- Merci encore. - C'est rien du tout, gamine. J'ai une fille de ton âge, tu sais, j'aurais pas pu te laisser seule dans cet état !
Revna sourit. Ils n'avaient passé que peu de temps ensemble, mais cela n'avait pas empêché l'homme aux tempes grisonnantes de parler avec volubilité de ses enfants. Il n'était donc pas étonnant qu'ils se quittent sur cette note.
Son bienfaiteur l'avait aidée à se hisser sur sa carriole alors qu'ils se trouvaient sur le chemin principal menant à la capitale des Hommes. Elle claudiquait de manière pitoyable sur le bas côté, tout en injuriant mentalement le demi-dieu nommé Soka, premier responsable de son triste état. Sa cheville avait finalement ployé sous l'impact de sa seconde épreuve dans le Temple d'Ignis, uniquement par sa faute cette fois-ci.
Ravalant son orgueil, qui avait déjà été bien meurtri au cours des derniers jours, l'empoisonneuse avait accepté avec délectation de se laisser porter jusqu'aux portes de Lüh. Malheureusement, le vieil homme ne pourrait aller au-delà, son village étant plus excentré.
Revna atterrit sans la moindre grâce sur le sol, à force de grimaces et de contorsions douloureuses. Ses doigts glissèrent dans la poche de sa capeline noire brodées de fleurs violacées, et se refermèrent sur la surface froide d'un Tsuri. Le colporteur l'arrêta d'un geste lorsqu'elle lui tendit la pièce. "-Garde ça pour te soigner."
La main de la jeune femme retomba mollement. Ses prunelles observèrent longuement le chariot disparaître dans les étendues herbeuses jouxtant la métropole. L'esprit du Corbeau refusait le concept d'une bonté entièrement désintéressée. Personne ne donnait sans recevoir en retour. Elle ne parvenait simplement pas à mettre le doigt sur la motivation du voyageur.
Revna poussa un soupir fatigué, avant de se tourner vers les grandes portes de bois massif emmurant la ville. Aucun colporteur bien luné ne pourrait plus la soulager de son fardeau, car plus que la douleur, c'était sa propre vulnérabilité qui lui pesait. Traverser une haie de miliciens la jaugeant du regard allait être particulièrement difficile. Elle grinça des dents avant d'entamer sa traversée, essayant vainement d'adopter une attitude digne malgré son boitement intempestif et visage marqué d'hématomes encore saillants.
Retour en fanfare Le journée s'ouvre enfin et les grandes portes avec. Aujourd'hui, à mon grand désarroi, je suis en poste à l'entrée de la ville. L'une des occupations les plus barbantes qui soient, même si aucune autre n'est particulièrement plaisante. L'avantage de celle-ci, au moins, se targue d'une relative tranquillité. Plusieurs miliciens au même endroit, ça signifiait souvent que notre présence était à peine perçue, du moins pour ceux qui n'ont aucune raison d'en être inquiétée. C'était le cas ici, en réalité, on servait surtout à vérifier les identités des plus suspects. Le délit de faciès on appelle ça.
Une haie d'honneur, d'une quinzaine de clampin, qui encadre donc les allées et venues. L'air est frais ce matin, presque froid et s'engouffre entre les deux grandes portent ouvertes. Pour ma part, je ne participe que peu à l'activité, évidemment. En queue, ou tête de file selon la direction, je passe le plus clair de mon temps à soupirer ou à laisser voguer mon regard sur n'importe quoi un peu digne d'intérêt. Une feuille brunie qui tombe, soufflée par le vent. Un rayon de soleil qui traverse la couche de nuage automnale. Je scrute davantage le ciel et à ses teintes grisonnantes, une averse un peu plus tard dans la journée ne m'étonnerait pas.
J'entends alors mes congénères murmurer et ce genre de bruit de fond a le don de m'agacer. Mon visage pivote à leur encontre, les traits tirés par l'irritation et finalement, mes yeux tombent sur la silhouette à l'origine de leurs ragots. Même abîmé, je reconnais son visage sans difficulté. Mon regard la jauge de haut en bas, puis inversement et l'agacement fait place à une amertume qui me crispe l'estomac.
Je retiens péniblement un premier élan à son encontre, alors qu'un poids alourdir mystérieusement mes épaules. Mes sourcils se froncent et un grondement irrite ma gorge.
❝ Qu'est-ce que t'as foutu ? ❞
Mon ton est sec, à la limite de la réprimande. Étrangement, son état ne m'amuse pas, malgré les ressentiments qu'elle avait laissé la dernière fois. Sa présence éclipse celle de mes confrères que j'entends à peine murmurer sur un autre sujet lié au premier. Mon regard la scrute à nouveau comme pour appuyer mes propos et finalement, je m'avance vers elle. Mes yeux s'attardent surtout sur la peau de son visage qui, à sa vue, tiraillent mes propres traits. Je grogne légèrement et serre le poings fermement attendant une réponse avec bien peu de patience. :copyright: 2981 12289 0
Les murmures des hommes postés autour de la grande porte ne lui avaient pas échappés. Elle lutta pour ne pas leur couler une œillade courroucée. L'empoisonneuse n'avait aucune envie de s'attirer les foudres de représentants de l'ordre, surtout après son premier passif dans la capitale des hommes. La jeune femme se contenta de poursuivre sa route avec l'air le plus digne qu'il lui était possible d'arborer dans sa condition.
Elle grinça des dents en songeant que ce traitement lui serait réservé jusqu'à ce qu'elle parvienne à retrouver sa chambre. Qui se situait en haut d'un escalier particulièrement pentu. Quel enfer.
Son sang ne fit qu'un tour alors que l'écho d'une voix familière parvenait à ses oreilles. Elle tourna vivement la tête, s'arrachant du même mouvement une grimace de douleur. Revna aurait reconnu cette intonation désagréable entre milles.
Un souffle chaud enfla dans son ventre. Les mots informulés lors de l'épreuve d'Oni, alors qu'elle avait cru sa dernière heure sonnée, dansèrent sous ses yeux. Son bras eut un mouvement furtif. Elle refrénait difficilement l'envie d'aller serrer le milicien contre elle. Il n'aurait pas compris, et devait de toutes manières la détester.
Un sourire franc barda son visage endolori. La glace de ses prunelles était auréolée d'un éclat tendre alors qu'elle détaillait le beau visage du garde, tentant d'imprimer ses traits dans son esprit.
"... suis tombée dans les escaliers." souffla-t-elle d'une voix fluette, avant de se détourner pour reprendre sa démarche chaloupée.
Retour en fanfare Je reste fixe face à elle, croisant les bras alors qu'une grimace tire ma lèvre supérieure. Son sourire m'évoque quelque chose, mais ses paroles le contraire. Dépité par sa réponse, mes yeux roulent et mes paupières s'écarquillent, accompagnés d'un long, très long soupire.
❝ Bah voyons. ❞
L'ironie de ses mots ne m'échappent pas. A moins de dévaler un escalier, en roulant dans tous les sens, je ne vois pas bien comment elle aurait pu récolter autant de bleus au visage. Et la connaissant, glisser sur une marche me parait un brin irréaliste. A moins qu'elle se soit un peu trop imbibée d'alcool un soir, elle aussi.
Je la suis du regard, dans un total silence, l'observant se débattre pour avancer alors que sa cheville est clairement bancale. Mes sourcils se froncent amèrement. J'hésite à lui proposer mon aide, sachant qu'elle avait été capable de me renvoyer la balle alors que je venais de lui sauver la vie, rien que ça. Même si Braith a l'air de penser le contraire.
❝ Ça c'est un sacré vent Jade. ❞
Quelques rires ponctuent la remarque d'un comparse. Étonnant qu'ils ne se manifestent que maintenant. Je reconnais la voix d'Acelin, ce petit vermisseau blond qui avait tendance à un peu trop se foutre de ma gueule. Pas particulièrement méchant, mais il prends un peu trop l'habitude de ne pas me voir lui tomber dessus.
❝ Quand on bégaye on se la ferme. ❞
Ma tête tourne à peine vers lui, ma position demeurant toujours en direction d'Ostara qui s'éloigne lentement, très lentement. Oh il sait bien à quoi je fais référence. Pour l'avoir vu être abordé par une femme une fois, il est plus du genre à se pisser dessus de trouille qu'à tenter quoi que ce soit. La manœuvre est bonne, les rires se tournent vers lui, ce qui me laisse de quoi rejoindre la boiteuse. Son entêtement m'agace clairement et une fois à sa hauteur, suivant son rythme à ses côtés et les bras croisés, je fixe l'horizon l'air amer.
❝ Suffit de demander si tu veux de l'aide. ❞
J'ai peu d'espoir, moi-même je suis du genre buté alors, je devrais comprendre. Mais non. Je ne sais pas si j'ai vraiment envie de lui apporter mon aide, de lui imposer pour lui faire entendre raison à propos de la dernière fois ou simplement ou pour avoir le plaisir de lui refuser si elle me la demande. Un peu rancunier sur ce coup là je crois. :copyright: 2981 12289 0
Les échanges des gardes lui parvenaient dans un tourbillon édulcoré. Son corps était focalisé sur l'objectif rester debout, passant outre ses autres obligations. L'environnement défilant à vitesse réduite ne parvenait pas à s'imprimer sous ses iris. Sa cheville avait été refroidie par le transport en calèche, et bourdonnait maintenant d'une douleur effroyable. N'étant pas particulièrement résistante, l'empoisonneuse doutait dorénavant de sa capacité à atteindre son domicile sans s'effondrer. L'épuisement mêlé à la souffrance se muèrent en perles d'Aqua qui entamèrent timidement leur descente aux commissures de ses yeux fatigués.
Revna remarqua à peine la présence de Jade, et fut surprise d'entendre ses paroles. Elle sursauta légèrement, tirée de l'enclave tortueuse de ses pensées dans laquelle elle avait trouvé refuge. Pourquoi s'entêtait-il à vouloir être en sa compagnie, après ses paroles blessantes ? Était il singulièrement stupide ? Extrêmement gentil ? Les deux à la fois ?
Passant outre ces considérations, elle du bien admettre qu'un peu d'aide serait appréciable. Si elle avait songé avoir la moindre chance d'en obtenir de sa part, elle ne se serait pas fait prier dès le passage des portes.
"Je ne veux pas en demander..."
Elle s'empourpra sous ses hématomes, fixant le sol comme s'il s'agissait de la chose la plus intéressante qu'elle n'ait jamais observé.
"... mais je crois que j'en ai besoin." lâcha-t-elle a contrecœur, tout en s'appuyant d'une main hésitante sur l'avant-bras du milicien.
Retour en fanfare Mes lèvres se contorsionnent en une moue contrariée au son de ses premiers mots. Un long soupire s'échappe de mes narines, enrobant le tout alors que mes yeux roulent vers le ciel gris. Voilà, le peu d'espoir avait finalement été vain. Elle va rester camper sur ses positions, quitte à aggraver la blessure de sa cheville. Pour une connaisseuse des plantes et familière des soins, il y a de quoi rire. Le cordonnier le plus mal chaussé dit-on. Non mais franchement, elle pourrait pas ranger un peu sa fierté et accepter la main qui...
Se pose sur mon bras. La sienne bien sûr. Sincèrement surpris, mes yeux tombent sur elle, lui offrant un air abasourdi alors que je stoppe notre marche. En réalité, je fixe davantage sa main, comme si c'était l’œuvre d'un mirage désertique. Est-elle vraiment en train d'accepter ou je me fais des idées ? Comme un cheveu sur la soupe, notre passif ressurgit dans les limbes de mes pensées. Je pouffe légèrement et lève les yeux vers les siens, forçant mes traits d'un air ironique.
❝ T'es sûre hein ? Non parce que, si c'est pour me dire après que t'aurais préféré que je t'aide pas, dis le maintenant. Je perdrais moins de temps. ❞
L'expertise de Braith me revient alors en mémoire. Maintenant qu'Ostara avait fait l'effort d'accepter clairement mon soutien, ça me parait évident que si finalement elle la refuse, ce ne serait pas sincère. Un éclair de lucidité traverse mon esprit, imperceptible, alors que je crois enfin toucher du doigt son fonctionnement. A voir ce que l'avenir en dit.
Revna répondit par une grimace au petit rire de Jade. Comme si tomber si bas n'était pas suffisamment désagréable, il fallait en prime qu'il fasse ressurgir des événements déplaisants. La jeune femme réalisa alors que le garde n'avait jamais eu l'intention de l'aider, et escomptait simplement se venger de l’humiliation subie lors de leur dernière rencontre.
Ses joues déjà rougies virèrent à la pivoine.
" Ça t'amuse de me voir dans cet état, c'est ça ? Va te faire foutre, connard ! " gronda-t-elle, tout en lâchant avec hargne l'avant-bras du milicien.
Le poignard dissimulé sous sa tunique, qu'elle avait eu l'intention de lui offrir, se rappela à son bon souvenir dans ce mouvement. Les jointures blanchies de l'empoisonneuse, ainsi que la lueur menaçante vrillant en son regard clair, reflétaient une fureur qu'elle ressentait avant tout contre elle-même. La jeune femme détourna le regard de Jade, préférant se concentrer sur n'importe quoi d'autre. En songeant qu'il avait été celui se rappelant à son souvenir au plus près de la mort... elle avait envie de crier de rage. Ses membres frissonnaient sous l'impact de la colère et de la douleur.
Retour en fanfare Sa réaction ne se fait pas attendre et elle est explosive. Je n'en attendais pas moins d'elle, mais j'avoue que ça me laisse un arrière goût désagréable en bouche. C'était évident qu'elle allait faire machine arrière en réponse à ma taquinerie et je m'attendais à en rire. Étrangement, ce n'est pas le cas. Je m'immobilise, mon corps se fige et mes traits se raidissent. Il y a clairement quelque chose qui tiraille mon estomac à l'instant. Pas la faim évidemment, mais j'ai la nette impression d'avoir fait un faux pas. En général, je ne m'en préoccupe pas de ça, mais ici, la sensation d'être allé trop loin était prenante et... Inconfortable.
Bien plus encore lorsqu'elle se détourne brusquement. Un fin grondement cueille les profondeurs de ma gorge, comme une protestation discrète. Ses insultes ne m'avaient même pas touché, peut-être simplement parce que ça n'avait qu'à peine retenu mon attention, comparativement au reste. Alors dans un soupire, je me penche vers elle et passe un bras autour de ses épaules avec délicatesse.
❝ Ça va... ❞
Allongeant le mouvement, je me penche encore, passe mon deuxième bras derrière ses genoux et la soulève avec peu d'effort.
❝ Excuse moi. ❞
Je ne lui adresse pas un regard, sans doute un peu gêné d'avoir commis un faute, préférant fixer l'horizon quelques secondes d'un air impassible. J'espère évidemment qu'elle ne se débattra pas trop, mais je me devais sans doute d'éclaircir un point. Mon visage pivote alors et mes yeux tombent dans les siens, profondément sérieux.
❝ Et non, ça m'amuse pas. ❞
Bien au contraire même, j'en avais pris conscience bien avant sa petite colère. C'est sans doute mieux qu'elle le sache pour éviter tout malentendu. En parlant de ça, je crois que le temps à plonger dans ses yeux devient un peu trop long, non ? Mieux vaut couper court avant que ça ne devienne embarrassant. Je détourne les miens et engage notre avancée.
Le cœur de l'empoisonneuse fit un bond dans sa poitrine lorsque le milicien encadra son épaule d'un mouvement délicat malgré l'armure seyant son corps.
"Que ... ?"
Elle ne parvint pas articuler plus de voyelles alors que ses joues se teintaient de nouveau de rouge. Figée par la surprise, elle se laissa faire prisonnière des bras vigoureux du milicien sans coup férir.
"Hiiiii !"
Un petit cri strident s'échappa des lèvres de la jeune femme alors qu'elle décollait finalement du sol de manière impromptue. Elle cligna des paupières, abasourdie, fixant le milicien avec stupéfaction. De toutes les chutes possibles à cette mascarade, celle-ci n'avait pas été envisagée. Son étonnement atteint un sommet indescriptible lorsque l'homme aux cheveux noirs s'excusa.
"C'est moi qui doit m'excuser..." souffla-t-elle en retour, tout en tournant un visage penaud vers Jade. Heureusement n'était-elle pas debout à cet instant précis, car elle en serait sans doute tombée par terre. Elle se perdit dans le regard vipérin du jeune homme, se délectant des multiples nuances s'inscrivant dans ses iris. Les paroles du milicien lui parvinrent de manière étouffée, comme s'il lui parlait alors qu'elle était sous l'eau. La jeune femme cilla, s'arrachant à contrecœur de ce spectacle, pour se tourner vers l'horizon.
Avec une confusion palpable, Revna lui fournit le nom d'une taverne de mauvaise réputation, située dans le coin le plus crasseux du quartier populaire. Elle vivait au troisième étage du taudis, dans une insalubrité pitoyable, mais tel était le coût de la tranquillité. Sa logeuse ne s'interrogeait pas une seconde sur la nature de ses activités, tout le monde étant plus ou moins louche dans les environs.
Retour en fanfare Ses excuses me paraissent de trop, même si il aurait été simple de la blâmer. En d'autres circonstances, je l'aurais sûrement fait. Là, je n'en vois pas l'intérêt ou plutôt et j'ignore pourquoi, j'estime la faute mienne. Même si je n'étais pas tout à fait certain de là où j'avais mis maladroitement les pieds, être à l'origine de sa colère ne me plais visiblement pas. Ce n'est pas dans mes habitudes évidemment, mais j'y réfléchirais plus tard.
Elle m'informe de notre point de chute et je ralentis, jusqu'à m'arrêter. Le temps de la réflexion, mes yeux se perdent dans l'horizon avant de rebrousser chemin sans crier gare. La taverne évoquée était plutôt mal famée et m'y pointer vêtu de cette armure n'allait pas enchanter les habitués. J'y mettais rarement les pieds, mais je doute qu'ils apprécient être dérangé par un membre des forces de l'ordre, aussi laxiste soit-il. D'un pas leste, je nous ramène à l'entrée de la ville avant de bifurquer vers le poste de garde.
❝ Ah ! Finalement t'as réussis ton coup ! ❞
❝ La ferme. ❞
Sans leur accorder le moindre regard. La porte est ouverte comme à son habitude et je rentre, pivotant suffisamment pour éviter qu'Ostara ne rencontre l'encadrement, que ce soit par les pieds ou la tête. Mes mouvements sont précis et efficaces, je la pose délicatement sur le banc à gauche de l'entrée faisant face au comptoir derrière lequel se trouvait un autre garde. Pas très reconnaissable, un physiquement lambda, il reste quelques secondes à nous observer tour à tour jusqu'à s'inquiéter de me voir retirer mon armure.
❝ Oh là Jade, tu fais quoi ? Tu peux pas quitter ton poste comme ça. ❞
Pendant que je défais les sangles de mon plastron et des mes épaulières, je lui réponds sérieusement, sans lui accorder particulièrement d'attention.
❝ La dame est blessée. Je la ramène chez elle. ❞
❝ C'est pas une raison pour... ❞
Je me stoppe net et le fixe, grimaçant légèrement.
❝ Quoi ? Un peu de zèle pour une fois, ça te va pas ? ❞
Il me fixe à son tour, avec l'air de peser le pour et le contre. D'un moue un brin résignée, il acquiesce d'un faible mouvement de tête et retourne à sa paperasse. Sans plus de négociation, je retire le haut de mon armure, dévoilant une simple tunique sombre, déposant mon équipement dans un coin avant de défaire genouillères et cuissardes, révélant un pantalon noir plutôt ajusté.
❝ Je reviens après. ❞
Lui accordais-je finalement avant de revenir à Ostara, lui faisant face quelques instants. En y réfléchissant, c'était mieux ainsi. La porter à bout de bras, même si requérant peu d'effort, n'était pas particulièrement confortable et, vêtu de mon armure, ça ne devait pas l'être pour elle non plus. Le temps de cette introspection, mes yeux scrutent son visage tuméfié, glissant à nouveau ce goût amer en fond de gorge. Je gronde légèremet et lui tourner le dos avant de poser un genou à terre, à l'image de notre fuite dans la forêt, ouvrant les bras pour qu'elle y glisse ses jambes.
Pourquoi s'arrêtait-il ? Avant qu'elle ne puisse formuler un mot, voilà que le milicien faisait demi-tour, la redirigeant vers un endroit grouillant de ses congénères. Voilà qui n'était pas pour arranger son souhait de faire profil bas. Sa mâchoire se crispa alors qu'elle avait rapproché son visage du plastron de Jade, dans le vain espoir de ne pas être l'objet de trop d'attention de la part des collègues du jeune homme.
Docile comme une poupée de verre, Revna se laissa porter jusqu'à un banc de bois sans broncher. Elle regardait fixement le sol afin que l'autre milicien présent ne puisse accrocher ses traits. Cette ardente résolution fondit comme neige au soleil quand l'homme aux yeux émeraudes commença à se dévêtir devant elle.
La jeune femme fut étonnée de constater à quel point il était séduisant sans son armure. Cela ne l'avait pas marquée dans l'obscurité de sa chambre de malade. Sa crainte des représentants de l'ordre avait jusqu'alors éclipsé ce détail, mais maintenant qu'elle voyait l'homme sous le métal, il était indéniablement charmant. Ses yeux glissèrent de haut en bas sur sa silhouette élancée élégamment drapée de noir. Elle détourna le regard lorsque Jade se retourna vers elle, mortifiée à l'idée d'avoir potentiellement été prise sur le fait d'un regard trop baladeur.
Lorsqu'il se présenta face à elle pour l'inviter à monter sur son dos, Revna déglutit avec difficulté. Elle croisa ses bras autour du cou du jeune homme et glissa ses jambes dans l'interstice aménagé pour elle.
"Je suis désolée de t'embêter pendant ton travail." murmura-t-elle.
L'odorat fin de l'empoisonneuse nota que Jade sentait très bon. Il était inhabituel pour un homme de sa condition de sentir autre chose que la vinasse et la sueur. Une fragrance particulièrement agréable émanait de sa chevelure sombre. Avait-elle toujours été aussi soyeuse ? Elle s'arracha vivement à cette observation inconvenante, se demandant quelle mouche la piquait pour s'appesantir sur de tels détails insignifiants.
Retour en fanfare Son corps se meut avec délicatesse et fini par enrober le mien. Toujours au sol, mes mains glissent jusque sous ses cuisses où je sens deux ceinturons placés à égale distance. D'un rapide regard en biais, je m'aperçois de la présence d'arme, me rappelant à de douloureux souvenirs récents. Si je me souviens bien, que ce soit le buriné ou elle, la tendance était au poison sur les lames. Un peu de prudence ne serait pas de trop.
Je m'éclaircis la gorge, plutôt que de lancer une plaisanterie à ce sujet. Je ne suis pas certain que mon collègue là bas saisirait la nuance et se montrerait aussi laxiste que moi. Bref. Optant pour placer mes mains plus en hauteur, serrant ses jambes autour de moi, l'évidence me frappe. La sensation n'avait rien à voir avec notre fuite dans les bois et une faible chaleur s'insinue timidement. Bien heureusement, Ostara ne verrait pas la tête que je fais, un peu déconcerté l'espace d'une seconde. A nouveau, je me racle la gorge, cette fois-ci de gêne avant de me relever. Ah oui, elle s'est excusé. Encore.
❝ T'en fais pas, j'aime autant. ❞
Qu'elle m'embête plutôt que travailler ? Ça c'est clair. D'habitude je saute sur la moindre occasion de quitter mon poste et celle-ci était trop belle pour la laisser filer. Bien qu'en y songeant une seconde, j'étais à peine sûr de mes réelles motivations, particulièrement en la sentant pétrit ainsi dans mon dos.
Préférant éviter les quelques pensées qui m'avaient traversées à l'orée de la forêt, je nous fais quitter promptement le poste et nous engouffre dans les rues peu bondées à cette heure. Le silence qui s'installe me semble un peu pesant avant que je ne décide de le briser.
❝ Alors cet escalier, il ressemble à quoi ? ❞
L'amertume ressentis en la découvrant tout à l'heure n'avait pas particulièrement quitté mes entrailles et à sa manière de répondre, j'étais certains que son histoire d'escalier, c'était du flan. Cela dit, c'était une question risquée pour moi qui ne souhaitais pas en savoir davantage sur ses occupations. Et à cette évidence, une sensation d'impuissance m'appesantit étrangement. Tout comme le fait, finalement, qu'elle séjournait dans une taverne à la clientèle peu recommandable. Un autre sujet sur lequel j'aurais le temps de la questionner. :copyright: 2981 12289 0
Le souffle d'Aer faisait légèrement voleter ses cheveux alors que la longue foulée du garde la portait avec aisance. Un silence pesant se fit, heureusement brisé par son compagnon. Un rire cristallin s'envola vers le ciel blême suite à l'interrogation de Jade. Revna se fendit d'une réponse évasive, ne souhaitant pas partager outre mesure son épopée somme toute humiliante.
"Il était à la fois sombre et lumineux."
Un drôle d'escalier, il fallait en convenir, mais qui avait eut le mérite de lui ouvrir de nouvelles perspectives. L'intonation de la jeune femme était étrangement enrouée lorsqu'elle reprit la parole.
"J'y ai réalisé quelque chose... "
La fin de sa phrase se perdit dans les tambourinements de son cœur, qui enflaient graduellement à ses oreilles. Les paroles qu'elle aurait alors souhaité formuler restaient figées sur sa langue, encore incapables de voler de leurs propres ailes. *Lorsque j'ai cru mourir, je ne pouvais penser qu'à toi*
Revna raffermit inconsciemment sa prise sur les épaules de Jade.
"Est-ce qu'on pourrait se revoir ?" lâcha-t-elle, d'un filet de voix si minuscule qu'il se perdit dans la brise.
Cette demande, bien qu'édulcorée par rapport à celle dansant dans son esprit, fut infiniment dure à prononcer. Il lui semblait que la protection qu'elle s'était érigée pour lutter contre la cruauté du monde, qui avait commencé à s’amincir dans le Temple du Feu, était en passe de se briser. Cela l'effrayait, mais elle souhaitait tenter sa chance. La vacuité de son existence l'avait marquée alors qu'elle avait cru son trépas imminent. L'empoisonneuse ne voulait pas que sa vie se soit résumée à fuir, et portait dorénavant un regard neuf sur une multitude de choses. Dont ce sentiment étrange qui serrait son cœur en la compagnie de Jade - une étrange chaleur mêlée à de la confusion. Revna s'était rarement sentie si vivante qu'en sentant la silhouette du milicien pressée contre la sienne, et voulait continuer d'effleurer du doigt cette sensation naissante.
Retour en fanfare Son léger rire, tombé au creux de mon oreille, cristallise une seconde mes pensées. Comme une mélodie apaisante qui étire discrètement mes lèvres. Je l'avais déjà entendu à plusieurs reprises, mais cette fois-ci, le goût était à nouveau différent. Pas suffisamment doux pour tirer toute amertume que faisait naître sa réponse évasive. Le pauvre sourire se mue en une moue amère, couplée d'un léger grondement. Visiblement, elle n'est pas décidé à me répondre franchement, elle a peut-être de bonne raison à ça et je devrais sans doute m'en contenter pour le moment, mes ça ne me suffira pas.
Un ressentiment s'échappe de mes doigts pétrissant nerveusement ses cuisses, sans que je ne parvienne à le contenir. Rien d’exceptionnel, ça m'étonnerait qu'elle le sente, mais par précaution je me ravise rapidement. Attentif à la suite de son discours, je romps toutes protestations et lui offre mon silence, tandis que la population autour de nous ne semblait que bourdonner.
Moi, par contre, j'ai bien sentis qu'elle se serrait un peu plus contre moi. Qu'est-ce qu'elle avait fait bordel ? Ça semble lui causer du soucis. Ma foulée se modère, bien qu'elle n'était jusque là pas particulièrement rapide. Et subitement, mon cœur bondit dans ma poitrine, me forçant à l'arrêt total.
Se revoir ? Qu'est-ce qu'elle entendait par là ? On s'était déjà croisé plusieurs fois et je n'étais pas complètement étranger aux attentions féminines mais... C'est là que le bas blesse, on s'était déjà vu plusieurs fois. Et elle souhaitait quand même qu'on se revoit ? Malgré les multiples altercations qui jonchaient nos rencontres, elle voulait qu'on se revoit ? Vraiment ?...
Me voilà figé depuis plusieurs secondes, le regard perdu dans le lointain, sans comprendre réellement ce dont il est question. Peut-être que je ne voulais simplement pas et puis, les paroles de Braith me reviennent en tête. Si elle avait opté pour le contraire de ce qu'elle pense par le passé, est-ce que c'était possible ici aussi ? Une étrange amertume s'insinue de nouveau, crispant mes traits et serrant mes mâchoires.
❝ C'est vraiment ce que tu veux ? ❞
Un souffle légèrement sec, sans réellement le vouloir. Mon sentiment était davantage à l'étonnement, mais ça serait difficile à percevoir. Cependant, l'intention était sincère, je ne voulais pas m'aventurer à répondre avant d'être sûr de la sienne. Mais... Au fait, pourquoi avais-je autant besoin d'en être certain ? :copyright: 2981 12289 0
Le ton emprunté par le milicien la blessa, mais sa question était légitime. Le voulait-elle vraiment ? La réponse était plus grise que limpide. La jeune femme avait soufflé le chaud et le froid, et comprenait donc la réticence du jeune homme. Oui, Revna souhaitait comprendre cette étrange sensation l'assaillant à chaque fois qu'elle percevait l'éclat émeraude vrillant en les iris de Jade. Non, elle n'acceptait pas la fragilité qu'un tel rapprochement entraînerait fatalement. Se couper des autres avait depuis si longtemps été un impératif de survie qu'elle ignorait seulement si elle serait capable de s'ouvrir pleinement à la présence d'autrui.
Elle se sentait néanmoins prête à essayer. Toutefois, cela ne semblait pas être le cas du principal intéressé, qui semblait avoir été si choqué par sa proposition qu'il en avait oublié de marcher.
"Oui" .
Son ton serein ne reflétait pas son hésitation intérieure. Comme toujours, Revna était une formidable menteuse. Comment créer des liens avec quiconque alors que ce talent était la pierre angulaire de sa personne ? "Se revoir" ? Mais quelle idiote elle était, comme si elle pouvait changer en un claquement de doigts et devenir digne de fréquenter qui que ce soit. L'empoisonneuse sentit la panique monter en elle et s'empressa d'enchaîner :
"Je comprends que cela ne soit pas réciproque, avec tout ce que je t'ai fait subir. Oublie ce que j'ai dit."
Les mots avaient glissés trop vite sur sa langue, et en étaient devenus difficilement compréhensibles. Mortifiée par son incapacité à gérer la situation, Revna aurait souhaité se cacher dans un trou de souris. Elle se contenta d'afficher un sourire crispé pour garder bonne figure malgré l'humiliation latente de cette conversation. Pourquoi les Dieux se déchaînaient-ils pour fouler son honneur du pied ces derniers temps ?
Retour en fanfare La voix qui anime sa réponse me parait certaine de ce qu'elle avance. Je ne pourrais nier qu'une sensation de légèreté m'avait cueillis à son écoute. Pourtant pas suffisante pour que je lui réponde à mon tour. En réalité, je ne savais trop quoi faire de cette information. Elle voulait qu'on se revoit, d'accord. Je suppose que c'était réciproque, du moins, je n'avais ressentis aucune envie de lui refuser mais... C'était troublant, un peu flou et je n'arrivais pas à imaginer les pourtours de ce que ça supposait. Comme une image lointaine trop étrangère pour savoir la détailler.
Une courte réflexion, balayée par les paroles suivantes. Elle semble bien sûre de mes intentions quand moi-même je ne parviens pas à les stabiliser correctement. Je pouffe discrètement, avant de redémarrer ma foulée. Lâchant ironiquement, sans une note de raillerie pour autant.
❝ J'ai une bonne mémoire. ❞
Sous-entendant par là, qu'évidemment, il me serait sans doute impossible d'oublier comme elle me le suggérait. Que ce soit ses mots, ou elle-même. Un léger sourire étire mes lèvres d'une pointe d'amusement. Je la trouvais possiblement attendrissante à cet instant, chose suffisamment rare pour que mon esprit l'imprime.
❝ Et j'ai pas été particulièrement tendre non plus. ❞
Bien que jusqu'à présent, je n'avais éprouvé aucun regret à lui avoir remonté les bretelles de temps en temps. Elle le méritait à ces moments là, mais pas aujourd'hui. Une fine goutte tombe sur le bout de mon nez et me rappelle à l'ordre. Optant pour allonger la foulée et nous éviter d'arriver trempé, notre chemin s'en retrouve malgré tout ponctué des prémices d'une pluie timide. Il ne me faut que quelques minutes pour faire face à la porte de l'auberge précédemment citée.
Pas de battant, la porte est ouverte et j'entre en bonne monture que je suis. L'heure a beau être matinale, il y a déjà quelques têtes burinées et rougies par l'alcool, attablées ça et là. Ne leur accordant aucune attention, je trouve du regard l'aubergiste posté non loin.
❝ Vos chambres ? ❞
Des rires gras accueillent ma demande. A bien y réfléchir, c'était particulièrement tendancieux. Je me pointe avec une demoiselle sur le dos et quémande brusquement une chambre, teintant sans doute le tout d'une certaine hâte après l'effort. Il n'est pourtant pas question de ça. Je me contente donc de lancer quelques regards noirs avant de revenir à l'aubergiste.
❝ A l'étage, mais il faudra la payer avant. ❞
❝ Elle en a déjà une, je la raccompagne juste. ❞
Du coin de l’œil, mon regard tombe à nouveau sur les deux trois alcooliques qui continuent de s'amuser de la situation. Derrière l'encadrement, j'entends nettement l'averse évitée de justesse. L'aubergiste passe près de nous, me force à me déporter et ferme la porte pour éviter d'imbiber son sol. Il finalement demande à Ostara de s'identifier pour s'assurer de son séjour ici. :copyright: 2981 12289 0
Randolf était un peu stupide, mais il n'était pas méchant. C'était pour cela que la majorité des habitués des lieux lui pardonnaient ses déboires indignes du devoir de réserve de tout aubergiste digne de ce nom. La tavernier était un homme dans la quarantaine, qui avait du être séduisant dans sa jeunesse. Grand et de bonne stature, il avait de chaudes prunelles brunes qui avaient le don de mettre en confiance l'âme perdue ayant trouvé refuge dans son taudis. La vie ne l'avait cependant pas épargné, et il présentait des traits tirés ainsi que de nombreuses cicatrices sur la figure, stigmates de bagarres qu'il avait au moins autant initié que tenté d'arrêter.
"Ostara Sombrevent" dit sobrement la jeune femme à son adresse lorsqu'il lui demanda d'expliciter son matricule. Elle espérait vainement qu'il s'abstienne du moindre commentaire quand à son entrée flamboyante, mais c'était là un vœu qui peinerait à se réaliser.
"Ostara ?"
Il déposa la choppe qu'il était en train d'astiquer avec un chiffon sale sur le comptoir, puis s'approcha un peu plus pour détailler les traits de l'empoisonneuse avec un air stupéfait.
"Mais oui bien sûr que c'est toi ! Bah putain tu t'es pas loupée... "
Randolf regarda Jade de haut en bas, puis lui adressa un clin d’œil. "Je vois que tu as ramené de quoi te consoler. Quand elle t'aura jeté comme tous les autres, viens donc ici mon mignon, je t'offrirais un verre et nous pourrons discuter de ses pratiques étranges. Tu sais qu'elle a ramené des jumeaux une fois ?"
Les doigts de Revna se crispèrent sur les épaules du milicien et elle foudroya l'aubergiste du regard. L'attrait de Randolf pour les représentants de son propre sexe n'était un secret pour personne. Elle se rappela subitement de ses suspicions quand à l'orientation de Jade. Ce fait l'agaça plus que de voir son intimité exposée au gré d'une taverne déjà peuplée.
"Je vous laisserais batifoler sans soucis une fois que j'aurais regagné ma piaule."
Son ton était amer. Elle regrettait de ne pas pouvoir détaler par elle-même jusqu'à sa chambre, pour s'extraire de cette situation gênante. Le tavernier partit dans un rire gras et fit mine de retourner à sa besogne. Revna n'osait pas regarder Jade, de crainte de voir une expression de dégoût sur ses traits. Ou pire, de l'attrait pour l'homme situé à leur droite. Elle ignorait ce qui aurait été le pire.
Retour en fanfare Je retiens in-extrémis un mouvement de recul quand l'aubergiste se rapproche pour scruter Ostara. Le jaugeant avec sévérité, mes traits se crispent avec la sensation de devoir défendre mon bien. Pas mon propre confort j'entends, mais peu importe. Par la suite, les choses s'enchainent trop vite pour que je parvienne à réagir en conséquence.
Mon air se fronce d'abord, devant la familiarité de l'aubergiste à son encontre. Puis il se détend, voir s'étire de surprise et d'une pointe d'amusement. Les déboires d'Ostara ne me regardaient aucunement, mais la liberté avec laquelle l'aubergiste les dévoile me stupéfait. Et puis finalement, son clin d’œil me déride d'autant plus, retenant un rire autant que je le peux. Je n'étais étranger des attentions d'aucun genre, mais venant des hommes, il y avait toujours un brin d'ironisme à leurs avances. Le bougre n'avait pas l'air bien méchant, aussi je ne rétorque pas cette fois, mais la frivolité ambiante fini de forcer mon visage à se détourner. Davantage pour éviter de malencontreuses mégardes concernant ma mine enjouée.
D'autant plus quand le Fureur fait à nouveau son apparition. Il était particulièrement déconcertant de voir, avec quelle facilité, Ostara passait d'attendrissante à incisive. Je crois honnêtement que ça m'amusait beaucoup, même sans savoir à quoi ça tenait.
Me raclant la gorge, je me détourne complètement suite au rire gras de l'aubergiste et me dirige vers les escaliers bâtis dans le coin gauche de la salle. Engageant la première marche, puis la deuxième, je laisse finalement échapper un commentaire teinté de raillerie.
❝ T'es visiblement pas la seule à me croire gay. ❞
Qu'on le pense ne m'atteignait en aucune façon. Je n'étais, après tout, qu'à peine certain de l'origine de mes attirances. Même si, celles concernant le même sexe que le mien, n'avaient pas encore été à déplorer sur mon petit tableau de chasse. Ah, quelle expression ingrate. Quoi qu'il en soit, les seules réelles attirances que j'avais pu ressentir jusque là n'avaient été qu'envers des femmes. Mais pas de la manière habituelle, je suppose. Enfin bref, là n'est pas la question.
Arrivant au sommet des marches, un long et étroit couloir se présente sur notre droite, desservant cinq à six chambres tout au plus.
❝ C'est laquelle ? ❞
Ma question s'associe étonnement avec un battement de cœur plus profond. Ravalant ma salive et préférant m'abstenir de réfléchir à son origine, je m'avance jusqu'à la porte désignée. Prenant une seconde pour envisager la manière dont j'allais l'ouvrir, ayant les bras occupés, je glisse le gauche davantage sous Ostara. Oui, au niveau de ses fesses, d'accord. Pas trop le choix, sinon elle risque de basculer sur le côté quand je libère ma main droite pour enclencher la poignée.
Optant pour rompre le plus vite possible cette prise, je la maintiens à nouveau par les cuisses avant d'ouvrir la porte d'un bref coup de pied. Sans doute un peu trop ferme, la voyant s'écraser et battre contre le mur. Ou peut-être un bureau, je n'étais pas sûr. :copyright: 2981 12289 0
L'élan d'espoir qu'elle avait ressenti s'était répercuté de manière transparente dans ses propos. La jeune femme se mordit la lèvre en constatant qu'elle avait sans doute démontré un peu trop d'importance à cette information.
Heureusement, le sujet changea rapidement. Revna lui indiqua la position de sa chambre alors qu'ils arpentait le couloir vétuste y menant. Le seul signe distinctif permettant de départager sa porte de ses sœurs était le numéro 5 gravé à son sommet. La jeune femme voulu indiquer au garde qu'il en avait assez fait et qu'elle pouvait ouvrir ladite porte par elle-même, mais il prit les devants en modifiant leur position. Les joues de l'empoisonneuse virèrent au cramoisi lorsqu'elle constata sur quel point de son anatomie était dorénavant appuyé le milicien. Elle en était pourtant étrangement contente, et fut déçue lorsqu'il retira ses mains.
Jade ouvrit l'interstice d'un coup de pied indélicat, découvrant une pièce étroite, rustique mais plus propre que ce que le reste de l'établissement laissait supposer. Sur la gauche était dressé un portant de fortune sur lequel était suspendu de nombreuses plantes séchées, au-dessus d'un petit bureau jonché de fioles et de parchemins. A l'autre bout de la pièce, un petit chaudron se tenait en équilibre précaire dans une cheminée noircie. La literie de fortune était positionnée au centre de l'espace, et il n'y avait déjà plus de quoi mettre grand chose. C'était à se demander comment Revna avait pu y réaliser des activités nocturnes avec une paire de jumeaux.
La jeune femme fit signe à Jade de la déposer, puis s'affala sur la petite chaise de bois adjacente au bureau avec un soupir d'aise. N'oubliant pas ses affaires les plus urgentes, elle adressa un petit sourire à l'homme brun.
"J'ai un cadeau pour toi. Mais il faut d'abord que tu attendes dehors."
Elle attendrait qu'il se soit exécuté pour défaire son pantalon et ses bottes de voyage, en vue de se saisir de la lame jonchant sa cuisse gauche. Elle se rhabilla, avec difficulté au vue de sa difficulté actuelle à se remettre debout seule, puis s'éclaircit la gorge.
"Tu peux rentrer !"
La voix de Revna était animée d'une joie sincère. Elle n'avait pas bougé d'un pouce mais dans sa main luisait maintenant une dague, qui, même si elle ne laissait encore apparaître que son manche, semblait déjà acérée.
"Elle s'appelle Kisin et vient tout droit de l'armurerie d'Al-Hazred." déclama-t-elle fièrement, tout en tendant son présent au milicien.
Retour en fanfare Mon regard balaye la chambre, avec une pointe de curiosité légèrement mal placée. Un timide sourire étire mes lèvres quand je sonde l'espace. Je l'y reconnais bien là. Finalement, sa voix perce le relatif silence qui emplit l'étage, accompagné du brouhaha sourd des buveurs d'en bas. Sur ses indications, je me dirige vers la chaise et me tourne, la laissant glisser doucement jusque sur l'assise. Je m'éloigne d'un pas avant de me tourner légèrement. Suffisamment pour noter son sourire du coin de l’œil. Curieux d'en connaître l'origine, je lève un sourcil interrogatif.
La réponse me laisse perplexe et tiraille mes traits. Un cadeau ? Que je dois attendre dehors ? Une grimace d'incertitude cueille mes lèvres, mais je m'exécute silencieusement. Pourtant dans ma tête, les pensées s'entrechoquent. Un cadeau ? En quel honneur ? Qu'est-ce que c'est ? Je n'ai aucune certitude et de sa part, je pouvais tout attendre. Mais bon joueur, j'attends dans le couloir, dos sur le mur.
La porte demeurant ouverte dans mon sillage, j'entends le frottement distinctifs de vêtements qui se retirent à la peau. Mon sang ne fait qu'un tour et je le sens bouillonner étrangement jusqu'à mes joues. Les aventures comptées par l'aubergiste me laissent entrevoir une possibilité que je n'avais pas vu venir. Mais ne mettons pas la charrue avant les rhénos.
A son appel, j'inspire profondément et m’exécute, redoutant ce que j'allais trouver dans cette chambre. La mine teintée d'incertitude, j'entre d'un pas et glisse mon attention jusqu'à elle. Comme une bouffée d'oxygène amère, elle est habillée. Je ne saurais dire si j'étais soulagé ou pas. Pourtant, mon regard capte une lueur noire entre ses mains et, interdit, je m'immobilise en silence.
Même sans ses indications, j'aurais su d'où elle provenait. J'adore suffisamment les œuvres du forgeron pour les reconnaître. Un éclat particulier saisi mes prunelles, comme un enfant à qui on présenterait une sucrerie. N'écoutant que mon instinct, je saisi délicatement la dague et l'observe avec candeur, l'espace d'un instant avant que la conscience ne reprenne les devants. Je m'ébroue et mes yeux éblouis papillonnent avant de plonger dans ceux d'Ostara.
❝ Mais... Pourquoi ? ❞
Sincèrement étonné, je ne comprends pas ce qui me vaut un cadeau d'une telle valeur et les mots me manquent. D'aussi loin que remontent mes souvenirs, ce genre de démonstration avait été particulièrement rare par le passé. Tomber si juste encore davantage. :copyright: 2981 12289 0
Un frisson parcourut l'échine de la jeune femme lorsque les doigts blessés de Jade effleurèrent sa paume pour la délester de son fardeau. Le faible éclat d'Ignis présent dans cette pièce ne rendait pas justice à la parure volcanique de la lame. Sa couleur obsidienne évoquait la nuit froide et cruelle des contrées arides du sud, comme un présage de mort certain pour tout être ayant le malheur de croiser son chemin. Rompant le silence contemplatif qui s'était installé, le milicien quémanda une explication quand à cette offrande. Une fine ligne vint s'installer entre les sourcils couleur ébène de l'empoisonneuse. Milles raisons pouvaient justifier son acte, dont si peu étaient prononçables : frustration, peur, affection, envie de se racheter... Les motifs s'étaient entremêlés de telle sorte qu'elle ne pouvait plus distinguer le fil rouge de sa pensée d'alors. Il lui fallait cependant trouver à répondre quelque chose, aussi la jeune femme usa de l'explication lui semblant la plus sensée.
"Tu as perdu ton arme dans la forêt, pour me sauver la vie. Ce n'est qu'un juste retour des choses."
Et maintenant ? Plus aucune culpabilité ne la reliait à Jade. Ils pouvaient se dire adieu sur ce seuil, sans en souffrir outre mesure. Il était sans doute préférable de mettre un terme à ce prémisse de relation avant que la souffrance ne vienne la rompre. Toutefois, si cet homme manifestait ne serait-ce que l'ombre d'un désir de continuer à la côtoyer... Oui, il y avait de fortes chances qu'elle se laisse tenter. Et déjà, elle le regrettait.
Retour en fanfare Dague toujours jonchée sur le plat de mes paumes, je reste immobile en écoutant la réponse d'Ostara. Mes réactions ne se font pas attendre face à tant de logique, bien que n'importe qui aurait pu s'en abstenir. J'arque d'abord un sourcil, d'étonnement et de légère surprise. Elle qui m'avait presque reproché de lui sauver la vie, voilà qu'elle m'en remerciait d'un cadeau inestimable. Un sourire en coin étire mes lèvres, desquelles s'échappe un rire malicieux. Braith, la voie de la raison. Un constat ironique, mais être à nouveau face à cela finit par m'amuser totalement.
❝ Je vais faire en sorte de perdre plus souvent mes affaires pour toi, à l'avenir. ❞
Le dernier mot est plus long, plus ferme aussi, comme l'aveu d'une promesse. Si mettre ma vie en péril et perdre mes armes pour elle me valait des cadeaux de cette qualité, alors tous les jours je pourrais recommencer. Morceau par morceau, j'allais peut-être finir par me faire une armure complète venant d'Al-Hazred. A cet pensée, mon sourire s'intensifie alors que je range la dague dans ma botte, perdant Ostara de vue un instant. Des pensées s'immiscent. Est-ce vraiment seulement ça ?
Je me redresse et lui fais de nouveau face. Le vert de mes yeux balaye la pièce, scrute l'endroit d'un air concerné. Finalement, mon regard retombe sur elle, d'un air presque bienveillant à son encontre. Et mon intention l'est réellement, même si j'allais m'en cacher.
❝ Tu a besoin d'autre chose ? Ça sera peut-être pas gratuit, maintenant que je sais que tu es prête à allonger les tsuris pour me remercier. ❞
Un plus large sourire, un peu ironique. J'attends presque avec impatience sa réaction que j'espère volcanique. Du peu que je la connais, sûr qu'un tel trait d'humour allait lui déplaire et je m'en délecte d'avance. :copyright: 2981 12289 0
❝ Je vais faire en sorte de perdre plus souvent mes affaires pour toi, à l'avenir. ❞
Son sang n'avait fait qu'un tour lorsque le milicien avait fait allusion à de prochaines rencontres, mais elle ne montra rien de son trouble. Du moins, elle espérait que son visage était resté ignorant de la vague de chaleur ayant monté en sa poitrine. Toujours juchée sur sa chaise, elle détacha difficilement son regard de la silhouette du jeune homme. L'envie de découvrir les muscles laissés devinés par le tissu saillant des vêtements de Jade l'étreignit dès que ses iris se posèrent sur le paysage peu reluisant de sa chambre. Son étreinte devait être douce et puissante. Pourquoi s'entêter à vouloir rester dans le froid de l'orgueil, alors que la chaleur réconfortante à laquelle elle s'était raccrochée s'offrait presque à ses sens ?
❝ Tu a besoin d'autre chose ? Ça sera peut-être pas gratuit, maintenant que je sais que tu es prête à allonger les tsuris pour me remercier. ❞
Un sourire taquin grima le visage d'albâtre de l'empoisonneuse. Après tout, si cela était si gentiment proposé... Elle n'avait qu'une vie après tout...
"J'ai besoin de quelque-chose en effet. Et je suis prête à en mettre le prix."
Son timbre doux laissait planer une note ironique, semant le trouble sur ses intentions. Elle lui fit signe de s'avancer d'un petit geste de la main, agrippant son regard comme un marin se raccroche à la dernière planche de son navire en perdition.
Retour en fanfare Étrange. Sa réaction est lointaine à celle escomptée. L'entrain qui me motivait à la taquiner s'essouffle presque immédiatement quand je fixe son sourire. D'incertitude, mes sourcils se crispent légèrement mais surtout, je sens un bond dans ma poitrine à l'entente de ses paroles. En soit, leur sens n'avaient que peu de portée, c'est davantage le ton qu'elle y donne qui me rend perplexe.
J'hésite à répondre à son invitation, mais sans regard est tellement ancré dans le mien qu'il m'est difficile de le fuir. Immobile, le temps de quelques secondes, je la fixe sans ciller. Perplexe et tiraillé par l'incertitude. La connaissant, je peux m'attendre à tout et la contage de ses exploits me reviennent à nouveau en tête.
Je me secoue intérieurement, espérant libérer mon esprit de cette pensée. J'y parviens et malgré tout, ma nature reprends le dessus et à son sourire taquin répond le mien. Je m'avance alors d'un pas, l'air assuré. Juchée sur sa chaise et la cheville blessée, elle ne pourrait pas me sauter dessus pour m'étrangler après cet énième taquinerie. Je me penche vers elle, darde un regard quasi mesquin et murmure.
❝ Mon prix est très élevé tu sais, j'espère que t'as assez. ❞
La proximité me provoque un sentiment étrange, tentant de le camoufler du mieux que je le pouvais. Tu joue avec le feu là, Jade. On est vite emprisonné dans un engrenage une fois qu'on y est tombé. :copyright: 2981 12289 0
Dernière édition par Jade le Dim 30 Oct 2022, 22:53, édité 1 fois
Rien ne s'était déroulé comme elle l'aurait souhaité. Elle n'avait demandé à Jade de s'approcher que pour le taquiner, et potentiellement mimer une pichenette qui le ferait reculer. Avec un peu de chance tomber par terre. Un jeu innocent en somme. Pourtant, lorsqu'il s'approcha, si près que Revna pouvait presque sentir son souffle, elle avait perdu l'esprit. L'empoisonneuse était devenue esclave de son propre corps, qui avait décidé qu'il était grand temps d'assouvir les pulsions dormant dans ses veines. Et avait drastiquement réduit la distance entre leurs deux bustes.
Le parfum exquis du milicien avait emplit ses narines alors que leurs visages n'étaient plus qu'à quelques centimètres d'écart. Son souhait de faire une plaisanterie n'était plus qu'un vague souvenir brumeux alors que l'instinct pulsait dans ses veines, faisant d'elle une faible marionnette entortillée dans ses propres fils. Une portion congrue de son esprit lui criait d'arrêter, mais elle ne l'entendait pas, trop obnubilée par l’ensorcellement des prunelles vipérines. Son cœur battait si fort que Jade devait à présent l'entendre, puis, sans même qu'elle ne s'en rende compte, ses lèvres effleurèrent celles du jeune homme. Ce contact, doux et voluptueux, sembla la tirer de sa transe. Revna se déporta vivement vers l'arrière, les yeux agrandis par la surprise.
"Pardon" souffla-t-elle en se mordant la lèvre, tandis que son visage pâle se fardait de rose. Elle n'osait plus regarder le milicien et avait la forte impression d'avoir gâché le semblant de relation qu'elle avait espéré avec celui-ci.