Pas de festival à l'ordre du jour, malgré le début de la saison d'Aer. Le manque d'informations sur le sujet rendait le fait moins anodin. Les soucis s'exprimaient quelle que soit la puissance du vent. Aussi, sur une simple brise, déjà les lèvres se déliaient. Qu'il s'agisse de l'escorte des pèlerins ou de la parade des riches familles, chaque grain se fondait dans la masse lühienne.

Toutes ces considérations, d'ordre publique comme officiel, survolaient soigneusement la capitaine Lù, pour son plus grand plaisir. La taille de son bureau, à l'image de son grade, lui évitait l'élaboration de ce genre de stratégie. Elle n'était pas rentrée dans la Garde pour faire de la politique. Pas exactement. Et puis, il suffisait de regarder la situation en face pour obtenir des premières réponses. Les modalités de l'année seraient différentes, voire tardives, comme le promettait la conjoncture actuelle.

Le pas léger, la troisième fille des Lù arpentait les rues de la capitale. Sa robe carmine, telle la peau de son lié, épousait sa taille mais dissimulait ses jambes sous un faible volume. Des filins dorés traçaient d'élégants motifs au niveau de son torse, puis descendaient sobrement. Son corset souple dressait une barrière horizontale sur sa poitrine, révélant avec justesse son teint lunaire. Sa chevelure d'ébène était rabattue sur le côté droit de son visage, dévoilant ainsi avec un soupçon de gourmandise sa nuque claire. Accroché à son oreille, un bijou en or, fleuri de multiples filigranes, cascadait jusqu'à sa clavicule. Sa richesse et sa taille servaient un rôle de pudeur en l'absence du tissu.

La jeune Anna, sa servante attitrée, poussa la porte d'une boutique à la devanture fleurie. Le bouquet à l'intérieur différait en tout point. L'homme derrière le comptoir les salua respectueusement. « Ma dame. Mademoiselle. » Qilin répondit à son signe de tête. Un sourire ténu et bienveillant ornait ses lèvres pulpeuses. Les perles de jais s'orientèrent rapidement vers les étagères, en caressant le contenu avec familiarité. Son pas mesuré, presque aveugle, affichait sa maîtrise des lieux.

Avec discrétion, le gérant se plaça non loin. « Que puis-je vous faire déguster aujourd'hui ma dame ? » Sa patience se modela au silence. Au bout d'un temps, la fille Lù répondit en se tournant vers ses yeux verts. « Surprenez-moi Karim. » Il s'inclina avant de passer dans l'arrière-boutique, et reparut aussitôt. « Cela vient d'arriver. » Il ouvrit la boîte pour lui faire sentir. La fragrance ravit ses sens, comme espéré. Paupières closes, ses lèvres s'étirèrent davantage. Il se retira pour préparer le breuvage.

Sans attendre d'autorisation, Qilin s'aventura dans la seconde pièce, dissociée par une arche en bois finement sculptée, et fermée par un rideau couleur beige fulmina. Quelques tables basses, presque à même le sol, étaient disposées dans l'espace rond. Toutes vides, pour l'instant. Elle prit place sur la plus à droite, qui offrait une jolie vue sur le jardin attenant.

La servante était restée près de l'entrée. Elle conduirait les achats de sa maîtresse une fois le gérant libéré, puis s'éclipserait. Quant à cette dernière, elle avait pris soin d'arriver en amont de son rendez-vous, le temps de déguster une première tasse de thé.


Le tintement du battant contre la clochette l'avertit d'une nouvelle présence. Celle attendue, probablement. Le sourire de la troisième fille des Lù rencontra la céramique encore chaude. Elle but sa dernière gorgée. Karim conduisit l'arrivante dans le salon. D'un geste gracieux, la tasse retrouva son socle. Lorsque la distance séparant les deux femmes fut presque comblée, Qilin posa lentement ses iris ébène sur Sintharia de Val.

« Mademoiselle de Val, votre présence me ravit. »

Sa paume ouverte désigna le coussin en face, l'invitant à s'asseoir.