Le fils d'Ignis observe le nuage de cendre craché par le volcan. Étrangement mal à l'aise cette fois, il a aidé les villageois à rejoindre les pieds de la montagne pour leur éviter les vapeurs et autres désagréments de l'éruption. Et comme à son habitude, il joint ses forces pour bâtir des abris en attendant que la colère du volcan passe. Shakahm a un étrange pré-sentiment. Comme si quelque chose lui manquait depuis maintenant plusieurs années. Si années est le bon terme. Les années sont des secondes, les siècles des minutes et les millénaires des heures. Au fond de lui, il a l'impression que quelque chose est différent. Moins fort ? Trop vieux ? Ou peut-être est-ce juste un ennui passager. Il laisse la petite fille qui était sur ses épaules descendre gentiment pour rejoindre les autres, puis sans trop d'effort il retourne au sommet.

Le demi-Dieu observe les flammes qui jaillissent du ventre de la terre en colère. Puis les langues de lave se répandre sur le flanc du mont, descendant lentement. Sans trop de mal au début, Shakahm parvient à éteindre les brasiers avant qu’ils n’atteignent la plaine. Puis après quelque temps, le volcan ne semble pas calmer sa colère et le demi-Dieu ne parvient plus à le contrôler. Il redescend aussi vite que faire se peut pour rejoindre ses enfants. Il les aide à rejoindre la lande, loin de la fureur de la montagne. Une silhouette se dessine au loin, Shakahm s’éloigne du groupe de villageois pour foncer vers ce qu’il devine être un autre demi-Dieu. Une fois à sa hauteur, il prend à peine le temps de le saluer.

« Le volcan est incontrôlable pour moi seul. Je… J’ai l’impression de faiblir depuis quelques temps… Peux-tu m’aider ? »

Shakahm ne sait rien de ce qu’il se passer ailleurs que dans son village. Sans vraiment attendre de réponse de son vis-à-vis, il court comme il n’a jamais couru pour rejoindre son peuple. Il les presse d’aller le plus loin possible et qu’il viendrait les chercher quand tout sera fini. Il rejoint le bas de la montagne, reprenant son combat inégale contre la lave.

Shakahm faisait son possible pour ralentir la course d’une nouvelle langue lorsque l’autre demi-Dieu arriva. Une entrée qui aurait certainement impressionnée le molosse dans d’autre circonstance. Concentré et humblement redevable envers son ami d’infortune, Shakahm hoche la tête à son idée. Pas sûr que cette dernière soit efficace, mais il valait mieux tenter la chose histoire de vérifier son efficacité au lieu de commencer à se plaindre d’une idée. Au moins, il avait proposé quelque chose ce qui n’est pas forcément le cas du fils d’Ignis. Une fois en place, il tente autant que faire se peut de piéger la lave avec la terre, essayant de faire fusionner les deux éléments. Puis après leur effort combiné, plus rien ne bouge. Soulagé, Shakahm commence à se rapprocher du fils de Terra pour le remercier, mais la carapace semble craquer. Il tourne lentement la tête vers leur œuvre commune pour la voir céder. Comme si elle n’était que du verre tombant sur un sol dur.

Sans une seule seconde d’hésitation, Shakahm reprend sa pose, donnant tout ce qu’il a pour retenir la lave sur le flanc. Crispé et fatigué, il finit par crier à l’autre demi-Dieu : « Une tranchée ! Essayons avec une tranchée ! Te sens-tu capable de la creuser suffisamment large, longue et profonde ? L’éruption peut durer des semaines, mais sa violence s’adoucit avec le temps… Et je ne sais rien des autres flancs de la montagne… » Parler devient extrêmement difficile pour le molosse à cornes, mais il fait de son mieux pour retenir la coulée sur le côté. « Ah mon ami… Je ne comprends rien à ce qu’il se passe ces temps… » Oh ça oui, Shakahm est complètement dépassé par les évènements. Et l’avouer a quelque chose de délivrant pour le demi-Dieu. Il n’a pas spécialement honte de ce qu’il se passe, il a simplement le sentiment qu’il ne peut pas lutter contre ce qu’il arrive. Comme si la terre elle-même était en colère contre tous les peuples qui y vivent. Être la moitié d’un Dieu ne suffit visiblement pas à pouvoir maîtriser la colère de mère nature.

L’immense fils d’Ignis sue. De l’effort étant donné qu’il ne craint pas la chaleur. Il combat avec férocité le volcan depuis ce matin et il a réussi à contenir avec aisance une bonne partie de l’éruption volcanique. Shakahm ne se souvient pas d’avoir failli ne serait-ce qu’une fois à sa tâche. C’est bien la première fois depuis des lustres qu’il ne parvient pas à maintenir la colère de la montagne. Son étonnement n’a d’égal que la force de Dame Nature qui ronge doucement les ressources du gentil Shakahm. Saleté. Il a une pensée pour ses villageois qui doivent le regarder au loin. Cette même pensée lui redonne un peu de sa force. Il doit réussir. Si ce n’est pas pour son père, ça sera pour eux. Il se redresse un peu, gagnant un tout petit peu de terrain contre la lave dans un grondement féroce.

Shakahm guide le plus de langues possible vers les tranchées, espérant que cela suffirait à ne pas trop déborder sur le domaine d'un autre, de son compagnon peut-être. Il regarde la fusion couler dans son réceptacle, fatigué. Il arque un sourcil d'étonnement en écoutant les dires de son cousin. Il est vrai que maintenant qu'il y pense, il ne connait absolument pas les autres civilisations humaines. Peut-être que tous les Hommes ne sont pas aussi bien que le sien. C'est assez triste, si tel est le cas. Et si c'est vraiment vrai, il est triste de voir que tous ses enfants ne sont pas bienveillants qu'il ne l'avait souhaité. La tranchée semble faire l'affaire, mais peut-être fallait-il vérifier pour les autres flancs. « Merci pour ton aide. Je ne connais pas vraiment les autres demi-Dieux, mais je les imagines mal se laisser aller à la flemmardise. Quant aux Humains, certains sont peut-être moins regardant que ceux de mon village ? » Il fait craquer sa mâchoire, soufflant un peu avant de reprendre calmement : « Je ne veux pas abuser de ton temps, mais si cela ne te dérange pas, accepterais-tu d'aller jeter un coup d’œil aux autres flancs. Cela me mettrait mal à l'aise de détruire le travail d'un autre. »

Il regarde son camarade d'infortune. Puis fronce les sourcils, un brin surpris. Lui aussi semble affaibli. Il n'avait pas croisé beaucoup de fils de Terra, mais lui aussi semblait perdre en force. Cela rassurait Shakahm autant que cela l'effrayais. Il n'était pas le seul à faiblir, mais n'étant pas un cas isolé, peut-être que cela devait vraiment l'inquiéter. Ceci dit, depuis le temps qu'ils sont là, peut-être n'est-ce qu'un moment un peu passager et difficile à accepter pour sa fierté, mais rien d'insurmontable. Il commence l'ascension de la montagne, lentement, laissant le choix à ... Ah oui tiens, il ne sait même pas comment il s'appelle. « Je me nomme Shakahm d'ailleurs et toi ? » lance-t-il en se retournant. Ça l'arrange un peu de prendre son temps et de faire la conversation. Le demi-Dieu est étrangement fatigué de l'effort précédant. Et cette nouvelle forme de faiblesse l'agace un peu. Lui qui se pensait presque intouchable et tout puissant. Malgré sa modestie naturelle, il doit avouer que cela a quelque chose d'agaçant au fond.

Shakahm finit de ranger son flanc, puis regarde son camarade d’infortune revenir. Il touche sa corne du bout des griffes en soufflant par le nez. Pour le moment, leurs efforts combinés semblent faire l’affaire. Puis il regarde ses mains, se sentant étrangement lessivé. Comme si… Comme si il était humain et que ce dur labeur l’avait fatigué. Ce n’est pas normal. Rien de tout ce qui vient de se passer n’est normal. Il prend une grande inspiration puis se tourne vers Amsyn. « Merci encore. Je n’y serais pas arrivé seul, je le crains… » Puis il reprend sur la remarque que le fils de Terra a faite tout à l’heure. « Ils savent vivre sans détruire. Le peuple que j’ai guidé dans tes plaines vivent en parfaite harmonie avec la nature sur le flanc du volcan. » Il pose ses mains sur le sol. « Viens. » Le demi-Dieu guide son camarade jusqu’au village de ses protégés. Ces derniers vivent très simplement. Des huttes en bois ou en argile et parfois de la pierre. Des petites réserves, des jardins, quelques animaux dans des enclos et parfois en liberté. Par chance, le petit village a été quelque peu épargné par l’éruption. Shakahm prend le temps de remettre en place deux ou trois objets qui trainent ici et là, concerné par la situation.

« Ces Hommes vivent ici depuis des siècles. Je ne les ai jamais vu faire de dégâts, ou du moins pas volontairement. Ils élèvent ce qu’ils mangent et replantent ce qu’ils coupent. Parfois, ils viennent me voir pour régler des conflits internes que personne ne veut résoudre… », un léger sourire se dessine sur sa gueule parsemée de crocs acérés, « Leurs enfants jouent près de moi et ils font des fêtes pour me remercier de les protéger… Et aujourd’hui, mon ami, j’ai failli pour la première. Pour la première fois, ils ont dû fuir de chez eux parce que j’ai été incapable de m’occuper de la tâche que l’on m’a confiée. Je n’avais pas de nom. C’est eux qui m’ont baptisé Shakahm… », le demi-Dieu se redresse lentement, pour lui faire face, « Je crois que l’Homme est capable du meilleur comme du pire. Cependant, il semblerait que la plupart ait choisi le pire. Il détruise la source de nos pouvoirs et je constate peut-être trop tard que certains de mes enfants ont fait des bêtises plus grosses que prévu. J’en suis sincèrement désolé, mon ami. Et comme toi, j'espère que les choses reviendront à la normale, si il est toute fois encore possible d'arranger les choses. »

« Le problème c’est que chacun était censé s’occuper de sa tâche… Je crains que la plupart d’entre nous ne se sentaient pas concernés par l’évolution de l’Homme. »

Il s’assoit finalement. Pris dans ses pensées, il observe les alentours du village puis le demi-Dieu. Il ne sait pas trop quoi faire ou si il y a encore quelque chose à faire. Après un petit silence, il hoche à aux propos de son interlocuteur.

« Peut-être que l’on aurait dû plus s’intéresser à eux. Pour ma part aux autres humains, je ne sais pas vraiment ce qu’il se passe ailleurs. J’ai entendu parler de ce qu’ils appellent des villes. D’immenses maisons empilées les unes sur les autres où des centaines d’entre eux vivent ensemble. Ça ne ressemble en rien à ce que tu peux voir ici ou à ce que j’imagine. », il dodeline, « Je ne sais pas si ils accepteront d’être guidé. J’ai peur qu’il soit trop tard pour ça. Cependant, trouver une solution à cette baisse de puissance pourrait être une bonne chose. Mais je ne peux pas abandonner ma tâche. »

Shakahm prend sa tâche à cœur, il s’imagine mal partir pour guider le monde entier, non. Peut-être que leur perte de pouvoir vient justement de là. Peut-être que trop d’enfants des Dieux sont partis pour guider ou aider les Hommes si bien que le monde est maintenant en train de perdre son équilibre. Il ne se pardonnerait pas de laisser derrière lui ce pourquoi il a été créé en premier lieu. Et si le volcan se remettait à cracher sa colère pendant qu’il est parti faire le guide spirituel d’autres de ses enfants ? Il n’est pas le seul à avoir participé à cette création, alors il en vient à se demander ce que font ses complices dans cette affaire. Ce sont-ils faits submerger par leur propre création ? Tout ne pouvait pas être aussi chaotique que ce qu’il paraissait tout de même.

« Tu partirais loin de ce que l’on t’a confié pour essayer de remettre de l’ordre dans l’équilibre de notre monde ? »

Comme deux gros molosses, les deux compères sont assis. Aussi pensif l’un que l’autre. Shakahm hoche pour approuver ses dires. Malheureusement ils se sentent tous les deux pris au piège entre leur tâche première et l’éventuelle idée de ramener ceux qui se sont perdus sur le droit chemin. Bien que Shakahm se sente responsable d’une possible erreur, il n’est pas mécontent de son peuple. Voilà un étrange sentiment.

« Nous ne sommes pas que deux demi-Dieux. Je suis sûre que nos semblables font le nécessaire pour ramener de l’ordre dans le monde. Il faut … Il faut juste leur faire confiance. »

Le fils d’Ignis acquiesce en disant cela. Il cherche plus à se persuader lui-même que le loup. Après tout, ce n’est pas comme si il avait pris cette décision seul. Au fond de lui, Shakahm est persuadé que l’Homme est bon et qu’il retrouvera un semblant de bon sens, si toute fois cette perte est liée à leurs actions. Il penche la tête, comme un chiot, en entendant sa question. Ah oui… Il est vrai que tout le monde n’avait pas pris part à ce projet. Pour être tout à fait honnête avec lui-même, le demi-Dieu n’avait pas vraiment pensé à mal en participant à la création. Il était simplement resté quand ceux qui ne voulait pas participer sont partis. Il n’a pas dit grand-chose. Shakahm a surtout observé, écouté et apprécié la créativité des autres presque divins. Il avait aussi constaté les envies malsaines de certains d’avoir du pouvoir sur un être capable de penser et d’évoluer. Différent des animaux. D’autres ressentaient simplement le besoin d’embellir la création des Dieux. Lui ? Il avait juste envie de montrer à son propre créateur qu’il pouvait créer d’aussi belles choses que lui.

« Oh… Mh… Ça a surtout été beaucoup de débats. Formes, tailles, capacités. Mais je crois qu’au final nous voulions surtout créer une créature capable d’évoluer d’elle-même. De grandir en s’adaptant. Nous étions beaucoup, concernés et motivés par diverses envies. J’ai comme ce besoin primaire de les protéger et j’apprécie les observer grandir. Cependant… Maintenant, je ne sais plus si c’était une si bonne idée que cela… Pour tout te dire, je pense que nous étions beaucoup trop pour que cela ne fonctionne pas. Je suis fier de ce que j’ai créé malgré tout… C’est un peu étrange comme sentiment. J’aimerais croire que les choses vont s’améliorer, mais quelque chose au fond de mon être semble penser le contraire. »

Un soupir lui échappe, puis il revient à sa contemplation du panorama. Ici la nature est encore belle. Mais que feront-ils si des humains moins bienveillants arrivaient jusqu’ici pour construire ces étranges cabanes ? Sans doutes qu’ils essayeront de les repousser. Si cela leur ait encore possible. Il resserre l’une de ses immenses mains en un poing ferme. Oui, il défendrait son chez lui.

« Et si ils viennent construire ici, les empêcheras-tu, mon ami ? »