Vécu

Alors... Au départ, il y avait Moi! Le fils du Ciel, l'héritier d'Aer, la progéniture miracle. Son plus bel enfant. Puissant, féroce, unique. Ensuite...

...Ensuite mon Père eut l'idée la plus stupide de sa longue et éternelle vie. M'attribuer une tâche nécessitant à minima la collaboration de trois autres rejetons divins. Enfin, un surtout. Les deux restant, ma foi, aucune importance. Je n'avais nul besoin d'eux pour réaliser ce qui m'avait été assigné. C'est à dire, répartir au coeur des cieux la chaleur et la lumière des rayons d'Ignis. Vous l'aurez compris, c'est son andouille de fils qu'il me fallait supporter un minimum. Car sans lui, nul force solaire à disséminer par le biais de mes courants aériens.

Soit. Je ne m'attarderais guère plus sur le sujet. Cette synergie élémentaire avait au moins l'utilité de mettre mes compétences en avant. Seul le fils de la lumière pouvait un tant soi peu rivaliser avec ma puissance. Mais son égo démesuré avait l'art de me courir sur le système. Laissons donc ce pan de ma vie de côté. Car, au fond, il fut d'une répétitivité que j'ai découverte accablante avec le temps.

Las de cette tâche, aussi majestueuse soit-elle, la tentation gagna mes sens rapidement. Lorsque les rumeurs d'un rassemblement divin frôlèrent mes longue et fines oreilles. Ces abrutis voulaient créer. Donner la vie à un être inexistant. Conscient de leur totale incompétence et des dégâts qu'une telle initiative de leur part pourrait engendrer, je me suis détourné de mon rôle divin, afin de les rejoindre.

Seule ma patte pouvait insuffler dans cette idée de quoi la faire briller. Autant dire que ce fut un véritable fiasco. Face à la masse ignorante mais sûre d'elle, un seul individu, doté des meilleures -et plus intelligentes- idées, ne puis rien. Comme l'a judicieusement fait remarquer un homme bien des siècles plus tard. "Ce n'est pas parce-qu'ils sont nombreux à avoir tort qu'ils ont raison." J'ai donc lâché prise, après avoir bataillé le strict minimum que mon énergie et mon dégoût à l'égard de mes pairs m'accordaient. Et m'en suis retourné auprès de la seule chose que je connaissais.

Auprès du seul être div... De la seule tâche qui en valait vraiment la peine, hem! Et le cours de la vie reprit. Simple et efficace. Avec ses hauts comme ses bas, essentiellement dus aux frictions relevant de la collaboration divine imposée. L'ennui s'infiltrait doucement dans chaque fibre de mon corps divin. J'avais goûté à un aperçu d'une autre forme d'évolution au sein de cette terre. Des possibilités que le monde renfermaient. A quoi me servait d'être si puissant et si important, si je demeurais figé par la même et éternelle occupation? Si nul autre que ces trois couillons ne connaissait l'être divin et majestueux que j'étais ?

Plongé dans de telles réflexions depuis quelques années, je fus pris de court par le départ imminent de Rao. Qui, à l'évidence, gambergeait de son côté également. Soufflé par son départ, que dis-je, son ABANDON, j'enrageais intérieurement. J'avais BESOIN de lui. Enfin, de ses rayons solaires quoi. Qu'est-ce que j'allais faire maintenant?? Et pourquoi ce mollusque d'Aqua lui avait trouvé un remplaçant ?? On ne le remplace pas comme ça. Il est nul celui-ci, encore pire que les deux autres.  

Forcément, je n'ai guère tenu bien longtemps. Moi aussi, je suis parti. Enfin, reparti, en quelque sorte. Et j'ai arpenté l'Ancien Monde, à la recherche de ce bênet flamboyant. J'ignore d'ailleurs pourquoi, et je ne vous parle même pas de la scène quand je l'ai retrouvé! J'ai vécu quelques péripéties avant de lui tomber dessus. Sans grande importance. Croiser des compères dépourvus d'intérêt et des humains... Par les Quatre, qu'on ne m'associe jamais à cette création!!

Quand j'ai eu l'opportunité de retourner à ma tâche. Ou devrais-je dire, de bonnes raisons, toutes personnelles, de le faire, ce fut pour ne plus la quitter. Je le croyais, du moins. Le Monde s'affaiblissait et nous avec. Nôtre grandeur, nos pouvoir... Ces saletés de bipèdes gangrenaient la nature et l'empoisonnaient, nous empoisonnant au passage. J'ai été tenté de les exterminer. Je suis parti quelques jours à peine. Le temps de semer la dévastation parmi un ou l'autre peuples. Mais mes forces diminuant, j'ai souhaité user de ces dernières pour accomplir ce rôle primordial que mon père m'avait confié.

La lumière s'est éteinte. Le vent a cessé de souffler. Et les griffes d'une nuit noire, profondément glaciale, ont enveloppé mon corps. Le chaos silencieux s'est mué en purge sauvage et divine. Je me suis éveillé enchaîné... Sans but, sans tâche, loin de la Terre et du Soleil...

Combien de fois ai-je été délivré? Délivré, ah, quel terme risible. Soumis, exhibé, forcé, toujours muselé par ces pathétiques êtres que nous avions eu l'audace de modeler. Le temps semblait se distendre avec étrangeté. J'avais beau pouvoir "choisir" mes libérateurs, nul choix ne valait la peine. Et l'ennui, l'absence, l'obscurité, m'ont rongé pendant des millier d'années... Je n'ai trouvé d'exutoire que dans la violence et le saccage. A quoi bon prendre le risque de créer, lorsque l'on peut détruire?