Un délaissé pour lier des opposés

Voilà un moment que j'avais rejoins la savane, espace de prédilection pour ma tâche et surtout, ma stature. Des semaines, peut-être des mois. Peu m'importait en réalité, cette manière de quantifier le temps était néfaste à mon sens. En était témoin la création de cette nouvelle espèce, par des frères, sœurs et cousins ennuyés. Si le temps s'était contenté d'aller simplement, sans le calculer, peut-être que nous n'en serions pas là. Ici heureusement, dans cette savane, l'homme n'avait pas encore pris beaucoup de place. Il y avait en effet quelques groupes ça et là, mais s'imposant bien moins que sur d'autres terres. Ils respectaient un peu plus la nature aussi. Pour combien de temps encore cependant ?

Tout cela ne m'empêchait évidemment pas d'officier à mon échelle et ici, j'avais tous le loisir de m'activer sans mauvaise surprise. Les lions m'accueillaient facilement, quand j'avais besoin de leur redonner une petite. Il en était évidemment un peu différemment pour les mâles, mais il était de mon devoir de les rendre assez fort pour revendiquer un groupe. J'avais d'ailleurs laissé la dernière petite prise sous mon aile, il y a de cela quelques jours à peine. Me voici maintenant sillonnant la savane, profitant malgré moi de ce court moment de solitude. N'y gagnant pas grand chose en l'état, l'idée de ne trouver aucun individu en danger était pourtant forte d'une quiétude trop rare.

Les hautes herbes sèchent caressaient mes pattes et ondulaient sous mon passage. La brise était légère et chaude, mais elle m'apportait soudainement une odeur qui ne me plaisait guère. Levant le mufle, je cernais des effluves de brûlure. Instinctivement, je m'élançais. Ici, sur ces terres, il était quasi impossible de trouver des frères se chargeant de renouveler la faune par le feu, ce dernier se déclenchant trop souvent malgré eux. Il y en avait davantage pour le contenir, mais là, je ne ressentais la présence d'aucun protecteur. Ma course s'allongeait de plus en plus et sur plusieurs kilomètres, cernant rapidement les hennissements significatifs des équidés zébrés de la zone. Arrivant sur place, le feu avait déjà dévoré une bonne partie de cet endroit, le troupeau fuyant un peu plus loin. Heureusement pour eux, ils étaient déjà loin, mais par delà le mur de flamme, j'entendais un timide appel à l'aide.

Avant de perdre davantage de temps, je contenais et commandais à l'incendie de s'apaiser. En quelques instants, la terre noircie se révélait. Cette herbe sèche était réellement un fabuleux combustible. L'odeur de brûlé embaumait maintenant l'air et le crépitement du feu avait cessé. Je pouvais maintenant me concentrer sur cette animal isolé, peut-être blessé, sûrement apeuré. Je m'avançais et captais rapidement un petit équidé, se débattant avec lui même pour se relevé. Je ne sentais pas le sang, mais il semblait venir de naître et l'une de ses pattes arrières n'avait pas l'air très bien formée. Le feu lui aura prit sa famille et le voilà maintenant seul au milieu de cette étendue noire et triste. A mon approche, son instinct d'herbivore semblait lui dicter de me fuir et il s'agitait à présent beaucoup trop.

Par les Dieux, quelle triste situation. Je m'arrêtais et me couchais à plat ventre, patientant qu'il s'apaise de lui même. Je ne pouvais évidemment pas me résigner à le laisser ainsi, mais sa nature allait être plus compliqué à apprivoiser que les félins à qui j'avais le plus souvent à faire. Un loup aurait été même plus aisé. Mais ça n'était ni le moment, ni l'endroit. J'attendais donc, guettant le moment opportun pour m'approcher pas à pas, rasant le sol. Il mettait du temps à se calmer, la fatigue serait sans doute ma meilleure alliée aujourd'hui. Alors j'attendais encore, posant ma tête sur mes pattes avant. La nuit tombait et ses paupières aussi. Il semblait déjà plus accoutumé à ma présence, alors j'en profitais pour l'approcher définitivement, le laver de placenta et le prendre dans ma gueule.

Heureusement pour moi, il était vraiment chétif et moi, plus grande que les lions. Ses pattes traînaient un peu, mais je pouvais le déplacer moi même. Qu'allions nous faire maintenant ? La seule solution qui me venait à l'idée dans l'immédiat était de partir en quête d'un sanctuaire. Il y en avait beaucoup dans le monde, gardé par différents cousins pour des raisons diverses. Je n'étais pas certaine d'en trouver ici, mais il fallait que je lui trouve de quoi boire. Je parcourais alors l'endroit en quête d'un point d'eau, guidé par les effluves d'une végétation plus verdoyante qu'ici. Plusieurs heures, peut-être, me séparaient d'un horizon espéré. Une oasis se profilait devant mes yeux y voyant clairs dans l'obscurité. Elle était très verdoyante. Voilà de quoi me ravir et accélérer mon pas, jusqu'au trot, avant de la rejoindre.

Elle se présentait face à nous et à son approche, je sentais l'emprunte magique de l'engeance divine. Elle était étrangement lourde sur mes épaules et m'avait ralentis, jusqu'à m'arrêter non loin d'elle. Je posais le petit à mes pattes, observant ensuite l'endroit. Que fallait-il faire ? Avais-je seulement le choix ? Le petit équidé tentait de se redresser et y parvenait presque, malgré sa patte handicapée. Mes yeux maternelles se posaient sur lui pour l'observer. C'était un battant, à n'en pas douter. Il arrivait même à avancer. J'étais à nouveau réticente à le suivre, mais j'avais décidé de lui venir en aide et ce n'était pas dans mes intentions de le laisser seul, si prêt du but. D'autant que rien ne m'indiquait que je pouvais le laisser ici et qu'il s'en sortirait.

Incertaine, je m'avançais donc, le suivant à son rythme pour que cette petite victoire soit la sienne, le repoussant parfois du mufle pour l'empêcher de tomber trop souvent, ou pour l'aider à avancer. Bientôt, nos pas caressaient une herbe bien plus moelleuse et fraîche. Devant nous se dévoilait une étendue reflétant le ciel étoilé. Même moi, j'aimerais y rafraîchir mes babines. Cependant, la tournure des événements allait elle me le permettre ?Rien n'était moins sûr.

Codage par Libella sur Graphiorum

Un délaissé pour lier des opposés

L'herbe moelleuse n'était qu'une première étape. Si j'avais pu distinguer au loin l'étendue d'eau entre la végétation, elle n'en était pas pour autant facilement accessible. Je reconnaissais bien là les œuvres de mes cousins protecteurs. Une barrière aussi rude à pénétrer qu'à quitter. Cela n'allait pas m'arrêter pour autant, par contre, le zébreau lui avait beaucoup de mal à évoluer. Il n'y avait évidemment rien d'étonnant là dedans, mais ma patience était sans borne alors, je me contentais de l'aider à se remettre quand une racine le mettait au sol ou que le tronc d'un arbre lui barrait la route.

Cela aurait pu se faire tranquillement, sans grand heurt, mais c'était sans compter sur l'intervention du gardien de ces lieux. Je n'avais pas remarqué sa présence tant l'empreinte magique était prégnante depuis notre approche, mais le voilà qu'il se montrait enfin. Sous des conditions que j'aurais préférées meilleures.

Sans crier gare, mes oreilles captaient les fourmillements d'une végétation qui s'anime. Mes sens avaient beau être en alerte, mes réactions auront été moins rapides que les lianes qui m’enchaînaient maintenant le cou et les pattes. Mon seul réflexe de recul n'avait pas suffit et me voilà aux prises avec l'une des armes préférées de mes cousins de Terra. J'essayais de me débattre tant bien que mal, mais mon état affectait le zébreau qui, prit de panique lui aussi, tremblait un peu plus loin. Mes yeux cristallins se posaient sur lui, alors que je retrouvais un certain calme pour tenter de l'apaiser, mais aussi, pour ralentir la constriction.

C'est à ce moment que la voix de mon cousin s'élevait. Mon regard le cherchait, mais ce n'est que l'instant d'après qu'il prenait la peine d'apparaître. Nash'Rae, oui. Le voilà qu'il s'avance fièrement et faisait s'enfuir le petit zèbre. Mes yeux pointaient sur lui calmement, bien qu'une once d’orgueil l'illuminait discrètement.

“ Si c'est réellement ce que tu imagine, tu te doute bien que je ne l'ai fais sans bonne raison. ”

Évidemment, je pouvais comprendre sa réaction et bien que nous nous connaissions peu, lui même avouait que je n'étais pas de ceux qui s'amusaient à souiller ses terres. J'inspirais maintenant profondément, laissant le calme s'installer entre nous avant de désigner, du mufle, le zébreau qui peinait à se remettre sur ses pattes. Mes yeux étaient eux aussi tout droit dirigés vers lui.

“ Je viens pour lui. ”

Mon regard maternel, attendrit et inquiet s'attardait sur ce pelage encore sombre qui était le sien. Restant sagement et respectueusement à la merci de ses lianes, je tournais le visage vers Nash'Rae pour continuer.

“ Tu sais qu'elle est ma tâche et même si j'aimerais, je ne peux l'aider convenablement. Ce que je veux, c'est lui trouver un endroit dans lequel il pourra vivre paisiblement. Je pensais le trouver ici. ”

Mes yeux s'ancraient dans ceux de mon cousin, avec une intensité digne des mères les plus téméraires. Ce n'était pas mon petit, mais comme pour tous les autres, je me battrais pour son bien. Évidemment, j'aimerais que cela soit simple, mais si je devais supplier Nash'Rae, je le ferais sans hésiter.

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Un délaissé pour lier des opposés

La pression autour de mes pattes et mon cou disparaissait dans un souffle de poussière après de longues secondes à se regarder dans le blanc des yeux. Quel soulagement et à la fois, je n'en avais jamais douté. Il est vrai que je ne pouvais compter Nash'Rae dans mes plus précieux amis, mais la faute n'était pas à mon intérêt pour lui. Davantage à celle d'un manque d’interaction. Le respect avait toujours été là. La modération aussi et je devais bien avouer que sa réaction m'interpellait.

Alors je me laissais libérer sans de démonstration de soulagement déplacée, mais gardant les distances que cela m'avait imposé. Cependant, je baissais légèrement la tête en la basculant sur le côté, lui offrant un air paisible et amical.

“ Ne t'excuses pas Nash'Rae, il n'y a pas de mal à être méfiant et par les temps qui cours, je ne peux que te comprendre. ”

Finissais-je en relevant la tête pour observer le lointain, le temps de le contempler. Lui et sa lente déchéance qui, je le pressentais amèrement, était inévitable si rien n'était fait. Finalement, le soulagement venait définitivement de l'instant suivant. Nash'Rae acceptait et j'accueillais sa réponse d'un soupire apaisé.

“ Merci. ”

Soufflais-je finalement avant d'observer la beauté de la végétation mouvante pour nous ouvrir le chemin. Face à l'arche, mon regard se posait ensuite avec douceur sur mon cousin, hochant lentement la tête, les yeux clos en signe de respect.

“ Je... ”

J'aurais voulu lui dire tout l'honneur que j'avais à être ainsi accueillis, mais je le sentais s'éloigner, s'étant déjà détourné de moi. J'aidais une dernière fois le zébreau à se remettre sur ses pattes, conservant un regard inquiet sur Nash'Rae. J'aurais voulu le rattraper, revenir à son niveau, mais pour l'heure, je préférais conserver la distance du respect que je voulais qu'il saisisse. Alors je me contentais de rester aux côtés du zébreau qui s'avançait maintenant fièrement jusqu'à l'étang.

Une fois devant ce panorama, une joie de vivre le saisissait rapidement, jusqu'à gambader à son rivage pour s'abreuver. Je laissais échapper un bref rire ravi avant de me poster élégamment aux côtés de Nash'Rae, m'asseyant sur l'herbe fraîche pour observer la vie, tant animale que végétale, qui l'entourait.

“ C'est un endroit merveilleux, que tu préserve avec brio. La quiétude qui s'en dégage est apaisante, je suis honorée et ravie que tu m'y accueille. Je saurais m'en montrer digne. ”

Je laissais ma tête se tourner lentement et mon regard se poser sur mon cousin de Terra, avec la bienveillance qui me caractérisait tant.

“ Tant qu'à être ici, si ma présence peut t'être d'une quelconque utilité, n'hésite pas. Je serais ravie de pouvoir t'aider. ”

Il m'avait déjà avoué à demi-mot ses inquiétudes et ses tourments, j'espérais parvenir à le soutenir. Si seulement j'arrivais à le faire s'ouvrir à moi évidemment.

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Un délaissé pour lier des opposés

Je ne saurais dire si c'était l'expression de mon empathie ou de mes talents d'observatrice, mais je captais dans son regard une tristesse qui dénotait particulièrement avec le sourire qu'il m'offrait. Tant et si bien que le mien s'évaporait lentement pour laissé entièrement place à l'inquiétude qui murmurait déjà à mon oreille depuis ma rencontre avec Nash'Rae.

Finalement, il laisse échapper sa détresse par des mots qui me touchent. La plupart si ce n'est la majorité d'entre nous subissait le changement qu'il évoquait et j'avouerais sans mal être moi-même atteinte, troublée et perdue par tout ça. Mon regard suivait alors le sien pour observer la paisible vie face à nous et je me remémorait la courte bataille que j'avais mené avec l'une de ses sœurs, contre un groupe de ces bipèdes qui ravageaient ses arbres. Un combat qui en amènerait d'autres et ne résoudrait sans doute rien sur le long terme.

Pour l'heure, il n'était pas question de m’apitoyer sur mon sort, si j'étais là aux côtés de Nash'Rae, j'étais certaine que ce n'était pas un simple hasard. Sans me presser contre lui, je puisais lentement dans ma magie pour faire émaner de mon corps cette chaleur douce et réconfortante qui enveloppait ceux que je souhaitais réconforter, sachant pertinemment que ce ne serait pas suffisant.

Ses mots refusant ma proposition étaient lourds, sans doute de choses dont je n'avais pas idée. On ne refusait pas de cette manière sans raison, sans exemple pour étayer ses propos. Je n'avais pas pour intention de lui poser brutalement la question, alors je me contenterais d'y répondre à ma manière.

“ Tu as sans doute raison. La colère qui nous guide, même avec la plus honorable des convictions, peut s'avérer être une alliée des plus destructrices. ”

Je parlais en mon nom, mais également en celui de ceux que j'avais pu voir au cours de mes voyages récents. Le monde change, avec à sa tête une toute petite espèce qui ravageait tout autour d'elle. Sans pouvoir ni force particulière, de quoi réveiller la haine de beaucoup d'entre nous, que peut savait réellement contrôler.

Je laissais quelques secondes de silence s'installer, observer l'horizon prospère en face de nous. Une brise venait alors alléger le lourd sujet présent en s'engouffrant dans ma fourrure. Fermant les paupières et levant le mufle, j'en profitais discrètement avant de reprendre.

“ Mais nous aurions peut-être tord de ne pas essayer. La culpabilité et la honte que provoque l'inaction peuvent se révéler autrement plus néfaste aux individus que nous sommes. Aussi divins soit-on, nous ne sommes que des êtres sensibles. ”

Ma tête se tournait lentement vers lui et mon regard cherchait à capter le sien, avec bienveillance et douceur.

“ Le monde change Nash'Rae et face à l'adversité, tu es d'autant plus indispensable aujourd'hui que par le passé. ”

Codage par Libella sur Graphiorum