Tout d’un coup je senti une incroyable rafale de vent s’abattre sur cette partie de la forêt. Je fermais les yeux pour les protéger des projections de terre et de caillou quand, l’instant d’après, je sentis quelque chose d’immensément gros m’effleurer. Presque couchée, mon coude gauche comme seul rempart avant de m’effondrer au sol, je vis avec stupeur le Gardien en plein vol, juste au dessus de moi. En quelques battements d’ailes il atterrit à seulement quelques centimètres de moi, puis il se rapprocha jusqu’à me dominer de toute sa hauteur. Ses pas étaient lents, mais tendus et déterminés. Dans son regard il n’y avait plus ni bienveillance, ni tristesse. Je me raidis, ce regard, je le connaissais. Il était semblable aux centaines de regards que j’avais pu croiser sur ma route alors que j’étais témointe de tant de guerres incessantes et d’injustices. Dans ses yeux vibraient la colère, la violence contenue, l’agressivité. Soudain, l’air de la forêt avait changé, la bienveillance avait laissé place à une atmosphère de tension, le temps semblait s’être figé, comme dans l’attente de ce qui allait se produire. Mon temps à moi avait suivi le mouvement. Je m’étais figé. Je n’avais pas peur, non. Mon coeur battait à un rythme lent, mes muscles avaient conservé toute leur souplesse, même mon esprit semblait dominé par le calme. Ce phénomène ne me surpris pas. J’y étais habituée. On appelait ça un phénomène de dissociation je crois. Ma tutrice me l’avait un jour expliqué alors que je l’avais questionnée après une exploration particulièrement périlleuse et à l’issue dramatique. Cela arrivait chez certaines personnes. Dans mon cas cela s’exprimait surtout quand j’étais face à une situation potentiellement dangereuse ou stressante, ou lorsque j’étais témointe ou pris à parti par une réaction émotionnelle forte, qu’elle soit positive ou négative. Quand cela se produisait, il me semblait « quitter le jeu », comme je l’appelais. Là ou devait normalement se trouver les sensations ou les sentiments n’existait plus qu’un immense vide. Je devenais profondément analytique. Je n’étais plus un corps, soumis aux inclinaisons naturelles, mais un esprit qui paraissait flotter au dessus de la scène. J’aimais cette sensation, elle me procurait du calme, me réconfortais. Je regrettais par avance le temps où je devrais fatalement en sortir. Je regardais donc le Gardien, au dessus de moi, et je fixais mon regard au sien. Puis il recula de quelques pas et me dis d’une voix profonde :
« La vulnérabilité de ton espèce est fausse. Vous cachez la trahison, la dangerosité et la destruction. J'apprécie néanmoins la bonté, le respect et la sincérité. J'accepte ton offrande de fierté. Tu devras m'avoir offert quelque chose de véritablement précieux avant de déposer les gemmes sur l'autel. »
Un courant électrique ramena tout à coup mon corps au devant de la scène. La tranquillité et le calme m’avaient quitté tandis que le Gardien s’en allait doucement et disparaissait dans l’ombre de la forêt. Une boule venait de se creuser au fond de mon ventre, douloureuse et piquante. Mes oreilles vibraient et chauffaient sous mes mèches de cheveux tout à fait emmêlés après son passage en vol. Mon esprit étaient en ébullition, mes pensées s’emmêlant et se remplaçant à un rythme presque fou. Mon coeur battait à tout rompre dans ma poitrine tandis que je sentais ma mâchoire se resserrer. J’avais déjà ressenti de la colère, quand je m’étais aperçu du jeu de dupe dans lequel ma tribu m’avait tenu si longtemps. Mais ce sentiment là n’était pas aussi simple. Je ressentais mille et unes émotions complexes et contradictoires. Je ressentais de la tristesse, de ne pas avoir été comprise, de la colère face à cette forme de violence gratuite, de la compassion, envers ce que la Gardien venait de me confier, et de l’injustice, pour ce nouveau jeu de dupe qui se déroulait devant moi. Non, je m’étais décidée il y a bien longtemps, de ne plus être la marionnette du jeu des autres, de ne plus subir le mensonge, l’hypocrisie et les faux semblants. Je ne me ferais plus avoir. Mon corps tout entier réclamait la justice et l’authenticité. Jusqu’à aujourd’hui, je ne m’étais jamais battue pour quelque chose, tout me semblait alors de moindre importance. Je n’avais jamais pris part à quelque action venant de l’ego ou du bénéfice personnel. Jusqu’à aujourd'hui. J’avais décidé de changer, de ne plus être le dupe du propre jeu que je m’étais érigé avec habilité. Ainsi, pour la première fois de ma vie, je décidais d’agir. Pas pour le bien commun, ou par intérêt intellectuel. Je décidais de laisser ces étranges émotions me guider.
Le pas déterminé et rapide je me dirigeais vers le premier autel, les trois gemmes avec moi. Je retrouvais vite mon chemin, j’avais suffisamment pris mes repères pour savoir où se trouvait ma destination. Ainsi, peu de temps après m’être mis en marche, j’étais de nouveau là, devant cette magnifique source qui m’avait tant émue à mon arrivée. Pour l’heure, je n’en éprouvais plus aucun intérêt, mon regard était fixé sur le Gardien qui se trouvait là, bien assis, entouré de tous les animaux que j’avais rencontré. Je respirais un grand coup, profondément, calmement, et je me tins droite, la tête relevée et le regard fixe. Il n’était plus l’heure de la politesse ni des postures respectueuses. Je me tenais droite, déterminée, inflexible. Affrontant le Gardien dans une posture d’égal à égal.
« Je refuse.. » Dis-je d’une voix forte et vibrante d’émotions contenues.
« Je ne vous donnerais rien de plus, rien de moins. Changer de réponse ne ferait que vous démontrer une fois de plus la grande inconsistance des humains que vous déplorez. Je vous ai promis l’authenticité et la loyauté. Ainsi, je resterais honnête et loyale envers mes sentiments. Je ne céderais pas dans le but de vous plaire. Ce serait me mentir. Et vous mentir. Oui, l’humain est inconsistant, et leurs sentiments changeant, vous avez raison. Et l’homme est capable du pire, je ne le sais que trop bien. Mais c’est exactement pour ça que cela fait de lui l’être le plus vulnérable qui soit. C’est parce qu’il est vulnérable qu’il se laisse tenter par la violence, le mensonge et la domination. Il n’y a point d’homme heureux pour faire la guerre. L’homme satisfait et épanoui ne ressentira point le besoin d’exercer sa domination. C’est l’homme qui souffre qui le fait. C’est l’homme seul, blessé ou fragile qui se laisse aisément tenter. C’est parce qu’il est humain, qu’il vit et qu’il ressent des émotions. C’est notre condition humaine qui nous rend profondément vulnérable. C’est de cela que l’homme cherche à se protéger. Et c’est ce qui le plonge dans des comportements violents et destructeurs qui ne lui apportent rien de plus que le vide. L’homme qui sait reconnaître sa vulnérabilité, et qui la partage, lui, peut espérer être heureux et répandre la paix. »
Je repris ma respiration et dit d’une voix calme et douce :
« Vous même n’en n’êtes pas exempt. C’est cette même vulnérabilité que vous condamnez qui vous a poussé à réagir ainsi. Elle ne vous est pas inconnue, cette force qui pousse à se protéger et à protéger à tout prix pour ne pas souffrir. Même si elle mène parfois à des comportements que l’on vient à regretter. Pourtant, et de cela j’en suis sûre, cela ne fait pas de vous un être vil et malveillant. Je vous ai confié ma vulnérabilité, ma condition d’être humain, dans tous ces défauts et sa complexité. Mais aussi, dans toutes ses potentialités et ses qualités. Je ne me farderais pas devant vous. J’ai pris la décision d’assumer mes peurs, mes pensées les plus obscures et mon ego, et de les partager avec vous. Et cela dans le but de devenir meilleure. Il n’y a pas plus précieux que cela. Si cela vous convient, alors partageons notre vulnérabilité. Et travaillons ensemble à devenir meilleur sans nous laisser dominer par elle. Si cela ne vous conviens pas, tant pis. Je ne ferais pas semblant. Et je quitterais de ce pas ce temple sans me retourner. »
Malgré les apparences, la vie au sein de la Source n'est pas faites de ce calme paisible, ce n'est pas un endroit plein de sécurité et de paix. Les lois de la Nature s'appliquent au sein de la Source : chaque individu est une ressource potentielle pour un autre. Ainsi les prédateurs doivent manger, les populations doivent être régulés, certains jeunes ne survivent pas à leur première année. Il y a des morts, il y a des drames, des scènes de chasse épique. Le sang coule tous les jours, les morts et les naissances sont quotidienne. Vivre est dangereux. C'est parce que l'équilibre en maintenu au plus proche possible de la perfection que chacun savoure sa vie, que l'impression de paix et de sécurité est intense. La vie est aussi violente et terrifiante qu'elle est douce et agréable.
Jamy se plaça face à nous, droite, déterminé et d'une voix forte elle nous défia, tous, en refusant de modifier son choix. Elle choisissait des rester loyal envers ce qu'elle m'avait offert en premier, de ne pas changer pour me plaire, de ne pas me mentir. C'était là l'authenticité véritable, la sincérité pure... ou bien un coup de maître d'un individu sournois et intelligent. Non ce n'est pas en passant quelques heures au sein de mon temple qu'elle allait gagner ma confiance. En revanche elle pouvait me convaincre de prendre le risque de lui offrir la chance de l'obtenir, elle pouvait me donner envie de devenir son Gardien, de la protéger.
D'une voix plus douce, elle dit que j'étais moi aussi atteins de cette vulnérabilité. Elle avait raison : la perte de la Source fut la destruction de ma vie. Elle était mon bien le plus précieux, ma plus grande force et ma plus grande faiblesse. Elle était fragile et était tout pour moi, aujourd'hui qu'elle n'est plus, ais-je toujours une raison de vivre ? Nous en avons souvent interdit l'accès pour la protéger, longtemps nous avons condamné les entrées. N'était-ce pas comparable à cet enfermement sur soit même que Jamy m'avait avoué ? Elle ne fera pas semblant pour me plaire, préférant quitter le temple.
Ses paroles furent accueillis par un profond silence, même les oiseaux attendaient. Durant une très longue minute, il n'y eut aucun autre bruit que celui du vent, des plantes et de l'eau. Les animaux attendaient ma décision. Finalement, je fermais les yeux et effectuais un mouvement de tête vers le bas. Je m'inclinais, j'acceptais son offrande. Puis je me levais et m'éloignais en longeant la rive de la Source. Le chant des oiseaux reprit et les animaux se dispersèrent. Les castors en premier : beaucoup de travail les attendaient. Puis se fut au tour des loutres, reprenant leur partie de jeu dans l'eau. Le cygne se laissa glisser avec paresse et majesté dans l'eau, les chevaux s'en allèrent paisiblement frôlant l'humaine. Les loups s'approchèrent d'elle : le mâle, franc mais doux, posa les deux pattes sur les épaules de Jamy et lui renifla le visage. Il lui donna un petit coup de museau puis s'en alla. La louve effectua le même rituel accompagné cette fois d'un coup de langue sur la joue. Le renard quant à lui sautilla tout autours de Jamy avec des exclamations ressemblant à s'y m'éprendre aux éclats de rire humain, adaptés à ses cordes vocales avant de s'éloigner, la laissant seule. Sur l'autel, les mots suivant apparaîtront lorsqu'elle aura déposé les gemmes :
« Longe la Source et rejoins le Gardien prêt du miroir »
Durant son trajet, elle assistera à de nombreuses scènes de vies, toutes plus paisibles les unes que les autres, toutes belles. Mais aucune n'égale en beauté, en pureté la Source comptant parmi les plus beaux endroits de l'ancien monde aujourd'hui oublié, une magie perdue. Elle m’apercevra de loin. Installé tranquillement sur la berge, j'observais la Source avec une paisible gravité, perdu dans mes pensées. Non loin de moi se trouve un nouvel autel et sur celui ci une vasque. Un objet d'une infinie délicatesse pourtant en pierre. Un objet qui n'a pas été fabriqué par l'humain. Le miroir est rempli d'eau à ras bord, à la limite de déborder pourtant pas une seule goutte ne s'échappe. L'eau est aussi immobile que si le temps s'était arrêté. Lorsqu'elle en sera à ses dernières mètres, je prononcerai :
« Regarde dans le miroir et tu comprendras. Mais prends garde, ce que tu y verras te changera à jamais, ce que tu y verras pourrait te détruire. »
Je ne la forçais en rien, le choix lui appartenait. Elle pouvait quitter le temple sans moi, indemne. Plusieurs humains étaient morts ici, de choc. D'autres s'étaient enfuis, épouvantés. Aucun n'y échappa, pour tous ce fut un choc terrible. L'un de mes anciens libérateurs fut secoué de sanglots durant de longues minutes. Il s'agissait du test principal, celui qui me permettait de forcer l'humain à se dévoiler, de forcer sa sincérité, de le forcer à dévoiler ses cartes.
Mes mots furent accueillis par le silence. Un de ces silences qui nous font battre le coeur un peu plus vite, qui aiguise nos sens et qui affole nos pensées. Et pourtant, à l’inverse de toutes les fibres de mon corps qui s’agitaient en tout sens en attendant le résultat de ma déclaration, je me sentais « alignée ». Comme si chaque particules de mon corps étaient en accord avec mes mots. Je ne regrettais rien, je n’avais pas de doute. En tout cas, sur ce que j’avais exprimé. Toutefois, cela vint réveiller en moi un sentiment de malaise, un petit ébranlement que je décidais de mettre de côté. Ce n’était pas l’heure. Je respirais profondément pour permettre à mon coeur de retrouver un rythme normal et je m’appliquait à ordonner mes idées. Au bout de quelques respirations je retrouvais vite mon flegme naturel que j'appréciais tant et laissais rapidement toute ses émotions derrière moi. Mon regard toujours fixé sur le Gardien, j’attendais patiemment sa réponse. J’étais sereine, quelque soit sa décision je ne reviendrais pas sur la mienne. Cette fois il ne parla pas. Mais il baissa légèrement la tête et se leva lentement en longeant la rive de la Source. Je pris le temps de réfléchir à cette réaction. Signifiait-elle qu’il acceptait ma décision ? Je devais en être sûre et ne pas me laisser prendre par d’inutiles interprétations émotionnelles. Je restais donc ainsi, debout et immobile, en quête d’un autre signe me prouvant qu’il m’était autorisé de continuer. Le dit signe ne tarda pas à venir. Alors que la majorité des animaux s’en étaient allé retrouver la quiétude de leur quotidien, les deux loups s’approchèrent de moi. Ce fut d’abord le loup mâle qui brisa cette distance qui nous séparait en posant ses pattes avant sur mes épaules. J’avais appris il y a longtemps à distinguer le comportement d’un animal hostile d’un animal qui essayait de mettre du sens à ce qu’il avait sous les yeux. Ou sous le nez, dans cette situation. Après m’avoir regardé, le loup me renifla longuement, pour finalement décider de me donner un léger coup de museau, franc, mais doux. Disciplinée, je ne le touchais pas. J’acceptais simplement ce qu’il voulait me donner, sans en exiger davantage. Une règle d’or chez moi. Ne jamais demander plus à quelqu’un plus qu’il ne peut vous donner. L’instant d’après ce fut à la louve de se tourner vers moi. Elle aussi monta sur mes épaules et me renifla un moment, pour finalement me lécher la joue. Puis tout deux repartirent tranquillement. En les suivant des yeux je remarquais alors le renard que j’avais déjà rencontré. Je ne l’avais pas reconnu tout de suite. Il faut dire que son attitude n’étais plus du tout la même. Il avait définitivement quitté sa posture inquisitrice pour sautiller et s’exclamer autour de moi comme un enfant. Je prenais cela pour un acquiescement. Jusqu’à cet instant, chacun des animaux présents près des autels que j’avais visité avaient observés une stricte distance envers moi. Aucun d’entre eux ne s’étaient rapproché ou adopté un comportement d’évitement ou de méfiance. Comme si chacun savait déjà qui j’étais et pourquoi j’étais là. Sans jamais cesser de m’observer. Leur rôle était crucial, un rôle d’observateur, sinon de juge. S’ils avaient décidé de rompre cette distance pour venir me rencontrer, c’était que leur rôle était terminé. Il était temps pour moi de retrouver le Gardien. Après avoir déposé les gemmes sur l’autel, je longeais la Source comme l’inscription me le demandait :
« Longe la Source et rejoins le Gardien prêt du miroir »
Je suivis le long de la rive avec lenteur, appréciant chaque minutes passées au milieu de cette source, et me retrouvais vite face à un nouvel autel. À quelques pas de là je pouvais apercevoir le Gardien confortablement installé sur la berge. Du bout de mes doigts j’effleurais l’autel, et j’observais l’étrange vasque qui trônait à son milieu. À l’inverse de gemmes, celle-ci était fait d’une infinie simplicité. Tout en pierre, il contenait une grande quantité d’eau. Pourtant d’ordinaire banal, je sentais que tout n’était pas comme il y paraissait. Ce fut à ce moment là que la voix du Gardien me parvint à nouveau :
« Regarde dans le miroir et tu comprendras. Mais prends garde, ce que tu y verras te changera à jamais, ce que tu y verras pourrait te détruire. »
Je l’observais. Lui, confortablement installé au bord de la rive, moi, debout devant l’autel. J’étais devant ce qui me semblait être la dernière épreuve. La plus importante sans nul doute puisque cette fois, aucun animal ne venait m’observer. Je restais ainsi quelques minutes, à observer la vasque devant moi. Et je pensais. Je pensais à ma route jusqu’à aujourd’hui, à ce qui m’avait amenée jusqu’ici. Aux changements, inévitables, qui s’étaient opérés en moi. Le Gardien avait dit « ce que tu y verras te changera à jamais ». Chaque moments, chaque instants passés sur cet terre nous changeais à jamais, et on ne pouvait revenir en arrière quelques soit nos efforts. Lorsque le temps passait sur nous l’histoire se trouvait inscrite pour l’éternité. Comme gravé sur un marbre invisible. Même l’action la plus infime nous changeait profondément. Et tous les instants passés ici m’avaient déjà changée. Je n’avais jamais eu peur du changement, au contraire, ce qui me faisait le plus peur était l’immobile. C’était pour cela que je ne restais jamais bien longtemps à quelque endroit que ce soit et je me laissais vite. Quant à me « détruire », je me questionnais au sens de cette phrase. Qu’est -ce qu’elle viendrait détruire en moi ? Cette menace imminente ne rencontra aucun écho. Rien ne me venait. Je caressai la vasque avec douceur, les yeux plongés dans les abysses de mes pensées. Et je regarda dans le miroir.
Seule le reflet de Jamy fut visible tout d'abord à la surface de l'eau. Le fond était lisse, le liquide était si pur qu'il aurait été insultant de le toucher. Durant plusieurs secondes il ne se passa strictement rien, l'eau ne renvoya que son reflet. Les oiseaux chantaient, j'étais installé non loin observant la Source, tout était très calme. Comment une simple vasque pleine d'eau pouvait-elle transmettre autre chose que le reflet de Jamy? Était-ce qu'il fallait voir, le reflet de son propre visage, des feuilles des arbres au dessus d'elle, les nuages en fond avec de temps en temps un oiseau passant dans le ciel ?
Soudain, Jamy eut l'impression de basculer en avant. Ce fut une impression seulement car elle ne bougea pas. Une vague circulaire apparu partant du centre de la vasque et une image, une scène apparu. Tout était si réel que Jamy aura l'impression de s'y trouver, elle ne pourra pas échapper aux images qu'elle verra. Elle entendra et ressentira tout. Tout d'abord elle me verra moi, entouré de trois autres demi-dieux au bord de la Source. Nous la regardons avec fierté, nous la regardons avec amour, nous la regardons avec protection. Elle est le bien le plus précieux de la création à nos yeux.
Nouvelle vague. J’apparais dans les airs, survolant la Source de Pureté dévoilant la forêt l'entourant, sa frontière terrestre pratiquement infranchissable. Jamy ressentira ma joie, mon bonheur, mon amour pour la Source. Elle reconnaîtra la petite marre ainsi que la prairie ou elle s'est rendue et s’apercevra de l'immensité du lieux. Nouvelle vague. Je me dirige vers un village humain au bord d'une rivière trouvant naissance de la source, à l’extérieur de ses frontières. J'y apporte un fruit pour chaque habitant, je les aide à déplacer un tronc qui est tombé, à installer une charpente. Je suis remercié par les humains. Nouvelle vague. Je me trouve à l'une des entrées de la Source face à une armée humaine. Ils semblent me demander quelque chose. Je refuse et m'attaquent soudainement, tout n'est que sang et violence extrême. Jamy ressentira mon choc, ma confusion d'avoir été obligé de me défendre avec une telle violence. Nouvelle vague. Un petit temple humain a été construit au bord de la Source. Je suis là, couché comme Jamy a désormais l'habitude de me voir. Je discute et regarde un petit groupe d'humains travailler. Elle pourra ressentir mon affection pour eux, ils sont mes protégés.
Nouvelle vague. En volant, je m'approche du village humain proche des frontières de la Source devenue ville, j'ai avec moi des présents. Soudain un choc violent aussitôt suivi d'une terrifiante douleurs frappera la poitrine de Jamy. Jamais elle n'aura ressenti une douleur aussi intense. En baissant le regard elle verra l'arme humaine puis réalisera le pieu gigantesque planté dans sa poitrine verte. Elle ressentira ma surprise colossale : jamais je n'avais ressenti pareille blessure, jamais je n'aurai imaginé pareille trahison. Elle ressentira ma douleurs, assistera à mon crash, ressentant tout, les arbres se brisant dans ma chute, des chocs d'une violence intolérable, inimaginable pour un humain, me verra enlever le pieu, le sentira glisser et arracher la chair puis ressentira toute ma détresse, ma panique quand je réalise que les humains me traquent. Le sentiment nouveau d'être une proie, la surprise de la trahison par des êtres aimés. Nouvelle vague. Je suis au bord de la Source, je souffre terriblement. Ma douleurs est physique, mon choc est terrible, mon incompréhension et ma confusion immenses. En lieu et place de mon cœur se trouve une horrible plaie dégoulinante de sang. Une foule est présente autours de moi comme si toute la population de la Source était là, à mon chevet. Même les humains que nous avons recueillis sont là. La scène est aussi terrible que magnifique, aussi belle que triste. Le miroir insistera longuement sur cette scène, sur cette vision afin qu'elle soit marqué à jamais dans la mémoire de Jamy, à jamais. Nouvelle vague. Elle assistera à la destruction de la ville par les Gardiens de la Source. Elle nous verra distribuer mort et destruction. Puis elle me verra pleurer au sein des ruines de la ville. Pleurer à chaudes larmes un tel gâchis, toutes ces vies perdues. En lieu et place de mon cœur une plaie à peine refermée. Elle me verra découvrir une peluche d'un enfant humain, la regarder et m'effondrer en sanglots en la serrant contre moi. Une nouvelle fois le miroir insistera, la forçant à me regarder pleurer longuement.
Nouvelle vague. Elle verra des flots de réfugiés demi-dieux, animaux et humains se présenter à la Source. Jamy nous verra organiser nos défenses, elle assistera à une terrible bataille, elle nous verra être massacré par les affreuses machines humaines. Des machines inconnues, des machins comme jamais elle n'aurait pu imaginer, des machines semblant aussi puissantes que les Dieux. Nouvelle vague. La Source n'est plus. Son eau pure n'est plus bleue mais noire, sale. Tout est saccagé. La forêt rasée, les animaux morts, la marre comblée. Ma rage montera, grandira jusqu'à atteindre la démesure divine. Nouvelle vague. Je suis seul. Je suis enragé et j'attaque les humains. Je pleure, je rugis, j'ai mal physiquement et mentalement. Elle verra toutes mes blessures, les ressentira. Elle verra les humains me capturer avec plusieurs gigantesques filets. Ce sera horrible.
Nouvelle vague. Séance de dressage... Un licol est installé sur ma tête, comme si j'étais un cheval ainsi qu'une longue chaîne. Je fronce les babines et je subi un terrible choc électrique. Je tente de mordre et je subis un terrible choc électrique. Je refuse d'avancer et je me tord à nouveau sous la douleurs. Nouvelle vague. Je suis en plein centre ville enfermé dans une cage minuscule. Je touche un barreau et subis un nouveau choc électrique d'une intensité qui tuerais plusieurs humains sur le coup et me laisse agonisant au fond de la cage. Nouvelle vague. Je suis dans cette cage, allongé. Un enfant humain s'approche de moi. Il me parle et dépose sa peluche entre les barreaux de ma cage. Un geste qui me touchera, m'apaisera. Je la prend. Les jours passe, les saisons passent, les années passent, je cache cette peluche, la sert contre moi. Elle reconnaîtra l'enfant humain devenu adolescent puis adulte, puis avec ses enfants, puis âgé, puis très âgé, toujours debout face à moi. Puis plus rien, le temps passe toujours et toujours je suis seul. Nouvelle vague. Je suis toujours dans cette cage, recroquevillé, la gueule fermé par une muselière. Je suis infiniment malheureux. Je suis dressé. Je suis une attraction pour les humains. Ils viennent en famille pour me voir. Parfois, certains me lancent des fruits sur le corps. Je subis les tempêtes, les orages, les canicules sans pouvoir m'y soustraire. Et je souhaite mourir, je souhaite que tout s'achève. Ma vie n'est plus qu'enfer. Mon plus grand souhaite c'est que la mort me prenne. Je réalise la malédiction de l'immortalité : l'on peu me torturer à mort indéfiniment, encore, encore et encore. Nouvelle vague. Elle me verra de nouveau au début des temps, observant la Source aujourd'hui perdue. Paisible, heureux, joyeux comme les louveteaux rencontrés plus tôt. Et elle réalisera le changement entre les deux. Elle réalisera l'ampleur des dégâts, ce que les humains ont fait de moi.
Puis soudain, le miroir la libérera. Et je serais là, face à elle, silencieux, bienveillant mais grave et surtout patient, lui laissant le temps qu'il faut, la laissant libre de ses choix.
Dans mon reflet je vis ce visage que je connaissais si bien. Ces grands yeux marrons, ces mèches rebelles qui vennaient troubler l’ovale de ce visage, ces joues un peu rondes et roses. Ce visage je le connaissais, puisque c’était le mien. Je ne le trouvais ni spécialement beau ni spécialement laid, il était, tout simplement. Je restais là à le regarder, essayant de noter quelques changements peut-être. Quand soudain, j’eus la sensation d’être projetée en avant. Une sensation de vertige emprisonna mon ventre qui se tordit sous l’effet de bascule et raidit mes muscles. En me raidissant, je compris que mon corps était toujours présent devant l’autel puisque je sentais mes doigts cramponner avec force la pierre froide de la vasque. Ce fut une impression fugace, presque imperceptible, qui fut rapidement balayée par de nouvelles sensations. Je ne sentais plus ni la vasque, ni le poids de mon corps penché devant elle. L’autel avait disparu, les animaux que j’avais croisé également. Le Gardien, lui était toujours là, devant moi, à côté de la Source. Tout deux similaires à ceux que je venais semble-t-il de quitter, mais néanmoins différents. Quelque chose se dégageait d’eux qui rendaient leur existence différente de celles que j’avais rencontré. Il y avait une flamme dans les yeux du Gardien que je n’avais jusqu’alors jamais vue. Presque malgré moi j’eus cette pensée : « Il a l’air si jeune. » Rien ne semblait indiquer que ce fut le cas, mais pourtant, quelque chose en moi le pressentais. À ses côtés trônaient trois autres Demi-Dieux. Je reconnu sans mal les enfants d’Aqua, d’Ignis et de Terra. Dans le regard il n’y avait point d’animosité ou de méfiance, seulement une infinie bienveillance. Perdue dans l’immensité de leurs yeux je senti naître en moi l’envie de m’y plonger sans jamais y revenir. L’offre était tentante, alléchante. Mais quelque chose me retint. « Ce n’est pas réel. » J’eus un sursaut. Qu’étais-je en train de ressentir ? Ces sentiments étaient-ils les miens ? Le sien ? Ou les leurs ? Il était difficile de le déterminer, pourtant, inconsciemment, quelque chose en moi se barricada. Comme refusant tout cet amour qu’il m’était offert. Mon corps ressentais l’amour, mais mon esprit, lui, s’était subitement fermé. Soudain, j’eus l’impression d’être emportée à nouveau. Je fermais les yeux pour me prémunir du vertige et me laissa entraîner par la « vague ». Quand mon corps retrouva sa stabilité, je rouvris les yeux. Je ne sentais plus le sol sous mes pieds. Je me trouvais dans les airs. Autour de moi s’étendait à perte de vue la forêt que je venais de visiter. Je reconnaissais la source, l’étang, et la vaste prairie où j’avais recueillis les gemmes. Il était étrange de se trouver ainsi, dans les airs, à regarder cette forêt si dense du dessus. Tout semblait si petit à cette hauteur. Tandis que moi je sentais si légère. Je n’avais jamais éprouvé cette sensation, comme si les lois de l’attraction terrestres n’avaient plus de prise. Je ressentais un mélange d’excitation et d’ivresse. Très vite, je remarqua que je n’étais pas seule dans le ciel, survolant la Source. Le Gardien était là. Dominant tout la forêt par sa haute stature verte il rappelait une feuille voletant sous la brise. En le regardant je ressentis tout l’amour qu’il portait pour la Source et sa joie de pouvoir y vivre. Cette sensation envahit mon corps sous la forme d’une chaleur diffuse. Je ressentais tout ce que le Gardien ressentais, quasi instantanément. Pourtant, une petite aiguille de douleur ne cessait de titiller mon coeur, me le rappelant à son bon souvenir. Je vivais, je ressentais, et pourtant, quelque chose en moi ne les reconnaissais pas. Je me sentis troublée. Le fil de mes idées fut vite interrompus tandis que mon corps ressentais une nouvelle « vague ». Cette fois, je me trouvais au milieu d’un village humain. Je ne reconnaissais plus la source, et pourtant je ressentais toujours sa présence non loin. J’y voyais le Gardien évoluer de ça et de là. Tantôt aidant à déplacer un tronc d’arbre, tantôt à installer une charpente. Il y avait en chacun d’eux un respect et une bienveillance réciproque. Et alors que je tentais de reprendre le fil de mes pensées je me senti soudain transportée à nouveau. Je ressentis un léger agacement. Tout allait trop vite, mes pensées n’arrivaient pas à suivre, brouillant encore plus la limite entre mes sentiments et ceux qui n’étaient semble-t-il pas les miens. Je voulais les séparer, trouver la ligne séparatrice que me protégerais d’eux . Une envie pressante, urgente, presque vitale. Et alors que je ressentais cette imminence du danger, je fus projetée dans un paysage de guerre et de violence soudaine. Alors que rien ne le laissais présager, le Gardien était attaqué par des villageois qu’il avait tenté d’aider. Je ressenti son choc, sa surprise, presque tout autant que sa douleur. Et, tout de suite, je fus projetée dans une nouvelle scène. La douleur était passée. Elle avait laissé place à un sentiment doux et tendre qui sembla alors effacer toute les blessures. Je pris le temps de prendre une profonde respiration pour retrouver mon calme. Le gardien se trouvait couché, il n’y avait plus une trace de ses blessures. Il échangeait paisiblement avec un nouveau groupe d’humain qui travaillait à ses côtés. Mon esprit se cala tout de suite. Remettant de l’ordre dans mes bribes d’idées à une vitesse folle, prévoyant l’arrivée imminente d’une nouvelle scène. Je ne bénéficiais pas du luxe d’avoir du temps ni de ressentir ce que je désirais, ainsi, il fallait faire vite. Je raccorda en vitesse des bribes d’idées, sans prendre le temps de faire des phrases. Pas moi. Temps qui passe. Passé. Rappelle quelque chose. Quoi ? Obligée. Épreuve. Comprendre. Moi. Mon corps se décontracta à nouveau et mon esprit se verrouilla. Je me laissais docilement emporter par la nouvelle vague. Devant moi se dépeignait l’horreur. Par dessus tout, je ressentais une violente douleur dans ma poitrine. Perplexe, je baissais les yeux mais ne vit rien. Instinctivement, je regarda le Gardien. Comme je m’en étais doutée, il avait été transpercé par un large pieu en plein milieu de la poitrine. Des humains venaient à nouveau de l’attaquer. Je sentais mon corps aux prises de mille et unes sensations de douleur, de trahison, de tristesse et de colère tandis que la scène continuait à se dérouler sous mes yeux comme une mauvaise pièce de théâtre. Je sentais chaque émotions que traversait le Gardien, de sa surprise à son sentiment de trahison, mais aussi chaque sensations, la blessure, la fuite, le choc, le pieu arrachant la chair. J’étreignais mon corps avec force, obligeant mon esprit à combattre toutes ses émotions qui n’étaient pas les miennes. Je me sentais salie, envahie. Toutes les fibres de mon corps refusaient cette intrusion. Cette violence là me sembla bien plus douloureuse. À travers toutes ses sensations je sentis de manière presque imperceptible que j’étais à nouveau emportée. La douleur et le choc du Gardien étaient toujours présents dans mon corps, mais tout autour de lui évoluaient maintenant animaux et humains dans un même mouvement de bienveillance. Je sentis chaque soins qui lui fut prodigués, chaque paroles de réconfort, chaque caresses, tandis que la douleur s’atténuait peu à peu. Il y avait là une image de tristesse et de bienveillance, de violence et d’amour qui me fit tressaillir. Je revis la porte. Mon esprit se fit plus clair. Je retrouva un peu de mon calme tandis que mes idées prenaient place comme des pièces de puzzles. Il s’agissait bien de l’histoire du Gardien. Celle que dépeignait la porte que j’avais franchis. Cette scène m’avaient alors saisit à tel point que je n’avais pas pu m’empêcher d’effleurer la blessure du Gardien. Je retrouvais alors une sensation bien familière, la mienne. Elle se fit réconfortante, salvatrice. Qu’il était bon de se retrouver soit-même. Cela ne dura que quelques instants. Je me retrouva vite dans une nouvelle scène de violence. Partout où je posa mes yeux ne régnait que la douleur, la destruction et la mort. Je ressentais la peine du Gardien, sa déchirure. Mais aussi la mienne. À son histoire venait se rencontrer la mienne. Ces images, je les avais déjà vues. À travers mes yeux, dans un autre temps, un autre lieu. La même violence. La même mort. Implacable et injuste. Je regardais le Gardien pleurer. En cela, nos souvenirs étaient différents. Puis les vagues se succédèrent, plus rapides, mais toujours aussi violentes. Cette histoire là n’avait pas été dépeinte sur la porte. Et tandis que les images se succédaient devant mes yeux je me demandais : était-ce délibéré ? Je voyais l’Histoire se dérouler devant moi. L’évolution des Hommes, l’avenu des machines, la perte des croyances, la guerre, les rivalités, la soumission. Je ressentais le déchirement, l’affliction, et la détresse du Gardien comme si c’était les miennes. Je vis la Source disparaître petit à petit. Perdre de sa pureté jusqu’à ne plus exister. Je vis le Gardien être emprisonné puis soumis. Ces méthodes, je les avais reconnues. Elles eut existé mais surtout, elles existaient toujours. Beaucoup d’animaux et de demi-dieux étaient toujours traités ainsi. Je serrais les poings. Je le voyais être maltraité, violenté, et soumis pour le plaisir malsain et pervers des humains qui s’amusaient de sa détresse. Avec pour seule compagnie sa solitude et le souvenir douloureux de son passé. Parmi ce flot d’humains, pourtant, un enfant apporta une peluche au Gardien. À travers lui on pouvait ressentir l’innocence et la bonté de l’enfant qui n’a pas encore été corrompu par les adultes. Je vis le temps passer. Les saisons se succéder, jusqu’à la mort de l’enfant devenu adulte puis vieillard. La peluche, elle, était restée, cachée entre les pattes du Gardien qui affrontait seul la malédiction des Hommes. Dans un temps qui me paru immensément long, je fus emportée de nouveau près de la Source telle qu’elle avait été. Il n’y avait plus signe de destruction ou de mort, et pourtant, où que je regarda, les fantômes de ces violences passées continuaient à hanter ce lieu. Ce lieu n’était plus. Et soudain, je le ressentis : Le poids de la vérité.
C’est ainsi que revint au temple. Penchée devant la vasque, les yeux clos, les mains furieusement agrippés à la pierre. Je sentais à nouveau mon corps vibrer. Chacun de mes muscles étaient tendus, endoloris, mes poumons se gonflèrent douloureusement, se rappelant à la réalité de l’effort fournis. Mon corps avait été poussé à la limite. Toute la tension accumulée poussa mon corps à avoir un haut le coeur. Je vomis. Tout de suite, chacun de mes muscles se relâcha. Je m’assis sur l’herbe, appréciant leur fraîcheur sous mes doigts. Je me sentais à nouveau exister. Mon corps était douloureux, mais mon esprit était grave. À la ferveur de mon corps s’opposait la froideur de mon esprit encore douloureusement touché de ce qu’il avait traversé. Il me fallait quelques minutes. La violence avait été double. Celle que j’avais perçu à travers le Gardien, et les miennes. Mon esprit ne pardonnait pas l’intrusion. Il voulait se rebeller. Se laver de chacune des sensations et émotions qui étaient venues le travestir. Pour une personne comme moi qui avait fait montre d’une distance stricte avec ses semblables et évité l’émotion, il n’y avait rien de plus douloureux que de se sentir envahit de la sorte. Je m’étais décidée à m’ouvrir. Mais je ne m’attendais pas à partager de cette façon les émotions de l’autre. Les relations étaient ainsi. Brutales, intenses. Ne nous offrant parfois aucun choix. Et c’est ce qui me terrifiait. Contrôler me rassurait. Or, on ne pouvait contrôler l’autre. Je regardais le Gardien. C’était une sensation étrange. Je me sentais proche et à la fois différente de lui. Nous avions tout deux peur de la même chose. Pourtant, moi j’avais fais le choix de me retirer sans même essayer, alors que lui n’avait cessé d’essayer et d’être blessé. Comment pourrait-on se comprendre ? Je ne reconnaissais aucune émotion qu’il avais vécu, je ne m’étais jamais investie comme il l’avait fait, ni autant souffert. Comment deux personnes aussi opposées pourraient se reconnaître l’un l’autre ? Etais-je prête aux mêmes sacrifices que lui ? Le voulais-je ? Et lui, que voulait-il ? Que pourrais-je lui apporter, moi, humain ignorant de bien des choses ? Je me sentais hésiter. Le temps s’écoula lentement, sans que le Gardien rompis le silence et que son regard s’en fut moins bienveillant. Je m’allongea complètement et leva mon bras de façon à percevoir ma main au dessus de ma tête. Je regardais la lumière jouer et se faufiler entre mes doigts. Je rebaissa le bras. Je ferma les yeux et pris le temps de humer l’air de la forêt. Le Gardien m’avait montré son passé. Mais combien de temps s’était-il écoulé depuis lors ? Combien d’humains avaient-ils rencontrés ? Et de combien d’humain a t-il accepté la compagnie ? Quel pouvait-être son sentiment aujourd’hui ? Je senti une furieuse envie de le rencontrer. Peut importe le passé, c’était lui que j’avais envie de connaître. Je me levais avec douceur et m’approcha du Gardien. Je m’arrêtais à quelques pas de lui à une distance respectueuse et m’assis en tailleur. Je lui dis :
« Je suis enchantée de te rencontrer Tahimo. Je m’appelle Jamy »
Regarder dans le miroir est obligatoire si l'humain souhaite me délivrer. Je ne lui laisse le choix : regarder ou partir sans moi. J'estime essentiel qu'il, dans ce cas si elle, comprenne tout ce que je ressens pour les humains. Ils ont été mes protégés et je sais que je peu ressentir de l'affection pour certains d'entre eux. Mais c'est aussi la créature qui m'a fait découvrir la haine, pour qui j'en nourris une colossale. Il est important que Jamy prenne conscience de ces deux points : je serai bienveillance envers ceux que j’apprécie, qui sont bons avec moi et mes amis. Mais je serais un cauchemars, synonyme de danger, de mort, de sang pour les autres. Jamy doit le comprendre : je suis un danger potentiel pour l'espèce humaine.
Aucun humain n'est ressorti indemne de cette épreuve, tous en sont ressortis changer et c'est le but. Je les ais forcé à regarder la vérité, les dégâts que leurs ancêtres ont fait. Aussi ne fus-je pas surpris que Jamy vomisse en revenant à la réalité. J'en fus simplement désolé mais, patient, j'attendis qu'elle soit remise pour nettoyer. Elle s'assit dans l'herbe en me regardant. Durant longtemps elle resta silencieuse et pas un seul instant je ne pensais à la presser. J'attendis, simplement. Je pouvais presque voir le flux de sang parcourir son cerveau, preuve de son intense réflexion.
Finalement elle s'allongea en regardant sa main. Puis elle la baissa et prit une grande inspiration avant de se lever et de s'approcher de moi. Elle s'installa en tailleur face à moi et m'apporta les salutations d'usages.
Ma voix, aussi profonde et âgée qu'une montagne, fut une caresse de douceur, une véritable cascade de miel. C'était celle d'un père, la bienveillance incarnée :
« Bonjour Jamy. J'espère que tu ne me tiens pas rancune : les humains ne sont pas les bienvenus ici, tu sais désormais pourquoi. »
Tout en parlant, je me dirigeai paisiblement vers le miroir. Je ramassais une poignée de poudre de terre de taupinière que je saupoudrais sur le vomi afin de masquer son odeur : les habitants du sol feraient le reste. Je revins vers la rivière et entrais dans l'eau. Oh pas loin, juste quelques dizaines de centimètres, le tout en prenant grand soin de ne déranger personne. Puis je m'allongeai. J'étais si grand et l'eau si peu profonde à cet endroit qu'elle recouvrait à peine mes pattes, mon pelage dansant dans l'eau clair et pure dans un beau mariage de couleurs.
« En acceptant de regarder dans le miroir, tu es devenue mon invité. Tu peux rester aussi longtemps qu'il te plaira afin de nous permettre à tous les deux de profiter de la Source. »
C'est pour cela que je traînais, pour cela que je faisais durer mon épreuve aussi longtemps qu'il m'étais possible : pour profiter d'Elle, pour profiter de la chance que j'avais de revoir celle que je croyais perdue à jamais : la Source de pureté. Je repris d'une voix quelque plus sérieuses :
« As-tu compris la complexité de mes sentiments envers ton espèce ? As-tu compris les potentielles conséquences de ma libération ? Les bienfaits et les dangers que je représente pour ton monde ? »
Je suis loin d'être le plus dangereux des demi-dieux. Lors de la destruction de la Source, une demi-déesse se trouvait là, une fille de Terra si je ne me trompe pas. Elle se délectait de la mort, du chagrin et de la destruction. Lorsque j'ai reçu le pieu en plein cœur aussi elle était là, se nourrissant du malheurs et du chaos. Néanmoins il serait une erreur de ne pas être conscient du danger que je représente. Je peu ravager une ville entière si cela permet d'assurer la protection des mes protégés, Jamy doit en avoir conscience.
J’attendis, tendue, la réponse du Gardien. Je ne savais à quoi m’attendre tant il avait battu le chaud et le froid auparavant, pourtant, ma détermination ne me quitta pas. Le temps était enfin venu de nous parler. Jusqu’ici je n’avais jamais produit autant d’efforts pour engager un dialogue avec quiconque. Bien au contraire, mes efforts étaient jusqu’ici dirigés pour les éviter à tout prix. Le paradoxe m’aurait presque fait sourire si je n’avais pas eu ce sentiment de malaise qui me parasitait l’esprit. Saurais-je entamer une discussion ? Je n’étais pas experte en la matière, aussi m’inquiétais-je de commettre quelque impair qui pourrait le froisser. Mes inquiétudes furent vites interrompues par une voix aussi profonde que douce :
« Bonjour Jamy. J'espère que tu ne me tiens pas rancune : les humains ne sont pas les bienvenus ici, tu sais désormais pourquoi. »
Je ne répondis pas. Effectivement, je pouvais comprendre sa méfiance, aussi je ne m’en offusquais pas. Toutefois, un petit espace dans mon cœur souffrait de l’intrusion qu’il avait subi et je ne pouvais le balayer. Le Gardien se leva et se dirigea vers le miroir sur lequel je m’étais penché. Je le suivi des yeux sans quitter ma place. Il nettoya la terre que j’avais souillée et s’immergea dans l’eau. Il était si grand que l’eau ne recouvrait qu’à peine ses pattes. Il poursuivit :
« En acceptant de regarder dans le miroir, tu es devenue mon invité. Tu peux rester aussi longtemps qu'il te plaira afin de nous permettre à tous les deux de profiter de la Source. »
Il marqua une pause, et rajouta d’une voix plus grave :
« As-tu compris la complexité de mes sentiments envers ton espèce ? As-tu compris les potentielles conséquences de ma libération ? Les bienfaits et les dangers que je représente pour ton monde ? »
Je répondis par un silence. Trois questions. Je réfléchi calmement. Mon appréhension reprit le dessus. C’était cela que je détestais le plus dans les échanges avec les autres. On ne sait jamais quel tour peut prendre une conversation, aussi banale soit-elle. Or, ici, la conversation était loin d’être banale, le risque en était d’autant plus grand. Quand on se met à converser on a le choix. On peut répondre avec honnêteté, ou encore répondre ce que l’autre souhaiterais entendre, ou bien répondre à demi mot, ou avec une plaisanterie. Tout était possible. Mais qu’importe le mode que l’on choisisse, on ne pouvait jamais réellement prévoir la façon dont ça pouvait être entendu par l’autre. Le pouvoir des mots est puissant. Une fois sorti de sa bouche, ceux-ci prenaient vie et reprenaient leur liberté. On en était plus le détenteur. L’autre avait le pouvoir d’en tirer ce qu’il voulait. Tout cela était un exercice épuisant. Je détestais la minauderie ou les codes sociaux. Cela ne rendait les choses que plus inutilement complexes et affreusement longues. Je préférais de loin les conversations franches des pêcheurs ou des paysans qui n’avaient que faire des ronds de jambes ou de blesser l’égo de quelque puissant. Que faire dans le cas présent ? Avais-je à faire à un puissant dont il serait bon de ménager l’ego ? Ou pouvais-je me permettre d’utiliser mes propres mots sans avoir à les travestir ? Jusqu’ici j’avais répondu avec ma franchise habituelle. Mais cela était bien plus facile quand on n’avait pas son interlocuteur sous les yeux. Je l’avais bien eu, une fois, sous les yeux, mais ce souvenir m’était encore inconfortable. Alors bien sur, cela avait payé. En théorie. Mais en pratique, que savais-je exactement de l’effet que cela avait eu sur lui. Tant d’incertitudes. Je décidais de répondre franchement, mais avec prudence, choisissant scrupuleusement chacun de mes mots.
« Je vous remercie de m’accepter comme votre invitée. Cette Source est d’une beauté comme je n’en avais jamais vu, et cela a été un véritable plaisir que d’arpenter cette belle forêt. C’est avec plaisir que je resterais pour la découvrir d’avantage tant que vous m’y autoriserez. »
Je marqua une pause. Je décidais de me lever pour me rapprocher de la Source. Je laissa mon regard se perdre dans l’eau scintillante tout en conservant une distance avec le Gardien et en prenant soin de ne pas franchir la ligne de l’eau. Sans le regarder, je répondis :
« Les Hommes sont des êtres bien complexes. Moi même je ne saurais définir quels sentiments j’éprouve à leur égard. On peut être vil, aimant, menteurs, attachants, violents, loyal. Tout cela dans une seule vie. On même pendant une seule journée. On change en fonction des saisons, des années, des personnes que l’on rencontre, des expériences que l’on traverse, des lieux que l’on visite. On est profondément inconsistant. Et exaspérant. »
Je m’interrompis. Puis je me tournais puis lui faire face, le visage sévère :
« Je connais les conséquences. Je les ai vu moi aussi. Les feux de la guerre, de la violence, des trahisons et de l’injustice. Elles ont toujours cours aujourd’hui. Libérer un demi-dieu n’est pas, et ne devrais jamais être un acte irréfléchi. »
Je me radouci :
« Vous avez des griffes, des dents pointues. Vous êtes parfois bien plus lourds et bien plus grands que nous. Et vous disposez de certains pouvoirs. Mais l’Homme n’en est malheureusement pas moins dangereux que vous. Nous n’avons certes pas de grandes griffes, ou de grandes dents, ou bien même des pouvoirs. Mais nous rivalisons avec vous par notre ingéniosité et notre habilité à construire, à inventer, à détruire. Alors oui, vous représentez potentiellement un danger pour notre monde, mais tout autant que nous pour le vôtre. »
Je marquais une pause et fixais mon regard au sien.
« Nous pouvons être une menace l’un pour l’autre. Et nous pouvons nous regarder comme cela. Mais ce n’est pas pour ça que je suis venue. Je veux apprendre de vous, comme je souhaite que vous appreniez de moi. Et je veux apprendre du monde. Je ne suis pas à la recherche d’un combattant, ou d’une arme. Mais d’un compagnon. »
Il y a autant de manière de communiquer qu'il y a d'étoiles dans le ciel a dit un jour un humain très âgé qui s'était réfugié dans le temple construit au bord de la Source. Nous avons longuement philosophé à ce sujet qui nous a tenu occupés pendant de nombreuses lunes. La communication est, de base, un système assez simple : un individu émetteur émettant un signal codé reçu par un individu récepteur possédant les outils capable de le décoder. C'est lorsqu'on entre dans le détail que cela devient compliqué.
Poli et patient, je laissais Jamy réfléchir calmement. Je possédais tout mon temps, plus elle en passait ici, plus je profitais de ma précieuses Source. Qui sait dans combien de temps je pourrais la revoir après le départ de Jamy ? Parfois quelques jours, parfois quelques années... Jusqu'à plusieurs décennies. Du point de vu temporel de l'univers, les visiteurs sont fréquents mais du point de vu humain ils sont très rares.
Elle finit par reprendre la parole pour m'adresser un compliment poli. Il me fut difficile de retenir un soupir : j'avais l'impression de voir les hommes politiques choisissant avec soin leurs mots et n'hésitant pas à revenir en arrière pour mieux aller de l'avant. Je n'aimais pas cette méthode. Certes ils parlaient bien mais cela n'avait rien de naturel et ne permettait pas le rapprochement. Comment lui faire comprendre ?
Je l'écoutais jusqu'au bout sans la couper. Ma fourrure dansait dans l'eau, des poisons multicolore de toute taille nageaient sans crainte autours de moi. Les hommes étaient ils les seuls à être bien complexes ? Non. Ce n'est qu'une illusion des humains qui, créations des demi-dieux, se croient supérieurs aux autres êtres en oubliant que ces derniers ont été créés par les dieux. L'humain a toujours été incapable d'empathie véritable, de se mettre à la place des autres êtres vivants partageant son monde pour les comprendre. S'il en avait été capable il se serait aperçu qu'il n'est pas la créature la plus complexe, qu'il n'est pas l'inventeur de l'agriculture, de l'élevage et des outils.
Elle avait cependant raison : l'homme est dangereux pas son ingéniosité et lorsqu'il est en nombre. Il l'est d'autant plus aujourd'hui que les Dieux leurs ont permit de contrôler leurs enfants direct. Nous sommes un danger l'un pour l'autre mais lequel est le plus à craindre ? Les semis-divinités dont le pouvoir et le savoir est capable de raser des villes entières ? Ou bien les humains ingénieux, capable de contrôler ces êtres divins ? Elle me dit qu'elle n'étais pas venue chercher une arme mais un compagnon.
Calmement, je répondis sur le ton de la conversation :
« Je ne suis ni un maitre du savoir, ni un maitre de la Sagesse, ni un petit chien servant. Je ne suis pas celui qui t’apportera la connaissance, il te faut explorer plus en profondeur le temple d'Aer pour rencontre ma sœur Pru'ha, peut être auras tu la chance de tomber durant un de ses bons jours. Je suis un protecteur, un Gardien. »
Pru'ha... Quel demi-dieux ne la connaissait pas ? Elle qui avait tout étudiée disait-on, elle qui avait explorer le monde entier plusieurs fois. Bien sur qu'elle était venue à la Source de pureté, à de nombreuses reprises. Elle a effectuée de nombreuses études sur des sujets qui échappent à ma compréhension. A quoi pouvait bien lui servir, je vous le demande, de récolter cinq cent cinquante sept échantillons d'eau de la Source ? Et ces trente sept galets qu'elle avait récolter dans le fond ?
« Si j'accepte de quitter ce temple ce jour, je te protégerais ainsi que tout ce que tu me demandera de protéger jusqu'à la fin de tes jours. Pour ce faire, je n'aurai aucune hésitation à semer morts et destructions si j'estime qu'un groupe, un campement ou un village représente un danger pour ta sécurité. Je n'attendrais pas ta permission pour agir, il te faudra anticiper. »
Il fallait que Jamy comprenne et sois bien consciente du danger que je représente pour son peuple. Elle était désormais consciente de la rancune que je ressentais. Néanmoins, il y avait un autre point à prendre en compte : avais-je envie de la protéger ?
« Mais tout dépendra de l'état de notre relation. Pensez tu être capable de me contrôler sans briser notre relation ni mettre en danger des vies inutilement ? Pensez tu être capable de me donner l'envie d'offrir ma vie, de partager mon temps avec toi, une humaine dont l'espèce m'a fait tant de mal ? Pourquoi prendrais-je soin de ce que certains n'hésitent pas à qualifier d'erreur de la création ? »
Mes questions étaient dures, j'en conviens. Pourtant je ne perdais pas ma bienveillance en les posant, je ne lui infligeais aucune pression inutile. L'ambiance n'évolua pas et resta paisible et agréable. Si elle ne me donne pas envie de construire avec elle une amitié, jamais je n'accepterais de la protéger et donc de quitter le temple avec elle...
Le Gardien me répondit d’un ton calme et patient :
« Je ne suis ni un maitre du savoir, ni un maitre de la Sagesse, ni un petit chien servant. Je ne suis pas celui qui t’apportera la connaissance, il te faut explorer plus en profondeur le temple d'Aer pour rencontre ma sœur Pru'ha, peut être auras tu la chance de tomber durant un de ses bons jours. Je suis un protecteur, un Gardien. »
Je resta interloquée. Mais peu surprise. Les subtilités de la conversation m’échappaient toujours. Je réfléchis calmement afin de repérer où pouvait se situer la méprise… J’avais pourtant dit que je recherchais un compagnon… pas un puits de savoir. Je ne recherchais pas en lui la connaissance, mais quelqu’un pour m’accompagner dans ma quête de connaissance.Seulement, il me fallait bien admettre que d’une façon ou d’une autre que nous ne nous étions pas compris. Comment nous comprendre ? Mon cerveau s’agitait dans tous les sens dans un mouvement de panique. Je sentis soudainement mes oreilles se refroidir et mon coeur battre dans mes tempes sous l’effet de l’anxiété. Mes doigts pianotèrent dans le vide pour contenir le flux d’énergie qui me traversait le corps. Parler était tellement difficile…
Alors que j’en étais encore à mes pensées, Tahimo poursuivit :
« Si j'accepte de quitter ce temple ce jour, je te protégerais ainsi que tout ce que tu me demandera de protéger jusqu'à la fin de tes jours. Pour ce faire, je n'aurai aucune hésitation à semer morts et destructions si j'estime qu'un groupe, un campement ou un village représente un danger pour ta sécurité. Je n'attendrais pas ta permission pour agir, il te faudra anticiper. »
J’accueillis sa réponse sans me départir de mon calme. Pendant mes années d’apprentissage il m’avait été donné de voir nombre d’humains et de demi-dieux à l’oeuvre. Des humains habiles aux plus dénués de bon sens, et des demi dieux les plus pacifiques aux plus meurtriers. Je connaissais les risques, je les avais vus. Le souvenir cuisant d’une de mes expéditions me revint en mémoire. Je n’avais rien pu faire quand ce garde avait eu le malheur de mal formuler son ordre, ce qui avait eu pour conséquence de causer la mort de tout un village. Je n’avais pu qu’observer, impuissante, les feux ravager chacune des maisons et les flammes manger la chair des êtres humains qui avaient eu le malheur de se trouver là. Je me souvenais surtout de l’odeur de chair qui avait empli l’air des jours durant et du désespoir de ce garde qui s’était suicidé sous le choc. Les risques étaient grands, je le savais. On pouvait tout deux être une arme l’un pour l’autre. Et cet éventualité, d’être blessée, ou de blesser, avait longtemps peuplé mes pensées et mes rêves avant de finalement me décider à poser le pied au coeur de ce temple. J’avais le choix. J’aurais pu retourner à ma vie calme et paisible. Me contenter de sobres recherches et de découvertes élémentaires. Rester à distance de ce monde comme je l’avais si longtemps fait, sans y prendre part. Laisser humains et invocations dans leur course à l’ego et au pouvoir. Les laisser s’auto détruire et entretenir leur haine. Pourtant, je n’avais pu m’y résoudre, et j’avais décidé de prendre une nouvelle direction. À partir de ce moment rien ne pourrait me faire hésiter.
Tahimo ajouta :
« Mais tout dépendra de l'état de notre relation. Penses tu être capable de me contrôler sans briser notre relation ni mettre en danger des vies inutilement ? Penses tu être capable de me donner l'envie d'offrir ma vie, de partager mon temps avec toi, une humaine dont l'espèce m'a fait tant de mal ? Pourquoi prendrais-je soin de ce que certains n'hésitent pas à qualifier d'erreur de la création ? »
Ses propos étaient prononcés dans un calme olympien et avec bienveillance. Pourtant, sans que cela ne soit distinctement dit, je savais qu’au travers de ses questions Tahimo me testait. Il testait notre affinité. Comment pouvais-je donner envie à un demi-dieu de m’accompagner en sacrifiant sa liberté alors que jusqu’ici personne n’avait eu l’envie de créer un lien avec moi ? Et que jusque là, je n’avais eu aucune envie moi-même de créer un lien avec qui que ce soit ? Ce qui, aujourd’hui, constituait un véritable handicap. D’autant que je n’étais pas particulièrement attachante. J’observa le Gardien un instant, mes pensées s’agitant dans ma tête frénétiquement. Je réfléchi à la teneur de nos échanges, de leur dynamique, et des messages inconscients que l’on s’envoyait. À l’évidence, on se testait l’un l’autre. Aucun de nous deux ne baissait véritablement sa garde. On ne se connaissait pas, on se méfiait, on avait chacun nos résistances, nos méfiances. Si nous ne nous étions pas véritablement rencontrés, nos blessures, elles, se faisaient faces. Je pouvais presque distinguer le mur qui nous séparais. Ce mur que j’avais eu autant de mal à identifier avec Camille. Comment se rencontrer ? Comment abaisser cette méfiance réciproque ? Il nous faudra certainement longtemps pour se connaître, ce n’étais pas en quelques échanges que l’on allait arriver à créer un lien, ni réussir à se faire confiance. Chaque nouvelle rencontre était un pari. On ne savait jamais si on allait en être le gagnant ou le perdant. Quelque soit ma réponse, elle ne pourrait à elle seule définir du résultat de cette relation. Il nous fallait nous deux choisir en notre âme et conscience si nous voulions faire ce pari tout en ne sachant pas ce que l’avenir nous réserve. Et admettre que notre méfiance ne disparaîtrais pas tout de suite. Je décidais de jouer cartes sur table avec la même franchise dont je ne m’étais pas départie depuis que l’on avait débuté notre échange.
« Je vous propose que l’on joue cartes sur table. Je ne suis pas adepte des ronds de jambes et des échanges alambiqués. Même si je tentais d’engager un échange sur ce ton je ne tiendrais pas longtemps, je trouve cela inutilement fatiguant. Je vous répondrais donc avec la même franchise que tout à l’heure. Même si cela veut dire prendre le risque de vous froisser. Au moins, cela nous permettra de nous rencontrer tels que nous sommes. »
Je me rapprocha de lui en douceur :
« Tout d’abord, je ne souhaite pas qu’il y ai de malentendus entre nous, je cherche pas en vous un maître du savoir. Je suis à la recherche du savoir. Je ne nie pas que vous êtes le dépositaire d’un grand savoir, et que vous en avez plus vu du monde que je n’en verrais jamais. Mais en venant ici ce n’est pas cela que je recherchais. C’est important pour moi que vous le compreniez pour que cela ne nuise pas à nos rapports. Et comme je vous l’ai dit, je ne recherche pas non plus une arme, ou un combattant. Pourtant, cela ne m’empêche pas d’être consciente que vous pouvez causer la destruction autour de moi. Ces deux vérités co existent. Et je ferais de mon mieux pour ne jamais trahir mon engagement sans jamais me fourvoyer sur votre nature. S’il s’avère que je n’en suis pas capable je prendrais mes responsabilités. »
Je m’assis en tailleur face au Gardien et m’appuya sur mes mains et plongea mon regard dans le ciel bleu :
« Je ne sais pas ce qui pourrait vous donner envie de sacrifier votre temps et votre liberté. Pour être honnête, jusqu’ici je n’ai jamais eu d’amis, ni de famille à laquelle m’attacher. Je ne sais pas comment m’y prendre. Je ne suis pas quelqu’un d’attachant. Je suis maladroite, à tendance asociale, je suis franche je n’ai pas de filtre, et je préfère la compagnie des livres que de mes semblables. Mon seul souhait est de parcourir le monde. Vivre des aventures. Partir à la rencontre de plus de cultures, de façon de vivre, d’histoires. J’ai envie de comprendre le monde qui nous entoure. En percer chaque mystère pour mieux le comprendre. Comprendre pourquoi la vie vaut la peine d’être vécue malgré toutes les horreurs qui se produisent chaque jour. Et plus que tout, je suis à la recherche de quelque chose à protéger. Parce que si l’on a pas quelque chose à protéger la vie n’a pas de sens… elle ne mérite pas d’être vécue... »
Je plongea mes yeux dans ceux de Tahimo :
« Il va nous falloir du temps pour que l’on apprenne à se connaître et à se faire confiance. Pour le moment nous avons l’un pour l’autre une méfiance réciproque et légitime. Nous avons tous les deux notre passé. Et ce serait se fourvoyer que penser qu’en quelques échanges tout pourra s’effacer. Pourtant, je envie de prendre le pari avec vous. Vous qui avez été capable d’aimer, de pardonner et de faire confiance comme je ne l’ai jamais fait. »
Jouer cartes sur table, échanges alambiqués, ronds de jambes... Il est parfois utile d'emprunter des voies alternatives pour atteindre un objectif. C'est ce que je faisais en envoyant l'humain chercher les gemmes : je le forçais à perdre du temps ici. Pour le tester certes mais surtout pour pouvoir profiter de la Source aussi longtemps que possible. Comme je l'ai déjà dis, les deux premières gemmes sont toujours offertes, la véritable réponse se trouve face à la dernière. Je n'ai pas cherché à la manipuler au cours de cette conversation ni à jouer à un jeu de discussion compliqué pour atteindre un objectif. En revanche, elle me donnait l'impression de le faire. Il est curieux qu'une jeune femme n'ayant pas l'habitude de la socialité et de la conversation puisse utiliser autant de mots en réponse à mes quelques questions.
Elle prendra ses responsabilités si elle estime ne pas être capable d'assumer une vie avec quelqu'un comme moi à ses côtés. A mes yeux il s'agit d'une promesse en l'air venant d'un humain mais je dois arrêter de tout voir dans le négatif. Elle a entièrement raison : il nous faudra de longs mois avant de voir naitre une confiance pleine et entière.
Cette jeune fille est une solitaire, elle estime qu'elle n'est pas attachante et il faut bien avouer qu'elle ne laisse pas beaucoup de prises pour que l'on s'attache à elle tant elle s'avère distante. Elle dit alors quelque chose qui provoqua une vague d'amusement : elle est à la recherche de quelque chose à protéger. Je trouve cela hilarant de venir dans la cellule d'un Demi-dieu chargé de la protection d'un ancien lieu important en lui disant qu'elle chercher quelque chose à protéger. Elle me verra baisser la tête pour cacher mon amusement et ne pas déranger ses dernières paroles... Puis j'éclatais de rire. Un rire franc, sincère, pure incarnation de l'amusement, grave, profond et sonore. Les oiseaux me répondirent, les chevaux aussi et surtout les loups donc le chant s'envola au dessus des arbres.
« Je trouve très amusant qu'une humaine me donnant une impression de fragilité se présente devant moi en quête de quelque chose à protéger. Mais tu as raison : en perdant la Source, j'ai tout perdu et j'ai moi aussi mes fragilités. »
La fragilité n'est-elle pas une notion assez subjective après tout ? Tenez prenons une branche de taille moyenne pour une fourmi il n'est même pas imaginable qu'elle puisse se briser, pour un humain il s'agit d'une tâche difficile mais pour moi il s'agit d'un objet finalement fragile. Je repris avec plus de sérieux :
« J'ai enduré l'angoisse de l'existence bien plus longtemps que tu ne peux l'imaginer. Je compte le temps d'une manière différente des humains. La durée d'une vie humaine n'est qu'un détail dans l'historique de mon existence. »
Peut être devrais-je l'enfermer ici durant plusieurs mois afin de permettre au temps de construire une relation solide ou non ?
« Que feras-tu de moi lorsque je te serais inutile ou que je ne pourrais pas t'accompagner ? Je connais vos villes, bien que Luh a du bien changer en plusieurs décennies. Je suis trop grand pour évoluer dans ses rues. »
Luh... Je doute que la ville se souvienne de moi, peut être les plus anciens. J'emmenais souvent mon humain à son entrée. Il était impossible pour moi de pénétrer dans la ville sans prendre le risque de tuer beaucoup de monde de manière involontaire. Ma seule raison de vivre en quittant ce temple sera de protéger mon libérateur humain. Alors que vais-je devenir si celui ci s'enferme durant dans années au cœur d'une ville ?
Le regard droit et franc j’observais la réaction du Gardien face à ma réponse. Il semblait se retenir de rire. Je sentis une pointe d’agacement m’envahir. Puis éclata un rire franc et tonitruant qui résonna dans toute la forêt.
« Je trouve très amusant qu'une humaine me donnant une impression de fragilité se présente devant moi en quête de quelque chose à protéger. Mais tu as raison : en perdant la Source, j'ai tout perdu et j'ai moi aussi mes fragilités. »
Je ris intérieurement. Il trouvait cela amusant ? Il ne savait pas à quel point cette remarque pouvait s’appliquer à lui même. Toutes ses questions, ces tests, cet échange même, ne faisaient que montrer un plus de la fragilité de cet imposant dragon. Je ne m’étais jamais cachée de ma fragilité, au contraire, je la revendiquais, c’était ma force, mon alliée. Lui se cachait derrière ses questions pour masquer sa peur. J’eus soudain l’impression de jouer à un jeu de dupe. Ces questions avaient pour but de me tester, de vérifier si j’étais digne qu’il devienne mon Gardien, si j’étais digne d’hériter de sa confiance. Pourtant, au fur et à mesure que les questions se succédaient, j’avais l’impression qu’aucunes de mes réponses ne pourraient jamais l’atteindre. Y avait-il seulement une réponse suffisamment juste ? Ou le jeu était-il truqué ?
S’en suivi une autre question :
« J'ai enduré l'angoisse de l'existence bien plus longtemps que tu ne peux l'imaginer. Je compte le temps d'une manière différente des humains. La durée d'une vie humaine n'est qu'un détail dans l'historique de mon existence » « Que feras-tu de moi lorsque je te serais inutile ou que je ne pourrais pas t'accompagner ? Je connais vos villes, bien que Luh a du bien changer en plusieurs décennies. Je suis trop grand pour évoluer dans ses rues. »
Je sentis la lassitude m’envahir. J’avais passé la majeure partie de ma vie à répondre à des questions, à devoir démontrer de mes capacités et compétences, et à être jugée, entièrement jugée. J’en avais assez de répondre à des questions.
J’observais le Gardien de mes grands yeux marrons. Quelque chose clochait. À quoi pouvait bien servir ces questions ? Tahimo avait-il réellement envie de sortir de ce temple ? Ces questions trahissaient de sa propre hésitation, de son combat intérieur. Tahimo n’avait-il pas plus peur de sortir que de rester en ce lieu ? N’avait-il pas plus peur de lui que de moi ? En avait-il seulement conscience ? L’enjeu me sembla soudain bien plus grand que notre simple collaboration. Il était question de lui-même. C’était de lui dont il avait peur. Peur de faire du mal, de blesser, et d’être utilisé pour cela. Mais aussi peur d’aimer, de s’attacher, d’ouvrir son coeur et d’être blessé. De nous deux c’était lui le plus fragile, c’était lui qui avait le plus à perdre. Son coeur avait été meurtri de nombreuses fois, tandis que moi je ne l’avais jamais ouvert à personne. Je ne connaissais pas la douleur de la trahison ou de la perte. Et de cela mes mots ne le rassurerait jamais assez. Qui étais-je pour le rassurer ? Nous ne nous connaissions pas, donc mes mots n’auraient jamais assez de valeur à ce yeux pour toucher son coeur et encore moins sa blessure. Et j’étais encore bien trop inexpérimentée et ignorante pour le rassurer de quelque chose que je n’avais jamais connu.
C’était à lui de se faire confiance. C’était à lui de décider. Et c’était à moi de poser des questions :
Je lui souri en retour et lui répondit :
« Vos questions sont pertinentes. Certaines même, intéressantes. Elles m’ont permis de prendre conscience de beaucoup de choses. Sur moi. Et sur vous. Mais c’est à mon tour de vous en poser. »
Je m’interrompis quelques instants. Puis, pour la première fois, je m’autorisais à l’appeler par son prénom. Je lui demanda d’une voix douce : « Tahimo, qu’est ce qui te fait le plus peur ? Moi ? Ou toi ? »
Je suis méfiant envers les humains, c'est une vérité. Je ne sais pas comment se passe l'épreuve de mes frères et sœurs, ont ils autant de difficultés que moi à se décider ? Je pense que certains acceptent le premier venu quand d'autres sortent avec celui qui a réussi l'épreuve sans se poser de questions. Je prenais les choses beaucoup plus au sérieux. Mes anciens compagnons de ce nouveau temps ont eut beaucoup plus de difficultés que Jamy : je refusais tous les humains, sans exception à l'époque. Aujourd'hui, chacun a sa chance.
Était-ce un éclair de malice qui passa dans ses yeux lorsqu'elle sourit ? Sa réponse fut une esquive polie, presque joueuse de ma question. Non seulement elle ne me répondit pas, mais elle se permit de m'en poser trois et d'abandonner le vouvoiement pour le tutoiement. Je restais silencieux trois longues secondes, m'accordant le temps d'encaisser cette nouvelle donnée. Devais-je accepter ce pas en avant vers moi ? Oui. Dans l'ensemble, ma relation avec elle était positive et nous nous rapprochions petit à petit.
« C'est une belle manière d'éviter de répondre à ma question. J'accepte d'échanger les rôles... »
Était-ce une pointe de malice qui s'invita dans cette dernière phrase ? A elle de juger. C'était le cas : après l'avoir averti avec ma première phrase, je manifestais à ma manière mon accord pour jouer le jeu.
« Il y a des sorts pire que la mort Jamy. Être prisonnier de ce temple en est un bon exemple. Mais il y a pire encore : voir son nom sali en étant obligé d'accomplir de mauvais actes sous les ordres d'un humain, de se voir condamner à une vie humaine de malheurs, je prend le risque de perdre les seules choses qu'il me reste : mon honneur et ma personnalité. Peut importe le choix que je ferai aujourd'hui, je serai soit condamné à l'un, soit je prendrai le risque de tout perdre.
La mort est la solution de facilité et souvent j'aurais aimé qu'elle m'emporte ces derniers siècles, depuis ma capture en vérité. La vie quotidienne au sein de ce temple est finalement inexistante, il ne se passe rien. Le jour se lève, passe et se couche. La sol est de pierre, les murs sont de pierre, le plafond est de pierre, le temps passe, les jours passent, les années passent et il ne se passe rien. Ce n'est pas une vie.
Mais quitter le temple avec un humain c'est prendre le risque de se voir salir, de commettre les pires actions. L'humain obtient jusqu'au pouvoir de contrôler notre volonté, de modifier notre personnalité. Alors quel est le meilleur choix ?
Les relations humaines et sentimentales n’étaient peut être pas mon fort mais l’observation oui. Et je sentais bien que l’avalanche de questions dont je faisais l’objet ne nous auraient pas mené plus loin. Elles avaient joué leur rôle, il était temps de passer à la prochaine étape. J’avais simplement donné un léger coup de pouce. C’était une main tendue. Mais aussi un test. Bien sur, en pénétrant dans ce temple je savais que je devrais passer sous le regard et le jugement d’une invocation et qu’il me faudrait faire mes preuves. Mais cela ne voulait pas dire qu’il ne devait pas faire les siennes. Après tout, comme il l’avait justement précisé auparavant, il était aussi dangereux pour moi et que moi pour lui. Et il me fallait cerner qui serait mon Gardien. Jusque là, je n’avais eu l’envie de me lier à personne, il serait le premier si je le décidais ainsi. Il me fallait donc une assurance. L’assurance que nos personnalités pouvaient s’accorder et que l’on marcherait ensemble dans la même direction. Si j’avais rencontré une invocation plus belliqueuse ou malveillante, je serais partie immédiatement. Mais j’étais restée, attirée par l’atmosphère apaisante de cette forêt. Bien qu’échaudée par certains comportements, j’en avais attribué la faute à ses années de souffrances et de trahison. Et j’avais décidée de ne pas en garder de rancune. Enfin, peut être juste une légère méfiance. Docile, j’avais joué le jeu qu’il me proposait, jusqu’à ce que je l’eus jugé intéressant et prometteur. Passé ce délai, j’avais décidé de lui poser la question qui me brûlait les lèvres. Et j’attendais sa réponse. Qui ne se fit pas attendre :
« C'est une belle manière d'éviter de répondre à ma question. J'accepte d'échanger les rôles... »
Ce n’était pas cette question que j’évitais, j’aurais pu y répondre aisément, après tout, il m’en avait posé des plus difficiles. Mais il avait raison, je voulais changer les rôles. Je voulais voir quel type de demi-dieu j’avais en face de moi. Un demi-dieu pouvant accepter un humain comme son egal ou un demi-dieu dominé par l’ego et la rancune. Fort heureusement, ce ne fut pas le cas. Il me répondit même avec une pointe de malice, constatais-je avec plaisir. Il répondait à mon défi silencieux.
« Il y a des sorts pire que la mort Jamy. Être prisonnier de ce temple en est un bon exemple. Mais il y a pire encore : voir son nom sali en étant obligé d'accomplir de mauvais actes sous les ordres d'un humain, de se voir condamner à une vie humaine de malheurs, je prend le risque de perdre les seules choses qu'il me reste : mon honneur et ma personnalité. Peut importe le choix que je ferai aujourd'hui, je serai soit condamné à l'un, soit je prendrai le risque de tout perdre."
Je laissa quelques secondes passer. Je pris le temps d’analyser les mots que Tahimo venait d’employer et de réfléchir à ma réponse. Répondait-il réellement à ma question ? Dans sa réponse on pouvait lire à la fois la peur de moi, qui pouvait le contraindre à des actes terribles, mais aussi, à demi-mot, la peur de lui-même. Peur de se perdre. J’eus l’impression de me voir. À travers lui je revoyais mes années de souffrances passer sous mes yeux. Je revoyais ma résignation, mon abandon, mais aussi mon désespoir de voir mon propre destin m’être arraché. Les humains lui avaient déjà pris bien trop de choses, je refusais de lui prendre davantage. Je ne serais pas celle qui le condamnerais à ce qui était un simulacre de choix. C’était à lui de décider de son propre destin. J’avais envie d’en savoir plus, voir ce qui se cachait derrière cette apparente résignation, derrière ces peurs. Je voulais voir le vrai visage de Tahimo. Je sentais un feu brûler en lui, et en cet instant, j’eus envie de le rallumer. « Ne te fais-tu pas suffisamment confiance ? »
Je laissais nouveau quelques secondes s’écouler.
« Les humains ont-ils autant de pouvoir que cela ? As-tu envie de leur accorder autant de pouvoir que cela ? Ils peuvent contraindre ton corps, mais les laisseras-tu contraindre ton âme en même temps ? »
J’avais lancé cela d’un ton de défi. Ce sentiment, je le connaissais. Être une coquille vide. Être manipulé, forcé. Ne pouvoir imaginer ni avenir ni espoir. Ce n’était pas une vie, mais une demi-vie.
« Tu as raison, il y a pire que la mort. Mais ce n’est pas d’être enfermé, ou de voir son nom sali, ou encore de perdre son honneur. Ce qui est pire que la mort est une vie sans espoir. Une vie où on oublie qui on est vraiment. Tu dis avoir peur de perdre ton honneur, ta personnalité ? Mais n’es-tu pas justement en train de les perdre en restant ici ? Te reconnais-tu vraiment tel que tu es dans ces quatre murs ? Est-ce là ta véritable nature ?»
Je voulais insuffler l’espoir en lui. Et en moi. Je répéta comme pour nous deux ce mantra que je m’étais si souvent répété :
« Ce qu’il y a de pire que la mort, c’est de les laisser te briser. Quelque que soit les obstacles, ne laisse ni humains ni dieux décider de ton propre chemin.»
La question de Jamy fut cinglante, le dialogue changeait de ton. Peu à peu, les oiseaux cessèrent de chanter, les loutres au lieu de s'amuser nous regardaient. Tous les habitants de la forêt écoutaient la conversation. Je les avais quelque peu oublier. Cette humaine qui avait tant fait preuve de précautions jusque là osait me défier chez moi, à portée de crocs, au bord de la Source, ou du moins de ce qu'il en restait. Elle osait me défier alors que je faisais tout pour conserver une ambiance paisible.
Certains l'auraient dévoré sur le champ, il y a quelques siècles je l'aurais chassé mais aujourd'hui mon cœur était plus calme qu'au début de l'enfermement. Aussi je l'écoutais, calmement. Il semblerait qu'elle n'ait pas comprit le pouvoir qu'elle possédera sur le demi-dieu qu'elle choisira : si elle m'ordonne de modifier ma personnalité de telle ou telle façon, je n'aurais pas le choix. Si elle m'ordonne d'être réduit au rang de cheval, je n'aurais pas le choix non plus. Elle possédera tous les pouvoirs sur moi, je ne serai qu'une marionnette entre ses mains.
Je devais pourtant reconnaître qu'elle avait raison. Prendre des risques fait partie de la vie, c'est la vie et rester enfermer entre ces murs est une insulte à qui je suis. Je grondais, un son provenant des profondeurs de ma gorge, vibrant comme le tonnerre, secouant les corps d'une vague de pression négative :
« Prends garde humaine, ne fait pas l'erreur de me réduire au rang de chien de garde. Un de tes semblables a payé le prix fort pour avoir commis une telle erreur. Je suis Tahimo, Demi-dieu. En acceptant de quitter ce temple avec un humain je fais le serment de devenir son Gardien mais en aucun cas son esclave. Si tes actes sont mauvais, si tu es maltraitante envers moi, il te faudra choisir avec beaucoup de soins tes ordres car si l'occasion se présente, je te regarderai souffrir sans lever la moindre griffe. »
Je marquais une pause pour que l'avertissement pénètre bien. J'en rajoutais couche, je le lachai en la transperçant du regard :
« Sois bon et bienveillante et je serai peut être pour toi une bénédiction. Sois malveillante envers moi et mes protégées et je serai pour toi un cauchemars. »
Ce nouvel avertissement tomba comme des rochers lors d'un glissement de terrain. J'attendis que la course de la dernière pierre soit terminé. Puis un oiseau, un unique oiseau chanta quelque part, donnant soudainement conscience du silence qui s'était emparé du lieu. Puis un autre répondit en échos. Il y eut une éclaboussure et un couinement indigné : le jeu des loutres reprit.
« Brisé je l'ai déjà été, plusieurs fois, tu l'as constatée en regardant dans le miroir. Pourtant j'ai déjà quitté ce temple plusieurs fois. Est-ce un dragon bisé qui se tient devant toi ? Non. C'est un dragon prudent, méfiant. Il te faudra peut être des années pour gagner ma confiance pleine et entière, toute ta vie pour comprendre qui je suis. Souhaites-tu que je devienne ton Gardien ? Qu'es tu prête à faire pour que je le sois ? »
L'heure du choix approchait. Je pouvais la repousser autant que je le désirais mais ça n'aurait pas été correct. Allait elle me rejeter comme Brisielle ? Allais-je accepter et me tromper ? Allais-je refuser et faire erreur ?
Si il y avait eu un témoin de notre échange, il ne devrait pas se fier à l’apparente décontraction de ma position, parce que mon ton, lui, avait été sans appel, bien que toujours poli. Il me fallait voir de quel bois était fait l’invocation que j’avais sous les yeux. J’avais passé ses épreuves, répondu à ses questions, et avait dans la tête un début de compréhension de l’être que j’avais devant moi. Pourtant, par expérience, je savais que tout comme les humains, les demi-dieux pouvaient eux aussi, faire preuve de flagornerie et de sournoiserie. Beaucoup d’humains, trop naïfs, en avaient fait les frais. Et naïf, je ne l’étais pas. Par contre, inexpérimentée et maladroite, étaient des défauts que j’acceptais bien volontiers. Et j’avais su exactement où appuyer pour réveiller l’ego de ce Gardien. Par nature, les invocations détestaient être défiés par de simples humains. Maintenant, restait à savoir comment il allait réagir. Dans mon esprit j’avais déjà imaginé plusieurs scénario possibles :
1. Il m’arrachait les yeux (non sans rire, c’était déjà arrivé) 2. Il voudrait me faire peur 3. Il me jetterais hors du temple (avec un coup de pied au fesses pour aller plus vite très certainement) 4. Il répondrait à mon défi 5. Il se vexerait (bon, peu probable, mais pas impossible)
Il choisi la 4ème option : « Prends garde humaine, ne fait pas l'erreur de me réduire au rang de chien de garde. Un de tes semblables a payé le prix fort pour avoir commis une telle erreur. Je suis Tahimo, Demi-dieu. En acceptant de quitter ce temple avec un humain je fais le serment de devenir son Gardien mais en aucun cas son esclave. Si tes actes sont mauvais, si tu es maltraitante envers moi, il te faudra choisir avec beaucoup de soins tes ordres car si l'occasion se présente, je te regarderai souffrir sans lever la moindre griffe. »
Je souri. Ainsi il lui restait la force de se battre et de se rebeller face à son destin. Un grand soulagement m’envahit. Il y avait pire qu’un demi-dieu belliqueux. Un demi-dieu qui avait baissé les bras et qui n’était plus qu’un pantin aux mains de son maître. Je ne voulais pas d’une marionnette ou d’un compagnon sans âme, je souhaitais un égal à mes côtés, qui ne s’offusquerait pas de mes questions et qui accepterai que l’on puisse parler en toute franchise. Il me fallait quelqu’un à mes côtés qui accepte mon franc parler et ma maladresse, qui accepte d’être contre dit ou défié. Toujours le sourire aux lèvres, je le laissais poursuivre :
« Sois bon et bienveillante et je serai peut être pour toi une bénédiction. Sois malveillante envers moi et mes protégées et je serai pour toi un cauchemars. »
Je voyais enfin le vrai visage de Tahimo derrière ses couches de questions et d’énigmes. Sa véritable nature. Ce n’étais pas un être à rester enfermer ici en ces quatre murs, dans un rêve sans fin de sa source à jamais perdue. Et il envisageait enfin de sortir, de déployer ses ailes dans un monde à sa hauteur. Bien entendu, les avertissements allaient de pairs. Je commençais à comprendre comment il fonctionnait. Cela avait pour but de m’intimider. Soit. Je n’allais pas le contredire en lui disant que j’en avais bien trop vu des demi-dieux pour me laisser impressionner. Après tout, si on entrait dans ce temple sans avoir conscience de la dangerosité des ces êtres quasi immortels, alors on était soit bien trop arrogant soit définitivement stupide. Les risques je les connaissais. Mais cela faisait partie du jeu. J’acceptais donc son avertissement, il était légitime, vu qu’il était la seule arme dont il pourrait disposer pour ne pas s’abandonner complètement aux mains des humains malgré sa condition. Quand le temps, qui s’était comme figé après cette déclaration, repris, Tahimo repris à son tour :
« Brisé je l'ai déjà été, plusieurs fois, tu l'as constatée en regardant dans le miroir. Pourtant j'ai déjà quitté ce temple plusieurs fois. Est-ce un dragon bisé qui se tient devant toi ? Non. C'est un dragon prudent, méfiant. Il te faudra peut être des années pour gagner ma confiance pleine et entière, toute ta vie pour comprendre qui je suis. Souhaites-tu que je devienne ton Gardien ? Qu'es tu prête à faire pour que je le sois ? »
Enfin, nous y étions. Il ne s’était pas rebiffé face à mon audace, mais il m’avait répondu et avait joué cartes sur table. Il était l’heure de la décision. Était-il l’invocation que je recherchais ? Ce compagnon tant désiré ? Pour le moment, ce que je voyais semblait l’indiquer. Mais il me fallait être sûre avant de m’engager. Il me restait une question à poser.
Je me levais et époussetais mes vêtements d’un geste lent et tranquille. J’avais tout mon temps, et un temps passé ici, même quelques secondes, valait bien des années dans les forêts de notre monde tant ils ne pouvaient l’égaler par sa beauté et sa pureté. Je voulais prolonger ce moment, inspirer tout mon saoul de cet air éthéré, profiter de la douce brise sur ma peau, et de l’éclat des eaux sur mes chevilles. Je fis face à Tahimo. Debout, j’arrivais presque à sa hauteur. Je prononçais d’une voix lente mais sereine :
« Si j’avais voulu un chien de garde, ne penses-tu pas que je serais allée dans un chenil ? Si tu étais un vulgaire cabot, avec ta taille, je pense que je me serais ruinée en croquettes. »
J’avais prononcé cela de mon humour caustique. Un type d’humour pas vraiment apprécié, mais qui me caractérisait assez bien.
« « Sois bon et bienveillante et je serai peut être pour toi une bénédiction. Sois malveillante envers moi et mes protégées et je serai pour toi un cauchemars. » . »
Répétais-je d’une voix douce.
« C’est une remarque intéressante. Et je discuterais bien avec toi des nuits entières philosophie et sociologie pour tenter d’établir de ce qui est bienveillant de ce qui ne l’est pas. C’est une question complexe qui finalement n’est relié qu’à des notions subjectives, elles-mêmes soumis aux règles de notre histoire et de notre environnement. Mais qu’importe, je saisis bien l’idée générale. »
Je marqua une pause pour m'accroupir face à la source et laisser mes doigts effleurer le fil de l'eau.
« Je suis ravi d’apprendre que les humains n’ont aucunement réussi à te briser. Cela aurait été leur accorder trop d’honneur. Pardon. Nous accorder trop d’honneur. Ta prudence et ta méfiance, je la comprends. Mais surtout je la partage. Ne compte pas non plus sur moi pour me dévoiler tout à fait et te faire confiance. Comme je te l’ai dit, il nous faudra beaucoup de temps pour cela. Surtout que je ne suis pas vraiment experte en la matière. »
Je laissa mon regard se promener tout autour de moi et poursuivi en me relevant :
« Ce qui m’amène à ta dernière question. Est-ce que je souhaite que tu deviennes mon Gardien et qu’est ce que je suis prête à faire pour cela. Vois-tu, malgré les règles qui vous enchaînent à nous, nous ne sommes pas insubmersibles. Vous avez quelques moyens pour vous soustraire, ou, en tout cas, pour ne pas nous faciliter la tâche. Tu n’es donc pas le seul à mettre ta confiance et ta vie en jeu. C’est mon cas également. Alors, est-ce que je souhaite que tu deviennes mon Gardien. Oui, je pense que nous pourrions faire une bonne équipe. Tu ne me sembles pas être un demi dieu malveillant ou violent, au contraire, tu m’as l’air plutôt intelligent et réfléchi. Je suis prête à m’engager devant toi, à risquer ma vie dans cette collaboration, à toujours être franche, à travailler à une relation sincère et de confiance, et, à moins que je n’en sois contrainte, rester toujours profondément pacifique. Mais il y a pourtant une condition. »
Je laissa quelques longues secondes s’écouler.
« Je souhaite la même chose de ton côté. En te prenant pour Gardien, je met ma vie entre tes mains. Je suis prête à tout faire pour te faire confiance, malgré le danger que tu pourrais représenter pour moi et mon monde, et à ne pas me formaliser du mal que certains d’entre vous ont pu commettre. Si toi tu t’engage à la même chose. Il n’est pas question de tout oublier, ou de faire confiance aveuglement. Tout ce que je te demande, c’est le bénéfice du doute. Tout comme moi, accorde moi le bénéfice du doute. Je ne veux plus qu’il y ait de menaces entre nous. Nous sommes deux à risquer nos vies, ne l’oublie pas. »
Jamy se leva et épousseta ses vêtements, tranquillement sans se presser. J’appréciais qu'elle prenne ainsi son temps : je profitais plus longuement de la caresse de l'eau de la Source. Mon ancien compagnon humain m'a fait découvrir un lac au fond du forêt à l'est de Luh persuadé qu'il me plairait avec raison. Serais-je capable d'y retourner ? Est-ce que Jamy le connaissait ? Elle dit alors que si j'étais un chien elle se serait ruinée en croquettes. Une vague d'hilarité me traversa. La politesse m'interdisait de lui couper la parole en éclatant de rire pourtant je le sentais monter, m'échapper. Je souris, à ma manière, baissais le menton, essayai de retenir ce rire qui s'échappa dans un ricanement clairement retenu, indubitablement sincère. Je l'imaginais en train de m'apporter une gigantesque gamelle remplie à ras bord de nourriture pour chien, tout mon corps fut prit de quelques sursauts caractéristiques du rire.
Cela ne m'empêcha pas de l'écouter avec attention, l'hilarité disparaissant rapidement je relevais le tête. Le fils d'Ignis chargé de la protection de la Source à mes côtés aurait depuis longtemps perdu patience. Tant de mots pour répondre simplement oui. Il s'agissait à ses yeux de quelque chose d'incompréhensible. Je dû reconnaître qu'elle avait jouée un coup de maître en utilisant l'humour en premier lieu : je sentais ma méfiance diminuée. Il est vrai qu'elle risquait sa vie également en libérant un Demi-dieu : j'avais en ma possession de multiples moyens de lui faire du mal.
Calmement, paisiblement, j'attendis qu'elle me donne la condition de ma libération. J'ai appris depuis des millénaires que rien n'est gratuit dans la vie, rien. Tout possède son prix. Les humains sont persuadés que ce prix est toujours en argent, c'est faux. Le simple fait de lever la patte coûte de l'énergie, parler également. Passer une journée de pluie à tenir compagnie à une personne âgée solitaire coûte du temps, bien le plus précieux de tout être vivant. Le temps du choix était venu. Il fut un temps, il y a longtemps, ou la réponse aurait été non sans aucune hésitation. Allais-je accepter de devenir le Gardien de cette humaine ?
« La confiance doit s'offrir dans les deux sens. Si tu n'as pas confiance en moi, je ne peux pas avoir confiance en toi. L'erreur... Est une étape importante de l'apprentissage. Je suis très âgé pourtant je fais encore des erreurs. Tu es jeune, nouveau née en comparaison de mon âge. Tu as fais une erreur tout à l'heure et pourtant tu es là, devant moi, à l'heure du choix. »
Je m'interrompis pour regarder la Source qui s’étendait de chaque côté de moi. Peut être que dans quelques minutes elle disparaîtra pour des décennies. Il s'agissait de mes dernières minutes auprès d'elle. Je repris, sérieusement, très sérieusement.
« Je mérite ma punition Jamy. Je n'ai pas réussi à protéger la Source puis j'ai perdu le contrôle de moi même et commis des atrocités inutiles. Je te demanderai une chose en retour. S'il te plaît, ne m'offre pas la pleine et entière liberté au sein de ton monde. Je serai alors sans but, dans une situation pire qu'attendre dans cette salle de pierre. Je me poserai au sommet d'une montagne et chercherai le sommeil profond que je suis incapable de trouver. En acceptant de quitter cette prison à tes côtés, je n'aurais plus qu'une seule et unique raison de vivre : te protéger ainsi que ce que tu m'auras demandé de défendre. En ton absence ou en m'offrant la liberté, ma vie ne sera plus qu'une longue attente. »
L'immortalité n'est pas une bénédiction : c'est une malédiction. Condamné à perdurer, à affronter tous les âges du monde, à regarder chaque lieux aimé détruit par le temps, chaque être aimé mourir. Attendre sans but est pire que la mort.
Tandis que je prononçais ses mots j’examinais avec une pointe d’espièglerie la réaction de Tahimo qui semblait fournir un effort démesuré pour ne pas rire. Effort qui ne mit pas longtemps à être mis au placard tandis qu’un ricanement s’échappait de sa bouche. J’avais poursuivi sans me laisser distraire. Je n’avais pas oublié l’essentiel, j’avais un message à faire passer et il était fondamental que Tahimo puisse l’entendre si nous voulions une collaboration heureuse. S’il ne comprenais pas ma condition, ou s’il était en désaccord avec elle, alors je repartirais seule. Après tout, je ne voulais pas passer les prochaines années de ma vie accompagnée d’un demi-dieu potentiellement dangereux qui me menacerais à la première occasion. Passer son temps à se tester, ou à faire des démonstrations de force était tout autant une perte de temps et d’énergie. Ici, il était communément admis que c’était à l’humain de prouver sa valeur, et j'avais docilement joué le jeu, mais une fois dehors, j’espérais à des échanges plus léger, même amicales si c’était possible. Tahimo me répondit ainsi :
« La confiance doit s'offrir dans les deux sens. Si tu n'as pas confiance en moi, je ne peux pas avoir confiance en toi. L'erreur... Est une étape importante de l'apprentissage. Je suis très âgé pourtant je fais encore des erreurs. Tu es jeune, nouveau née en comparaison de mon âge. Tu as fais une erreur tout à l'heure et pourtant tu es là, devant moi, à l'heure du choix. »
Je haussais un sourcils circonspect. Je ne saisi pas bien le sens de sa réponse. À ces mots Tahimo semblait me renvoyer à ma propre capacité à lui faire confiance, sans répondre à la confiance que je lui avais demandé de mettre en moi. Je retins un soupir. M’étais-je mal exprimée ? Comment lui faire comprendre qu’il me fallait l’assurance que nous allions être deux à travailler à se faire confiance et non moi seule ? J’étais certes jeune et inexpérimentée mais surtout prudente et peu disposée à fournir des efforts si je ne bénéficiais pas des mêmes retours. Depuis mon arrivée, je m’étais dévoilée, j’avais offert au Gardien mes sentiments les plus profonds, plus que je ne l’avais jamais fait avec aucun autre. Qu’était-il prêt à m’offrir en retour pour me prouver que je pouvais lui faire confiance ? Allait-il me laisser le bénéfice du doute ou allait-il me juger au même niveau que les autres humains qui avaient croisé sa route ? Avais-je eu raison de me confier ainsi à lui ? Des erreurs, j’en avais certainement commise, je n’avais jamais pensé le contraire, pourtant, ce commentaire réveilla la blessure de la douloureuse intrusion que j’avais subis quelques temps auparavant et qui était de son fait. Lui aussi avait commis des erreurs, pensais je amèrement. Si nous venions à faire équipe ensemble, aurais-je seulement droit à sa considération ?
Tahimo repris, brisant le fil de mes pensées :
« Je mérite ma punition Jamy. Je n'ai pas réussi à protéger la Source puis j'ai perdu le contrôle de moi même et commis des atrocités inutiles. Je te demanderai une chose en retour. S'il te plaît, ne m'offre pas la pleine et entière liberté au sein de ton monde. Je serai alors sans but, dans une situation pire qu'attendre dans cette salle de pierre. Je me poserai au sommet d'une montagne et chercherai le sommeil profond que je suis incapable de trouver. En acceptant de quitter cette prison à tes côtés, je n'aurais plus qu'une seule et unique raison de vivre : te protéger ainsi que ce que tu m'auras demandé de défendre. En ton absence ou en m'offrant la liberté, ma vie ne sera plus qu'une longue attente. »
Tahimo me demandais une chose en retour. Je restais un moment muette, les sourcils froncés. Que faisait-il de ma propre demande ? Il ne l’avait pas explicitement accepté et pourtant, déjà, il me formulait une nouvelle demande qui s’ajoutait à celles qui avaient jalonné mon chemin depuis mon arrivée au temple. Ce qu’il ne savait pas, c’est que j’étais d’une nature profondément obstinée. Je décidais de ne pas laisser ma demande sans suite et de lui laisser une nouvelle chance d’y répondre. Heureusement, mes années passées avec Cami avaient adoucis quelque peu mon caractère, aussi, je ne le laisserais pas sans réponse :
Je tendis le bras devant moi, le point serré, souriante :
« Je te propose un accord. Je m’engage à te donner un but, et pourquoi pas, l’occasion de te créer de nouveaux souvenirs heureux en cette terre. Et toi, tu t’engage à me laisser le bénéfice du doute et d’apprendre à me connaître sans me comparer aux autres humains dont tu as déjà croisé la route. »
Je regarda mon poing, doutant tout d’un coup de la lisibilité de mon geste. Et poursuivi avec un sourire taquin :
« Bon, je sais qu’il ne s’agit pas du geste conventionnel pour signer un accord, dans le monde humain on devrait normalement se serrer la main. Mais tu me pardonnera, vu la taille de tes pattes et des tes griffes qui me semblent bien affûtées, je préfère ne pas prendre le risque de perdre un doigt. Je te propose qu’on tape simplement du poing. »
Vivre correctement avec d'autres individus, la coexistence, l'amitié, ce n'est pas imposer sa volonté à l'autre ou accepter ses exigences. Agir ainsi est malsain et provoquera forcément le malheurs de l'un. Souvent les humains imagines que c'est ainsi que fonctionne la nature et les sociétés d'animaux. Je me souviens pourtant de l'histoire d'une meute de loups vivant au sein de la Source il y a des millénaires de cela. Cinderella était une louve si gentille, si bienveillante toujours prête à aider, toujours attentive au bien être de chacun, toujours utile lors des chasses, elle était très appréciée de la meute. Cinderella avait une sœur : Malicia. Une louve affreuse et tyrannique, qui régnait sur la meute par la violence et la terreur. Chaque faute était sévèrement puni pouvant aller sans hésitation jusqu'au sang. De peur, tout le monde s'inclinait. De peur, aucune femelle n'osait faire de petits... L'enfer dura quatre longues années. Lors de la troisième, Cinderella s'est accouplée en secret avec Casanova mais lorsque Malicia l'apprit, elle laissa ses propres petits, passa devant les membres de sa meute, pénétra dans le terrier et l'un après l'autre, tua les petits de sa sœur. Casanova fut sévèrement puni d'avoir nourri sa compagne ainsi que tout ceux osant s'approcher d'eux durant quelques semaines.
L'année suivante, Cinderella et une autre femelle de la meute eurent des petits en secret. Furieuse, Malicia fit de nouveau le trajet vers le terrier de sa sœur mais cette fois ci la meute tout entière, y comprit le compagnon de la tyrannique, fit barrage. Malicia, paralysée par la douleurs, fut abandonné baignant dans son sang et mourut seule, dans la souffrance. Cinderella devint la matriarche de la meute. Elle adopta non seulement les petits de l'autre femelle nés en secret mais également ceux de Malicia et faisant de sa meute la plus puissante de la Source. Non par sa taille mais par la puissance des relations bienveillantes régnant entre ses membres. Cinderella, et une chimpanzé nommée Mama, m'ont enseignés que ce n'est pas en imposant sa volonté ou en acceptant les exigences des autres que nous vivons heureux mais en trouvant des compromis convenant à chacun... Et c'est précisément ce que me proposait Jamy.
Elle s'engageait à me donner un but, à m'offrir de nouveaux souvenirs heureux sur cette terre à la condition que je lui offre le bénéfice du doute et le temps d'apprendre à nous connaître sans la comparer aux autres humains. J'étais, et suis toujours, forcé d'admettre le coup de maître de sa proposition. La plus grande surprise, très facilement lisible, accueilli son geste du poing. Je ne pu m'empêcher de ricaner à nouveau quand elle m'expliqua pourquoi :
« J'ai déjà vu ce geste parmi les tiens, si je le reproduis comme il doit être je te briserai le bras sans effort. Que dirais-tu plutôt de ceci ? »
Ma queue, immense du point de vu humain, s'anima, émergeant de l'eau, la pointe venant se placer jusqu'à toucher son poing. Je dis alors de manière très solennelle, d'une manière qui n'avait rien d'humain :
« J'accepte de devenir ton Gardien Jamy. Par ce geste, tu acceptes la possibilité d'offrir ma bénédiction envers tout ceux qui seront bienveillant envers toi. Par ce geste, tu prends la responsabilité des morts, souffrances et destructions que je causerai au sein de ton monde si l'on te cherche du mal. Devant la divinité Aer, le Pacte est scellé. »
Je retirais ma queue qui disparue à nouveau sous l'eau. Lorsque Jamy se retournera, le miroir aura disparu remplacée par les deux grandes portes de ma cellule. Mais je ne bougeai pas, c'était à elle de prendre la décision de quitter le temple et d'indiquer notre route. En tant que Gardien, je me devais de la suivre et de la protéger, pas de lui indiquer la route.
« J'ai déjà vu ce geste parmi les tiens, si je le reproduis comme il doit être je te briserai le bras sans effort. Que dirais-tu plutôt de ceci ? »
Me répondit Tahimo. Mon sourire s’élargit tandis que je voyais sa queue immense quitter avec légerté la fraîcheur de l’eau de la source pour venir rencontrer mon poing tendu. Il poursuivit d’une voix plus solennelle et profonde :
« J'accepte de devenir ton Gardien Jamy. Par ce geste, tu acceptes la possibilité d'offrir ma bénédiction envers tout ceux qui seront bienveillant envers toi. Par ce geste, tu prends la responsabilité des morts, souffrances et destructions que je causerai au sein de ton monde si l'on te cherche du mal. Devant la divinité Aer, le Pacte est scellé. »
Je senti un frisson parcourir mon corps, les dès en étaient jetés, faisant fis de centaines d’année de tradition, je devenais le maître d’une invocation. Je ne savais pas où m’entraînerais la route que j’avais choisi, mais j’espérais de tout coeur que celle-ci m’emmènerais là où étais ma place. Pour cela, je ne devais surtout pas oublier le serment que je m’étais fais ce jour là.
Je regarda Tahimo et lui répondit avec solennité : « J’accepte ce Pacte et la pleine responsabilité de ce que cela engage. »
Tout d’un coup, l’espace sembla changer autour de nous. Le miroir avait disparu. À sa place trônait maintenant les deux grandes portes par lesquelles j’étais rentré il y a de cela de ce qui me semblait être une éternité. À son seuil trônait les objets dont je m’étais lesté conformément au souhait du Gardien. Tandis que mon corps relâchais la tension accumulée ces dernières heures je sentis mes muscles protester. Cela faisait bien trop de temps passé à accumuler tensions et émotions. Je me sentais fourbus comme après 1 semaine de marche. Avant d’entamer le voyage il me fallait me reposer et faire le point de tous ces événements. Il me faudrait aussi réfléchir à quelle direction donner à notre voyage.
La question était de ne pas se précipiter. Il nous fallait encore s’apprivoiser et prendre le temps de s’accoutumer à la présence de l’autre. Moi qui avait l’habitude de voyager en solitaire, me voilà maintenant affublée d’un compagnon que l’on pouvait difficilement ignorer. Par quoi pourrait-on commencer ?
Tout à mes réflexions je m’étais approchée de mes affaires personnelles, retrouvant le poids bien familier de mon sac à dos sur mes épaules et la présence rassurante de mon livre dans mon dos. Sans compter avec le plaisir de sentir à nouveau l’odeur de cuir émanant de ma veste et la rugosité de mon bâton dans ma main. Je ne possédais pas grand-chose dans ce monde et je ne me considérais pas particulièrement matérialiste. Mes ces objets avaient une valeur particulière à mes yeux, ils étaient le signifiant de mon histoire, de la route que j’avais emprunter. Les avoir avec moi m’obliger à ne pas oublier, à garder dans mon coeur la voie que j’avais choisi. Je senti une énergie familière envahir mon corps endoloris : l’excitation du voyage à venir.
Tout en ajustant mon sac je pris à nouveau la parole :
« Je sais à quel point cet endroit compte pour toi, et ce même s’il n’est que le pâle reflet de ce que tu as perdu. Aussi, notre voyage peut attendre. Si tu le souhaite nous pouvons rester ici jusqu’à ce que tu te sente prêt. »
Je leva la tête et souri à Tahimo :
« Je sais que tu compte sur moi pour te donner une direction, un objectif. Pour autant, je ne me considère plus seule dans cette aventure. Nous allons travailler ensemble. De ce fait, je compte sur toi pour ne jamais hésiter à me donner ton avis, tu n’as pas à te censurer. Tu as une grande expérience et elle peut être d’une aide précieuse. Comme tu le sais, je suis à la fois aventurière et historienne dans le monde humain. Mon objectif est de parcourir le monde et d’en apprendre plus sur les différentes coutumes et versant de l’histoire qui peuvent exister. Je suis donc souvent amenée à explorer des régions isolées et des cultures hétéroclites, mais aussi à visiter des lieux plus modernes et plus avancées. Je suis plutôt libre et la prochaine destination importe peu sauf si j’ai une cible particulière en tête. Pour célébrer notre pacte et fêter ta nouvelle excursion dans ce monde je te propose de m’aider à choisir notre prochaine destination. J’ai quelques idées mais j’aimerais avoir ton avis. A ton sens, quel serait le lieu le plus approprié pour quelqu’un qui chercher à percer les mystères de ce monde ? »
Je marqua une pause, j’hésitais à poursuivre.
« Il faut que tu saches.. Je ne sais pas de quelle année date ta dernière « sortie » mais le contexte actuel à dû bien évoluer aujourd’hui… Nous sommes dans une période un peu trouble. Je ne sais pas si elle existait quand tu étais avec ton précédent compagnon, mais il y a un groupe qui s’appelle « la confédération des hommes libres » qui a pris possession des terres qui entourent ce temple. Aussi, quelle que soit notre destination, il nous faudra prendre garde sur le chemin. »
Est-ce que cette nouvelle vie me plaisait ? Depuis bien longtemps je me pose cette question sans jamais réussir à trouver la réponse. Après de la Source, chaque jour était à la fois le même et unique parmi tous les autres. J'y avais des amis, des repères, mes habitudes, mes rituels. Aujourd'hui je passe ma vie à attendre de devoir repérer l'imposture, la trahison... puis errer dans un monde qui n'est pas le mien. J'ai dit à Jamy que parfois je préférerai mourir, que mon immortalité n'est qu'une malédiction. J'aurais voulu disparaître en même temps que la Source. Mais que ferais-je si je trouvais une créature capable de supprimer quelqu'un d'immortel ? Aurais-je le courage de me présenter à elle ? Est-ce que je réviserai ma décision ? Voilà un secret que je ne révélerai peut être jamais à Jamy.
Je l'observais en silence, profitant de mes derniers instants avec la Source. Qui sais dans combien de temps le retrouverais-je ? Je l'observais récupérer ses affaires sans un mot. Elle m'accordait le temps que je voulais. Mon attachement à cet endroit est si fort que sa vie entière ne serait pas suffisante pour atteindre le temps que je souhaitais passer le pelage dans l'eau. Mais je resterai là, à ne rien faire puisque cet endroit n'est qu'un mirage fruit de mon souvenir. La seule et unique manière de donner un semblant de sens à ma vie est de m'arracher à ma Source bien aimée pour suivre Jamy à l'extérieur.
Jamy m'expliqua de nouveau ses buts et objectifs. Nous voyagerons beaucoup ce qui ne m’effrayais pas le moins du monde : leur île est si petite qu'en une journée à peine j'en ai fais le tour par les airs... Quel serait le lieu le plus approprié pour quelqu'un recherchant du savoir ? La réponse me vint immédiatement comme une évidence : la célèbre grande bibliothèque de Pru'ha. Toutes les réponses de Jamy s'y trouvaient, sans l'ombre d'un doute. Mais l'édifice a été détruit lors du retour des Dieux. J'eus alors deux idées.
« Pru'ha est certainement la plus érudit d'entre nous. Elle a construit une bibliothèque au sein de laquelle elle a rassemblée le savoir de l'ancien monde. Elle détient certainement les réponses à tes questions. Nous sommes frère et sœur, tu devrais la trouver au sein de ce temple mais je ne sais pas ou se trouve sa cellule, tu vas devoir chercher. Cependant prends garde ! Elle a une très puissante personnalité et ne t'accorderas pas le droit à l'erreur.»
Une demi-déesse célèbre parmi les enfants divins. La puissance de sa personnalité l'est tout autant : elle est capable de tenir un roi en respect par ce simple fait. Elle n'a pas besoin de magie pour ravager un royaume entier, elle nous l'a prouvée plusieurs fois. Je détesterai l'avoir comme ennemie...
« De mon temps, Lüh possédait la plus grande de vos bibliothèques. Nul doute que tu trouveras des réponses en t'égarant en son sein. Cette confédération m'est inconnu mais ton île est petite pour un fils d'aer de ma taille : je te conduirais ou bon te semble bien plus rapidement que n'importe quel cheval. »
Quelle fut ma surprise à l'époque de ma première sortie du temple de découvrir un lieu de vie aussi petit. En prononçant mes derniers mots je m'étais rapproché des portes. Profitant des dernières gouttes de magie véritable, elles s'ouvrirent seules et je me plaçais de côté pour laisser la place à Jamy. Je la suivais désormais...
« De mon temps, Lüh possédait la plus grande de vos bibliothèques. Nul doute que tu trouveras des réponses en t'égarant en son sein. Cette confédération m'est inconnu mais ton île est petite pour un fils d'aer de ma taille : je te conduirais ou bon te semble bien plus rapidement que n'importe quel cheval. »
Tandis que Tahimo prononçais ses mots il s’approcha de la porte avec lenteur et les portes s’ouvrirent comme poussées par une force invisible.
Je fis quelques pas en réfléchissant. La bibliothèque de Lüh. Evidemment, comme toute aventurière qui se respecte dans ce monde j’en avais entendu parler mais sans jamais avoir tenté d’en franchir les portes. Il fallait dire que la réputation de Pru’ha la précédait. Beaucoup n’avaient jamais osé se rendre à la bibliothèque tant ils redoutaient cette rencontre. Prise d’un doute je me saisi de mon mémorium. Au bout de quelques pages je fins par trouver l’information que je cherchais. Au cours de mon voyage j’avais appris d’un marin qu’une Pru’ha avait ouvert une boutique à Sirk qui avait malheureusement fermé depuis. Mais une rumeur circulait que cette mystérieuse Pru’ha serait toujours quelque part en ville. Elle détiendrait peut être des informations sur homonyme... Je refermais le livre et le rangeait avec une infinie précaution dans mon sac. Comme bien d’autres je n’avais jamais franchi les portes de la bibliothèque. Au vu de sa réputation il était clair que venir à sa rencontre n’était pas quelque chose à prendre à la légère. D’autant que j’aimais être bien préparée avant d’entamer une expédition. Si je devais me rendre à la bibliothèque de Lüh il me fallait en apprendre plus sur Pru’ha pour ne pas risquer de la froisser et donc perdre une précieuse mine d’information en plus d’une alliée potentielle.J’avais été surprise d’apprendre que Tahimo et Pru’ha partageait un lien si profond. Peut être pourrait il m’aider à à éviter de potentielles maladresses… Si cela pouvait être possible. Pru’ha semblait aussi irascible que je pouvais être maladroite. Un mélange détonant.
Je sentis mes muscles protester. Ils étaient encore tendus de la journée qui venait de s’écouler. Avant toute chose il me fallait du repos. Un bon repas et une bonne nuit de sommeil devrait suffire. Il me fallait également des vivres avant de reprendre la route et alimenter mon stock de premiers soins. Tout en m’étirant je pris le temps de parcourir mentalement la carte de la région pour décider du prochain arrêt qui serait le plus judicieux. Pour atteindre Sirk il nous faudrait descendre le long des landes luxuriantes du Nord et du Sud. Comme Tahimo était un dragon nous ne serons peut être pas obligé de faire un arrêt dans le Désert ambré et nous pourrons atteindre la ville rapidement. Il nous faudrait un arrêt à mi-chemin pour ne pas perdre trop de temps. La ville de Heilan s’imposa à mon esprit. Il se situait à proximité du Temple de l’eau. La vie y était paisible et agréable. Les habitants plutôt accueillants. Et surtout. Ils y vendaient mes sucreries préférées… Je souris à cette pensée. C’était l’arrêt idéal.
Je me tournais vers Tahimo : « Effectivement, la bibliothèque de Lüh me semble être une excellente idée pour commencer notre route. Peut être trouverons nous la-bas une piste intéressante.Toutefois nous ne sommes pas sûr qu’elle y soit… J’ai entendu dire qu’une certaine Pruh’a avait ouvert une boutique à Sirk, j’aimerais exploiter cette piste dans un premier temps. J’aimerais en apprendre plus sur elle si tu veux bien. J’ai aussi besoin de repos et de faire le pleins de vivres. Je te propose que l’on fasse un arrêt à Heilan, qui est proche du temple de l’eau. J’y resterais quelques jours. Les alentours y sont agréables, même si tu ne pourras pas m’accompagner en ville tu pourras profiter des bienfaits de la nature et d’un air pur. Est-ce que ça te vas ? »
En prononçant ses mots, j’ouvris la porte du temple et fit un pas à l’extérieur. Le vent vint fouetter mon visage avec force tandis que je retrouvais avec plaisir la chaleur du soleil.