Oblivion était en phase terminale de rémission de sa blessure à la cuisse, mais, alors qu’elle avait donné son assentiment pour faire partie de l’escouade de la Capitaine Lù, elle restait affectée aux rondes simples de la capitale et de ses environs immédiats avec Karl. Elle en venait même à se dire que le Major Barkin la punissait en lui attribuant des missions de recrue, exprès.
Mais les ordres étaient les ordres et, sans nouvelle de la Capitaine, elle continuait d’être affectée aux troupes du Major. Donc là voilà qui parcourait, de nouveau, les rues de Lüh pour rassurer ses habitants sur les effectifs, la puissance et les aptitudes de la Garde Dorée a assurer la sécurité des citoyens du Prince plus que parce qu’il y en avait vraiment besoin.

Cette fois pourtant, elle était seule. Karl avait été appelé à l’extérieur et comme il était lui à cent pour cent opérationnel, il avait du la laisser pour rejoindre une autre escouade. Maxis quant à lui était sur une pente remontante, mais il était toujours sujet à de trop grosses migraines pour pouvoir reprendre du service alors…
Oblivion marchait donc dans les rues commerçantes de Lüh, main négligemment posée sur le pommeau de sa claymore, le port altier et militaire, son armure étincelante de propreté -pour une fois- brillant sous le soleil de cette belle journée, et elle regardait de ci, de là, essayant de trouver un voleur à coincer, à défaut de plus exaltant.

D’ailleurs, n’était-ce pas un gamin qui venait de subtiliser la bourse replète d’un marchand bedonnant juste là ? Attrapant le garnement par l’oreille avant qu’il disparaisse dans la foule, elle tendit la main en demandant d’un ton sévère :

“Rends ce que tu as pris.”

L’enfant grimaça, gigota mais l’oreille tordue lui faisait trop mal et il ne mit pas longtemps à rendre la bourse. Oblivion relâcha ensuite le voleur qui s’enfuit sans demander son reste, lui épargnant un discours de bonnes manières. Elle se doutait bien que s’il en était réduit à voler c’est qu’il n’avait pas le choix. Et elle n’était de fait pas de ceux qui coffraient les gamins crève-la-faim pour satisfaire à des quotas.
Se tournant, elle tapota l’épaule du gras marchand et lui tendit sa bourse.

“C’est à vous, je crois.”

Le marchand récupéra son bien avec moult remerciements, et elle se contenta de hocher de la tête dans un salut martial avant de reprendre sa ronde.

Celle-ci fut de nouveau rapidement interrompue, au détour d’un ruelle moins fréquentée, quand une demoiselle lui rentra dedans de plein fouet. Oblivion recula de trois pas mais tint bon, contrairement à son opposé qui s’étala de tout son long en arrière. Après s’être remise du choc avec deux clignements d’yeux plus surpris que douloureux, Oblivion se pencha vers la demoiselle en tendant une main accompagné d’un :

“Est-ce que ça va ?”

Mais alors arrivèrent deux hommes, qu’elle identifia rapidement comme des Miliciens. Ceux-ci marquant un temps d’arrêt à la scène de la rousse étalée au sol et de la Garde Dorée lui tendant la main pour l’aider à se relever sans doute, puis il s’avancent, d’un air menaçant dirigé vers l’allongée.
Fronçant les sourcils, Oblivion reprit alors sa posture droite et demanda d’un ton plus froid, se refermant dans son rôle de Garde :

“Que se passe-t-il ici ?”

Sa question, pour le coup, s’adressait autant aux deux hommes qu’à la demoiselle. Et son ton exigeait des explications claires… Très rapidement.

Oblivion contempla l’un des deux Miliciens relever manu militari la jeune femme qui était toujours au sol et énoncer les faits. Elle fronça un chouïa plus les sourcils. Une voleuse ? Elle n’avait pas l’air maligne pour une voleuse. Et surtout, elle était trop désorientée pour correspondre. Les voleurs avaient soit assez de jugeote pour courir en regardant devant eux, soit assez de verve pour essayer de se tirer d’un mauvais pas quand ils se faisaient attraper, voir les deux.
Passant un regard sur la prétendue criminelle, il était évident qu’elle ne savait ce qu’elle faisait là, ni pourquoi on l’avait arrêté. Et la Bijouterie Toeni était une cible trop grosse et trop difficile pour une débutante. Donc, si malgré tout elle avait tenté… Elle était vraiment pas maligne.

Mais la dénégation qui fusa après un temps de retard fit aussitôt pencher la Garde pour la première option : cette gamine n’était pas du tout une voleuse. Il devait y avoir méprise.
Enfin, connaissant la mère Toeni de ses jeunes années passées avec Lagertha et ensuite au cours des réceptions et rendez-vous mondains auxquels elle avait du se plier, elle savait que la propriétaire de la bijouterie était quelqu’un d’assez peu… Avenant. Et avec une très haute opinion d’elle-même et de sa caste. Le genre typique de noble qui ne faisait pas de bien à leur image.
Bref, la jeune femme avait du commettre un impair mineur quelconque et la Toeni avait lâché ses chiens de garde à ses trousses pour la punir. C’était tout à fait son genre. Et surtout, ce n’était pas la première fois qu’elle faisait expulser quelqu’un de sa boutique d’une manière assez peu commerciale.

Malheureusement, le seul avis d’Oblivion ne suffirait pas à débarrasser la demoiselle des deux Miliciens. Surtout de celui qui exigeait maintenant qu’elle rende ce qu’elle avait pris d’un air méprisant. Soufflant doucement, la Garde leva une main pour interrompre la scène quand, visiblement en désespoir de cause, l’inconnue la supplia de la croire… En la nommant directement.
S’immobilisant, la blonde fronça de nouveau les sourcils en détaillant la prétendue voleuse. La connaissait-elle ? A première vue non, et même après un examen plus approfondi, rien ne lui revenait.
Il n’était cependant pas impossible que ce soit quelqu’un qu’elle avait déjà aidé et dont elle ne se rappelait pas. Peu probable toutefois, Oblivion n’oubliait pas les visages. Elle avait une mémoire terrible pour les noms mais pas les visages. Elle se serait rappelé.
Il conviendrait donc qu’elle investigue ce point plus tard. Mais avant, il fallait dissiper le malentendu avec les Miliciens.

“Pardonnez moi, mais je ne me souviens pas de votre nom. J’imagine que j’ai déjà du vous aider par le passé. Je m’excuse de ne pas vous remettre.”

Elle ne pensait pas vraiment ce qu’elle disait, mais il était important que ces deux hommes ne pensent pas qu’elle aidait la jeune parce qu’elles se connaissaient. Elle poursuivit d’un ton neutre.

“Mais je vous crois. Seulement, votre parole et la mienne ne suffisent pas, je suppose que vous comprenez.”

Et avant que toute protestation supplémentaire ne survienne, elle exposa donc sa solution pour résoudre ce malentendu.

“Je suggère donc, afin de dissiper tout quiproquo et de prouver votre innocence, que je vous fouille, étant la seule femme ici, et que je montre à mes deux collègues, qu’en effet, vous n’avez rien volé. D’accord ?”

La question, là encore, s’adressait aux trois présents dans la rue.
Il faudrait bien que ça convienne au deux Miliciens, car Oblivion n’avait pas l’intention de les laisser emmener cette fille à leur caserne pour l’incarcérer. Elle voulait savoir pourquoi cette inconnue connaissait son nom avant. Ensuite, elle serait libre de l’escorter elle-même au poste, ou de la laisser filer.
Par ailleurs, elle espérait que la jeune femme comprenne que se laisser fouiller était sa meilleure option pour s’innocenter. Mais vu qu’elle avait l’air de nager un peu dans l’incompréhension, rien n’était moins sûr.

Alors ça. Oblivion ne s’attendait pas vraiment à ce que la jeune femme commence à vider son sac sur les pavés. Mais enfin, ça prouvait au moins, d’une qu’elle avait compris, et de deux qu’elle comptait coopérer. Deux excellents points pour terminer de clarifier ce stupide quiproquo rapidement. L’un des deux Miliciens, le plus suspicieux, se pencha pour regarder les affaires que la Garde Dorée avait rapidement su ne contenir aucun bijou Toeni. Mais l’homme qui fouillait était vraiment soit très investi, soit il avait développé une dent particulière contre la rousse qui patientait, et cela énerva Oblivion. Hors de question que ce Milicien mal luné ne fasse durer inutilement cette affaire.

Quand il se redressa, évidemment sans rien avoir trouvé, et avant qu’il ne parle, Oblivion leva une main et s’exprima de sa voix sévère, à l’attention de l’homme.

“Vous voyez bien qu’il n’y a rien. Toutefois puisque je vous sens bien prompt à soupçonner, je vais procéder à une palpation corporelle. Si je ne trouve rien, je vous demanderais de partir. Et si tout ça ne suffit encore pas, je vous autorise à me citer comme garante pour cette demoiselle. Garde Dorée El’Galas. J’imagine que mon nom vous dit quelque chose ? Bien.”

Oblivion nota, non sans une certaine pointe de satisfaction, le Milicien insistant pâlir un peu en entendant son nom. Qu’elle soit connue pour son service rigoureux dans la Garde, ou par ses riches parents, peu de gens ignoraient qui elle était. Les seuls qui avaient ce luxe étaient les nobles, ou les indigents. Les gens entre les deux savaient, au moins de nom, qui elle était.

Ceci dit, sans plus attendre, Oblivion palpa la demoiselle rapidement, en quelques gestes experts et pas trop intrusifs, sans renouveler sa demande d’accord, puis, ne trouvant rien, précisément comme elle s’en doutait, se pencha, ramassa la sacoche de la rousse et lui tendit, avant de ramasser ses objets un à un pour les lui tendre.
Ce faisant, elle annonça :

“Donc il n’y avait rien sur elle. Je vous laisse donc retourner à vos autre occupations messieurs. Je m’occupe de raccompagner mademoiselle.”

Une fois tout ramassé, y compris les dagues, qu’elle rendit sans broncher à la demoiselle, elle attendit que les deux Miliciens aient évacué les lieux, puisqu’il n’y avait plus rien à dire, puis elle se tourna vers la rousse et lui demanda, s’étant un chouïa détendue quand les deux hommes eurent tourné au coin de la rue.

“Alors, dites-moi, comment connaissez vous mon prénom ? On s’est déjà croisées ? Et qu’avez vous fait, chez la Toeni, pour qu’elle lâche la Milice à vos trousses ? Puisque ce n’était visiblement pas un vol ?”

Le regard qu’elle posa sur la rousse était insistant et aiguisé, comme si elle passait le moindre détail de son visage au laser pour essayer de se rappeler si elle l’avait déjà croisé. Et même si son ton était moins sec et cassant qu’avec les Miliciens, il exigeait quand même des réponses.