À mesure que la nordienne tissait son récit, une légère surprise déliait les traits rudes du bandit. Il se tenait toujours les côtes, grimaçant fréquemment, mais écoutait avec la plus grande attention. L’invocation vibrait de temps à autre. Après toutes ces minutes d’observation, ce comportement paraissait naturel, et non induit par l’émotion.

La mention de magie corrompue déclencha un long grognement chez l’humain. Il toussa et demeura immobile. L’enfant de Terra s’était agitée nerveusement. Le duo profita de la réflexion silencieuse de l’oratrice pour échanger un long regard. La question de Rymaïn lui soutira une lourde inspiration. La toux rauque, réfrénée au possible, l'empêcha de répondre dans l'immédiat.

« "Une autre femme qui a survécu. Plus âgée. Je l’ai vu avec le clan Drakheim, des pro-Keiser. La saison dernière." » 

Son visage inexpressif, hormis la douleur éprouvée, ne laissait paraître nulle autre information ni conclusion tirée. Il reprit son souffle et ajouta : « "Tu as eu raison de tuer… les utilisateurs de magie corrompue. Nul ne devrait altérer… l’essence divine." »

Un nouvel éclat se solda par un crachat ensanglanté. La semi-divinité grimpa sur le corps trapu. Ses pattes tâtèrent la peau à plusieurs endroits. Elle poursuivit son rôle d’interprète dès que son compagnon signa. « "Est-ce que tu… as libéré des enfants des Quatre ?" »

La réponse de la rousse donnée, la créature insectoïde enchaîna immédiatement, sur un timbre difficile à déterminer. Les vibrations dans sa voix offraient une expression différente des émotions. « Je pense que tu as une hémorragie interne. Tu saignes à l’intérieur. Nous devons partir. » Elle se tourna ensuite vers l'humaine. « Merci Rymaïn. Nous te retrouverons, et nous continuerons cette conversation. Si tu le souhaites. »

Paume ouverte devant la divinité, l'homme se redressa difficilement. Ses gestes ne furent pas immédiatement traduits. Un silence aussi bref que lourd gagna le duo, qui se fixait intensément. La créature finit par se tourner à nouveau vers la guerrière aux masses.

« Il veut te demander une faveur. Son frère est dans le Temple. Il aimerait être certain qu'il n'a pas été attrapé par la Garde. »

Derrière ses grimaces de douleur, le soulagement délia enfin les traits de l’homme. Il signa, répondant à la demande de la nordienne. L’invocation perchée sur son épaule droite ne le regardait pas. Ses mandibules demeuraient immobiles. Elles vibraient faiblement, sur un rythme semblable à une fréquence cardiaque. Les doigts sales du bandit s’agitèrent soudainement. Ils écartèrent avec frénésie les morceaux de coton et de cuir couvrant son torse. Il tira violemment sur le fil du pendentif dégagé. Puis disparut.

Le mur où il était appuyé vola en éclats. Impossible de savoir si le pendentif gisait par terre où s'était évanoui dans le lot. Tout s'enchaîna bien trop vite. Une lourde pierre projetée par l'impact toucha la rousse en pleine tête. Déséquilibrée et sonnée, avant même de tomber, une masse sombre la renversa, emportée dans son élan. Les pierres valsèrent autour d'elle, prise dans le chaos d'une tempête de rage. Un pan de mur entier s'écroula. Le nuage de poussière soulevé gangréna tout l'espace restant.

« ASSEZ ! Immobilise la femme. »

Une énorme main noire, décharnée, se posa sur la poitrine de Rymaïn. Elle couvrait aisément tout son torse, de sa gorge au son bassin. Sept griffes se plantèrent dans le sol en prenant soin d’épouser son corps. Une de chaque côté du cou, contre la clavicule, deux le long de chaque flanc, et une entre les cuisses. La paume exerça docilement une légère pression sur sa cage thoracique.

Au-dessus de son visage apparut une tête canine aux orbites creux. Une minuscule bille blanche trônait au centre. Chaque dent de la mâchoire supérieure semblait canine, tournée vers l’extérieur, incapable de rentrer dans la gueule anguleuse et dégoulinante de bave.

Le souffle chaud de la bête écarta les mèches rousses. Deux orifices servaient de narines, et surplombaient la gueule sans babines. L’épaisse fourrure, qui partait de l’arrière de ses oreilles dressées, couvrait entièrement ses larges épaules, et masquait le reste de sa forme.

Grave, froide et menaçante, la voix d’Iwan résonna à nouveau dans la bâtisse en ruines.

« Tu les as laissé partir ? »

La question sonnait déjà comme une accusation. Il lâcha une profonde expiration, mais retint son jugement.

Les sourcils du garde Hakon se froncèrent. Ses narines semblèrent frémir. Il attendit que la poussière retombe avant de s'enfoncer dans les décombres. À ses pieds, la guerrière immobilisée. Les paroles énigmatiques nécessitaient une conversation, qu'il laissa de côté.

Les traits rigides, l'œil vif, il s'accroupit et l'observa en silence. D'un geste sec, mesuré, il retira une fiole de son baudrier et la déboucha. Sa main droite enserra les tempes de la nordienne, et fit pivoter son visage sur la droite. De l'autre, il fit couler un liquide bleu nuit sur la plaie. Sans gravité, mais mieux valait s'en occuper. Aussi froide que le tranchant de l'acier, sa voix s'éleva calmement.

« Reste tranquille. Ça ne fera effet que dans une heure. »

La créature difforme ne la relâcha pas pour autant. Iwan s'éloigna. Son flair de traqueur se mit à l'œuvre. La tension dans ses muscles était palpable. Tout en examinant les alentours chaotiques, il ordonna : « Explique-toi, nordienne. » Puis, à l'intention de l'enfant divin, son timbre s'assombrit. « Si elle ment, parle, et dis-le moi. » Les mots se détachèrent lentement, suintant d'une colère noire, profonde.

Le garde laissa son interlocutrice exprimer toute sa volonté de coopérer sans réagir. Les traits imperturbables, il s'affairait toujours avec soin. Un objet au sol attira son attention. Il le ramassa, l'observa, et le glissa dans son sac. Il déplaça également certaines pierres, espérant récupérer quelques informations compromises par la charge de son invocation. Lambeau de tissu entre les doigts, le calis de traque s'approcha de la bête divine. À nouveau, un net dégoût transpira de sa voix.

« Renifle. Mémorise l'odeur. »

Son regard bleu, clair comme un ciel froid et sans nuage, tomba brièvement sur le visage de la rousse. « Mémorise la sienne. » Les narines creusées de la bête inspirèrent longuement l'effluve de sa prisonnière. Le museau émacié recula avant de s'immobilisrmer. La lueur pâle fixait les iris olive. Sa demande comblée, le soldat s'éloigna. Il sortit et ouvrit le carnet récupéré dans la cachette du bandit. Un timbre neutre s'éleva tandis qu'il feuilletait les pages.

« Tu as attaqué un garde doré, un chasseur en a été témoin. Tu retiens des informations sur une enquête officielle en cours, qui plus est liée à Wrath, coupable du meurtre d'une centaine de civils et soldats. »

Iwan s'extirpa temporairement de sa lecture pour observer la nordienne. Elle semblait faite d'un cuir épais, difficile à percer. Au fil du temps, ses intuitions le trompaient de moins en moins. Il rendit son jugement.

« Je vais t'emmener à la garnison la plus proche. Tu y seras interrogée. Tu ne seras pas payée tant que l'entretien ne se conclura pas sur ton innocence. Si tu n'as rien à te reprocher, tu peux t'épargner tout cela en me donnant ta version des faits, ici et maintenant. Je te laisse réfléchir. »

Jamais il n'avait été aussi bavard en compagnie de Rymaïn. Le silence reprit possession des lèvres du garde. Il s'assit, et posa l'ouvrage codé sur sa cuisse. Un deuxième carnet le rejoignit, ainsi qu'un crayon. Le bruit de griffonnage effleura l'ouïe de la nordienne. Quant à l'invocation, elle n'avait pas bougé d'un poil. Les filets de bave qui coulaient de sa gueule béante s'épaississaient progressivement, tant le liquide gluant s'accumulait sans être ravalé.

Contre toute attente, la voix du garde s'éleva, presque distraitement. « Tu sembles porter un grand intérêt à l'engeance des Quatre. »

La nordienne déversait son fiel à loisir. Quand le mot se répéta, le griffonnement s’arrêta. Iwan s’était figé. Il demeura ainsi quelques secondes avant de poursuivre. Sans surprise, sa question ne trouva aucune réponse, et le temps de la réflexion fut particulièrement court.

Le soldat se redressa dans un faible soupir dû à l’effort. La traque s’étirait en longueur et il devait se ménager pour la conduire au mieux. Une certaine vérité résidait dans les propos de la rousse. « Tu as raison. » Les pas s’approchèrent de l’immobilisée. La créature divine n’avait toujours pas bougé d’un cil. Sa bave dégoulinait sur le plastron de cuir léger, au niveau de sa poitrine. Elle glissait lentement vers la gorge de l’humaine.

Genoux fléchis, le garde Hakon avisa le sac en bandoulière. Il l’ouvrit pour constater qu’il s’agissait d’un sac sans fond. Voilà qui lui facilitait la tâche. Rymaïn fut soulagée de tout équipement visible, hormis son armure. Ils furent rangés dans le contenant magique. D’un doigté expert, l’homme la fouilla rapidement, veillent à ne lui laisser aucune arme ou objet magique caché.

L’opération accompli, il s’attarda longuement sur le visage de la nordienne. Les iris glacés suivirent le chemin de ses peintures avec une grande attention. Au bout d’un temps, sa voix d’ordinaire si froide s’éleva avec une étrange douceur. « Ta participation arrive donc à son terme. Inutile de t’occuper de la suite, j’arrêterai le criminel et renverrai l’engeance de Terra dans sa prison. » 

Il cessa son observation et se releva. Sa main gauche se posa sur l’épaisse fourrure noire de la semi-divinité. « Écoute-moi. » L’index et le pouce de sa main droite claquèrent près de sa propre tempe. La créature ferma aussitôt la gueule. Sa tête pivota vers Iwan. Ils se regardèrent en silence. Puis les alentours s’évanouirent. 

La téléportation les amena à découvert sur une vaste plaine, au pied d’une forteresse militaire. Les gardes à l’armure rutilante postés sur les murailles sursautèrent. Ils bandèrent leur arc en visant l’homme. « Déclinez immédiatement votre identité ! » Déjà, l’interpellé défaisait sa cape légère et se tournait, révélant les armoiries princières discrètement illustrées dans son dos. Son timbre puissant retentit avec distinction.

« Garde Iwan Hakon. » Ses traits se durcirent en se reportant sur l’invocation haletante, visiblement fatiguée. « Retourne dans ta cellule. » Il saisit le sac de la nordienne sans sommation puis reprit à l’adresse de ses pairs. « Je vous emmène une personne d’intérêt dans la traque d’un criminel recherché. Je laisse son interrogation entre vos mains afin de poursuivre mon enquête. » 

L’ordre d’ouvrir les immenses portes fut donné. Une demi-déesse se découpa dans l’encadrement. Trois autres gardes en émergèrent afin d’escorter le duo dans l’enceinte. Avant de bouger, Iwan dût fournir sa déclaration d’invocation. En chemin, il apporta des précisions sur l’état physique de la femme. Elle fut conduite à l’infirmerie. Il profita de son absence pour donner ses directives puis s’éclipsa en rappelant sa divine marionnette. 

Rymaïn bénéficia d’une heure de repos sous surveillance. Des traitements sans effets magiques lui furent proposés. On lui demanda de décliner son identité, éventuellement de fournir des références et documents. Elle fut ensuite conduite dans une salle d’interrogatoire où un gradé, accompagné de deux soldates, se chargea de la questionner avec neutralité. L’entretien dura presque deux heures.

N’ayant déterminé officiellement aucune entrave à l’enquête ni complicité dans la fuite du criminel par manque de preuves, la mercenaire fut relâchée en fin d’après-midi. Ses affaires lui furent rendues. La Garde lui proposa d’être escortée par voie fluviale ou par le biais d’une patrouille jusqu’à Havrejaune, et lui permit de refaire le plein de provisions. 

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Félicitations Rymaïn ! Tu es arrivée au bout de la quête. Un peu sonnée, mais en un seul morceau. Pour information, tu te trouves à la garnison Est de la Garde Dorée située dans la Traversée de la Rivière Blanche. Position sur la carte : D18, collé à la Blanche. 

Conclusion officielle de la traque :

Conséquences de tes actions :