Bicéphale

Psychisme

La cupidité et la malhonnêteté dirigent la majeure partie de mes actes comme de mes pensées. Lester les bourses, par un biais officiel, ou non. Par des actions nobles ou déloyales. Peu importe, tant que le doux chant de l'or résonne à mes oreilles, je me moque de mon commanditaire comme de ma proie.

Je suis une chasseuse de têtes, violente et impitoyable. Les demandes dépourvues de visées magnanimes constituent mon râtelier favori (vengeance, mise à mort, dettes non honorées, adultères… là où il est, parfois, spécifiquement demandé d'écorcher ma prise et non de la ramener entière ou vivante). Je me préoccupe d'un contrat émanant d'une instance pétrie de grandeur d'âme, essentiellement lorsque ma source de revenus de prédilection fait défaut.

Je suis aussi impulsive que je peux être patiente. Il m'est aisé de m'emporter avec rage. Comme d'observer en silence, avec ce pragmatisme qui me caractérise. Analytique, je renifle la moindre opportunité qui se glisse dans mon champ sensoriel. Et si je trouve, je saisis de mes crocs avides. Avec une ténacité exemplaire, aussi inflexible que puis l'être ma volonté de fer. Mais il arrive que se faufile une sociabilité naturelle, qui rend parfois la tâche encore plus évidente. Me permettant même de faire fi de mon manque de scrupules ou de ma sournoiserie.

Ma rudesse m'octroie un petit côté 'bourru' et mon penchant pour la pêche, une facilité d'échanges, qui mène parfois à la création de liens utiles, de contacts intéressants. Ou… de simples plaisirs, comme la vie peut en offrir. Car j'aime autant l'or que chaque parcelle de jouissance qu'il peut m'apporter. De la bonne nourriture, des vêtements cossus, une chambre d'auberge luxueuse, une lame digne de mes attentes, une nuit palpitante.

La seule chose qu'il ne puis m'accorder, c'est la puissance d'un enfant divin. Ce qui me fait grandement défaut depuis près de 3 ans. Je regretterais presque, mais seulement 'presque', ce gros crétin d'Ignis. Tenir la laisse pour les choses essentielles m'était devenu insupportable. Aucune jugeote, aucun instinct raccordé au mien, aucune prise d'initiative subtile, … abruti de Rao. Responsable de la déficience partielle de ma visibilité.

Rien à voir avec le premier divin qu'il m'a été donné de connaître. Caexyr, l'invocation de mon oncle. Une créature née des abysses. Une enfant mortellement sournoise et divinement cruelle. L'être qui m'a élevée. L'être qui a instillé en moi ce que je suis et ce que je ne suis pas. La déesse des mers, dont la houle m'a bercée de grandeurs et de rêves chaotiquement agréables, empreints de sang, de richesse, de pouvoir et de carnages. La seule dont je respecte la puissance, sans désir de me l'accaparer.

L'esprit d'un humain n'est-il pas si atrocement modulable, en bas âge ? Peut-être. Cela importe peu. Seul compte le résultat, qui, à ce jour, me sied comme une peau nous colle au corps, éternellement.

…Ainsi que les peurs qu'elle a distillées, Bicéphale? Tu oublies de reconnaître à quel point s'est creusée une faille. Plusieurs. Derrière cet implacable infaillibilité. Mais si tu ne veux l'admettre, pourtant, te voici en train de le faire. Oui, le manque génère la peur de manquer. Manquer d'avoir, mais aussi de… Oui, voilà, cela aussi. Ce que tu tais et que je ne prononcerais guère. Car je suis toi, après tout. Rochus.

Apparence

Grande, forte et musclée. Quelques mots suffisent. Le père, à l'instar de la mère, possédait carrure et stature imposantes. Voilà un héritage qui forgea mon corps. Acier trempé. Je m'élève à près d'un mètre quatre-vingt-cinq, sur lesquels se répartit une masse d'environ septante-huit kilos.

Un alliage équilibré. Le fond, comme la forme, modelés par l'artisan qu'était mon oncle. Ancien maître d'armes, dont l'éducation fut des plus efficientes. Un entraînement intensif, dur, le cuir de ma peau en porte toujours des marques, irréversibles. Cicatrices invisibles sous cette armure de plate. L'une en travers de ma cuisse droite, sur une vingtaine de centimètres, pour deux à trois en largeur. Un creux cicatriciel dans le bas du dos. Impact d'une pointe de lance. Il doit traîner encore l'un ou l'autre reliquat, je n'y fais pas plus attention je dois dire.

Lors de mes premiers pas à l'extérieur, j'ai récolté rapidement de nouveaux souvenirs. Ma main gauche, dépossédée de l'auriculaire et de l'annulaire. Main directrice, j'ai appris à faire avec, ou plutôt sans. L'œil droit abîmé, suite à un choc sur la tempe. Pas de traces visibles, mais un léger flou caractérise ma vision depuis ce dernier. Ces handicaps ont finalement accru ma dextérité, mon équilibre martial, le développement de mes autres sens. Une bonne chose, en vérité.

Quant au reste, j'avoue ne pas me préoccuper de la trogne qui se reflète dans le miroir. A l'exception de mes sorties en société. Certains la trouvent sévère, paraît que j'ai les traits un peu durs. Un nez droit et un regard métallique, plutôt ambivalent. Doux et pourtant, pas tant que ça, cela dépend d'une seconde à l'autre, mon air se veut changeant. Sans raison… Allez savoir. Une crinière brune encadre ce visage particulièrement expressif. Nullement crasseuse, mais rarement coiffée quand je ne suis pas apprêtée.

Je ne m'encombre pas de colifichets superflus. Mon équipement en impose suffisamment pour ne pas y ajouter de bricoles stupides. Lorsque je ne suis pas en armure lourde, je revêts des frusques simples, mais de très bonne qualité. Hé, l'or que je fourre dans mes poches n'est pas là que pour briller! Pantalon de cuir ou de lin finement travaillé, bruns ou noirs, souvent moulants, mais pas trop quand même. Bottes légères, résistantes, faites en peau de cuirassé empereur et teintées en gris clair. Une chemise en lin, blanche ou parfois de soie, d'un kaki pâle, légèrement cintrée mais confortable. Ce genre de choses.

La seule babiole qui attire de suite l'œil, cupide, avide, curieux, jaloux… C'est cet anneau, serti d'une belle grosse émeraude, qui pend à mon cou, sur un cordon de cuir solide. Une babiole qui n'en est pas vraiment une, mais son importance, autre que pécuniaire, n'appartient qu'à moi.

Vécu

On va la faire courte. Je n'ai pour ainsi dire aucun souvenirs avant mes quatre ou cinq ans de toute façon. Parents morts, l'oncle Tarval, de moyenne condition, pour m'accueillir. Pas d'explications, jamais de réponses, rapidement j'ai plus posé de questions. Cet homme n'avait rien de mauvais. Juste froid, distant. Un type qui n'a pas voulu du môme qui lui est tombé dessus? Possible. C'est sans réelle importance. D'ailleurs, on peut dire qu'il s'en cognait de moi et de mon éducation. A peine débarquée, je me suis retrouvée dans les pattes de Caexyr. Son invocation, une semi-déesse d'Aqua. Qui a eu pour ordre pur et simple : "Tu t'en occupes, tu l'éduques, t'évites qu'elle meure jusqu'à ce qu'elle soit assez grande pour ne plus nous encombrer !" Soit. Ainsi il en fut.

J'ignore si l'enfant divin a pris son rôle à cœur, en dehors de l'ordre qui le générait. Mais j'ai carrément hérité d'un nouveau prénom. Et jamais je ne pus connaître l'ancien, est-ce que je m'en soucie? Non. 'Rochus'. Elle voulait que je sois comme le roc. Infaillible. D'un côté, il y avait pas mal de marge dans cet ordre. Je suppose qu'elle ne s'est pas priée pour prendre les libertés qu'elle voulait. Son comportement suintait d'aspects personnels particuliers. Bizarres pour certains, peut-être. D'entre eux, une obsession pour l'or et toutes sortes de richesses matérielles. Un truc qui envahissait presque l'atmosphère. Qui me colle maintenant à la peau, et je comprends mieux pourquoi. L'or achète à peu près tout. Pas besoin de se prendre la tête quand on en possède.

Le temps passant, je ne fréquentais qu'elle, et suis devenue telle qu'elle le souhaitait. Son esprit tortueux, morbide, un brin violent et impulsif, s'alliait d'une étrange patience, de sournoiserie, d'une intelligence que certains caractériseraient de 'mauvaise'. Moi, j'ai grandi avec cette sorte d'amour et ce seul réel lien affectif qui me permettait de me constituer. 'Ne réprime jamais tes pulsions, lorsque tu peux les déchaîner sans risques pour ta peau.' J'ai pris tout ce qu'elle m'a donné. Avec joie et innocence. Plus grande, avec toujours autant de joie et nettement moins d'innocence. Autant dire que ça m'a jamais préoccupé.

Lorsque j'ai atteint le mètre septante, à peine âgée de 10 ans, Tarval m'a regardé d'un nouvel œil. Un peu brillant, chose rare. Non, inexistante. Le maître d'armes de la milice à la retraite a vu là de quoi reprendre du service. J'ai été formée à la dure, mon âme -déjà bien torchée avec l'éducation de Caexyr- comme mon corps. Un entraînement militaire, carré, implacable. J'en suis ressortie avec un esprit étrangement formaté. Entre ce que mon oncle m'inculquait, et ce que sa liée m'avait donné, des reliances comme des contradictions. En avais-je véritablement conscience? Non. Et maintenant? Toujours pas.

Ce qui est clair, c'est qu'un jour, un plomb à sauté. Et il a fallu que je me tienne à carreaux. Toujours pas compris, personne n'a compris. Des gosses ont failli crever. La frustration m'a envahie de pas pouvoir achever le travail. Caexyr riait doucement, sans rien dire. Une lueur satisfaite et malsaine au creux de ses pupilles argentées. Tarval... Bha, une fois rentrée, il a voulu me molester. Puis finalement, il était trop fier de mes passes d'armes pour avoir le goût de me punir. J'en ai déduit que c'était pas forcément punissable, que voulez-vous...

Plusieurs années se sont écoulées, avant que je me barre de cette maison. Mais pour être franche, je voulais pas tellement partir. J'ai juste pas eu le choix. Ou plutôt si. Et j'étais d'accord avec moi-même. Il paraît? Caexyr s'en est allée, rejoindre sa cellule... Le maître mort. J'emporte un anneau serti d'une émeraude qui me paraît démesurée. Le seul trésor que je dépenserai pas. Qui doit me permettre de la retrouver, un jour. Si les Quatre le veulent... Bien que je me contrefous des dieux. Par moments. D'autres non. Je ne sais même pas, au fond. Une croyance, à mes yeux, c'est toujours un peu perfide. C'est s'accrocher à quelque chose. Et si ce quelque chose n'est pas tangible? Que penser exactement?


J'arpente Arcane, depuis que j'ai quitté Trare. J'ai trouvé une voie qui me sied. Certains chassent les bêtes de l'île, moi, je chasse les hommes. Les femmes. Tous les crevards qui ont la malchance de retrouver leur tête sur une affiche. Dans un contrat scellé à l'abri des regards. Dans les ombres crasseuses et fructueuses de chaque ville ou village. De la basse condition aux nobles pétris de mauvaises intentions. Ou bonnes… Mais pas toujours aux yeux de la loi. Moi, je m'en fous. Le bien, le mal, des concepts qui m'échappent.

Il n'est pas judicieux de parcourir ces terres seule. Fort heureusement, j'ai le plaisir de jouir de deux acolytes à la loyauté indéfectible. Pour des raisons qui nous sont toutes personnelles. Quoi qu'il en soit, si mon contrat m'emmène en dehors des remparts protecteurs des cités et des bourgs, Runvelle comme Brenrark m'accompagnent toujours.

Si je pouvais m'en passer, cela rendrait ma vie d'autant plus agréable encore. Mais la seule période de répit à ce niveau, n'en a pas vraiment été une. Avec une invocation à mes côtés, je n'avais plus besoin de personne. Et ce fut le cas, pas loin de 4 ans plus tôt. J'ai passé et réussi une épreuve. Malheureusement, ce pataud de mastodonte m'a limite rendu la vie plus compliquée pendant un an. Efficace de temps à autres, un poids le reste du temps.

Evidemment, tel métier n'est pas sans risques "législatifs". Mais depuis quelques années, je dispose d'une protection un peu particulière au besoin. L'avantage d'un partenariat mutuellement bénéfique avec une femme appartenant à l'une des riches familles de la noblesse de Lüh.

Entre les missions, je profite de l'or accumulé. Plaisir de table ou de nuits. Une part de moi apprécie la société d'autrui. Tout cela dépend… Et pas vraiment de moi, je le crains. L'on peut ajouter une recherche de simplicité : j'aime pêcher… L'eau me fait peut-être penser à Caexyr? Elle allait chasser au sud de la ville et m'embarquait toujours avec elle. La divinité m'enseignait la patience, l'observation, l'attente… La bonne proie, le bon moment. On peut dire que je tire un avantage certain de ses enseignements dans bien des aspects de mon mode de vie.

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