Le noir, complet, aussi profond que celui qui avait entaché notre coeur jadis. Rien ne perçait, pas même la faible lumière de ces torches qu'ils tentaient de raviver, sans comprendre pourquoi la flamme dansait sans émettre de lumière. Nous regardions avec discrétion leurs premiers pas bruyants. Il y avait tant de profil différent. Certains se pavanaient dans de grosses armures, d'autres, plus frêles, tremblaient face aux ténèbres de notre antre. Mais tous échouaient devant nos yeux ravis de les voir dépérir dans le noir, incapables de retrouver la sortie pourtant si proche d'eux. Ils mourraient par leur faute car notre antre n'était pas close. Elle n'tait une prison que pour ceux qui n'arrivaient pas à en sortir...

Une lueur, si faible, éclairait parfois la pièce. Si difficile à distinguée qu'ils se noyaient dans les ombres avant de l'avoir atteinte. Certains y parvenaient mais perdaient toute raison en arrivant devant ce feu si chaud et chaleureux. Pourquoi était-il le seul à pouvoir luire dans cette nuit interminable ? Pourquoi la peur envahissait leur coeur lorsqu'ils s'approchaient de ces flammes indomptables ?

Tous finissaient par mourir dans le noir. Parfois en hurlant à l'agonie, parfois sans un bruit. Mais tous mourraient face à une peur énigmatique. Qu'elle était-elle ?
Etait-ce leur âme qui, enfermée dans sa propre culpabilité, finissait pas dépérir de désespoir ? Etait-ce ce sourire si étrange qu'ils retrouvaient illuminé par les flammes si joyeuses ? Ou était-ce cet enfant au regard vide et triste qui les fixait au coin du feu ?

Le silence régnait en maitre sur ces lieux à l'odeur putride qui finissait par envahir les narines des malheureux qui s'aventuraient là. Une odeur de mort qui finissait par s'estomper à l'approche du feu. Un feu dont les flammes paraissaient si vivantes et vivaces lorsque l'on osait réellement s'en approcher. Un feu devant lequel on pouvait entendre la douce mélodie d'une flûte, faisant danser frénétiquement les flammes.

Et un murmure se faisait entendre, doux et angoissant, quand ces malheureux passaient le pas de cette porte et plongeaient dans l'obscurité. Un murmure qui vous invitait à jouer à un jeu. Mais lequel ?

Nous redressâmes l'oreille avant de sourire tout doucement. Un pas léger s'était fait entendre, le son d'une torche, que nous seule pouvions entendre, bruissait dans la pénombre. Une voix s'éleva, masculine. Quelques mots, un silence, puis de nouveau des mots. Les pas continuèrent, s'approchant du doux feu, seule source chaleureuse de cet endroit terrifiant.

Le feu semblait vouloir chasser l'horrible froid qui commençait à se lever sur l'endroit. Un froid qui n'avait rien à voir avec celui du dehors. Il était mordant et avec lui, arrivait un sentiment de désespoir. Le son de la flûte s'intensifia, ravivant les flammes du feu qui peinaient à lutter contre le froid. Un son qui invitait presque à chanter et par ailleurs, une voix enfantine se fit entendre, accompagnant l'instrument, luttant contre le froid de cet hivers bien étrange.

La pièce s'emplit tout doucement d'une belle mélodie, très vite, le vent de l'hiver vint hurler, s'ajoutant à cette chanson dont les sentiments étaient mitigés. Le feu, quant à lui, semblait croitre et décroitre au rythme de la bataille entre le vent hivernal et la douce mélodie. La chaleur s'enfuyait au rythme des hurlements du vent pour revenir timidement lorsque le chant reprenait le dessus. Cette étrange lutte dura un certain temps, assez long pour que tout humain qui soit présent ressente le froid si mordant qu'il agressait la chair, qu'importe les couches de vêtements qu'ils portaient, qu'importe les protections contre le froid qu'ils avaient.
Les flammes devenaient hypnotisantes, plus vives, comme si le chant et la mélodie de la flûte avaient enfin réussit à vaincre le hurlement de l'hiver. La chaleur revint, douce, agréable, enivrante.

Elle t'enveloppa, toi qui étais près du feu. Elle te berça, toi qui avais eut si froid. Puis son emprise se fit plus forte, plus présente. Elle commença à t'étouffer, ardente du désir de te brûler.

Toute personne censée aurait reculé face à ça. Mais la douce chaleur possessive ne laissait pas faire l'humain qui voulait survivre. Elle croissait, de concert avec le chant et la mélodie de la flûte qui devinrent de plus en plus dissonants, douloureux pour les oreilles même.

Puis tout s'arrêta brutalement, balayé par un rire profond. Un souffle doux vint titiller l'humain et l'endroit changea. L'obscurité laissa place à une plaine magnifique. Un beau soleil d'hiver régnait en maitre sur ces terres enneigées. Et l'humain... N'était plus là.
A la place se tenait un immense dragon au pelage soyeux et aux oreilles vives. Ses quatre yeux perçaient l'horizon et brillaient d'intelligence.
Et tu ressentis, humain, à quel point nous étions puissante. Tu ressentis cette puissance dans le creux de nos pattes. Mais le temps que tu découvres qui nous étions, un bruit se fit entendre, lointain, comme une mélodie qui t'appelais à elle.

"Humain, toi qui es nous désormais, comprends qui nous sommes, comprends notre passé sans trépasser et peut-être que nous te suivrons dans tes futurs desseins", murmurâmes-nous à son esprit désorienté.

Humain, tu ne pouvais que t'enivrer du vent qui soufflait dans tes poils. Tu ne pouvais qu'apprécier le soleil qui traversait tes plumes, laissant sur le sol de magnifiques couleurs bleutés. Tu ne pouvais que comprendre la joie que nous avions d'être nous, de vivre libre, enchainées seulement par nos désirs les plus fous.
Pourtant, au fond de toi, tout au fond de ton être, tu ressentais quelque chose d'étranger, d'indescriptible. Et cette voix, cette voix qui continuait à te murmurer nos douces paroles : "Toi qui est nous désormais, comprends". Mais arriverais-tu seulement à saisir le sens de ces mots ?

L'étrange mélodie que tu avais entendu peu avant continuait à jouer dans ton esprit. Voudrais-tu la suivre ? L'écouter de plus près ? Aurais-tu la curiosité que nous avions eut lorsque nous l'avions entendu ?
Est-tu, humain, une créature aussi curieuse que celle que nous avions façonnées il y a si longtemps ?

Le vent soufflait toujours doucement dans nos poils si doux, le soleil frappait toujours doucement nos plumes. Pourtant, le temps semblait avoir changé, comme s'il avait fait un bond dans le futur. Etait-ce seulement possible ?
La douce mélodie continuait à se jouer, plus forte au fur et à mesure que tu avançais, humain. Elle envahissait ton être, te volant peu à peu de l'énergie à chaque note. Et bientôt, le simple fait de voler te serait insupportable.

Une voix se fit entendre et la mélodie se stoppa, net. Des cris de supplication s'élevaient dans les airs, emportés par le vent, bien trop aiguës pour être des voix d'adultes. Il était bien impossible de les ignorer tant elles striaient les oreilles. Les cris se transformèrent en hurlement de frayeur, une peur qui tordait les boyaux. Une peur si intense qu'elle ne pouvait laisser indifférent. Une peur qui avait un goût de mort.
Au loin, une lueur rouge brisait le ciel si bleu. Elle était vive, comme appelant à elle, attirant tels des insectes ceux qui osaient la regarder.

Il était difficile de comprendre ce qu'il se passait. Pourtant, la douceur du vent continuait à traverser les poils de notre pelage et le soleil continuait à disperser l'éclat de nos plumes sur le sol. Un sol qui lui, ne se teintait plus de bleu, mais de pourpre. Une couleur qui rappelait le sang et qui en avait d'ailleurs l'odeur. Si tenace que son goût métallique se mêlait au goût de mort.

Tout changea très vite, trop vite même. Les hurlements étaient si forts qu'ils assourdissaient. Le saphir du ciel était devenu rubis, laissant décliner au loin le soleil qui terminait bien trop vite sa course. Et cette odeur de sang, ce goût de mort, ils devenaient de plus en plus puissant, si puissant qu'un estomac fragile aurait vomi tout son contenu, même vide.
Et au loin, on pouvait distinguer quelque chose de brillant. Cela attirait l'oeil et l'odeur semblait venir de là bas...

Plus tu t'approchais, humain, plus tu pouvais constater des cages éparpillées dans ce qui semblait être le cadavre d'un village. Des corps jonchaient le sol et ce que contenaient les cages ne donnait plus signe de vie. Pourtant, tu le savais, au plus profond de ton être, que la mort ne régnait pas encore totalement en maitre sur ces terres dévastées par la guerre. Plus tu avançais, plus tu te sentais faible.
Puis, fut le moment où de petits corps étaient distingables. Des enfants, apeurés, accrochés tels des bouts de viande à un mât. Face à eux, des hommes. Enfin, avaient-ils encore ne serait-ce qu'une once d'humanité ? Les lames brillaient à la lueur des flammes des charniers que l'on avait embrasés.

A côté des enfants, une femme au port de tête altier et à la tenue bien trop riche pour n'être qu'une simple roturière. son regard défiait les hommes devenus monstres. Mais elle restait digne malgré qu'elle fusse roulée dans la boue.

Et la vois résonna encore une fois au plus profond de ton âme : "Comprends notre choix, il est tiens désormais."

Qui allais-tu sauver, humain ? Car tu ne pouvais en sauver qu'un.
La clé de la guerre résidait dans le regard de cette femme encore en vie qui luttait avec hargne contre le couteau qu'on lui avait posé sur la gorge. Mais le regard des enfants se fesaient supplicateurs. Ils étaient l'avenir du pays et ne voulais pas mourir. Personne ne voulait mourir, pourtant, tu ne pouvais en sauver qu'un. Quel sera ton choix ?