voyez. Quoi que je ne vous fait pas grand aveu, Ari vous en a probablement déjà parlé. 》

Elle releva les yeux, une flamme nouvelle dans ses iris. Peu importe le contexte, parler de sa vie de liberté était toujours un plaisir. Que ce soit Ezelya ou l'Écarlate, elle se savait friande de cette capacité à suivre ses envies aux quatres coins d'Arcane. Au moins elle n'avait pas à mentir sur cette partie là d'elle-même. Elle en était même fière, d'une certaine manière, même si elle savait que ça passait généralement plus ou moins bien auprès de la noblesse.

《 Pardonnez si je me trompe, mais en tant que garde dorée, vous devez voyager beaucoup aussi, non? Y a-t-il des endroits que vous souhaitez visiter, ou vous laissez vous porter là où les missions vous mènent? 》

Les questions étaient sorties plus vite que sa pensée, et elle se maurigéna intérieurement. C'était probablement trop personnel, comme sujet. Elle avait beau être curieuse, cela ne justifiait pas qu'elle agresse la pauvre demoiselle. Elle jeta un regard en biais à Ari, qui la rassura de la même manière. Puis elle se fit la remarque que peu importe l'avis de Qilin sur elle, elle ne se reverrait probablement pas assez souvent pour que ça ait le moindre impact. Ezelya était connue par tous les membres de sa famille pour être sur les routes la plupart de l'année, ne repassant par Lüh qu'une fois par saison, au mieux. On ne la voyait pas plus dans le domaine familial que dans les évènements de la Cour. Certains la pensaient en quête de ce qu'elle avait perdu, alors que d'autres la pensaient simplement partie sur une volonté de fuir ses responsabilités. Dans la plupart des cas, cependant, on oubliait son existence. Qilin ferait de même. Elle deviendrait pour elle un fantôme, qu'on voit de temps en temps, mais qui passe toujours en coup de vent, ne laissant derrière qu'une vague impression. Et puis plus on l'oubliait, moins elle causait de tort à la réputation de sa famille. Les seules personnes à réellement penser à elle étaient ses parents, Arianne et Ari. Sinon, elle savait de source sûre qu'on ne la mentionnait pas souvent.

Alors, si on la savait au loin, les attentes ne devaient pas être très élevées, non? Bien sûr, elle ne voulait pas tout faire foirer pour Ari, mais on lui pardonnerait sans doute une petite incartade, quand même? Oui, oui on le lui pardonnerait. Elle se rasséréna. Certes, c'était perturbant de craindre autant un manquement à la politesse quand elle avait pour habitude d'établir les règles, mais elle s'y faisait.

Elle recentra son attention sur Qilin, sincèrement intéressée par sa réponse. Pas qu'elle veuille en savoir plus sur les missions que remplissait la demoiselle, mais entendre parler du vaste monde était toujours un plaisir. Surtout quand elle avait la chance de pouvoir comparer leurs expériences. Après tout, la noble dame devait souvent voyager par la terre, et de façon entièrement légale. Ezelya empruntait plutôt la mer, et les chemins clandestins pour se rendre d'un point A à un point B. Elle se demandait comment une garde dorée pouvait vivre le voyage.

Et puis elle se disait que ce devait être dommage, d'être déployé sur Arcane sans jamais vraiment avoir la chance de décider où se rendre, non?

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05/01/2019

Et la chaleur de la justice s'abattit sur la glace du crime

Et une autre gorgée de thé. Le récit de la demoiselle remit la situation sur le bon chemin. Ses intonations "sautillantes" agaçaient légèrement l'ouïe de la fille de Marquis. Mais ce qu'elle racontait s'avérait relativement intéressant. Plus que les aventures des dames de la cour, en excluant celles attaquées par des bandits.

À la mention d'une épreuve, Qilin afficha une expression étonnée. Quelle inconscience. Surtout à l'écouter relater ainsi son échec. Elle aurait pu mourir. Tenait-elle son frère au courant de ce genre d'initiatives ? Au vu de leur lien, un tel caractère ne pouvait être sans conséquences sur le jeune homme. Même elle, en tant que Capitaine, n'avait jamais franchi les portes d'une cellule divine. Cela ne saurait tarder.

Une pointe de culpabilité, derrière cette sottise ? Impossible d'affirmer l'un comme l'autre. Son sens du mérite ancré dans ses gênes militaires avait décidément du mal à la laisser tranquille. Le Nord, le Temple de l'Air, les Monts Célestes. La fille Kor'lenter avait raison, c'était magnifique. La sincérité marquait ses mots et soulevait le plaisir de telles aventures.

Qilin but une gorgée de thé en détournant brièvement le regard. Son air songeur passerait certainement pour une rêverie. Une aux couleurs des voyages de son hôtesse. Elle rit doucement. Puis reporta son attention et sa voix gracieuse vers la jeune femme.

« Tout ceci possède quelques échos, en effet. Ari m'a beaucoup parlé de vous. C'est pourquoi j'avais tant à cœur de vous rencontrer. Mais il est aussi resté très secret sur de nombreux points. Et il a raison. Votre vie vous appartient, Ezelya. »

Qilin n'était pas hypocrite au point d'affirmer que personne ne devrait satisfaire la curiosité d'autrui à la place de l'intéressé. La société noble et le commerce d'informations en prendraient un coup. Seulement, Ezelya aspirait à la liberté. Qu'elle fuie ses responsabilités ne l'impactait pas, à l'heure actuelle. Alors elle pouvait bien risquer sa vie si elle le souhaitait.

La question suivante lui aurait soutiré un rictus si sa composition de noble distinguée avait manqué d'entraînement. Se laisser porter. Visiter. Deux termes lui étant totalement inconnus. Cet exercice pseudo-familial s'avérait finalement déplaisant. Qilin prit quelques secondes pour mûrir son propos.

« J'ai beaucoup bougé à mon entrée dans la Garde. J'ai de la chance, c'est vrai. J'ai pu admirer les Quatre Temples. Je n'ai pas eu l'occasion de voir toutes les contrées mais j'en connais bien certaines. Le Nord, notamment. Il se trouve que j'ai vécu plusieurs années dans la partie haute des Landes Luxuriantes. »

Ne souhaitant plomber à nouveau la discussion, elle lui laissa imaginer les activités d'une Garde si près des forces du Keizer. Les effusions de sang, la chair tranchée, la chute quotidienne de ses camarades d'armes... rien ne lui manquait. Quant à l'action, la soldate avait compensé en constituant son équipe de traqueurs. Elle poursuivit, comme si sa déclaration était dépourvue de contexte. Pour une fille de noble, c'était sans doute le cas. La conscience d'Ezelya était-elle différente ?

« J'aime particulièrement Rorn, et ses habitants. Ils peuvent être fier de leur ténacité. Le climat nordique n'a rien à voir avec la capitale. Il fait si froid là-haut ! »

La jeune Lù retint un sourire, s'amusant de sa propre sincérité. Satisfaite d'avoir su trouver son aisance sur ce terrain, elle poursuivit.

« Où viviez-vous dans le Nord ? Peut-être que je connais ? »

Codage par Libella sur Graphiorum
Crédits Image - Gustavo Santiago

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