Un cri stoppe immédiatement ma course contre ce funeste destin. Me voici crispé de la pointe de l'oreille à la griffe, attendant qu'il me fauche, le corps tremblant. Je vais disparaître dans l'ignorance. Le tambour de mon cœur battant obstrue mes sens. Mes iris d'or sautent d'un point à un autre, cherchant vivement d'où arrivera leur fin. Ils s'arrêtent sur l'humaine. Elle est toujours là. Pourquoi ?

Je l'écoute, haletant. Et je sens, du bout de ma conscience, la panique se tasser. Elle me diminue. Je ne comprends pas un traître mot de ses explications. Je ne suis pas certain de vouloir comprendre. Pourquoi est-ce qu'elle s'acharne si elle ne croit pas en ma divinité ? N'est-elle pas venue pour mon pouvoir ? Tiens, me voilà assis, le menton proche de ma poitrine, le regard accroché à sa si petite personne.

La peur ? Un dieu n'a jamais peur. Mais il n'est pas censé paniquer, ceci dit. Que m'arrive-t-il ? Être honnête avec moi-même ? Quand est-ce que je me suis menti ? Est-ce qu'elle tente de me rassurer, moi ? C'est ridicule. Je ne suis pas inquiet. Non, je le suis. L'ombre atteint enfin la hauteur de la lumière qui la projette. Elle colle davantage à la taille du félin, et au moindre de ses mouvements. Il s'est immobilisé, mais l'inflexion de son oreille gauche trahit sa réflexion. Ma respiration se tranquillise.

L'obscurité nous happe subitement et totalement. Aucune source de lumière. Braith soutient que je ne vais pas disparaître. Mais peut-être que nous allons tous deux nous éteindre. Un profond soupir s'échappe de mes narines. Elle est si insignifiante. Et pourtant... je la sens. J'entends sa respiration. Le froissement du tissu. La crispation du cuir sous la pression de son pied. Ma langue s'aventure brièvement à l'extérieur de ma bouche. Elle capte son odeur particulière. C'est comme si je la voyais. Elle seule existe dans cette cellule, à part moi. J'ai envie de la croire.

Des applaudissements retentissent. La silhouette disparue dans les ténèbres s'anime à nouveau. Ses mains frappent avec force, lentement. Elle brille vivement. Dépourvue de précisions, elle s'articule toujours à la manière d'un être humain. Sa tête pivote vers la candidate.

"Félicitations, Braith-la-future-plus-grande-chasseresse-de-tout-Arcane."

Sa voix est celle de Rao, à la surprise de ce dernier, dont les yeux s'agrandissent. Il reste sagement en place.

Je ne sais quoi penser, ni ressentir. Toutes ces questionnements entraînent un immobilisme inconscient. Des années pourraient s'écouler sans que je m'en rende compte. Seule la présence de l'humaine me rappelle qu'il ne s'agit pas de l'éternité. Pas encore du moins. Des applaudissements retentissent. Elle a réussi l'épreuve ? Comment ? Je ne comprends pas. Je ne comprends rien.

La silhouette réapparaît. Elle porte ma voix mais je ne me reconnais pas. Son aura est… immense. Intimidante. Je me sens si petit à côté. Aux yeux humains elle doit sembler inchangée, mais le spectre capté par mes iris diffère totalement de la précédente manifestation. Elle m'absorbe tant que les paroles de Braith effleurent mon esprit avec un temps de retard. Mes iris dorés fixent l'être éblouissant. Mes pattes avant tâtent le sol dans un geste nerveux et régulier.

"Je... ne sais pas."

Un rire émane de l'individu chimérique. Impossible de les qualifier entre l'amusement et la moquerie. Les pupilles de la candidate s'adaptent à sa présence lumineuse, suffisamment pour voir qu'elle éclaire assez bien autour d'elle. Ce qui inclut sa propre personne et la semi-divinité. Pensive, la silhouette laisse finalement retomber la main qui encadrait sa mâchoire.

"Son épreuve, ou la tienne ? Quoi qu'il en soit, aucun de vous ne peut la réussir sans l'autre." Il se rapproche de Rao, dont le corps penche à l'opposé pour fuir cette proximité, puis décolle du sol sans égard pour la gravité. Il s'élève à hauteur de son visage. "Et il faut une sacrée dose d'acharnement pour s'accommoder avec celui-ci !" Un nouvel éclat de rire retentit. Une pichenette attaque alors la babine gauche du fils d'Ignis. Elle se retrousse. L'énorme patte du félin se lève, toute crispée, comme pour chasser l'assaillant. Le mouvement n'aboutit pas.

Qu'est-ce qu'il me veut ? Qui est-il d'abord ? Ça ne peut pas être moi. Si ? "Je suis… un écho." Un frisson parcoure tout mon corps. Je sursaute. Il peut lire dans mes pensées. C'est terrifiant.

La silhouette se poste ensuite devant Braith, l'observe un moment en silence. Elle ignore ses mots, s'ils naissent de ses lèvres. Son visage flou se tourne à nouveau vers Rao.

"À vouloir éblouir toute chose, la lumière perd le sens de son existence. Sombre imbécile, cesse d'oublier ta propre ombre. Être de la Flamme et de la Lumière, ne la laisse jamais t'éclipser."

Hein ? Il laisse ces paroles imprégner l'atmosphère et s'éloigne lentement, en flottant. Une fois à distance équivalente du divin comme de l'humain, il ouvre grand ses bras. De monstrueuses flammes émergent de son être. Voraces, elles avalent rapidement les premiers mètres autour de lui.

Mais qu'est-ce qu'il cherche à faire au juste ? Me lustrer le poil ? Ma crinière brille déjà de mille feux. Je n'ai pas besoin de- Oh diantre ! Braith ! D'un bond je suis sur elle et me recroqueville autour de sa fragile existence. Je fais mon possible pour ne pas l'écraser ni l'exposer. Les flammes me lèchent le corps dans une agréable caresse. Je sens leur chaleur m'étreindre. Elles sont réelles, sans aucun doute. Mon corps se resserre légèrement. Ces quelques secondes sont dépourvues d'air pour la femelle, de toute façon.

Elles passent, comme une vague. Je cherche la silhouette sans la trouver. Mon corps massif se déplie doucement.

"Et ainsi, vous vous êtes choisis."

Quelle est cette sensation ? Étrange, je ne l'ai jamais ressentie auparavant. Ou je n'en ai pas souvenir, à cause de cette traîtresse magie. Elle saisit tout mon être. Je ne sens point de douleur mais… c'est quelque chose. Et déjà, cela disparaît.
La protection offerte par Rao protégea intégralement Braith de la déflagration. Néanmoins, dès qu'elle s'en extirpe, elle est saisie d'une vive brûlure, invisible. Elle n'éprouve aucune douleur, mais ressent pleinement son corps se consumer. L'instant ne dure qu'une seconde, et aucune trace n'en subsiste sur sa peau. À peine saisie, la sensation s'effile, même dans sa psyché.