Perdu dans ses pensées, Svaarnelg accueillit avec un sourire l’air brulant du désert. Il inspira cette odeur indescriptible de sable chaud et de pierres chauffées par le soleil. Il avait besoin de temps pour le faire le point, tout lui semblait tellement étrange, il se donnait l’impression d’être un faon qui devait tout réapprendre. Non, pire, car il sentait aussi le poids de l’âge qui lui dictait que toutes nouvelles choses seraient nécessairement longues à apprendre.

Il n’arrivait pas encore à accuser la nonchalance de sa nouvelle compagne. Elle avait bien dit qu’elle était déjà liée à deux autres demi-dieux ? Mais que pouvait vouloir faire un seul humain avec autant de pouvoir ? La réponse parut évidente au cervidé, la guerre. Encore et toujours les conflits humains engendrant toujours plus de violence grâce aux pouvoirs que les dieux consentaient à leur laisser par le biais de leurs créations.

Elle lui parla, d’une voix éteinte, mais sans même le regarder.

— Mait... Il allait répondre, mais lorsque son regard de braise se posa sur elle sa phrase resta en suspend, il ne saurait dire si c’était la laisse magique qui l’empêchait ou simplement la réalisation de l’état de fatigue dans lequel Lagertha se trouvait. Il se concentra donc uniquement sur ce qui importait dans l’instant.

— Merci.

Sa voix avait regagné en assurance, et ses sabots se plaisaient déjà à fouler le sable et à augmenter encore plus sa température. Ses craintes n’étaient peut-être pas fondées et il gambaderait sans doute prochainement avec la possession de ses pouvoirs disparus. Svaarnelg regarda au loin pour observer les deux créatures qu’elle lui indiquait.

L’immense griffon était évidemment dur à rater, et semblait attendre patiemment, voir peut-être guetter un possible mouvement. En tout cas il ne semblait pas faire beaucoup état du retour de son invocatrice. À contrario, la petite forme cachée sous son aile se manifesta lorsqu’elle perçut la voix. Il s’agissait d’une... D’une fille d’Aqua !

C’était une chose de l’avoir entendu, sans était une autre de le constater. La colère de Svaarnelg explosa alors que l’on pouvait la lire jusque dans son pelage où l’orange dansait avec le jaune. Sans même un mot il s’élança au galop, dépassant rapidement Lagertha et fonçant droit sur le duo.

Alors qu’il galopait, d’anciennes visions du passé le traversèrent, un autre enfant d’Aqua, un visage Lupin et... Il chassa les images d’un mouvement de tête.

Il avait conscience qu’il ne devrait pas lui en vouloir, ils venaient à peine de se rencontrer, elle aurait du temps pour lui parler et se découvrir. Mais pour le moment le fils d’Ignis ne décolérait pas. Il atteignit l’immense aile et planta ses cornes dans la poudre brulante.

IL se servit de toute sa vitesse pour en retourner le plus possible. Il recommença, creusant dans le sable avec une vitesse assurée et booster par la hargne.
Pour le moment, il ne pouvait même pas parler à son invocatrice, qu’elle amène un enfant d’Aer en plein désert pourquoi pas, mais une fille d’Aqua, sans protection, et sans aménagement ?

D’une voix qui ne trahissait rien de l’effort qu’il fournissait dans le sable, car généré par la magie, il héla la renarde :

— Le sable est moins chaud en profondeur, et même un peu humide, vous devriez vous mettre dans cette crevasse le temps que notre maitresse... Euh, Dame Lagertha je veux dire, décide de ce qu’on fait. Ah, et... Enchanté.

La faible voix qui répondit de la crevasse de sable pinça le cœur de Svaarnelg. Le temps des présentations attendrait visiblement. Il se demandait tout de même ce qui était arrivé à ce trio pour se retrouver dans cet état au temple d’Ignis. Seuls, sans cérémoniels pompeux pour les accueillir ou même des proches pour les féliciter. Depuis combien de temps n’était-il pas sorti ? À quel point la civilisation avait-elle évolué pour qu’une seule femme dirige trois demi-dieux, et sans que ça soit un évènement remarquable.

Il se recula légèrement pour ne pas blesser l’enfant d’Aqua, puis laissa son pouvoir le submerger. Que c’était doux de sentir la morsure du soleil embraser chacun de ses poils, de se laisser irradier de cette liberté de mouvement, de sentir la magie renaitre en soi ! Le cerf inspirait à pleins naseaux cette odeur de sable chaud lorsque sa libératrice lui adressa de nouveau la parole.

— Ce que je veux ? Il la regarda dans les yeux, un doute clairement visible dans ses prunelles. Cela fait bien longtemps qu’un détenteur du lien ne m’avait pas posé cette question Dame Lagertha.

Il balaya les environs d’un regard, s’attardant sur l’immense griffon qui semblait alerte, et la dégaine du groupe.

— Je veux vous aider, mais aussi comprendre ce qui se passe, et me faire une opinion de vous. Il semble étrange de libérer un demi-dieu quand on possède déjà cette puissance par deux fois.

Il raclait du sabot sur le sable, à la fois pour éprouver cette sensation oubliée, mais aussi, car cela l’aidait à canaliser ses pensées. Il avait en quelque sorte perdu l’habitude d’organiser des idées aussi rapidement.

— Vous... N’avez pas l’air d’un tyran. Il marqua une pause redoutant la réaction de son invocatrice avant de poursuivre, mais vous ressortez visiblement tous trois d’un conflit, et il va me falloir du temps pour comprendre les rapports qui régissent votre civilisation actuellement. Aussi, je vous préviens, je ne suis pas un assassin ou un meurtrier, si vous attendez de moi que je fasse couler le sang, je vous conseille de choisir vos ordres avec une extrême attention. Pour autant, je suis tout à fait disposé à vous soutenir pour accomplir de grande chose.

Il finit sa tirade avec une pause régalienne. Il se souvenait des anciens, il se rappelait le sang dans sa gueule, les familles hurlant alors que les chairs brulaient sous sa volonté. Il se rappelait également les nuits à danser, les hivers à réchauffer la pierre pour qu’aucun villageois ne soit terrassé par le froid...

Le cerf flamboyant ne pouvait plus bondir de feu en feu, mais il pouvait encore accomplir tellement... Cela dépendrait principalement de ce que Lagertha comptait faire de lui. Il regardait avec grand calme cette humaine, la dominant de par la différence de taille, mais sans une once belliqueuse, attendant simplement une réponse convaincante.

Le cerf tentait de comprendre les non-dits entre sa nouvelle dirigeante et sa compagne aquatique fort mal en point. Trop de questions se bousculaient, et il n’aurait visiblement pas de réponse dans ce désert. Son impression fut confirmée par les dires de Lagertha.

Rentrer...

Est-ce qu’il devait retourner à son temple alors qu’il venait simplement d’être libéré ? Est-ce que l’invocation d’Aqua était dans cet état, car elle avait mal agi et que leur propriétaire voulait la punir ? Ou alors était-ce l’inverse ? Leur voyage avait-il été semé d’embuche au point que même deux invocations ne garantissaient pas la sécurité de leur maitresse ?
Plus tard, c’est ce qu’elle avait dit. Svaarnelg pouvait attendre, il avait déjà attendu sans doute des siècles dans sa prison, il n’était pas à quelques jours, voire quelques semaines. Surtout que sa nouvelle détentrice ne semblait pas vouloir lui donner d’ordres immédiats et encore moins se servir de sa puissance.

Le fils d’Ignis raclait machinalement le sable alors que l’humaine s’éloignait de lui pour se rapprocher de l’immense griffon. Il ne se souvenait pas une seule fois où l’un de ses anciens propriétaires se soit éloigné de lui. Avec toute l’affection dont faisait preuve sa première libératrice, elle ne le lâchait pas d’une semelle, et le foudre de guerre ne voulait pas se séparer de ses armes. C’était une situation étrange, limite grisante de se voir accorder ce simulacre de liberté depuis si longtemps qu’il ne se souvenait même pas à vraiment de la dernière fois que ça lui était arrivé.

— Puisqu’il m’en est donné la possibilité Dame, je préfèrerais redécouvrir le monde environnant par moi même le temps qu’il vous faut à tous pour récupérer. Vous m’avez promis que des réponses arriveront, je ne doute pas une seconde que je les aurais lorsque vous serez remise.

Il fit une révérence si basse que son souffle creusa dans le sable. Il laissa la troupe s’envoler et prendre de l’altitude. Puis, il testa la réactivité de son corps en s’élançant au plus fort galop qu’il puisse dans cette plaine granuleuse, laissant son pouvoir enfler et se réapproprier ce vaisseau dont il a été séparé pendant son emprisonnement. Il ne savait pas encore ce que Lagertha attendrait du cerf, mais une chose était sure, il accomplirait de grandes choses avec cette nouvelle incarnation.